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 Le mythe de Pygmalion

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Rhadamante

Rhadamante


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MessageSujet: Le mythe de Pygmalion   Le mythe de Pygmalion Icon_minitime29/6/2007, 06:12

Les Métamorphoses, X

De là, par les champs de l'espace, Hyménée, couvert de tissus éclatants, s'élance vers les rives de l'Hèbre. Il vient : Orphée l'appelle, mais il l'appelle en vain. Le dieu parut, il est vrai, mais il n'apporta ni paroles sacrées, ni visage souriant, ni fortunés présages. La torche même qu'il balance pétille, et ne jette que des flots de cuisante fumée ; Hymen l'agite sans pouvoir en ranimer la flamme. C'était le prélude d'un plus affreux malheur ; car tandis que la nouvelle épouse, accompagnée de la troupe des Naïades, court au hasard parmi les herbes fleuries, la dent d'un reptile pénètre dans son pied délicat. Elle expire. Quand le chantre du Rhodope l'eut assez pleurée à la face du ciel, résolu de tout affronter, même les ombres, il osa descendre vers le Styx par la porte du Ténare, à travers ces peuples légers, fantômes honorés des tributs funèbres ; il aborda Perséphone et le maître de ces demeures désolées, le souverain des mânes. Les cordes de sa lyre frémissent ; il chante :

«O divinités de ce monde souterrain où retombe tout ce qui naît pour mourir, souffrez que laissant les détours d'une éloquence artificieuse, je parle avec sincérité. Non, ce n'est pas pour voir le ténebreux Tartare que je suis descendu sur ces bords. Non, ce n'est pas pour enchaîner le monstre dont la triple tête se hérisse des serpents de méduse. Ce qui m'attire, c'est mon épouse. Une vipère, que son pied foula par malheur, répandit dans ses veines un poison subtil, et ses belles années furent arrêtés dans leur cours. J'ai voulu me résigner à ma perte ; je l'ai tenté, je ne le nierai pas : l'Amour a triomphé. L'Amour ! il est bien connu dans les régions supérieures. L'est-il de même ici, je l'ignore : mais ici même je le crois honoré, et si la tradition de cet antique enlèvement n'est pas une fable, vous aussi, l'Amour a formé vos noeuds. Oh ! par ces lieux pleins de terreur, par ce chaos immense, par ce vaste et silencieux royaume, Eurydice ! ... de grâce, renouez ses jours trop tôt brisés ! Tous nous vous devons tribut. Après une courte halte, un peu plus tôt, un peu plus tard, nous nous empressons vers le même terme... C'est ici que nous tendons tous... Voici notre dernière demeure, et vous tenez le genre humain sous votre éternel empire. Elle aussi, quand le progrès des ans aura mûri sa beauté, elle aussi pourra subir vos lois. Qu'elle vive ! c'est la seule faveur que je demande. Ah ! si les destins me refusent la grâce d'une épouse, je l'ai juré, je ne veux pas revoir la lumière. Réjouissez-vous de frapper deux victimes !»

Il disait, et les frémissements de sa lyre se mêlaient à sa voix, et les pâles ombres pleuraient. Il disait, et Tantale ne poursuit plus l'onde fugitive, et la roue d'Ixion s'arrête étonnée, et les vautours cessent de ronger le flanc de Tityus, et les filles de Bélus se reposent sur leurs urnes, et toi, Sisyphe, tu t'assieds sur ton fatal rocher. Alors, pour la première fois, des larmes, ô triomphe de l'harmonie ! mouillèrent, dit-on, les joues des Euménides. Ni la souveraine des morts, ni celui qui règne sur les mânes ne peuvent repousser sa prière. Ils appellent Eurydice. Elle était là parmi les ombres nouvelles, et d'un pas ralenti par sa blessure, elle s'avance. Il l'a retrouvée, mais c'est à une condition. Le chantre du Rhodope ne doit jeter les yeux derrière lui qu'au sortir des vallées de l'Averne : sinon la grâce est révoquée.

Ils suivent, au milieu d'un morne silence, un sentier raide, escarpé, ténébreux, noyé d'épaisses vapeurs. Ils n'étaient pas éloignés du but ; ils touchaient à la surface de la terre, lorsque, tremblant qu'elle n'échappe, inquiet, impatient de voir, Orphée tourne la tête. Soudain elle est rentraînée dans l'abîme. Il lui tend les bras, il cherche son étreinte, il veut la saisir ; elle s'évanouit, et l'infortuné n'embrasse que son ombre. C'en est fait ! elle meurt pour la seconde fois : mais elle ne se plaint pas de son époux. Et de quoi se plaindrait-elle ? Il l'aimait. Adieu ! ce fut le dernier adieu, et à peine parvint-il aux oreilles d'Orphée : déjà l'Enfer a reconquis sa proie.

Orphée demeure glacé. Perdre deux fois sa compagne ! Il est là, comme ce berger pusillanime à la vue des trois têtes de Cerbère enchaîné. La terreur n'abandonne l'infortuné qu'avec la vie. Son corps se transforme en pierre. Tel encore cet Olénus qui appela sur sa tête le châtiment de ton crime, ô Lethaea, trop fière de ta malheureuse beauté. Coeurs naguère tendrement unis, vous n'êtes plus que des rochers insensibles au sommet humide de l'Ida ! Il prie ; il veut en vain repasser l'Achéron. Le nocher le repousse. Et pourtant, sept jours entiers, couvert de poussière, sevré des dons de Cérès, il reste sur la rive du fleuve, immobile, se repaissant du trouble de son âme, de sa douleur et de ses larmes. Il accuse de cruauté les dieux de l'Erèbe. Enfin, il se réfugie au haut du Rhodope, de l'Hémus que battent les Aquilons. Trois fois, sur les pas du Soleil, les célestes Poissons avaient fermé le cercle de l'année, et nulle femme n'avait ramené à Vénus son coeur indocile, soit prudence, soit fidélité. Plusieurs cependant brûlaient de s'unir au chantre divin ; plusieurs essuyèrent la honte d'un refus. Même, à son exemple, les peuples de la Thrace apprirent à s'égarer dans des amours illégitimes, à cueillir les premières fleurs de l'adolescence, ce court printemps de la vie.

Une colline s'élevait, et sur cette colline, le sol, mollement aplani, nourrissait une herbe verte et touffue : mais l'ombre manquait en ces lieux. Sitôt que, se reposant à cette place, le chantre fils des immortels toucha les cordes sonores, l'ombre y vint d'elle-même. Soudain parurent et l'arbre de Chaonie, et les Héliades du bocage, et le chêne au feuillage superbe, et le gracieux tilleul, et le hêtre, et le laurier virginal. On vit paraître en même temps le coudrier fragile et le frêne guerrier, et le sapin sans noeuds, et l'yeuse courbée sous le poids de ses glands, et le platane ami de la joie, et l'érable aux nuances variées, et le saule des fleuves, et le lotus des eaux, et le buis toujours vert, et les bruyères timides, et les myrtes à deux couleurs, et le tinus aux baies d'azur. Vous accourûtes à l'envi, lierres dont les pieds se tordent ; vignes chargées de pampres, ormeaux que la vigne décore, frênes sauvages, arbres résineux. Puis vinrent l'arboisier couvert de fruits rouges, le palmier flexible, prix glorieux de la victoire, le pin, dont la tête se hérisse d'une âpre chevelure, le pin cher à Cybèle, à la mère des dieux. Car son Attis, dépouillé de la forme humaine, est là enfermé dans sa prison d'écorce. On vit, au milieu de cette foule empressée, le cyprès pyramidal, arbre désormais, jadis enfant aimé du puissant dieu qui fait résonner à la fois la corde de l'arc et celles de la lyre.

Carthée vit errer dans ses campagnes un beau cerf consacré aux nymphes de ses bords. Un bois large et spacieux s'élevait sur son front qu'il ombrageait de son éclatant ramure dorée. Le long de ses reins flottaient des colliers de perles suspendues à son cou arrondi ; sur son front une bulle d'argent, retenue par des liens délicats, s'agitait, et deux anneaux semblables, d'un airain poli, brillaient à ses oreilles autour de ses tempes étroites. Libre de toute frayeur, affranchi de sa timidité naturelle, il fréquentait les demeures des hommes, et ne craignait pas d'offrir son cou aux caresses d'une main étrangère. Cependant, par-dessus tous, ô le plus charmant des fils de Cos, tu l'aimais, toi, Cyparisse ! C'est toi qui le menais paître l'herbe nouvelle, toi qui l'abreuvais au courant des sources limpides. Tantôt tu parais son bois de testons fleuris ; tantôt, monté sur sa croupe, tu chevauchais çà et là, pressant d'un frein de pourpre sa bouche obéissante.

L'été régnait : c'était vers le milieu du jour ; brûlé par les feux du soleil, le Cancer recourbait ses bras douloureux. Etendu de lassitude sur la terre moelleuse, le cerf goûtait la fraîcheur à l'ombre de son épaisse ramure. L'imprudent Cyparisse lance un trait acéré ; le trait vole, perce son ami d'une atteinte cruelle ; l'enfant le voit mourir, et il veut mourir lui-même. Que de consolations lui prodigue alors Phoebus ! C'est un léger malheur qui ne mérite pas tant de plainte. Il l'encourage ; Cyparisse n'en gémit pas moins. La dernière faveur qu'il demande aux dieux, c'est de verser des larmes éternelles. Déjà ses pleurs intarissables ont épuisé tout son sang : une teinte livide se répand sur ses membres ; ces cheveux qui tout à l'heure pendaient sur son front de neige, ces beaux cheveux se dressent ; ils deviennent raides, et leur pointe aiguë menace le ciel étoilé. Le dieu gémit, et, plein de tristesse : «Toi que je pleurerai toujours, dit-il, tu seras l'arbre du deuil et le symbole des regrets».

Parmi ces arbres qu'il attire, parmi les habitants des bois et des airs, qui forment son cortège, le chantre était assis. Il essaie du doigt les cordes émues, et jugeant que de la variété des accords résulte une parfaite harmonie, il rompt le silence, il élève sa voix pure :

«A Jupiter, muse qui m'as donné le jour ! tout reconnaît son empire suprême : à Jupiter le début de mes chants ! Jupiter ! j'ai souvent célébré son pouvoir. J'ai chanté sur des tons hardis et les géants et les plaines de Phlégra sillonnées de ses foudres victorieuses. Aujourd'hui, sur une lyre plus légère, chantons les enfants chéris des immortels, et ces vierges coupables, égarées, dont les flammes monstrueuses ont attiré le courroux céleste.

Jadis le roi des dieux brûla d'amour pour Ganymède, le jeune Phrygien, et un être se rencontra dont Jupiter put envier la forme. Il se change en oiseau, mais c'est l'oiseau qui porte son tonnerre. Soudain frappant l'air d'une aile empruntée, il ravit le pâtre du Scamandre. Maintenant encore Ganymède remplit sa coupe, et Jupiter, en dépit de Junon, reçoit le nectar de sa main.

Toi aussi, fils d'Amyclès, Phoebus t'aurait placé dans l'Olympe, si les destins sévères eussent permis ton apothéose. Du moins il te fait une sorte d'immortalité, toutes les fois que le printemps détrône l'hiver ; toutes les fois que le Poisson cache, au retour du Bélier, son étoile pluvieuse, tu renais, bel Hyacinthe, tu refleuris sur ta tige verdoyante. Toi, plus qu'un autre, tu fus cher à l'auteur de ma vie. Au centre du globe, les trépieds de Delphes réclamaient sa présence, tandis qu'aux bords de l'Eurotas, le dieu fréquente Lacédémone, ceinte de vivantes murailles. Sa lyre, ses flèches, tout l'importune, il s'oublie lui-même, rien ne le rebute, ni filets à porter, ni meutes à conduire, ni montagnes aux cimes escarpées à franchir avec toi ; une longue habitude entretient sa flamme.
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MessageSujet: Re: Le mythe de Pygmalion   Le mythe de Pygmalion Icon_minitime29/6/2007, 06:13

Le soleil était au milieu de sa course, à distance égale de la nuit qui vient et de la nuit écoulée. Les cieux amis se dépouillent de leurs vêtements ; la liqueur onctueuse de l'olivier assouplit leurs membres ; ils s'apprêtent au rude combat du disque. Phoebus commence ; le disque, balancé par sa main, part, vole dans les airs, fend la nue qui s'oppose à son essor, et retombe longtemps après sur la terre, qu'il ébranle de son poids. Ainsi le dieu fait voir sa vigueur et son adresse. Imprudent Hyacinthe ! l'ardeur du jeu l'emporte. Soudain, pour saisir le disque arrondi, il s'élance ; mais, repoussé par le sol élastique, le palet bondissant se relève et frappe le front d'Hyacinthe, ce front si beau ! L'enfant pâlit ; non moins pâle lui-même, le dieu reçoit dans ses bras ce corps défaillant... Il essaie de le ranimer. Tour à tour, ô douleur ! il étanche le sang qui coule de la blessure, ou à l'aide de plantes salutaires il retient l'âme fugitive. L'art est sans vertu ; la blessure est sans remède. Ainsi meurent les violettes ; ainsi, dans un frais jardin, meurent les pavots et les lis, brisés par le pied du passant. Vainement la fleur reste-t-elle unie à sa tige languissante et décolorée. Elle penche aussitôt sa tête appesantie, elle ne se soutient plus, et son front s'incline vers la terre. Ainsi, la mort sur les traits, tombe le jeune Hyacinthe. Ses forces l'abandonnent ; son cou fléchit sous le poids qui l'accable et roule sur son épaule.

«Tu meurs, fils d'Oebalie, et ta riante jeunesse est moissonnée, dit Phoebus ; je vois ta blessure et mon forfait ; tu causes ma douleur et mes remords ; ma main te priva de la lumière ; oui, qu'on le grave sur mon front ; je suis l'auteur de ton trépas ! Et quelle est ma faute pourtant ? Ah ! l'on ne peut flétrir un jeu du nom de crime, si du nom de crime on ne flétrit aussi nos amours. Que ne m'est-il permis de donner pour toi ma vie ou de mourir avec toi ? Mais une loi fatale m'enchaîne ; du moins tu vivras toujours dans mon coeur ; ma bouche te voue un culte fidèle : tu vivras et dans mes chants et dans les plaintes de ma lyre ; fleur nouvelle, tu porteras l'empreinte de mes gémissements, et un temps viendra que, pour rehausser ta gloire, un guerrier magnanime écrira son nom sur les feuilles de l'hyacinthe».

Tels sont les mots que profère Apollon d'une bouche véridique. Et déjà le sang répandu sur la terre, le sang dont la trace avait souillé l'herbe, s'efface et n'est plus du sang. Plus brillante que la pourpre de Tyr, une fleur éclôt. La forme qu'elle emprunte est celle du lis, mais la pourpre la colore, le lis est argenté. Ce n'est pas assez pour Phoebus ; car c'est à Phoebus que son ami doit cet honneur : lui-même il grave sur les feuilles le cri de ses regrets. Aï ! Aï ! ces lettres revivent sur la fleur qui reproduit la funeste syllabe. Non, bel Hyacinthe, Sparte n'a pas à rougir d'être ta mère. Ton culte dure encore de nos jours, et selon l'usage antique, solennel, chaque année ramène les fêtes pompeuses d'Hyacinthe.

Mais interrogez Amathonte, la cité aux mines opulentes ; avoue-t-elle la naissance des Propétides ? Elle les renie comme ces monstres dont naguère une double corne surmontait le front hideux, ces infimes Cérastes, dont le nom rappelle la difformité. Devant leurs portes s'élevait l'autel de Jupiter hospitalier, sinistre autel, monument de barbarie ! A le voir teint de sang, l'étranger pouvait croire que l'on égorgeait sur cet autel les tendres génisses et les brebis d'Amathonte. La victime, c'était lui-même. Indignée de ces épouvantables sacrifices, la bienfaisante Vénus s'apprêtait à déserter ses villes bien-aimées et les campagnes d'Ophiuse. Mais, dit-elle, ces demeures chéries, ces îles fidèles, de quoi sont-elles coupables ? Quel crime ont-elles commis ? Ah ! plutôt que l'exil me venge d'une race abhorrée ; l'exil ou la mort, que sais-je ? Entre la mort et l'exil n'est-il pas un châtiment ; et ce châtiment que peut-il être, sinon la perte d'une forme qu'ils déshonorent ?» Tandis qu'elle hésite sur leur métamorphose, les cornes de leurs fronts attirent ses regards. De tels attributs peuvent rester leur partage ; soudain ces monstres gigantesques se transforment en taureaux farouches.

Toutefois les impures Propétides osent refuser leur encens à Vénus. Mais en butte au courroux de la déesse, les premières elles trafiquèrent, dit-on, de leurs corps et de leurs baisers. Femmes sans pudeur, leur front s'est endurci à la honte ; pierres, elles n'ont fait que changer d'endurcissement.

Témoin de leurs fureurs criminelles, et révolté des vices sans nombre qui dégradent le coeur des femmes, Pygmalion vivait libre, sans épouse, et longtemps sa couche demeura solitaire. Cependant son heureux ciseau, guisé par un art merveilleux, donne à l'ivoire éblouissant une forme que jamais femme ne reçut de la nature, et l'artiste s'éprend de son oeuvre. Ce sont les traits d'une vierge, d'une mortelle ; elle respire, et, sans la pudeur qui la retient, on la verrait se mouvoir ; tant l'art disparaît sous ses prestiges mêmes. Ebloui, le coeur brûlant d'amour, Pygmalion s'enivre d'une flamme chimérique. Plus d'une fois il avance la main vers son idole ; il la touche. Est-ce un corps, est-ce un ivoire ? Un ivoire ! non, il ne veut pas en convenir. Il croit lui rendre baisers pour baisers ; tour à tour il lui parle il l'étreint ; il s'imagine que la chair cède à la pression de ses doigts ; il tremble qu'ils ne laissent leur empreinte sur les membres de la statue. Tantôt il la comble de caresses, tantôt il lui prodigue les dons chers aux jeunes filles, coquillages, pierres brillantes, petits oiseaux, fleurs de mille couleurs, lis, balles nuancées, larmes tombées du tronc des Héliades. Ce n'est pas tout, il la revêt de tissus précieux ; à ses doigts étincellent des diamants ; à son cou, de superbes colliers ; à ses oreilles, de légers anneaux ; sur sa gorge, des chaînes d'or qui pendent : tout lui sied, et nue, elle semble encore plus belle. Il la couche sur des carreaux que teint la pourpre de Sidon ; il l'appelle la compagne de son lit ; il la contemple étendue sur le duvet moelleux : il croit qu'elle y est sensible.

C'était la fête de Vénus. Cypre tout entière célébrait cette fameuse journée. L'or éclate sur les cornes recourbées des génisses au flanc de neige qui, de toutes parts, tombent sous le couteau ; l'encens fume : Pygmalion dépose son offrande sur l'autel, et debout, d'une voix timide : «Grands dieux, si tout vous est possible, donnez-moi une épouse... (il n'ose pas nommer la vierge d'ivoire) semblable à ma vierge d'ivoire».

Vénus l'entend ; la blonde Vénus, qui préside elle-même à ses fêtes, comprend les voeux qu'il a formés ; et, présage heureux de sa protection divine, trois fois la flamme s'allume, trois fois un jet rapide s'élance dans les airs. Il revient, il vole à l'objet de sa flamme imaginaire, il se penche sur le lit, il couvre la statue de baisers. Dieux ! ses lèvres sont tièdes ; il approche de nouveau la bouche. D'une main tremblante il interroge le coeur : l'ivoire ému s'attendrit, il a quitté sa dureté première ; il fléchit sous les doigts, il cède. Telle la cire de l'Hymette s'amollit aux feux du jour, et, façonnée par le pouce de l'ouvrier, prend mille formes, se prête à mille usages divers. Pygmalion s'étonne ; il jouit timidement de son bonheur, il craint de se tromper ; sa main presse et presse encore celle qui réalise ses voeux. Elle existe. La veine s'enfle et repousse le doigt qui la cherche ; alors, seulement alors, l'artiste de Paphos, dans l'effusion de sa reconnaissance, répand tout son coeur aux pieds de Vénus. Enfin ce n'est plus sur une froide bouche que sa bouche s'imprime. La vierge sent les baisers qu'il lui donne ; elle les sent, car elle a rougi ; ses yeux timides s'ouvrent à la lumière, et d'abord elle voit le ciel et son amant. Cet hymen est l'ouvrage de la déesse ; elle y préside. Quand neuf fois la lune eut rapproché ses croissants et rempli son disque lumineux, Paphos vint à la lumière, et l'île hérita de son nom. Tu naquis du même sang, ô malheureux Cinyre, toi que l'on eût compté entre les plus fortunés mortels, si tu n'avais pas éte père.
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MessageSujet: Re: Le mythe de Pygmalion   Le mythe de Pygmalion Icon_minitime29/6/2007, 06:13

Je vais chanter un crime odieux. Arrière, jeunes filles. Pères, fuyez, retirez-vous ! Que si mes accents trouvent le chemin de vos coeurs, puisse ma voix ne frapper que des oreilles crédules, ou si vous croyez au forfait, croyez également à la punition.

Ah ! la nature permet-elle d'ajouter foi à la réalité d'un tel crime ! 0 Peuples de l'Ismarie, ô mes frères, je vous en félicite ; j'en félicite la terre que nous habitons ; nous sommes loin des lieux maudits, theâtre de ces épouvantables scènes. Le précieux amome, le cinname, le nard embaumé, l'encens que distille un bois aride, peuvent orner le sein de la fertile Arabie. Eh ! ne produit-elle point l'arbre de Myrrha ? C'est payer trop cher une nouvelle parure. Non, ce n'est point l'amour qui te blessa de ses traits ; il s'en défend, Myrrha. Sa torche n'est point complice de ta flamme incestueuse. Non, c'est un brandon du Styx qui l'alluma en toi ; non, c'est la bouche empoisonnée de l'une des furies qui le souffla dans ton sein ! On est criminel de haïr un père : mais un tel amour ! c'est un forfait bien plus détestable que ta haine. Toute une élite de princes est là qui recherche ta main ; toute la jeunesse de l'Orient se dispute l'honneur de partager ta couche ; choisis entre tous, Myrrha, prends l'un d'eux ; prends, mais excepte quelqu'un dans le nombre.

Myrrha le sent bien : elle combat cet horrible amour. «Hélas ! dit-elle, ou laissé-je égarer mes voeux et mon esprit ? 0 dieux ! que j'implore, ô Piété, ô droits sacrés de la nature, prévenez un tel attentat. Souffrirez-vous un si grand crime ? Mais est-ce un crime en effet ? Non, le sang ne condamne point les feux dont je brûle. Eh ! les animaux ne s'assemblent-ils pas sans choix ? Est-ce une honte pour la génisse de s'unir avec son père ? Le coursier prend sa fille pour compagne, le bélier rend féconde la brebis qu'il a mise au jour, l'oiseau dépose dans le sein maternel le germe qui doit le reproduire. Heureux privilège ! l'homme s'est fait des lois bizarres dont la jalouse rigueur défend ce que la nature autorise ; et pourtant, on l'assure, il est des contrées où le fils et la mère, le père et la fille, enchaînés par un double lien, voient l'amour accroître leur tendresse. Hélas ! que ne suis-je née en ces lieux ! C'est le hasard qui m'opprime, le hasard de la naissance. Mais pourquoi retomber dans mes funestes pensées ? Loin de moi, désirs illégitimes ! Oh ! il mérite d'être aimé, mais d'être aimé comme un père. Eh quoi ! si je n'étais pas la fille de Cinyre, du noble Cinyre, je pourrais dormir dans ses bras. Ainsi donc c'est parce qu'il m'est tout qu'il ne m'est rien. Tout mon malheur est de lui tenir de trop près. Une étrangère serait plus heureuse. Ah ! fuyons, quittons les champs de la patrie ! Etouffons mon crime et mon amour ! Mais une illusion décevante me retient. Etre là, auprès de Cinyre, le voir, le toucher, lui parler, sentir sa bouche sur la mienne, c'est beaucoup à défaut d'autre espérance. D'autre espérance ! Et que peux-tu prétendre au delà, fille impie ? Quoi ! ces noms, ces droits que tu profanes, ne les connais-tu pas ? Dis, seras-tu la rivale de ta mère, la fille de ton amant, la soeur de ton fils, et la mère de ton frère ? Ne crains-tu donc pas les sombres serpents qui sifflent sur la tête des furies, ces torches vengeresses, menaçantes, qu'elles agitent devant les yeux des coupables épouvantés ? Ah ! puisque ton corps est exempt de souillure, interdis au crime l'accès de ton âme. La nature a des lois souveraines ; ta flamme monstrueuse en violerait la sainteté. Crois-tu qu'il se rende à tes voeux, lui, ton père ? Jamais ; il est trop pur, trop fidèle au devoir. Oh ! comme je voudrais qu'il partageât mon égarement !»

Elle dit. Cependant Cinyre, qu'une foule d'illustres prétendants fait hésiter sur le choix d'un gendre, les nomme à sa fille, et lui demande quel époux elle préfère. Myrrha se tait d'abord. Les yeux attachés sur son père, elle rougit, et des pleurs viennent mouiller ses paupières brûlantes. Cinyre voit dans ces larmes le trouble d'une vierge pudique. Il sèche les pleurs, il essuie les joues de Myrrha, et sa bouche lui donne un baiser pour elle trop plein de délices. Il l'interroge de nouveau. «Quel est l'époux que tu désires ? - Un époux comme toi», dit-elle. Cinyre approuve la réponse : il n'a pas compris. «Bien, ma fille, conserve toujours une piété si tendre». A ce nom qui te reproche ton crime, tu baisses la tête, ô vierge infortunée !

La nuit avait fait la moitié de sa course, et dans l'âme des mortels la douleur s'était endormie. Mais la fille de Cinyre veille. En proie à l'indomptable feu qui la consume, elle roule des pensées frénétiques. Tantôt elle désespère, tantôt elle veut tout affronter ; elle craint, elle désire tour à tour. Que faire ? Elle l'ignore. Ainsi, blessé par la cognée, chancelle un grand arbre ; le dernier coup va l'abattre : où tombera-t-il ? On ne sait, mais de toutes parts on craint sa chute. Ainsi l'âme de Myrrha, ébranlée par maint assaut, penche, hésite, balance ; âme légère qui ne trouve en elle-même ni ressorts ni contre-poids. Nul terme, nul remède à son amour que la mort. La mort ! Elle s'y résigne. Elle se lève. Un lacet terminera sa vie ; elle l'a juré. Déjà sa ceinture est fixée au lambris. «Cher Cinyre, adieu ! puisses-tu devenir la cause de ma mort !» Et pâle, elle nouait à son cou le lien funeste.

Ces accents confus parvinrent, dit-on, aux oreilles de la nourrice de Myrrha. Gardienne attentive, elle reposait au seuil de son élève. La vieille sort de sa couche, ouvre la porte, et le premier objet qui s'offre à ses yeux, c'est l'instrument de trépas. Pousser un cri, se meurtrir le sein, déchirer ses vêtements, arracher, mettre en pièces le lacet homicide, tout cela est l'ouvrage d'un instant. C'est alors, c'est à la fin qu'elle donne un libre cours à ses larmes, qu'elle embrasse la jeune fille, qu'elle veut connaître la cause d'un tel désespoir. La jeune fille se tait ; muette, immobile, elle regarde la terre. Hélas ! pourquoi l'a-t-on surprise ? Pourquoi ces longs apprêts ont-ils retardé sa mort ? La vieille insiste. Par ses cheveux blancs, par ses mamelles qu'elle découvre, ses mamelles arides, par le berceau de Myrrha, par les soins qu'elle prit de son enfance, elle l'adjure de lui confier le secret de ses douleurs. Vaines prières ! Myrrha se détourne et ne peut que gémir. La nourrice redouble d'instances. Elle lui promet plus que de la discrétion. «Parle, dit-elle, accepte mes faibles secours ! Oh ! je ne suis pas engourdie par la vieillesse. Est-ce trouble d'esprit ? je sais qui te guérira avec des paroles et des plantes. Est-ce quelque sort malin ? on te purifiera d'après les rites de la magie. Est-ce colère des dieux ? un sacrifice apaise le courroux céleste. Que penser ? La fortune nous sourit, la maison est florissante, tout va bien ; tu as encore ta mère et ton père». A ce nom de père, Myrrha tire un soupir du plus profond de son coeur. La nourrice ne craint pas encore un crime ; mais elle soupçonne un amour malheureux. Décidée à pénétrer ce mystère, quel qu'il soit, elle prie son enfant de lui tout révéler ; elle la soulève pleurante sur son sein flétri de vieillesse, et la pressant ainsi dans ses bras débiles : «Je comprends, dit-elle, tu aimes ; mais, va, rassure-toi, mon zèle peut te servir en cela : ton père ne s'en doutera jamais». Myrrha s'est arrachée de ses bras ; furieuse, elle imprime ses dents sur sa couche. «Eloigne-toi, par pitié, épargne ma misère et ma honte ; n'insiste pas ; va-t'en, ou cesse, ajoute-t-elle, de me demander ce que je souffre... Ce que tu veux savoir, c'est un crime». La vieille frissonne ; elle lui tend ses mains, ses mains que l'âge et la crainte ont rendues tremblantes ; elle tombe aux pieds de son élève, et là, suppliante, prosternée, elle implore tour à tour les caresses et les menaces. Elle saura tout, sinon elle ira tout confesser, lien fatal, projet de mort : que Myrrha lui confie son amour, elle lui promet son assistance. Myrrha lève la tête, et les larmes dont elle est baignée inondent le sein de sa nourrice. Elle s'efforce de parler : sa voix expire. Enfin, couvrant d'un voile la rougeur de son front : «Oh ! dit-elle, que ma mère est une heureuse épouse !» Elle s'arrête, suffoquée de sanglots. La nourrice a deviné ; dans ses membres, jusqu'au fond de ses os, pénètre le frisson de l'horreur, et sur sa tête blanchie tous ses cheveux se hérissent et se tiennent droits d'épouvante. En vain pour étouffer, s'il est possible, cet horrible amour, la vieille s'épuise en remontrances. Myrrha sent la justesse de ses conseils ; mais c'en est fait, elle mourra si elle n'a pas celui qu'elle aime. «Vivez donc, dit la nourrice, vous aurez votre...» Elle n'ose dire votre père ; elle se tait, mais elle prend les dieux à témoin de sa promesse.
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MessageSujet: Re: Le mythe de Pygmalion   Le mythe de Pygmalion Icon_minitime29/6/2007, 06:13

C'était l'anniversaire des fêtes de Cérès, de ces fêtes solennelles où, revêtues d'habits éclatants de blancheur, les femmes portent à la déesse, en guirlandes dorées, les premiers fruits de la moisson. Pendant neuf jours elles se refusent à Vénus, aux joies de l'hymen que la chasteté condamne. Au milieu d'elles, la reine Cenchréis, éloignée de son époux, célèbre les pieux mystères. Or, tandis que l'épouse fuit la couche nuptiale et ses légitimes plaisirs, la nourrice que son zèle égare, trouvant Cinyre échauffé par l'ivresse, lui peint sous un faux nom l'amour, hélas ! trop réel, d'une jeune fille dont elle lui vante les attraits. Cinyre demande son âge : «L'âge de Myrrha», dit la nourrice. Elle reçoit l'ordre de l'amener et court en hâte rejoindre son élève. «Bonne nouvelle, ma fille, victoire !» L'infortunée Myrrha ne livre pas son âme à une entière allégresse ; un sinistre pressentiment l'accable, et toutefois elle se réjouit, tant le coeur est plein de contradiction.

Voici l'heure du silence. Parmi les étoiles de l'Ourse, le Bouvier dirige obliquement le timon de son char. Myrrha va consommer son crime. La lune s'enfuit. Elle voile son front argenté. Les astres obscurcis se couvrent de sombres nuages. La nuit éteint ses flambeaux. Le premier de tous, Icare dérobe sa face à la pieuse trigone que l'amour filial immortalise. Coupable Myrrha ! Trois fois elle chancelle sans retourner en arrière ; trois fois le hibou répète à son oreille son lugubre avertissement. Elle va... La nuit, les profondes ténèbres affaiblissent encore un reste de pudeur ; d'une main elle tient la main de sa nourrice, de l'autre elle tâte l'ombre et interroge l'obscurité. Déjà elle touche au seuil nuptial ; déjà la porte s'ouvre ; déjà elle pénètre dans l'enceinte. Mais ses genoux tremblants fléchissent ; pâle, glacée, ses forces l'abandonnent en chemin. Plus l'instant fatal avance, plus elle frémit d'horreur, plus elle se repent d'avoir osé. Que ne peut-elle, sans être connue, revenir sur ses pas ! Elle hésite. La vieille l'entraîne par la main ; elle la pousse vers le lit pompeux, et, la livrant à Cinyre : «La voilà ,dit-elle, elle est à vous» ; et d'horribles embrassements les unissent. Cinyre reçoit la fille de ses entrailles dans sa couche incestueuse. La jeune fille tremble ; il la rassure, il apaise son effroi. Peut-être usant des droits de l'âge, il l'appelle mon enfant, peut-être répond-elle mon père. Rien ne doit manquer au crime, rien, pas même les noms.

Myrrha sort du lit paternel. 0 forfait ! elle est mère ! Elle porte dans son flanc le gage d'un amour odieux, elle a conçu de l'inceste! La nuit du lendemain renouvelle sa honte, et cette nuit n'est pas la dernière. Mais enfin Cinyre veut connaître son amante, après tant de doux plaisirs ; un flambeau la montre à ses yeux : il voit sa fille et son déshonneur. La parole expire sur sa bouche ; furieux, il saisit son épée suspendue aux parois. Le fer brille hors du fourreau. Myrrha s'enfuit dans les ténèbres ; la nuit sombre la dérobe à la mort. Seule, errante dans les vastes campagnes, elle abandonne les palmiers de l'Arabie et les plaines de Panché. Neuf fois le retour du croissant nocturne avait éclairé ses courses vagabondes, lorsque, brisée de fatigue, elle se laisse tomber sur la terre de Saba. Hélas ! son flanc portait à peine le fardeau de la maternité ; alors, ne sachant quels voeux former, partagée entre la crainte de la mort et le dégoût de la vie, voilà les prières qu'elle adresse aux dieux : «Ah ! si le repentir vous désarme, entendez-moi, dieux justes ! Oui, j'ai mérité mon sort et j'en accepte la rigueur ; mais épargnez aux morts comme aux vivants l'opprobre de ma présence ; bannissez-moi de l'un et de l'autre séjour ; changez mon être, et que la mort et la vie me soient également refusées». Le ciel, que le repentir désarme, bénit les voeux suprêmes de Myrrha. Elle parle encore, et déjà la terre recouvre ses pieds, ses ongles se divisent ; il en sort des racines tortueuses, solide appui du tronc qui s'allonge ; les os deviennent bois, et la moelle y circule toujours ; le sang a formé la sève ; les bras sont les grands rameaux ; les doigts, les branches légères ; la peau se durcit en écorce ; déjà l'arbre s'élève : il presse le sein que le crime a fécondé ; la gorge est ensevelie : le cou même va disparaître. Myrrha n'attend pas son destin ; elle prévient le bois qui la gagne, et s'affaissant sur elle-même, elle se plonge au fond de son tombeau. Mais tout en perdant, avec sa forme, le sentiment de ses douleurs, elle pleure encore, et l'arbre qui l'emprisonne distille goutte à goutte de tièdes et précieuses larmes ; cette liqueur embaumée, c'est la myrrhe qui conserve son nom, et qui perpétuera sa mémoire jusque dans les siècles futurs.

Cependant le fruit de l'inceste a crû sous le bois maternel, et cherche à se dégager des liens qui le captivent. L'arbre en travail s'enfle, se tend. Le fardeau de l'amour déchire ses flancs douloureux, et la voix manque à l'expression de la souffrance. Myrrha ne peut invoquer le secours de Lucine ; mais elle semble prête à enfanter. Elle se recourbe, elle pousse des soupirs profonds, et des larmes roulent sur son écorce humide. L'indulgente Lucine accourt : elle touche de la main les rameaux gémissants et prononce les paroles libératrices. L'arbre s'entr'ouvre, l'écorce fendue rend à la vie son tendre dépôt. L'enfant crie : les Naïades le reçoivent, le couchent sur l'herbe molle, et l'arrosent des pleurs de sa mère. Sa beauté forcerait le suffrage de l'envie elle-même. Telle, oui, telle est la gracieuse nudité que le pinceau prête aux Amours. Adonis leur ressemble : pour qu'il ne manque rien à la ressernblance, ou donnez-lui leurs flèches légères, ou ôtez-les à ses rivaux !

Le temps coule insensiblement ; il s'envole d'une aile rapide, et rien n'est si prompt que la fuite des années. Cet enfant qu'un arbre enfermait naguère et qui voit à peine le jour, cet enfant, hier le plus beau des enfants, le voilà dans l'adolescence, le voilà jeune homme, le voilà plus beau qu'il n'a jamais été, le voilà qui plaît même à Vénus et qui venge les infortunes de sa mère. Car tandis que l'Amour donne un baiser à Cypris, par malheur, une flèche, sortant à demi du carquois, effleure le sein de la déesse. Vénus, blessée, repousse son fils de la main. L'atteinte était profonde : la déesse se trompa d'abord à l'apparence, mais bientôt, éprise des charmes d'un mortel, Vénus oublie Cythère et ses rivages ; elle ne fréquente plus Paphos dont la mer forme la ceinture, Cnide aimée des pêcheurs, Amathonte aux mines opulentes. Elle abandonne le ciel même ; le ciel ne vaut pas Adonis. Elle s'attache à ses pas ; elle est sa compagne assidue. Jadis, sous de frais ombrages, tout entière à l'indolence, elle se livrait sans réserve aux soins de sa beauté. Maintenant les monts, les bois, les roches buissonneuses la voient errer, la jambe nue, la robe relevée à la manière de Diane ; elle anime les chiens, mais contre de douces et d'innocentes proies. Les animaux qu'elle poursuit, c'est le lièvre rapide, le daim, le cerf à la superbe ramure. Prudente, elle évite le sanglier féroce, le loup ravisseur, l'ours armé de griffes cruelles, le lion qui se gorge du sang des troupeaux.

Toi-même (et puisses-tu profiter de ses conseils !) elle t'engage à les craindre, ô Adonis ! «Sois brave, dit-elle, mais contre de timides adversaires : l'audacieux s'expose en se mesurant à l'audace. De grâce, ô mon jeune amant ! ne sois pas téméraire, au péril de mon bonheur ! Ces monstres qui tiennent de la nature des armes redoutables, oh ! ne va pas les affronter, ta gloire pourrait me coûter trop cher. Non, crois-moi, ni ton âge, ni ta beauté, rien de ce qui sut toucher Vénus ne pourrait attendrir les lions, les sangliers hideux : comme leurs yeux, leur âme est farouche. Les sangliers ! ils sont terribles ; leurs défenses recourbées, c'est la foudre ! Et les lions au poil fauve ! leur colère est impétueuse et sans borne ; c'est une race qui m'est en horreur. Tu me demandes pourquoi ? Ecoute le merveilleux récit de l'antique châtiment qu'ils subirent : mais encore mal aguerrie, je suis déjà épuisée de fatigue ; voici l'ombre de ce peuplier qui nous invite et nous sourit ; le gazon nous offre une couche verte, je veux m'y reposer avec toi». Et ils se reposèrent tous deux, et, pressant à la fois l'herbe et son amant, appuyant sur le sein du jeune homme sa tête gracieuse, elle parle, et des baisers se melent à ses paroles souvent interrompues.

«Une femme, tu l'as peut-être entendu raconter, surpassait à la course les hommes les plus agiles. Ce n'est pas une fable, un vain bruit, elle les surpassait tous, et l'on ne savait qu'admirer le plus en elle, ou sa vitesse incomparable, ou son éclatante beauté. Elle consulte un jour l'oracle : «Doit-elle prendre un époux ? - Un époux ? répond le dieu. garde-t'en bien, ô Atalante ! Fuis les lois de l'hymen ; mais non, tu ne pourras t'en affranchir, et, sans cesser de vivre, tu cesseras d'être toi-même». Effrayée de cette réponse prophétique, c'est dans les forêts sombres que la vierge fait sa demeure. Une foule de prétendants la poursuit de ses voeux : elle les repousse avec dureté.

«Non, dit-elle, non ; pour me posséder, il faut d'abord me vaincre à la course : luttez avec moi de vitesse ; ma main, mon lit seront le prix de la victoire ; le vaincu paiera de sa tête : telle est la loi du combat». La loi était cruelle ; mais la beauté a tant de puissance ! cette foule d'amants ne craint pas d'en affronter la rigueur.

Hippomène était là, spectateur de cette lutte barbare. «Quoi ! dit-il, courir de si grands dangers pour une femme !» Et, dans son coeur, il blâmait l'amour de ces jeunes insensés. Il la voit, elle a rejeté les tissus qui la couvrent ; il la voit telle que je suis, ou telle que tu paraîtrais toi-même sous la forme d'une jeune fille. Il s'étonne, et, levant les mains : «Pardonnez, s'écrie-t-il, vous que j'accusais tout à l'heure ! Ah ! je ne connaissais pas le noble prix de vos efforts». Il s'exalte à vanter ce qu'il admire. Pourvu qu'un de ces jeunes hommes ne la devance pas à la course ! Il désire, il tremble, il est jaloux. «Mais pourquoi, dit-il, ne tenterais-je pas aussi les hasards du combat ? Qui m'arrête ? Osons ! le ciel même protège l'audace».

Tandis que ces pensées occupent l'esprit d'Hippomène, la vierge s'élance et vole comme l'oiseau ; moins rapide est la flèche qui part d'un arc de Scythie, et pourtant, aux yeux du jeune Aonien, elle n'en semble que plus belle. Il l'admire plus encore ; sa légèreté même est un charme qui l'embellit. Le vent joue avec sa robe flottante, que repoussent ses pieds agiles ; avec ses cheveux, qui voltigent sur ses épaules d'ivoire ; avec la frange de sa tunique, arrêtée sous le genou qu'elle dessine ; la blancheur virginale de ses joues s'anime d'un vif incarnat ; tel, sur les blanches tentures de l'atrium, un voile de pourpre jette une ombre qui les colore. Hippomène reste absorbé ; mais c'en est fait, l'espace est franchi, et l'orgueilleuse Atalante couronne sa tête du laurier de la victoire. Les vaincus poussent un gémissement, et se soumettent à la loi fatale.
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MessageSujet: Re: Le mythe de Pygmalion   Le mythe de Pygmalion Icon_minitime29/6/2007, 06:15

Le sort de ces infortunés n'épouvante pas Hippomène. Il paraît dans la carrière, et, les yeux attachés sur la jeune fille : «Pourquoi, dit-il, chercher un facile renom dans un triomphe sans honneur ? Mesurons-nous ensemble ; si la Fortune me donne l'avantage, un vainqueur tel que moi ne te fera point rougir de ta défaite, car j'ai pour père Mégarée, le fils d'Onchestus ; Neptune est l'aïeul de mon père : je suis, moi, l'arrière-petit-fils du roi des eaux. Ma valeur ne le cède pas à la noblesse de ma race ; si je succombe, Hippomène vaincu assure à ta mémoire une glorieuse immortalité». Il dit, et la fille de Schoenée le regarde avec des yeux pleins de douceur ; elle se trouble. Que doit-elle préférer, d'une victoire ou d'un revers ? «Ah ! dit-elle, quel dieu jaloux de sa beauté le précipite à sa perte et le contraint, au péril de ses précieux jours, à rechercher ma triste alliance ? Oh ! je ne vaux pas tant à mes yeux ! Ce n'est pas sa grâce qui me touche, et pourtant cela aussi est fait pour m'attendrir mais c'est qu'il est encore si jeune ! C'est son âge, et non lui qui m'intéresse. Et puis, c'est qu'il est plein de courage, c'est que son âme est insensible à la mort, c'est qu'il rapporte son origine au souverain des mers, c'est qu'il m'aime, enfin, et qu'il tient à ma possession jusqu'à la mort, si le Destin sévère anéantit son espérance. Tu le peux encore, fuis, étranger, renonce à un hymen sanglant ; ma couche nuptiale est une couche funèbre. D'autres ne refuseront pas de te donner leur main : tu peux charmer le coeur de toute jeune fille sensée. Mais d'où vient l'intérêt qu'il m'inspire, après la mort de ses rivaux ? Il le veut, il mourra puisque le sort de tant de victimes n'a point découragé son audace, puisqu'elle le pousse au dégoût de la vie. Il mourra donc, et son crime est de vouloir me consacrer ses jours. La mort ! voilà l'indigne prix de sa flamme ! Oh ! l'Envie n'aura pas à se désoler de ma victoire ! Mais la faute n'en est pas à moi ; plût aux dieux qu'il abandonnât son entreprise, ou du moins, que n'a-t-il plus d'agilité ! Mais quels traits enfantins ! c'est le visage d'une jeune fille ! Malheureux Hippomène, pourquoi m'as-tu connue ! Tu méritais de vivre ; si, plus heureuse, les destins ennemis ne s'opposaient pas à mon hymen, c'est toi, c'est toi seul que je choisirais pour partager ma couche». Elle dit, et naïve encore, blessée d'une première atteinte, elle aime, et, dans son ignorance des choses, elle ne se doute pas de son amour.

Cependant, peuple, monarque, tous demandent la course accoutumée. Alors, d'une voix tremblante, le rejeton de Neptune, Hippomène, invoque mon appui : «O belle Cythérée! de grâce, viens, dit-il, seconder mon périlleux dessein ! Ces feux, tu les allumas, daigne les protéger». Le zéphyr, sur son aile docile, m'apporta ses ferventes prières. Je me sentis émue, je l'avoue, et le secours ne se fit pas attendre. Cypre possède, dans le plus fertile de ses cantons, un champ que les habitants de l'île ont nommé Tamase ; leurs aïeux me l'ont consacré naguère : ils en ont doté mes autels. Au milieu s'élève un arbre fastueux, à la chevelure d'or ; l'or éclate sur ses rameaux bruissants. Je venais de cueillir par hasard trois de ses pommes précieuses ; ma main les tenait encore ; invisible à tous, et présente à lui seul, j'aborde Hippomène et lui enseigne l'art d'en faire usage.

La trompette a donné le signal ; penchés en avant, tous deux s'élancent de la barrière, et leurs pas légers touchent à peine le sable uni qu'ils effleurent : sans se mouiller, leurs pieds raseraient les flots humides ; sans courber la tête des épis, ils voleraient sur la blanche moisson. De toutes parts on encourage Hippomène : ce sont des cris flatteurs, des paroles qui l'exaltent : «Bien ! bien ! redouble, jeune homme ! hâte-toi ! rassemble toutes tes forces ! Point de relâche ! A toi la victoire !» Qui sait ? le rejeton de Neptune est peut-être moins charmé de ces voeux que la fille de Schoenée. Oh ! que de fois, pouvant le passer, ne suspend-elle pas son essor ! Elle contemple longtemps le visage d'Hippomène, et ne s'en détourne qu'à regret. Mais il s'épuise, un souffle haletant s'échappe de sa bouche aride, et le terme est bien loin encore. Dans cette extrémité, le fils de Neptune lance un des fruits séducteurs ; la vierge s'étonne, la pomme l'éblouit et l'attire ; elle s'écarte, elle s'empare de l'or qui roule ; Hippomène la devance ; le cirque retentit d'acclamations. Atalante s'est oubliée ; d'une course légère, elle regagne le temps qu'elle a perdu, et le jeune homme est laissé derrière elle. Une seconde pomme arrête son élan ; une seconde fois elle a ressaisi l'avantage. Restait un faible intervalle à franchir. «A moi ! s'écrie-t-il ; à moi, déesse tutélaire !» Et afin de la retarder plus encore, il lance obliquement, de toute la force de sa jeune main, cet or qui roule vers l'un des côtés de l'arène ; la vierge semble hésiter ; j'aiguillonne son envie, elle y cède, et je rends la pomme plus pesante dans ses mains. Tout la ralentit, le détour, le poids qui l'accable. Enfin, pour ne pas allonger mon récit plus que la course elle-même, Atalante est vaincue ; le vainqueur fait son épouse de sa conquête.

Dis-moi, sa reconnaissance, ne la méritais-je pas, Adonis ? ne méritais-je pas son encens et ses voeux ? La reconnaissance, il l'abjure ; l'encens, il ose me le dénier. Soudain, ma bonté se change en colère ; indignée de ses mépris, je veux qu'un exemple prévienne de nouveaux affronts ; je m'anime à châtier le couple profane. Il est un temple que le noble Echion voua jadis à la mère des dieux, et qui se cache au fond d'un bois sombre. Comme ils passaient un jour en ces lieux, la fatigue d'une longue route les invite au repos. Un amoureux désir s'empare d'Hippomène ; c'est moi qui lui souffle cette intempestive ardeur. Eclairé d'un faible demi-jour, près du temple s'ouvrait un réduit en forme de grotte, que la nature a creusé de ses mains. Là, dans cet asile des vieilles croyances, le prêtre avait rassemblé les images de bois des divinités antiques. Ils entrent, et leur flamme impure a souillé le sanctuaire ; les dieux se détournent d'horreur ; la déesse au front couronné de tours se demande si elle ne plongera point les coupables dans l'onde stygienne ; mais c'est un châtiment trop léger à ses yeux. Soudain, leur cou de lis disparaît sous une crinière fauve, leurs doigts s'arment de griffes recourbées, leur corps se ramasse sur lui-même, et la poitrine en supporte tout le poids ; leur queue traîne sur la poudre, qu'elle sillonne ; la fureur éclate dans leurs regards, leur voix est un rugissement sourd, leur demeure un antre sauvage ; terribles à l'homme, mais dociles à Cybèle, ils mordent de leurs dents de lion le frein qu'elle leur impose. Fuis-les, cher Adonis, fuis avec eux toute cette race féroce qui jamais ne montre le dos au chasseur, mais qui fait toujours front à l'attaque ; fuis-les ! Crains que ta valeur ne nous soit fatale à tous deux !»

Tels sont les conseils de Vénus. La déesse, attelant les cygnes de son char, s'élève dans les airs. Mais les conseils timides ne font que révolter la valeur ; forcé dans sa retraite, un sanglier, dont les chiens ont suivi la trace fidèle, s'apprêtait à sortir du bois, lorsqu'un dard oblique part de la main du fils de Myrrha, et le perce. Soudain, le monstre à la hure effrayante secoue le javelot teint de son sang ; furieux, il poursuit le jeune homme, lui plonge dans l'aine ses défenses tout entières, et le jette mourant sur la terre rougie. Le char léger de Cythérée voguait dans la plaine des airs, et ses coursiers à l'aile d'albâtre n'avaient pas encore atteint les rivages de Cypre ; de loin, elle a reconnu les plaintes de son Adonis expirant ; elle dirige vers lui le vol de ses blancs oiseaux, elle descend des hauteurs du ciel, elle voit... Quel spectacle ! Adonis, glacé, qui nage dans les flots de son sang. Elle s'élance, elle arrache, elle déchire ses voiles, ses cheveux, tout, et d'une main désespérée, elle meurtrit ses appas. «Ah ! cruels destins ! non, tout ne sera pas soumis à vos lois, dit-elle ; non, mon Adonis devra l'immortalité aux monuments de ma douleur ! Chaque année ramènera des solennités funèbres, emblèmes animés de mort et de regrets : son sang produira une fleur délicate. Quoi ! naguère Menthe, la belle Nymphe, ne s'est-elle pas vue transformée en herbe odorante par la jalouse Perséphone ; et toi, fils de Cinyre, ta métamorphose trouverait des envieux ?»

Elle dit, et sa main verse un nectar embaumé sur le sang qui d'abord frémit et bouillonne. Telles, quand le ciel se fond en pluie, des bulles transparentes s'élèvent à la surface des eaux. Une heure ne s'est pas écoulée, et voici qu'une fleur naît du sang qui la colore ; on dirait la fleur de l'arbuste qui recèle une graine féconde sous l'écorce de son fruit, l'éblouissante grenade. Mais son éclat ne dure qu'un instant ; trop frêle, trop légère, elle tombe, et le vent qui lui donne son nom la détruit et la brise.

Traduction de Louis Puget, Th. Guiard, Chevriau et Fouquier (1876) modifiée sur un certain nombre de points par Agnès Vinas (2005)
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MessageSujet: Re: Le mythe de Pygmalion   Le mythe de Pygmalion Icon_minitime29/6/2007, 06:16

Jean de Meung - Le Roman de la Rose - v.21591-22048

Ci commence la fiction
De l'image à Pygmalion.

Pygmalion le statuaire
Sculptait et le bois et la pierre,
La cire et l'os et le métal,
Toute matière en général
Qu'on voit en telle oeuvre fournie.
Or un jour pour son grand génie
Eprouver (car aucun mortel
Depuis n'eut oncques talent tel
Pour acquérir et los et gloire),
Il fit une image d'ivoire.
Tant y mit de soin, de travail,
Jusque dans le moindre détail,
Qu'il fit une image parfaite,
Si bien compassée et si nette,
Qu'elle semblait prête à mouvoir ;
Rien de si beau n'eût-on pu voir.
Onc Hélène ni Lavinie
N'avaient eu sa grâce infinie,
Son teint, son port, sa majesté,
Ni de sa splendide beauté
Voire la dixième partie.
Tant son âme est lors ébahie,
En la voyant, Pygmalion,
Qu'il ne fait pas attention
Qu'Amour en ses réseaux l'enlace,
En lui ne sait ce qui se passe.
Sans cesse à soi-même il se plaint,
Mais sa souffrance oncques n'éteint :
Las ! dit-il, quelle est cette rage ?
Rêvé-je ? Or j'ai fait mainte image
Dont nul ne connaîtra le prix
Et d'amour onc ne fut surpris.
Et par celle-ci ma pensée
Voilà toute bouleversée
Et mon coeur brisé sans retour.
D'où me vient ce fatal amour ?
J'aime une image sourde et mue
Qui ne branle ni ne remue
Et de mes feux pitié n'aura.
Comment tel amour me navra ?
Nul n'est qui parler en ouïsse
Qui par trop ne s'en ébahisse.
Une reine encor si j'aimais,
Pitié peut-être espérerais,
Car enfin c'est chose possible.
Mais tant cette amour est horrible
Que c'est crime de s'y livrer ;
Nature n'a pu l'inspirer.
En moi mauvais fils a Nature,
Trop suis-je vile créature ;
Aussi ne la dois-je blâmer
Si je veux follement aimer.
Il n'est plus fol que moi, je pense.
Or que faire en cette occurrence ?
Dois-je m'en prendre à d'autre ?
Non. Depuis qu'ai Pygmalion nom
Et que sur mes deux pieds chancelle,
Je n'ouïs parler d'amour telle.
Pourtant, à parler franchement,
Est-ce trop aimer follement ?
Car, après tout, si l'on peut croire
Ce que nous raconte l'histoire,
Maints ont plus follement aimé.
N'aima-t-il pas au bois ramé,
A la fontaine claire et pure,
Narcisse sa propre figure,
Quand il crut sa soif étancher ?
Il ne s'en put onc arracher,
Mais en mourut, nous dit l'histoire,
Qui toujours est de grand' mémoire.
Donc, moins fol suis-je toutefois ;
Car lorsque je veux, maintes fois
Je la prends, l'accole et la baise,
Et mieux supporte mon mésaise.
Mais lui, celle avoir ne pouvait
Que dans la fontaine il voyait.
D'autre part, en maintes contrées
Maints ont maintes dames aimées,
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MessageSujet: Re: Le mythe de Pygmalion   Le mythe de Pygmalion Icon_minitime29/6/2007, 06:16

Et fins amants à les servir
Sans jamais un baiser cueillir
Se sont peines toute leur vie ;
Donc Amour, malgré ma folie,
M'a frappé moins cruellement.
Mais non. Je m'abuse vraiment ;
Car, malgré tout, en leur doutance,
Ils ont toutefois espérance,
Tandis qu'ils rêvent aux doux jeux
Qu'attendent tous les amoureux
Et d'un baiser et d'autre chose ;
Pour moi toute espérance est close.
Car si je veux me contenter,
L'accoler, baiser et flatter,
Je trouve ma mie aussi froide
Qu'un ais de bois et aussi roide ;
Quand je l'effleure d'un baiser
Je sens ma bouche se glacer.
Hé ! pardonnez, ma douce amie,
Ma rudesse et mon infamie ;
Frappez-moi, point ne m'épargnez ;
Car du moment que vous daignez
Me regarder et me sourire,
Cela me doit, je crois, suffire,
Car doux regard et ris piteux
Sont aux amants délicieux.
Ci demande Pygmalion,
En offrant l'amende, pardon
A son image des paroles
Qu'il dit d'elle et qui sont trop folles.
A genoux Pygmalion lors
De pleurs inonde tout son corps,
Son gage tend et puis s'amende.
Elle n'a cure de l'amende,
Puisque rien n'ouït ni ne sent
Ni de lui ni de son présent,
Si bien qu'il craint perdre sa peine
Et de sa dureté se peine,
Non plus ne sait son coeur ravoir ;
Amour lui prend sens et savoir,
Si bien que tout s'en déconforte,
Ne sachant s'elle est vive ou morte.
Lors il la tâte de la main,
Et comme pâte de son sein
Croit sentir la chair qui se plie,
Mais c'est sa main qu'il y appuie.
Ainsi Pygmalion combat
Sans paix ni trêve ; en même état
Un seul instant onc ne demeure ;
Il aime, il hait, il rit, il pleure,
Tantôt joyeux, tantôt navré,
Apaisé, puis désespéré.
Puis il la vêt en mainte guise
De robe faite à grand' maîtrise
De beau drap de laine ou soyeux,
D'écarlate, de lin moelleux,
De bleu, de vert ou de brunete,
De couleur fraîche fine et nette,
Où moult a riches carreaux mis
D'hermine, vair ou petit gris,
Puis les ôte pour qu'il revoie
Comme lui sied robe de soie,
Satins rayés et camelots,
Velours, tissus orientaux,
Bleus, vermeils, bis, d'or en la frange ;
Certe on dirait un petit ange
A voir son air simple et doucet.
Puis ensuite un voile il lui met
Et dessus couvre-chef de fête
Qui couvre le voile et la tête,
Mais qui ne couvre pas les traits,
Méprisant les usages laids
Des Sarrasins qui d'étamines
Couvrent la face aux Sarrasines
Par les chemins matin et soir,
Pour que nul ne les puisse voir,
Tant sont pleins de jalouse rage.
Puis après il reprend courage
D'ôter tout et mettre rubans
Jaunes, vermeils, verts, bleus et blancs,
Et bandeaux gracieux et frêles
De soie et d'or à perles grêles,
Et dessus la coiffure asseoir
Un moult délicieux fermoir,
Et dessus la blanche voilette
Une couronne d'or coquette
Où scintillent de mille feux
Maints diamants moult précieux,
Et maintes autres pièces rares
Et beaux chatons à quatre carres
Et à quatre demi-compas,
Sans ce que je ne compte pas
De pierrerie autre menue
Qui sied autour épaisse et drue.
Puis à ses deux oreilles pend
Deux verges d'or grêle et brillant ;
Pour tenir la coiffe qui baille,
Deux broches d'or au col lui baille ;
Emmi le sein une autre met
Et de la ceindre s'entremet,
Mais de ceinture si jolie
Qu'onc pucelle n'eut telle mie,
Et d'où riche aumônière pend
Moult gentille et pleine d'argent ;
Et puis y met cinq pierres fines,
L'élite des rives marines,
Dont pucelle joue aux marteaux
Lorsque les trouve ronds et beaux,
Et puis à grand' cure lui chausse
En chaque pied soulier et chausse
Moult artistement entaillés
A deux doigts juste des pavés.
N'était pas de houzeaux gênée,
Car n'était pas de Paris née ;
Trop dur eût été d'être ainsi
Chaussé, pour un pied si joli.
D'une aiguille bien effilée
D'or fin, de fil d'or enfilée,
Lui a, pour mieux être vêtus,
Ses bras étroitement cousus,
Puis lui baille fleurs nouvelettes
Dont les gentilles pucelettes
Font au printemps leurs chapelets,
Leurs pelotes, leurs oiselets
Et diverses choses nouvelles
Délectables aux damoiselles,
Et chapelets de fleurs lui fait ;
Oncques n'en vîtes si parfait,
Car sa science il y mit toute.
Annelet d'or au doigt lui boute
Et dit comme loyal époux :
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MessageSujet: Re: Le mythe de Pygmalion   Le mythe de Pygmalion Icon_minitime29/6/2007, 06:17

Belle douce, j'épouse vous
Et deviens vôtre et vous la mienne ;
Qu'Hymen, que Vénus s'en souvienne
Et daigne à nos noces venir ;
Prêtres ni clercs n'irai quérir,
Non plus prélats, mitres ni crosses,
Ceux-là sont les vrais dieux des noces.
Lors chante à haute et claire voix
Et tendre et douce toutefois,
Au lieu de messes, chansonnettes
Des jolis secrets d'amourettes,
Et fait ses instruments sonner
A n'en pas ouïr Dieu tonner,
Car il en a de cent manières,
Et ses mains volent plus légères
Sur les cordes des violons,
Et plus savantes qu'Amphyons
Quand il bâtit les murs de Thèbes.
Harpes il a, guigues, rubèbes,
Luths et guitares à la fois,
Pour se divertir à son choix,
Et par ses salles et ses loges
Fait sonner toutes ses horloges
Faites à roue habilement
Et de continu mouvement.
Orgues il a bien maniables
Et d'une seule main portables
Où l'on souffle et touche à la fois,
Et chante avec à pleine voix
Beaux mottets à ténor et contre,
Puis frappe cymbales encontre ;
Puis souffle dans ses chalumeaux,
Et maints airs joue en ses pipeaux,
Prend tambourin, et flûte, et timbre
Dont tambourine et flûte et timbre ;
Puis trompette et chevrettre prend
Et de chacune va jouant,
Puis prend sa muse et se travaille
Sur sa trompe de Cornouaille ;
Et vielle et psaltérion
Maniant avec passion,
Il trépigne et bondit et baie,
Frappe du pied parmi la salle
Et la prend par la main dansant ;
Mais au coeur moult a grand tourment,
Car point ne répond ni ne chante
A ses cris sourde son amante.
uis il l'embrasse, et de ce pas
Dedans sa couche entre ses bras
L'étend, la baise et puis l'accole ;
Mais ce n'est pas de bonne école
Quand se baisent deux amoureux
Si baisers ne plaisent aux deux.
Ainsi s'occit, ainsi s'affole,
Surpris de son action folle,
Pygmalion l'infortuné
Par sa sourde image enchaîné,
Tant qu'il peut la pare et décore
Et toujours la sert et l'adore,
Et quand il voit son beau corps nu
Plus beau le trouve que vêtu.
Lors il advint qu'en la contrée
Fut une fête célébrée
Où mainte merveille advenait.
D'un temple que Vénus avait,
Aux fêtes vint grande affluence.
Le Varlet qui moult a fiance,
Pour son fol amour éclaircir,
Y voulut à son tour venir.
Lors se plaint aux dieux, se lamente
De l'amour qui tant le tourmente ;
Or maintes fois le gent Varlet
Moult les servit, car il était
Bon ouvrier habile et sage
Et leur fit mainte belle image,
Toujours vécut en chasteté.

Pygmalion

Beaux Dieux, dit-il, votre bonté,
Je le sais, est toute-puissante.
Oyez ma requête présente :
Déesse de ce temple, et toi,
Sainte Vénus, écoute-moi.
Sans doute es-tu moult courroucée
Que Chasteté soit exaucée ;
Oui, j'ai ton courroux mérité,
Trop l'ai servie en vérité.
Je m'en repens et te conjure
De me pardonner mon injure
Et m'octroyer par ta pitié,
Ta douceur et ton amitié,
Que devienne ma douce amie
Et de femme ait corps, âme et vie,
La belle qui m'a pris mon coeur
Et qui d'ivoire a la pâleur.
Délivre-moi, bonne déesse,
Et si Chasteté je ne laisse,
Que je sois exilé, pendu,
A grand' haches tout pourfendu,
Qu'en sa triple gueule me noie,
Tout vif m'engloutisse et me broie,
Me lie et me charge de fers
Cerbérus le portier d'enfers !
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MessageSujet: Re: Le mythe de Pygmalion   Le mythe de Pygmalion Icon_minitime29/6/2007, 06:17

L'Auteur

Or Vénus, la requête ouïe
Du varlet, s'est moult éjouïe,
De ce que Chasteté laissait
Et d'elle servir s'empressait,
Tout plein de bonne repentance
Et prêt à faire pénitence
Dans les bras de son cher objet
Si vivant oncques le tenait.
Pour mettre fin à sa souffrance
Lors Vénus, en grand' jouissance,
Une âme en l'image conçut
Qui si très belle femme fut,
Que jamais, en nulle contrée,
Si belle on n'avait rencontrée.
Plus n'est au temple séjourné
Et vers sa mie est retourné
Pygmalion, et ne s'arrête,
Une fois faite sa requête ;
Car plus ne se pouvait tarder
De la tenir et regarder.
Lors à grands pas il s'évertue
Tant qu'il ait sa belle revue.
Rien du miracle il ne savait,
Mais en Dieu grand' fiance avait,
Et quand de plus près la regarde,
Plus son coeur frémit, saute et arde ;
Il voit les cheveux blondoyants
Comme ondes ensemble ondoyants,
Et voit qu'elle est vive et charnue ;
Il entrebaille sa chair nue
Et sent le pouls battre et mouvoir.
Est-ce mensonge ou fol espoir ?
Il sent les os, il sent les veines,
Qui de sang étaient toutes pleines,
Puis se recule épouvanté,
Car il a peur d'être enchanté
Et n'ose plus s'approcher d'elle.

Pygmalion

Quelle est donc cette erreur nouvelle ?
Veillé-je ? Non. Un songe, hélas !
Telle évidence n'aurait pas.
Un songe ? Eh bien, non, je veille.
D'où peut venir telle merveille ?
Est-ce fantômes ennemis
Qui se sont en l'image mis ?

L'Amant

Lors lui répondit la pucelle
Soudain, l'avenante, la belle,
Aux cheveux ondoyants et blonds :

L'Image à Pygmalion

Ce n'est ennemis ni démons,
Doux ami, mais c'est votre amie ;
Donnez-moi votre compagnie,
Et je vous offre mon amour
Céans, s'il vous plaît, en retour.

L'Amant

Quand certaine la chose entend
Et voit le miracle évident,
Alors il s'avance et s'assure
A nouveau si c'est chose sûre,
Et moult lui donne volontiers
Son corps et son coeur tout entiers.
A ces mots tous deux s'entr'allient,
De leur amour s'entre-mercient ;
Comme deux tendres colombeaux,
N'est nulle joie et doux assauts
Qu'alors tous deux ne s'entrefassent.
En longs transports ils s'entr'embrassent
Et s'entrebaisent tout le jour
Et se témoignent leur amour.
Aux Dieux tous deux grâces rendirent
Qui pour eux tel miracle firent,
Et par dessus tous à Vénus
Qui les avait aidés le plus.
Or est Pygmalion bien aise,
Or n'est-il rien qui lui déplaise.
Elle ne lui refuse rien,
Ce qu'il veut, elle le veut bien,
Lui de même obéit et prie,
Il fait toute sa fantaisie,
Et pour rien ne la contredit.
Il la mène enfin dans son lit,
De bon vouloir et sans contrainte.
Tant ont joué, qu'elle est enceinte
De Paphus qui donna son nom
A l'île de Paphos, dit-on,
Et jour à Cyniras, roi sage,
Fors seulement en un passage.

Traduction en vers de Pierre Marteau (1879)
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MessageSujet: Re: Le mythe de Pygmalion   Le mythe de Pygmalion Icon_minitime29/6/2007, 06:19

La Fontaine - Fables, IX, 6 (1678)


Le Statuaire et la Statue de Jupiter

Un bloc de marbre était si beau
Qu'un Statuaire en fit l'emplette.
Qu'en fera, dit-il, mon ciseau ?
Sera-t-il Dieu, table ou cuvette ?

Il sera Dieu : même je veux
Qu'il ait en sa main un tonnerre.
Tremblez, humains. Faites des voeux ;
Voilà le maître de la terre.

L'artisan exprima si bien
Le caractère de l'Idole,
Qu'on trouva qu'il ne manquait rien
A Jupiter que la parole.

Même l'on dit que l'ouvrier
Eut à peine achevé l'image,
Qu'on le vit frémir le premier,
Et redouter son propre ouvrage.

A la faiblesse du sculpteur
Le Poète autrefois n'en dut guère,
Des dieux dont il fut l'inventeur
Craignant la haine et la colère.

Il était enfant en ceci :
Les enfants n'ont l'âme occupée
Que du continuel souci
Qu'on ne fâche point leur poupée.

Le coeur suit aisément l'esprit :
De cette source est descendue
L'erreur païenne, qui se vit
Chez tant de peuples répandue.

Ils embrassaient violemment
Les intérêts de leur chimère.
Pygmalion devint amant
De la Vénus dont il fut père.

Chacun tourne en réalités,
Autant qu'il peut, ses propres songes :
L'homme est de glace aux vérités ;
Il est de feu pour les mensonges.
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MessageSujet: Re: Le mythe de Pygmalion   Le mythe de Pygmalion Icon_minitime29/6/2007, 06:19

Louis Veuillot - La fable de Pygmalion (1878)

Pygmalion en vain poussait le sentiment :
Il est interrompu par un long bâillement ;
La demoiselle était froide comme les pluies.
Il presse. Elle répond sans chaleur : «Tu m'ennuies !»
Ainsi l'artiste heureux, pour la première fois,
De son marbre fait chair put entendre la voix,
Une voix très jolie, élégante, argentine :
Elle entrait dans le coeur comme une lame fine
Qui pénétrait toujours et qui gagnait le fond.
Tandis qu'il s'avouait, en un trouble profond,
Qu'à son roman d'amour il fallait des retouches,
Galatée aux parois suivait de l'oeil les mouches ;
Excepté le mari, tout amusait ses yeux.
Et toujours elle baille et soupire. Anxieux,
Il lui dit d'un accent où vibraient ses tendresses :
«Que veux-tu ? - Rien ! - Quoi ! rien ? - Eh bien, que tu me laisses !»

Qui sait par quel endroit ce propos le charma ?
Son amour néanmoins crût, ou s'envenima.
Un instant il rêva d'épée ou de ciguë.
Mais, excusant l'idole, à sa froideur aiguë
Il jura d'opposer la douceur et le temps.
Il attendit. Ses soins furent doux et constants ;
Mais les soins et le temps la laissèrent rebelle.
Il s'en prit à Vénus : «0 déesse immortelle !
Cria-t-il, tu la vois ! Par quel amer dessein
Mis-tu le mouvement, non la vie, en son sein ?
Ton funeste présent la détruit et me tue.
Le marbre était moins froid, moins morte la statue !»

Vénus survint. D'un ton qu'il trouva dégagé :
«A ton bonheur j'avais - lui dit-elle - songé.
C'est vrai qu'un peu d'amour est bon au mariage ;
Et ce fut mon projet d'établir un ménage
Correct, mais si brûlant que la roide Pallas
Et Diane la blanche en fissent un «hélas !».
Oui, Diane docile et Minerve emportée,
Telle voulait Vénus te donner Galatée.
Jupiter consentait, fort obligeant toujours.
Mais, le Destin prononce et nous fut à rebours.
Il est roi ! contre lui point d'argument qui serve ;
Vénus dévorera les dons que fit Minerve,
Dit-il, et j'en ai fait le décret. Nul moyen
Qu'un hymen arrangé par Vénus tourne bien.
Or le Destin au ciel se nomme la Justice.
Parle-t-il ; tout est dit ; il faut qu'on obéisse.
Les dieux, Jupiter même, écartés sans débats,
Peuvent bien murmurer ; ils ne résistent pas.
Quelque chose de lourd et d'étrange, un mystère
Là-haut règne sur nous plus que nous sur la terre.
Mars rengaine, Junon cède ; mystifié,
Mercure a pour les dieux en vain négocié :
Le Destin ne veut pas. Donc que faire ? A ta flamme
Dévouant mon pouvoir, je t'ai livré la femme.
Tire-toi du surplus le mieux que tu pourras.
Il ne faut pas donner aux dieux trop d'embarras !
Par le Styx ! ils en ont à remplir tous leurs temples :
Vulcain porte un ennui que je crois des plus amples ;
Vénus sur Adonis jette un pleur étonné ;
Phébus couronné d'or voit toujours fuir Daphné ;
Diane perd l'objet de sa pâle caresse... »

Pygmalion reprit : « Je suis homme, déesse,
Et je n'espère plus de vivre sans douleur :
Pour un jour seulement, que ce marbre ait un coeur !
Accordez uu seul jour à mon âme ravie !
Je tiens quitte de tout et vous-même, et la vie !»

«Ecoute, dit Vénus, je parle franchement :
Crains d'échanger en mal ton genre de tourment,
Tu demandes un jour. Après ?... Tu ferais rire !
Galatée est jolie à brûler un empire :
Joignons l'humeur d'Hélène avec cette beauté,
Dans un aimable pas te voila bien planté !
Ménélas eût voulu qu'Hélène fut de marbre !
Bref, je peux transformer la nonchalante en arbre,
En fontaine dormante, en quelque froide fleur ;
Mais bénis le décret qui lui refuse un coeur.
As-tu choisi ? Je veux exaucer la prière.
Parle vite. On m'attend loin d'ici pour affaire».

L'entêté répliqua : «Maintenant que je sçai
Combien devra pleurer qui se voit exaucé ;
Sage, et n'espérant plus rien des dieux, ni du monde,
J'irai me faire un lit où la mer est profonde ;
Cest par là, je le vois, que j'en devrai finir,
Puisqu'on ne peut du ciel autre chose obtenir,
Mais j'aime. Mon amour affronte un dernier leurre ;
Je borne mes souhaits : je vous demande une heure,
Rien qu'une heure, madame ; et mes mânes contents
Iront dans les enfers vous célébrer longtemps !»

Pour réponse, Vénus lui devint invisible :
Souffrir est le secret de la rendre insensible ;
Cet époux affolé d'être amant l'agaçait ;
Sous les traits du sculpteur, Vulcain apparaissait :
Elle s'enfuit. Soudain parmi les nids fidèles,
Sans que l'on sut pourquoi, s'émurent vingt querelles ;
Et Baucis emandait à Philémon surpris,
Qui l'avait frotté d'ambre et de poudre de riz ?
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MessageSujet: Re: Le mythe de Pygmalion   Le mythe de Pygmalion Icon_minitime29/6/2007, 06:20

II
Parfois du grand péril surgit le grand courage.
Se sentant jusqu'au cou déjà dans le naufrage,
L'amoureux obstiné, d'un cri perçant l'éther,
Pour terminer sa cause appela Jupiter.
Les fiers sourcils du dieu, tant chantés des poètes,
Son foudre si terrible aux âmes indiscrètes ;
Ce formidable bruit d'antique majesté
Que roulait ce vieux nom parmi l'humanité,
Il brave tout. L'effet couronne son audace.
Jupiter obéit. Le voilà.
Face à face
Avec ce type auguste et si rare, un moment
L'artiste retrouvé prend le pas sur l'amant,
Et laisse de côté sa femme et sa requête,
Etudiant le dieu, des pieds jusqu'à la tête,
Il trouve que, bien loin d'en trahir la beauté,
Ici l'art des mortels avait plutôt flatté.
Chose étrange ! gêné sous l'oeil fixe de l'homme,
Le dieu semblait decroître et tourner au fantôme.
L'artista se disait en lui-même : «On croirait
Voir un aventurier qui craint pour son secret,
0 juge embarrassé ! n'es-tu pas légitime ?
Après l'avoir déçue, écrase ta victime ;
Après le désespoir fais-lui goûter la mort.
Mais le juste en mourant verra pâlir le fort !»
A fréquenter les dieux, l'époux de Galatée
Se prenait en estime et devenait athée.
Il avait tort. Ces dieux sans doute étaient factieux,
Mais quant à la justice il en manquait comme eux.
La Justice veillait ; sa main sévère et prompte
Saura bien se montrer avant la fin du conte.

Avec cet air contraint, qu'il ne pouvait celer,
Jupiter au plaignant ordonna de parler.
Le sculpteur aussitôt dédia son histoire,
Dit ses feux, leur succès, l'ivresse, le déboire,
Sa femme au coeur plus dur que marbre et travertin ;
Se plaignit de Vénus, accusa le Destin ;
Inculpa Jupiter qu'il traita de complice,
Et pour finir, requit ou la mort, ou justice.
Ce fut long. Jupiter comme un juge endurant
Laissa rouler, mugir, tournoyer le torrent ;
Et subit sans broncher la harangue complète ;
Mais enfin il dit : «Souffre et vis. Justice est faite.
Supporte ton malheur, car tu l'as demandé».
Pvgmalion reprit : «Ai-je si mal plaidé ?
Ou le ciel n'a-t-il point de torts dont il se lasse !
Quoi ! pas même la mort ! pas même cette grâce !
La grâce, dit le dieu, s'accorde au repentir ;
Repens-toi, tu pourras mériter de mourir».
L'homme dit : «Je ne puis ni comprendre ni croire».
Jupiter poursuivit : «Garde dans ta mémoire
Les solennels aveux qui vont m'être arrachés :
L'humanité n'adore au ciel que ses péchés.
Là, l'orgueil de la vie et ce qu'il a de pire
Contre toute faiblesse avec les dieux conspire.
Vous nous donnez le nom de dieux ; nous le prenons.
Mais le vrai Dieu nous fait trembler sous d'autres noms.
Sa force nous emploie à le venger. Nous sommes,
Nous sommes les périls du coeur humain tenté ;
Vos conseillers trompeurs. A votre liberté
Nous ouvrons les chemins de l'abîme. Nos joies
Sont d'engager vos pas hors des célestes voies,
Afin que, détournés du bien, fuyant le jour,
Vous perdiez tout espoir, tout bonheur, tout amour.
Ainsi, poussant au mal vos passions leurrées,
L'erreur tombe sur vous des sphères empyrées,
Et la terre est de fange et le ciel est d'airain.
Cependant la Justice a maintenu son frein ;
Elle règne à jamais. Les lois qu'elle a tracées,
Quoi que fasse le mal, ne sont pas renversées,
Elles feront crouler notre Olympe menteur ;
Vous le verrez tomber de toute sa hauteur.
Un germe triomphant est semé dans la terre :
Vous le verrez fleurir. Pressentant ce mystère,
Prométhée, enchaîné sous l'ongle du vautour,
Sait que le juste vit ; et qu'il aura son jour.
De sa cime brûlante il épie une aurore :
Il saigne, mais il croit ; il contemple, il adore ;
Et déjà luit peut-être à son oeil consolé
Mais ce secret trop haut n'est point ici de mise ;
Et sans aller plus loin, qu'un seul mot te suffise :
Malgré la part des dieux au crime de tes sens,
Ta peine est méritée et nous laisse impuissants»
Il se tut.
Le mortel revint à ses affaires :
«Je ne m'explique pas ces sentences peu claires,
Dit-il, et je ne sais en quel point j'ai failli :
Je demande justice aux dieux, qui m'ont trahi :
La besogne des dieux, ici-bas, j'imagine,
Est d'éclairer nos voeux quand l'erreur y domine.
Si je les implorais par delà leur pouvoir,
Ils devaient refuser, et non me décevoir.
Or, suis-je ou non déçu ? Galatée est moins femme,
Assurément, sans coeur qu'elle l'était sans âme.
Je l'avais plus à moi (j'en reviens toujours là)
Fille de mon ciseau que comme la voilà.
Par l'art elle vivait : au bloc on la rejette ;
C'est inique».
Le dieu reprit : «Justice est faite,
Et l'arrêt du Dieu juste est adoré des dieux».
Le mortel à ces mots vit frissonner les deux.
Incliné, Jupiter attendait en silence
Que sa parole eût fait le tour de l'orbe immense.
L'universel instinct ne pouvait pas faillir :
Le Maître, l'Innomé se faisait obéir.
Pygmalion sentit, dans ce coup d'épouvante,
Comme un bras qui brisait sa pensée insolente.
Il perdit tout espoir. Vaincu, le front penché :
«Justice! cria-t-il, nomme-moi mon péché !»

III
«Dieu, reprit le fantôme avec plus d'assurance,
Veut de loin apparaître à l'humaine espérance ;
Auteur de la nature, il en est la beauté.
Pour divulguer ce trait de la divinité,
Son souffle créateur fait les Ames choisies
Qui portent le flambeau des hautes poésies ;
De ces hommes sacrés il élargit la part.
Leur esprit a plus d'aile et de feu. Leur regard
Est partout réjoui de visions sublimes.
Ou descendant du ciel, ou montant des abîmes,
Les bruits mystérieux leur donnent des accords ;
Ils ont des rêves saints qu'ils revêtent d'un corps.
Ils créent, ils font revivre, et de leurs mains mortelles
Ils jettent dans le temps des choses éternelles ;
Prodiges glorieux, que le monde enchanté
Couronne avec amour du nom qu'ils ont porté.
Mais Dieu veut qu'à son plan leur oeuvre se ramène :
Ils doivent enrichir de Dieu l'espèce humaine,
Et ne rien réserver du trésor généreux.
Ils profanent le don qu'ils exploitent pour eux.
L'homme attend ce bienfait. Leur crime à sa misère
Dérobe bassement le rayon de lumière
Qui, lui montrant le Vrai décoré de splendeur,
Donne à son oeil la joie, et l'amour a son coeur.
Or, voilà ton péché. Tu le sais. Ta statue
Etait ce Beau, que l'Art devine et restitue ;
C'était le corps parfait. Dans un ravissement,
Dieu te l'avait montré tel qu'au commencement
Lui-même il le forma, noble et digne d'hommage !
Et lui-même guidant ta main et cet ouvrage,
Comme en l'heure clémente où naquit la Beauté,
Y versa toute grâce et toute chasteté.
Par ce présent divin, dans sa splendeur première,
Il révélait la Vierge, ornement de la terre,
Et la belle innocence, et l'amour épuré.
Ce grand travail de Dieu, tu l'as déshonoré ;
Il a péri par toi. Ta fureur égoïste
A frustré l'homme et Dieu, trahi l'oeuvre et l'artiste.
Qu'attends-tu maintenant, coupable ? Ton larcin
De l'inventeur suprême a souillé le dessein :
Sa sereine vengeance exauce ton parjure,
Voilà que l'idéal devient la chair impure.
Tu l'as voulu. C'est fait. N'embrasse plus nos pieds :
Tes voeux sont accomplis, c'est-à-dire expiés.
Leur secrète pensée était du ciel connue :
Puisqu'enfin tu voulais la mort, elle est venue.
Avais-tu droit au prix que ton crime rêva ?
La fleur est profanée ; et le parfum s'en va.
Ce qu'au ciel tu croyais dérober, y remonte ;
Il ne te restera du crime que la honte.
La chair n'est que jolie, et le marbre était beau ;
Le marbre devait vivre : à la chair, le tombeau !
Tu vendis au néant, pour une ignominie,
Tout cet austère amour qui faisait ton génie !»
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MessageSujet: Re: Le mythe de Pygmalion   Le mythe de Pygmalion Icon_minitime29/6/2007, 06:20

IV
Pygmalion tomba sur le sol, demi-mort.
Vaguement, doucement, sans trop se donner tort,
Comme fait celui-là qui soi-même se gronde,
Il s'était reproché de dérober au monde,
Pour son propre plaisir, un trésor immortel ;
Et de mettre en son lit ce qu'attendait l'autel :
Est-il un sacrilège où Vénus ne consente ?
Il avait méprisé la lueur menaçante
Qui lui montrait le Beau, dans la chair engagé,
Mourant avec l'Amour, par la chair outragé.
La lueur renaissant devenait la vengeance.
Quand Jupiter parla comme sa conscience,
Le prévaricateur se reconnut puni,
Du saint bonheur chassé, du ciel de l'Art banni ;
Et la terre à ses yeux parut désenchantée.
Il revint à pas lents auprès de Galatée.
Rose, blanche, vivante et morte..., elle bâillait.
Involontairement il saisit son maillet,
Puis son ciseau. Déjà sur ce charmant visage
Apparaissaient des plis qui le gâtaient. L'ouvrage
N'avait pas été fait pour qu'on le vit bâiller,
Par endroits s'épaissir, par endroits s'érailler ;
Et ses proportions, pour ainsi dire saintes,
D'heure en heure souffraient cent mortelles atteintes ;
Des contours purs et fins se gonflaient en appas ;
Lourds trésors, que l'esprit, hélas ! n'allégeait pas.
Galatée était sotte, et l'artiste infidèle,
Enfin désespéré, se dit : «C'est un modèle !»

Ce fut le dernier cri qui lui fit quelque honneur !
Imbécile vaincu de la chair en torpeur,
Subjugué par le bas et n'admirant plus guère
Cet amas opulent qui tournait au vulgaire,
Il entra dans son bagne. Et, du sommet allier
Où l'avait porté l'Art, il déchut au métier :
Vénus dévorera les dons que fit Minerve !
L'oracle s'accomplit. Un peu de basse verve,
Reste de cendre chaude en un foyer éteint,
Ne pouvait rappeler la flamme du malin.
Jadis il voyait beau. Cette faveur suprême,
Cette félicité de l'homme et de Dieu même
Qui donne et qui reçoit le regard de l'amour,
Il la perdit, le Beau se voila sans retour.

Et l'oeil qu'avaient ravi tant de grandeurs sereines
Partout ne sut plus voir que des fanges humaines :
Oh ! justice terrible ! il n'en ont point d'horreur !
L'artiste aux yeux flétris laissa flétrir son coeur.
Cessant tout noble effort, il n'eut que des risées
Pour les abaissements de nos splendeurs brisées.
Il ne lui restait plus que d'en tirer profit
Et de jeter son art dans la boue. Il le fit.

La grosse Galatée aimait fort la toilette ;
Le budget devint lourd. Pour forcer la recette,
L'artiste à son outil demanda les sujets
Qui pouvaient le mieux plaire aux débauchés abjects ;
Oeuvres d'un sens pervers, proxénètes du vice
Qu'en rougissant laissait circuler la police
Et qu'aurait volontiers proscrites sa vertu,
Si l'auteur n'avait pas été de l'Institut !
Il gagna le mépris des gens de bien d'Athènes.
Mais l'or pleuvait à flots sur ces choses malsaines.
La mafflue en couvrit tous ses escarpements
Et paya son doreur de froids embrassements.
Elle fut tendre enfin connue elle pouvait l'être.
Ainsi, riche et honteux, Pygmalion vit naître
De sa tige des fruits parfois brillants, mais creux.
L'espèce des ratés a commencé par eux.
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