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 Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)

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Rhadamante

Rhadamante


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MessageSujet: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:18

Homère - L'Odyssée XIX - trad. Leconte de Lisle (1867)

Mais le divin Odysseus resta dans la demeure, méditant avec Athènè la mort des Prétendants. Et, aussitôt, il dit à Tèlémakhos ces paroles ailées :

- Tèlémakhos, il faut transporter toutes les armes guerrières hors de la salle, et, quand les Prétendants te les demanderont, les tromper par ces douces paroles : - Je les ai mises à l'abri de la fumée, car elles ne sont pas telles qu'elles étaient autrefois, quand Odysseus les laissa à son départ pour Troiè ; mais elles sont souillées par la grande vapeur du feu. Puis, le Kroniôn m'a inspiré une autre pensée meilleure, et je crains qu'excités par le vin, et une querelle s'élevant parmi vous, vous vous blessiez les uns les autres et vous souilliez le repas et vos noces futures, car le fer attire l'homme.

Il parla ainsi, et Tèlémakhos obéit à son cher père et, ayant appelé la nourrice Eurykléia, il lui dit :

- Nourrice, enferme les femmes dans les demeures, jusqu'à ce que j'aie transporté dans la chambre nuptiale les belles armes de mon père, qui ont été négligées et que la fumée a souillées pendant l'absence de mon père, car j'étais encore enfant. Maintenant, je veux les transporter là où la vapeur du feu n'ira pas.

Et la chère nourrice Eurykléia lui répondit :

- Plaise aux Dieux, mon enfant, que tu aies toujours la prudence de prendre soin de la maison et de conserver toutes tes richesses ! Mais qui t'accompa gnera en portant une lumière, puisque tu ne veux pas que les servantes t'éclairent ?

Et le prudent Tèlémakhos lui répondit :

- Ce sera cet Etranger. Je ne le laisserai pas sans rien faire, puisqu'il a mangé à ma table, bien qu'il vienne de loin.

Il parla ainsi, et sa parole ne fut point vaine. Et Eurykléia ferma les portes des grandes demeures. Puis, Odysseus et son illustre fils se hâtèrent de transporter les casques, les boucliers bombés et les lances aiguës. Et Pallas Athènè portant devant eux une lanterne d'or, les éclairait vivement ; et, alors, Tèlémakhos dit aussitôt à son père :

- O Père, certes, je vois de mes yeux un grand prodige ! Voici que les murs de la demeure, et ses belles poutres, et ses solives de sapin, et ses hautes colonnes, brillent comme un feu ardent. Certes, un des Dieux qui habitent le large Ouranos est entré ici.

Et le subtil Odysseus lui répondit :

- Tais-toi, et retiens ton esprit, et ne m'interroge pas. Telle est la coutume des Dieux qui habitent l'Olympos. Toi, va dormir. Je resterai ici, afin d'éprouver les servantes et ta mère. Dans sa douleur elle va m'interroger sur beaucoup de choses.

Il parla ainsi, et Tèlémakhos sortit de la salle, et il monta, éclairé par les torches flambantes, dans la chambre où il avait coutume de dormir. Là, il s'endormit, en attendant le matin ; et le divin Odysseus resta dans la demeure, méditant avec Athènè la mort des Prétendants.

Et la prudente Pènélopéia, semblable à Artémis ou à Aphroditè d'or, sortit de sa chambre nuptiale. Et les servantes placèrent pour elle, devant le feu, le thrône où elle s'asseyait. Il était d'ivoire et d'argent, et travaillé au tour. Et c'était l'ouvrier Ikmalios qui l'avait fait autrefois, ainsi qu'un escabeau pour appuyer les pieds de la Reine, et qui était recouvert d'une grande peau. Ce fut là que s'assit la prudente Pènélopéia.

Alors, les femmes aux bras blancs vinrent de la demeure, et elles emportèrent les pains nombreux, et les tables, et les coupes dans lesquelles les Prétendants insolents avaient bu. Et elles jetèrent à terre le feu des torches, et elles amassèrent, par-dessus, du bois qui devait les éclairer et les chauffer. Et, alors, Mélanthô injuria de nouveau Odysseus :

- Etranger, te voilà encore qui erres dans la demeure, épiant les femmes ! Sors d'ici, misérable, après t'être rassasié, ou je te frapperai de ce tison !

Et le sage Odysseus, la regardant d'un oeil sombre, lui dit :

- Malheureuse ! pourquoi m'outrager avec fureur ? Est-ce parce que je suis vêtu de haillons et que je mendie parmi le peuple, comme la nécessité m'y contraint ? Tels sont les mendiants et les vagabonds. Et moi aussi, autrefois, j'étais heureux, et j'habitais une riche demeure, et je donnais aux vagabonds, quels qu'ils fussent et quels que fussent leurs besoins. Et j'avais de nombreux serviteurs et tout ce qui rend heureux et fait appeler un homme riche ; mais le Kroniôn Zeus m'a tout enlevé, le voulant ainsi. C'est pourquoi, femme, crains de perdre un jour la beauté dont tu es ornée parmi les servantes ; crains que ta maîtresse irritée te punisse, ou qu'Odysseus revienne, car tout espoir n'est pas perdu. Mais s'il a péri, et s'il ne doit plus revenir, son fils Tèlémakhos le remplace par la volonté d'Apollôn, et rien de ce que font les femmes dans les demeures ne lui échappera, car rien n'est plus au-dessus de son âge.

Il parla ainsi, et la prudente Pènélopéia, l'ayant entendu, réprimanda sa servante et lui dit :

- Chienne audacieuse, tu ne peux me cacher ton insolence effrontée que tu payeras de ta tête, car tu sais bien, m'ayant entendue toi-même, que je veux, étant très affligée, interroger cet Etranger sur mon mari.

Elle parla ainsi, et elle dit à l'Intendante Eurynomè :

- Eurynomè, approche un siège et recouvre-le d'une peau afin que cet Etranger, s'étant assis, m'écoute et me réponde, car je veux l'interroger.

Elle parla ainsi, et Eurynomè approcha à la hâte un siège poli qu'elle recouvrit d'une peau, et le patient et divin Odysseus s'y assit, et la prudente Pènélopéia lui dit :

- Etranger, je t'interrogerai d'abord sur toi-même. Qui es-tu ? D'où viens-tu ? Où sont ta ville et tes parents ?

Et le sage Odysseus lui répondit :

- O femme, aucune des mortelles qui sont sur la terre immense ne te vaut, et, certes, ta gloire est parvenue jusqu'au large Ouranos, telle que la gloire d'un roi irréprochable qui, vénérant les Dieux, commande à de nombreux et braves guerriers et répand la justice. Et par lui la terre noire produit l'orge et le blé, et les arbres sont lourds de fruits, et les troupeaux multiplient, et la mer donne des poissons, et, sous ses lois équitables, les peuples sont heureux et justes. C'est pourquoi, maintenant, dans ta demeure, demande-moi toutes les autres choses, mais non ma race et ma patrie. N'emplis pas ainsi mon âme de nouvelles douleurs en me faisant souvenir, car je suis très affligé, et je ne veux pas pleurer et gémir dans une maison étrangère, car il est honteux de pleurer toujours. Peut-être qu'une de tes servantes m'outragerait, ou que tu t'irriterais toi-même, disant que je pleure ainsi ayant l'esprit troublé par le vin.

Et la prudente Pènélopéia lui répondit :

- Etranger, certes, les Dieux m'ont ravi ma vertu et ma beauté du jour où les Argiens sont partis pour Ilios, et, avec eux, mon mari Odysseus. S'il revenait et gouvernait ma vie, ma gloire serait plus grande et plus belle. Mais, maintenant, je gémis, tant un Daimôn funeste m'a accablée de maux. Voici que ceux qui dominent dans les Iles, à Doulikhios, à Samè, à Zakynthos couverte de bois, et ceux qui habitent l'âpre Ithakè elle-même, tous me recherchent malgré moi et ruinent ma maison. Et je ne prends plus soin des étrangers, ni des suppliants, ni des hérauts qui agissent en public ; mais je regrette Odysseus et je gémis dans mon cher coeur. Et les Prétendants hâtent mes noces, et je médite des ruses. Et, d'abord, un Dieu m'inspira de tisser dans mes demeures une grande toile, large et fine, et je leur dis aussitôt :

- Jeunes hommes, mes Prétendants, puisque le divin Odysseus est mort, cessez de hâter mes noces, jusqu'à ce que j'aie achevé, pour que mes fils ne restent pas inutiles, ce linceul du héros Laertès, quand la Moire mauvaise, de la mort inexorable l'aura saisi, afin qu'aucune des femmes akhaiennes ne puisse me reprocher devant tout le peuple qu'un homme qui a possédé tant de biens ait été enseveli sans linceul. Je parlai ainsi, et leur coeur généreux fut persuadé ; et alors, pendant le jour, je tissais la grande toile, et pendant la nuit, ayant allumé des torches, je la défaisais. Ainsi, pendant trois ans, je cachai ma ruse et trompai les Akhaiens ; mais quand vint la quatrième année, et quand les saisons recommencèrent, après le cours des mois et des jours nombreux, alors avertis par mes chiennes de servantes, ils me surprirent et me menacèrent, et, contre ma volonté, je fus contrainte d'achever ma toile. Et, maintenant, je ne puis plus éviter mes noces, ne trouvant plus aucune ruse. Et mes parents m'exhortent à me marier, et mon fils supporte avec peine que ceux-ci dévorent ses biens, auxquels il tient ; car c'est aujourd'hui un homme, et il peut prendre soin de sa maison, et Zeus lui a donné la gloire. Mais toi, Etranger, dis-moi ta race et ta patrie, car tu ne sors pas du chêne et du rocher des histoires antiques.


Dernière édition par le 26/6/2007, 09:27, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:19

Et le sage Odysseus lui répondit :

- O femme vénérable du Laertiade Odysseus, ne cesseras-tu point de m'interroger sur mes parents ? Je te répondrai donc, bien que tu renouvelles ainsi mes maux innombrables ; mais c'est là la destinée d'un homme depuis longtemps absent de la patrie, tel que moi qui ai erré parmi les villes des hommes, étant accablé de maux. Je te dirai cependant ce que tu me demandes. La Krètè est une terre qui s'élève au milieu de la sombre mer, belle et fertile, où habitent d'innombrables hommes et où il y a quatre-vingt-dix villes. On y parle des langages différents, et on y trouve des Akhaiens, de magnanimes Krètois indigènes, des Kydônes, trois tribus de Dôriens et les divins Pélasges. Sur eux tous domine la grande ville de Knôssos, où régna Minôs qui s'entretenait tous les neuf ans avec le grand Zeus, et qui fut le père du magnanime Deukaliôn mon père. Et Deukaliôn nous engendra, moi et le roi Idoméneus. Et Idoméneus alla, sur ses nefs à proues recourbées, à Ilios, avec les Atréides. Mon nom illustre est Aithôn, et j'étais le plus jeune. Idoméneus était l'aîné et le plus brave. Je vis alors Odysseus et je lui offris les dons hospitaliers. En effet, comme il allait à Ilios, la violence du vent l'avait poussé en Krètè, loin du promontoire Maléien, dans Amnisos où est la caverne des Ilithyies ; et, dans ce port difficile, à peine évita-t-il la tempête. Arrivé à la ville, il demanda Idoméneus, qu'il appelait son hôte cher et vénérable. Mais Eôs avait reparu pour la dixième ou onzième fois depuis que, sur ses nefs à proue recourbée, Idoméneus était parti pour Ilios. Alors, je conduisis Odysseus dans mes demeures, et je le reçus avec amitié, et je le comblai de soins à l'aide des richesses que je possédais et je lui donnai, ainsi qu'à ses compagnons, de la farine, du vin rouge, et des boeufs à tuer, jusqu'à ce que leur âme fût rassasiée. Et les divins Akhaiens restèrent là douze jours, car le grand et tempétueux Boréas soufflait et les arrêtait, excité par quelque Daimôn. Mais le vent tomba le treizième jour, et ils partirent.

Il parlait ainsi, disant ces nombreux mensonges semblables à la vérité ; et Pènélopéia, en l'écoutant, pleurait, et ses larmes ruisselaient sur son visage, comme la neige ruisselle sur les hautes montagnes, après que Zéphyros l'a amoncelée et que l'Euros la fond en torrents qui emplissent les fleuves. Ainsi les belles joues de Pènélopéia ruisselaient de larmes tandis qu'elle pleurait son mari. Et Odysseus était plein de compassion en voyant pleurer sa femme ; mais ses yeux, comme la corne et le fer, restaient immobiles sous ses paupières, et il arrêtait ses larmes par prudence. Et après qu'elle se fut rassasiée de larmes et de deuil, Pènélopéia, lui répondant, dit de nouveau :

- Maintenant, Etranger, je pense que je vais t'éprouver, et je verrai si, comme tu le dis, tu as reçu dans tes demeures mon mari et ses divins compagnons. Dis-moi quels étaient les vêtements qui le couvraient, quel il était lui-même, et quels étaient les compagnons qui le suivaient.

Et le sage Odysseus, lui répondant, parla ainsi :

- O femme, il est bien difficile, après tant de temps, de te répondre, car voici la vingtième année qu'Odysseus est venu dans ma patrie et qu'il en est parti. Cependant, je te dirai ce dont je me souviens dans mon esprit. Le divin Odysseus avait un double manteau de laine pourprée qu'attachait une agrafe d'or à deux tuyaux, et ornée, par-dessus, d'un chien qui tenait sous ses pattes de devant un jeune cerf tremblant. Et tous admiraient, s'étonnant que ces deux animaux fussent d'or, ce chien qui voulait étouffer le faon, et celui-ci qui, palpitant sous ses pieds, voulait s'enfuir. Et je vis aussi sur le corps d'Odysseus une tunique splendide. Fine comme une pelure d'oignon, cette tunique brillait comme Hèlios. Et, certes, toutes les femmes l'admiraient. Mais, je te le dis, et retiens mes paroles dans ton esprit : je ne sais si Odysseus portait ces vêtements dans sa demeure, ou si quelqu'un de ses compagnons les lui avait donnés comme il montait sur sa nef rapide, ou bien quelqu'un d'entre ses hôtes, car Odysseus était aimé de beaucoup d'hommes, et peu d'Akhaiens étaient semblables à lui. Je lui donnai une épée d'airain, un double et grand manteau pourpré et une tunique longue, et je le conduisis avec respect sur sa nef à bancs de rameurs. Un héraut, un peu plus âgé que lui, le suivait, et je te dirai quel il était. Il avait les épaules hautes, la peau brune et les cheveux crépus, et il se nommait Eurybatès, et Odysseus l'honorait entre tous ses compagnons, parce qu'il était plein de sagesse.

Il parla ainsi, et le désir de pleurer saisit Pènélopéia, car elle reconnut ces signes certains que lui décrivait Odysseus. Et, après qu'elle se fut rassasiée de larmes et de deuil, elle dit de nouveau :

- Maintenant, ô mon hôte, auparavant misérable, tu seras aimé et honoré dans mes demeures. J'ai moi-même donné à Odysseus ces vêtements que tu décris et qui étaient pliés dans ma chambre nuptiale, et j'y ai attaché cette agrafe brillante. Mais je ne le verrai plus de retour dans la chère terre de la patrie ! C'est par une mauvaise destinée qu'Odysseus, montant dans sa nef creuse, est parti pour cette Troiè fatale qu'on ne devrait plus nommer.

Et le sage Odysseus lui répondit :

- O femme vénérable du Laertiade Odysseus, ne flétris point ton beau visage et ne te consume point dans ton coeur à pleurer. Cependant, je ne te blâme en rien. Quelle femme pleurerait un jeune mari dont elle a conçu des enfants, après s'être unie d'amour à lui, plus que tu dois pleurer Odysseus qu'on dit semblable aux Dieux ? Mais cesse de gémir et écoute-moi. Je te dirai la vérité et je ne te cacherai rien. J'ai entendu parler du retour d'Odysseus chez le riche peuple des Thesprôtes où il a paru vivant, et il rapporte de nombreuses richesses qu'il a amassées parmi beaucoup de peuples ; mais il a perdu ses chers compagnons et sa nef creuse, dans la noire mer, en quittant Thrinakiè. Zeus et Hèlios étaient irrités, parce que ses compagnons avaient tué les boeufs de Hèlios ; et ils ont tous péri dans la mer tumultueuse. Mais la mer a jeté Odysseus, attaché à la carène de sa nef, sur la côte des Phaiakiens qui descendent des Dieux. Et ils l'ont honoré comme un Dieu, et ils lui ont fait de nombreux présents, et ils ont voulu le ramener sain et sauf dans sa demeure. Odysseus serait donc déjà revenu depuis longtemps, mais il lui a semblé plus utile d'amasser d'autres richesses en parcourant beaucoup de terres ; car il sait un plus grand nombre de ruses que tous les hommes mortels, et nul ne pourrait lutter contre lui. Ainsi me parla Pheidôn, le roi des Thesprôtes. Et il me jura, en faisant des libations dans sa demeure, que la nef et les hommes étaient prêts qui devaient reconduire Odysseus dans la chère terre de sa patrie. Mais il me renvoya d'abord, profitant d'une nef des Thesprôtes qui allait à Doulikhios fertile en blé. Et il me montra les richesses qu'avait réunies Odysseus, de l'airain, de l'or et du fer très difficile à travailler, le tout assez abondant pour nourrir jusqu'à sa dixième génération. Et il me disait qu'Odysseus était allé à Dôdônè pour apprendre du grand Chêne la volonté de Zeus, et pour savoir comment, depuis longtemps absent, il rentrerait dans la terre d'Ithakè, soit ouvertement, soit en secret. Ainsi Odysseus est sauvé, et il viendra bientôt, et, désormais, il ne sera pas longtemps éloigné de ses amis et de sa patrie. Et je te ferai un grand serment : Qu'ils le sachent, Zeus, le meilleur et le plus grand des Dieux, et la demeure du brave Odysseus où je suis arrivé ! Tout s'accomplira comme je le dis. Odysseus reviendra avant la fin de cette année, avant la fin de ce mois, dans quelques jours.

Et la prudente Pènélopéia lui répondit :

- Plaise aux Dieux, Etranger, que tes paroles s'accomplissent ! Je te prouverais aussitôt mon amitié par de nombreux présents et chacun te dirait heureux ; mais je sens dans mon coeur que jamais Odysseus ne reviendra dans sa demeure et que ce n'est point lui qui te renverra. Il n'y a point ici de chefs tels qu'Odysseus parmi les hommes, si jamais il en a existé, qui congédient les étrangers après les avoir accueillis et honorés. Maintenant, servantes, baignez notre hôte, et préparez son lit avec des manteaux et des couvertures splendides, afin qu'il ait chaud en attendant Eôs au thrône d'or. Puis, au matin, baignez et parfumez-le, afin qu'assis dans la demeure, il prenne son repas auprès de Tèlémakhos. Il arrivera malheur à celui d'entre eux qui l'outragera. Et qu'il ne soit soumis à aucun travail, quel que soit celui qui s'en irrite. Comment, ô Etranger, reconnaîtrais-tu que je l'emporte sur les autres femmes par l'intelligence et par la sagesse, si, manquant de vêtements, tu t'asseyais en haillons au repas dans les demeures ? La vie des hommes est brève. Celui qui est injuste et commet des actions mauvaises, les hommes le chargent d'imprécations tant qu'il est vivant, et ils le maudissent quand il est mort ; mais celui qui est irréprochable et qui a fait de bonnes actions, les étrangers répandent au loin sa gloire, et tous les hommes le louent.

Et le sage Odysseus, lui répondant, parla ainsi :

- O femme vénérable du Laertiade Odysseus, les beaux vêtements et les couvertures splendides me sont odieux, depuis que, sur ma nef aux longs avirons, j'ai quitté les montagnes neigeuses de la Krètè. Je me coucherai, comme je l'ai déjà fait pendant tant de nuits sans sommeil, sur une misérable couche, attendant la belle et divine Eôs. Les bains de pieds non plus ne me plaisent point, et aucune servante ne me touchera les pieds, à moins qu'il n'y en ait une, vieille et prudente, parmi elles, et qui ait autant souffert que moi. Je n'empêche point celle-ci de me laver les pieds.

Et la prudente Pènélopéia lui répondit :

- Cher hôte, aucun homme n'est plus sage que toi de tous les étrangers amis qui sont venus dans cette demeure, car tout ce que tu dis est plein de sagesse. J'ai ici une femme âgée et très prudente qui nourrit et qui éleva autrefois le malheureux Odysseus, et qui l'avait reçu dans ses bras quand sa mère l'eut enfanté. Elle lavera tes pieds, bien qu'elle soit faible. Viens, lève-toi, prudente Eurykléia ; lave les pieds de cet Etranger qui a l'âge de ton maître. Peut-être que les pieds et les mains d'Odysseus ressemblent aux siens, car les hommes vieillissent vite dans le malheur.

Elle parla ainsi, et la vieille femme cacha son visage dans ses mains, et elle versa de chaudes larmes et elle dit ces paroles lamentables :

- Hélas ! je suis sans force pour te venir en aide, ô mon enfant ! Assurément Zeus te hait entre tous les hommes, bien que tu aies un esprit pieux. Aucun homme n'a brûlé plus de cuisses grasses à Zeus qui se réjouit de la foudre, ni d'aussi complètes hécatombes. Tu le suppliais de te laisser parvenir à une pleine vieillesse et de te laisser élever ton fils illustre, et voici qu'il t'a enlevé le jour du retour ! Peut-être aussi que d'autres femmes l'outragent, quand il entre dans les illustres demeures où parviennent les étrangers, comme ces chiennes-ci t'outragent toi-même. Tu fuis leurs injures et leurs paroles honteuses, et tu ne veux point qu'elles te lavent ; et la fille d'Ikarios, la prudente Pènélopéia, m'ordonne de le faire, et j'y consens. C'est pourquoi je laverai tes pieds, pour l'amour de Pènélopéia et de toi, car mon coeur est ému de tes maux. Mais écoute ce que je vais dire : de tous les malheureux étrangers qui sont venus ici, aucun ne ressemble plus que toi à Odysseus. Tu as son corps, sa voix et ses pieds.

Et le sage Odysseus, lui répondant, parla ainsi :

- O vieille femme, en effet, tous ceux qui nous ont vus tous deux de leurs yeux disent que nous nous ressemblons beaucoup. Tu as parlé avec sagesse.

Il parla ainsi, et la vieille femme prit un bassin splendide dans lequel on lavait les pieds, et elle y versa beaucoup d'eau froide, puis de l'eau chaude. Et Odysseus s'assit devant le foyer, en se tournant vivement du côté de l'ombre, car il craignit aussitôt, dans son esprit, qu'en le touchant elle reconnût sa cicatrice et que tout fût découvert. Eurykléia, s'approchant de son roi, lava ses pieds, et aussitôt elle reconnut la cicatrice de la blessure qu'un sanglier lui avait faite autrefois de ses blanches dents sur le Parnèsos, quand il était allé chez Autolykos et ses fils. Autolykos était l'illustre père de sa mère, et il surpassait tous les hommes pour faire du butin et de faux serments. Un Dieu lui avait fait ce don, Herméias, pour qui il brûlait des chairs d'agneaux et de chevreaux et qui l'accompagnait toujours. Et Autolykos étant venu chez le riche peuple d'Ithakè, il trouva le fils nouveau-né de sa fille. Et Eurykléia, après le repas, posa l'enfant sur les chers genoux d'Autolykos et lui dit :

- Autolykos, donne toi-même un nom au cher fils de ta fille, puisque tu l'as appelé par tant de voeux.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:19

Et Autolykos lui répondit :

- Mon gendre et ma fille, donnez-lui le nom que je vais dire. Je suis venu ici très irrité contre un grand nombre d'hommes et de femmes sur la face de la terre nourricière. Que son nom soit donc Odysseus. Quand il sera parvenu à la puberté, qu'il vienne sur le Parnèsos, dans la grande demeure de son aïeul maternel où sont mes richesses, et je lui en ferai de nombreux présents, et je le renverrai plein de joie. Et, à cause de ces paroles, Odysseus y alla, afin de recevoir de nombreux présents. Et Autolykos et les fils d'Autolykos le saluèrent des mains et le reçurent avec de douces paroles. Amphithéè, la mère de sa mère, l'embrassa, baisant sa tête et ses deux beaux yeux. Et Autolykos ordonna à ses fils illustres de préparer le repas. Aussitôt, ceux-ci obéirent et amenèrent un taureau de cinq ans qu'ils écorchèrent. Puis, le préparant, ils le coupèrent en morceaux qu'ils embrochèrent, firent rôtir avec soin et distribuèrent. Et tout le jour, jusqu'à la chute de Hèlios, ils mangèrent, et nul dans son âme ne manqua d'une part égale. Quand Hèlios tomba et que les ténèbres survinrent, ils se couchèrent et s'endormirent, mais quand Eôs aux doigts rosés, née au matin, apparut, les fils d'Autolykos et leurs chiens partirent pour la chasse, et le divin Odysseus alla avec eux. Et ils gravirent le haut Parnèsos couvert de bois, et ils pénétrèrent bientôt dans les gorges battues des vents. Hèlios, à peine sorti du cours profond d'Okéanos, frappait les campagnes, quand les chasseurs parvinrent dans une vallée. Et les chiens les précédaient, flairant une piste ; et derrière eux venaient les fils d'Autolykos, et, avec eux, après les chiens, le divin Odysseus marchait agitant une longue lance. Là, dans le bois épais, était couché un grand sanglier. Et la violence humide des vents ne pénétrait point ce hallier, et le splendide Hèlios ne le perçait point de ses rayons, et la pluie n'y tombait point, tant il était épais ; et le sanglier était couché là, sous un monceau de feuilles. Et le bruit des hommes et des chiens parvint jusqu'à lui, et, quand les chasseurs arrivèrent, il sortit du hallier à leur rencontre, les soies hérissées sur le cou et le feu dans les yeux, et il s'arrêta près des chasseurs. Alors, le premier, Odysseus, levant sa longue lance, de sa forte main, se rua, désirant le percer ; mais le sanglier, le prévenant, le blessa au genou d'un coup oblique de ses défenses et enleva profondément les chairs, mais sans arriver jusqu'à l'os. Et Odysseus le frappa à l'épaule droite, et la pointe de la lance brillante le traversa de part en part, et il tomba étendu dans la poussière, et son âme s'envola. Aussitôt les chers fils d'Autolykos, s'empressant autour de la blessure de l'irréprochable et divin Odysseus, la bandèrent avec soin et arrêtèrent le sang noir par une incantation ; puis, ils rentrèrent aux demeures de leur cher père. Et Autolykos et les fils d'Autolykos, ayant guéri Odysseus et lui ayant fait de riches présents, le renvoyèrent plein de joie dans sa chère Ithakè. Là, son père et sa mère vénérable se réjouirent de son retour et l'interrogèrent sur chaque chose et sur cette blessure qu'il avait reçue. Et il leur raconta qu'un sanglier l'avait blessé de ses défenses blanches, à la chasse, où il était allé sur le Parnèsos avec les fils d'Autolykos.

Et voici que la vieille femme, touchant de ses mains cette cicatrice, la reconnut et laissa retomber le pied dans le bassin d'airain qui résonna et se renversa, et toute l'eau fut répandue à terre. Et la joie et la douleur envahirent à la fois l'âme d'Eurykléia, et ses yeux s'emplirent de larmes, et sa voix fut entrecoupée ; et, saisissant le menton d'Odysseus, elle lui dit :

- Certes, tu es Odysseus mon cher enfant ! Je ne t'ai point reconnu avant d'avoir touché tout mon maître.

Elle parla ainsi, et elle fit signe des yeux à Pènélopéia pour lui faire entendre que son cher mari était dans la demeure ; mais, du lieu où elle était, Pènélopéia ne put la voir ni la comprendre, car Athènè avait détourné son esprit. Alors, Odysseus, serrant de la main droite la gorge d'Eurykléia, et l'attirant à lui de l'autre main, lui dit :

- Nourrice, pourquoi veux-tu me perdre, toi qui m'as nourri toi-même de ta mamelle ? Maintenant, voici qu'ayant subi bien des maux, j'arrive après vingt ans dans la terre de la patrie. Mais, puisque tu m'as reconnu, et qu'un Dieu te l'a inspiré, tais-toi, et que personne ne t'entende, car je te le dis, et ma parole s'accomplira : Si un Dieu tue par mes mains les Prétendants insolents, je ne t'épargnerai même pas, bien que tu sois ma nourrice, quand je tuerai les autres servantes dans mes demeures.

Et la prudente Eurykléia lui répondit :

- Mon enfant, quelle parole s'échappe d'entre tes dents ? Tu sais que mon âme est constante et ferme. Je me tairai comme la pierre ou le fer. Mais je te dirai autre chose ; garde mes paroles dans ton esprit : Si un Dieu dompte par tes mains les Prétendants insolents, je t'indiquerai dans les demeures les femmes qui te méprisent et celles qui sont innocentes.

Et le sage Odysseus lui répondit :

- Nourrice, pourquoi me les indiquerais-tu ? Il n'en est pas besoin. J'en jugerai moi-même et je les reconnaîtrai. Garde le silence et remets le reste aux Dieux.

Il parla ainsi, et la vieille femme traversa la salle pour rapporter un autre bain de pieds, car toute l'eau s'était répandue. Puis, ayant lavé et parfumé Odysseus, elle approcha son siège du feu, afin qu'il se chauffât, et elle cacha la cicatrice sous les haillons. Et la sage Pènélopéia dit de nouveau :

- Etranger, je t'interrogerai encore quelques instants ; car l'heure du sommeil est douce, et le sommeil lui-même est doux pour le malheureux. Pour moi, un Dieu m'a envoyé une grande affliction. Le jour, du moins, je surveille en pleurant les travaux des servantes de cette maison et je charme ainsi ma douleur ; mais quand la nuit vient et quand le sommeil saisit tous les hommes, je me couche sur mon lit, et, autour de mon coeur impénétrable, les pensées amères irritent mes peines. Ainsi que la fille de Pandaros, la verte Aèdôn, chante, au retour du printemps, sous les feuilles épaisses des arbres, d'où elle répand sa voix sonore, pleurant son cher fils Itylos qu'engendra le roi Zéthoios, et qu'elle tua autrefois, dans sa démence, avec l'airain ; ainsi mon âme est agitée çà et là, hésitant si je dois rester auprès de mon fils, garder avec soin mes richesses, mes servantes et ma haute demeure, et respecter le lit de mon mari et la voix du peuple, ou si je dois me marier, parmi les Akhaiens qui me recherchent dans mes demeures, à celui qui est le plus noble et qui m'offrira le plus de présents. Tant que mon fils est resté enfant et sans raison, je n'ai pu ni me marier, ni abandonner la demeure de mon mari ; mais voici qu'il est grand et parvenu à la puberté, et il me supplie de quitter ces demeures, irrité qu'il est à cause de ses biens que dévorent les Akhaiens. Mais écoute, et interprète-moi ce songe. Vingt oies, sortant de l'eau, mangent du blé dans ma demeure, et je les regarde, joyeuse. Et voici qu'un grand aigle au bec recourbé, descendu d'une haute montagne, tombe sur leurs cous et les tue. Et elles restent toutes amassées dans les demeures, tandis que l'aigle s'élève dans l'aithèr divin. Et je pleure et je gémis dans mon songe : et les Akhaiennes aux beaux cheveux se réunissent autour de moi qui gémis amèrement parce que l'aigle a tué mes oies. Mais voici qu'il redescend sur le faîte de la demeure, et il me dit avec une voix d'homme :

- Rassure-toi, fille de l'illustre Ikarios ; ceci n'est point un songe, mais une chose heureuse qui s'accomplira. Les oies sont les Prétendants, et moi, qui semble un aigle, je suis ton mari qui suis revenu pour infliger une mort honteuse à tous les Prétendants. Il parle ainsi, et le sommeil me quitte, et, les cherchant des yeux, je vois mes oies qui mangent le blé dans le bassin comme auparavant.

Et le sage Odysseus lui répondit :

- O femme, personne ne pourrait expliquer ce songe autrement ; et certes, Odysseus lui-même t'a dit comment il s'accomplira. La perte des Prétendants est manifeste, et aucun d'entre eux n'évitera les Kères et la mort.

Et la sage Pènélopéia lui répondit :

- Etranger, certes, les songes sont difficiles à expliquer, et tous ne s'accomplissent point pour les hommes. Les songes sortent par deux portes, l'une de corne et l'autre d'ivoire. Ceux qui sortent de l'ivoire bien travaillé trompent par de vaines paroles qui ne s'accomplissent pas ; mais ceux qui sortent par la porte de corne polie disent la vérité aux hommes qui les voient. Je ne pense pas que celui-ci sorte de là et soit heureux pour moi et mon fils. Voici venir le jour honteux qui m'emmènera de la demeure d'Odysseus, car je vais proposer une épreuve. Odysseus avait dans ses demeures des haches qu'il rangeait en ordre comme des mâts de nefs, et, debout, il les traversait de loin d'une flèche. Je vais proposer cette épreuve aux Prétendants. Celui qui, de ses mains, tendra le plus facilement l'arc et qui lancera une flèche à travers les douze anneaux des haches, celui-là je le suivrai loin de cette demeure si belle, qui a vu ma jeunesse, qui est pleine d'abondance, et dont je me souviendrai, je pense, même dans mes songes !

Et le sage Odysseus lui répondit :

- O femme vénérable du Laertiade Odysseus, ne retarde pas davantage cette épreuve dans tes demeures. Le prudent Odysseus reviendra avant qu'ils aient tendu le nerf, tiré l'arc poli et envoyé la flèche à travers le fer.

Et la prudente Pènélopéia lui répondit :

- Si tu voulais, Etranger, assis à côté de moi, me charmer dans mes demeures, le sommeil ne se répandrait pas sur mes paupières ; mais les hommes ne peuvent rester sans sommeil, et les Immortels, sur la terre féconde, ont fait la part de toute chose aux mortels. Certes, je remonterai donc dans la haute chambre, et je me coucherai sur mon lit plein d'affliction et arrosé de mes larmes depuis le jour où Odysseus est parti pour cette Ilios fatale qu'on ne devrait plus nommer. Je me coucherai là ; et toi, couche dans cette salle, sur la terre ou sur le lit qu'on te fera.

Ayant ainsi parlé, elle monta dans sa haute chambre splendide, mais non pas seule, car deux servantes la suivaient. Et quand elle eut monté avec les servantes dans la haute chambre, elle pleura Odysseus, son cher mari, jusqu'à ce que Athènè aux yeux clairs eût répandu le doux sommeil sur ses paupières.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:19

APOLLODORE
Pélée, Acaste, Thétis, Achille
Ugo Bratelli, 2002

III, 13, 1. Pélée, pour sa part, s'exila à Phthie, auprès d'Eurytion, le fils d'Actor, qui le purifia et lui accorda la main de sa fille Antigoné, et lui confia le tiers de son territoire. Pélée eut une fille, Polydora, qu'épousa Boros, le fils de Périérès.

III, 13, 2. Pélée quitta Phthie en compagnie d'Eurytion pour participer à la chasse au sanglier de Calydon ; mais, comme il visait le sanglier, sa lance rata sa cible et il tua involontairement Eurytion. Pélée fut donc banni aussi de Phthie ; il se réfugia à Iolcos, auprès d'Acaste, qui le purifia.

III, 13, 3. Il participa aux jeux en l'honneur de Pélias, et se mesura à la lutte avec Atalante. Astydamie, la femme d'Acaste, tomba amoureuse de lui ; elle lui fit des propositions en vue d'une rencontre. Ne parvenant pas à le séduire, elle fit raconter à son épouse que Pélée se disposait à épouser Stéropé, la fille d'Acaste ; à cette nouvelle, sa femme se pendit. Puis Astydamie calomnia aussi Pélée auprès d'Acaste, disant qu'il avait tenté de la séduire. Acaste, qui se refusait à tuer un homme qu'il avait lui-même purifié, le mena sur le mont Pélion, pour une partie de chasse. Aux animaux qu'il tuait, Pélée coupait la langue qu'il mettait dans un sac ; or les sujets d'Acaste emportèrent toutes les bêtes qu'il avait tuées, et se moquèrent de lui car il n'avait rien chassé. Alors Pélée sortit les langues des animaux, ajoutant qu'aussi nombreuses étaient les bêtes qu'il avait tuées. Quand ensuite il s'endormit, là, sur le Pélion, Acaste l'abandonna seul, et s'en alla, après avoir caché son épée sous un tas de fumier. À son réveil, Pélée chercha son épée, mais il fut surpris par des Centaures ; ils l'auraient sûrement tué, s'il n'avait été sauvé par Chiron. Et c'est également Chiron qui retrouva son épée et la lui rendit.

III, 13, 4. Pélée épousa Polydora, la fille de Périérès. De son épouse, Pélée eut un fils, Ménesthios, (dont on dit cependant que son vrai père était le fleuve Sperchios).

III, 13, 5. Par la suite il épousa Thétis, la Néréide. Zeus et Poséidon s'était disputé sa main ; mais quand Thémis eut prophétisé que de Thétis naîtrait un fils plus fort que son père, tous deux avaient renoncé. Il y en a qui racontent qu'au temps où Zeus était pris d'une grande passion pour Thétis, Prométhée avait prédit que le fils qu'elle mettrait au monde deviendrait le roi du ciel ; d'autres, toutefois, soutiennent que Thétis refusait de s'unir à Zeus parce qu'elle avait été élevée par Héra ; aussi Zeus, furieux, voulut qu'elle épousât un mortel. Chiron avait conseillé à Pélée d'attraper Thétis et de la maintenir fermement, même si la Néréide prenait d'étranges formes. Pélée l'épia donc, et l'enleva. Thétis se transforma en feu, en eau et en bête féroce, mais Pélée ne lâcha pas sa proie avant que la Néréide eût repris son aspect premier. L'épouse gravit le mont Pélion ; tous les dieux participèrent à leurs noces, en chantant des hymnes. Chiron offrit à Pélée une lance en bois de frêne, Poséidon les coursiers Balios et Xanthos, qui étaient immortels.

III, 13, 6. Quand Thétis mit au monde un enfant, elle voulut le rendre immortel ; aussi, à l'insu de Pélée, la nuit elle trempait le bébé dans le feu, pour détruire la partie mortelle qu'il avait reçue de son père, et, le jour, elle l'oignait d'ambroisie. Mais Pélée l'épia, il vit l'enfant se tordre dans les flammes, et poussa un cri : Thétis fut contrainte de mettre un terme à son projet ; elle abandonna l'enfant et retourna auprès des Néréides. Pélée amena son fils à Chiron. Le Centaure le nourrit d'entrailles de lion et de sanglier, et de moelle d'ours ; il l'appela Achille (son premier nom était Ligyron), parce que jamais il n'avait approché ses lèvres d'un sein.

III, 13, 7. Après cela, Pélée, avec l'aide de Jason et des Dioscures, ravagea Iolcos ; il tua Astydamie, la femme d'Acaste, mit son corps en morceaux et conduisit son armée vers la cité en passant à travers ses membres.

III, 13, 8. Quand Achille eut neuf ans, Calchas prédit que Troie ne serait jamais prise sans lui. Thétis, sachant que le destin de son fils serait de mourir s'il prenait part à la guerre, le cacha sous des vêtements féminins, et le confia à Lycomède, comme si c'était une fille. Élevé dans le palais de Lycomède, Achille coucha avec l'une de ses filles, Déidamie ; elle lui donna un enfant, Pyrrhos, qui fut ensuite appelé Néoptolème. Mais, ayant appris qu'Achille se cachait chez Lycomède, Ulysse vint le chercher, et, en faisant sonner la trompette de guerre, il le trouva. C'est ainsi qu'Achille se rendit à Troie.

Avec lui alla Phénix, le fils d'Amyntor. Phénix avait été aveuglé par son père, parce que sa concubine, Phthia, l'avait faussement accusé d'une tentative de séduction. Pélée, alors, le mena auprès de Chiron, qui guérit ses yeux ; puis Pélée avait fait de lui le roi des Dolopes.

Achille était aussi accompagné de Patrocle, le fils de Ménoetios et de Sthénélé, la fille d'Acaste ; ou peut-être sa mère était-elle Périopis, la fille de Phérès, ou peut-être encore, comme le dit Philocrate, Polymèle, la fille de Pélée ? À Opunte, à la suite d'un différend survenu au cours d'une partie de dés, Patrocle avait tué Clitonymos, le fils d'Amphidamas ; exilé avec son père, il se réfugia dans le palais de Pélée, et il devint l'amant d'Achille.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:20

L'Art d'Aimer d'Ovide
Livre I

Si parmi vous, Romains, quelqu'un ignore l'art d'aimer, qu'il lise mes vers ; qu'il s'instruise en les lisant, et qu'il aime.

Aidé de la voile et de la rame, l'art fait voguer la nef agile ; l'art guide les chars légers. L'art doit aussi guider l'amour. Automédon, habile écuyer, sut manier les rênes flexibles ; Tiphys fut le pilote du vaisseau des Argonautes. Moi, Vénus m'a donné pour maître à son jeune fils. On m'appellera le Tiphys et l'Automédon de l'Amour.

L'Amour est de nature peu traitable ; souvent même il me résiste ; mais c'est un enfant : cet âge est souple et facile à diriger. Chiron éleva le jeune Achille aux sons de la lyre, et, par cet art paisible, dompta son naturel sauvage. Celui qui tant de fois fit trembler ses ennemis, qui tant de fois effraya même ses compagnons d'armes, on le vit, dit-on, craintif devant un faible vieillard et docile à la voix de son maître, tendre au châtiment des mains dont Hector devait sentir le poids. Chiron fut le précepteur du fils de Pélée ; moi je suis celui de l'Amour ; tous deux enfants redoutables, tous deux fils d'une déesse. Mais on soumet au joug le front du fier taureau ; le coursier généreux broie en vain sous sa dent le frein qui l'asservit. Moi aussi, je réduirai l'Amour, bien que son arc blesse mon coeur, et qu'il secoue sur moi sa torche enflammée. Plus ses traits sont aigus, plus ses feux sont brillants, plus ils m'excitent à venger mes blessures.

Je ne chercherai point, ô Phébus, à faire croire que je tiens de toi l'art que j'enseigne : ce n'est point le chant des oiseaux qui me l'a révélé ; Clio et ses soeurs ne me sont point apparues, comme à Hésiode, lorsqu'il paissait son troupeau dans les vallons d'Ascra. L'expérience est mon guide ; obéissez au poète qui possède à fond son sujet. La vérité préside à mes chants ; toi, mère des amours, seconde mes efforts !

Loin d'ici, bandelettes légères, insignes de la pudeur, et vous, robes traînantes, qui cachez à moitié les pieds de nos matrones ! Je chante des plaisirs sans danger et des larcins permis : mes vers seront exempts de toute coupable intention.

Soldat novice qui veux t'enrôler sous les drapeaux de Vénus, occupe-toi d'abord de chercher celle que tu dois aimer ; ton second soin est de fléchir la femme qui t'a plu ; et le troisième, de faire en sorte que cet amour soit durable. Tel est mon plan, telle est la carrière que mon char va parcourir, tel est le but qu'il doit atteindre.

Tandis que tu es libre encor de tout lien, voici l'instant propice pour choisir celle à qui tu diras : «Toi seule as su me plaire». Elle ne te viendra pas du ciel sur l'aile des vents ; la belle qui te convient, ce sont tes yeux qui doivent la chercher. Le chasseur sait où il doit tendre ses filets aux cerfs ; il sait dans quel vallon le sanglier farouche a sa bauge. L'oiseleur connaît les broussailles propices à ses gluaux, et le pêcheur n'ignore pas quelles sont les eaux où les poissons se trouvent en plus grand nombre. Toi qui cherches l'objet d'un amour durable, apprends aussi à connaître les lieux les plus fréquentés par les belles. Tu n'auras point besoin, pour les trouver, de mettre à la voile, ni d'entreprendre de lointains voyages. Que Persée ramène son Andromède du fond des Indes brûlées par le soleil ; que le berger phrygien aille jusqu'en Grèce ravir son Hélène ; Rome seule t'offrira d'aussi belles femmes, et en si grand nombre, que tu seras forcé d'avouer qu'elle réunit dans son sein tout ce que l'univers a de plus aimable. Autant le Gargare compte d'épis, Méthymne de raisins, l'Océan de poissons, les bocages d'oiseaux, le ciel d'étoiles, autant notre Rome compte de jeunes beautés : Vénus a fixé son empire dans la ville de son cher Enée.

Si, pour te captiver, il faut une beauté naissante, dans la fleur de l'adolescence, une fille vraiment novice viendra s'offrir à tes yeux ; si tu préfères une beauté un peu plus formée, mille jeunes femmes te plairont, et tu n'auras que l'embarras du choix. Mais peut-être un âge plus mûr, plus raisonnable, a pour toi plus d'attraits ? alors, crois-moi, la foule sera encore plus nombreuse.

Lorsque le soleil entre dans le signe du Lion, tu n'auras qu'à te promener à pas lents sous le frais portique de Pompée, ou près de ce monument enrichi de marbres étrangers que fit construire une tendre mère, joignant ses dons à ceux d'un fils pieux. Ne néglige pas de visiter cette galerie qui, remplie de tableaux antiques, porte le nom de Livie, sa fondatrice : tu y verras les Danaïdes conspirant la mort de leurs infortunés cousins, et leur barbare père, tenant à la main une épée nue. N'oublie pas non plus les fêtes d'Adonis pleuré par Vénus, et les solennités que célèbre tous les sept jours le juif syrien. Pourquoi fuirais-tu le temple de la génisse de Memphis, de cette Isis qui, séduite par Jupiter, engage tant de femmes à suivre son exemple ? Le Forum même (qui pourrait le croire ?) est propice aux amours ; plus d'une flamme a pris naissance au milieu des discussions du barreau. Près du temple de marbre consacré à Vénus, en ce lieu où la fontaine Appienne fait jaillir ses eaux, souvent plus d'un jurisconsulte se laisse prendre à l'amour ; et celui qui défendit les autres ne peut se défendre lui-même. Là, souvent les paroles manquent à l'orateur le plus éloquent ; de nouveaux intérêts l'occupent, et c'est sa propre cause qu'il est forcé de plaider. De son temple voisin, Vénus rit de son embarras : naguère patron, il n'aspire plus qu'à être client.

Mais c'est surtout au théâtre qu'il faut tendre tes filets : le théâtre est l'endroit le plus fertile en occasions propices. Tu y trouveras telle beauté qui te séduira, telle autre que tu pourras tromper, telle qui ne sera pour toi qu'un caprice passager, telle enfin que tu voudras fixer. Comme, en longs bataillons, les fourmis vont et reviennent sans cesse chargées de grains, leur nourriture ordinaire ; ou bien encore comme les abeilles, lorsqu'elles ont trouvé, pour butiner, des plantes odorantes, voltigent sur la cime du thym et des fleurs ; telles, et non moins nombreuses, on voit des femmes brillamment parées courir aux spectacles où la foule se porte. Là, souvent, leur multitude a tenu mon choix en suspens. Elles viennent pour voir, elles viennent surtout pour être vues : c'est là que vient échouer l'innocente pudeur.

C'est toi, Romulus, qui mêlas le premier aux jeux publics les soucis de l'Amour, lorsque l'enlèvement des Sabines donna enfin des épouses à tes guerriers. Alors la toile, en rideaux suspendue, ne décorait pas des théâtres de marbre ; le safran liquide ne rougissait pas encore la scène. Alors des guirlandes de feuillage, dépouille des bois du mont Palatin, étaient l'unique ornement d'un théâtre sans art. Sur des bancs de gazon, disposés en gradins, était assis le peuple, les cheveux négligemment couverts de feuillage.

Déjà chaque Romain regarde autour de soi, marque de l'oeil la jeune fille qu'il convoite, et roule en secret dans son coeur mille pensers divers. Tandis qu'aux sons rustiques d'un chalumeau toscan un histrion frappe trois fois du pied le sol aplani, au milieu des applaudissements d'un peuple qui ne les vendait pas alors, Romulus donne à ses sujets le signal attendu pour saisir leur proie. Soudain ils s'élancent avec des cris qui trahissent leur dessein, et ils jettent leurs mains avides sur les jeunes vierges. Ainsi que des colombes, troupe faible et craintive, fuient devant un aigle ; ainsi qu'un tendre agneau fuit à l'aspect du loup ; ainsi tremblèrent les Sabines, en voyant fondre sur elles ces farouches guerriers. Tous les fronts ont pâli. L'épouvante est partout la même, mais les symptômes en sont différents. Les unes s'arrachent les cheveux, les autres tombent sans connaissance ; celle-ci pleure et se tait ; celle-là appelle en vain sa mère ; d'autres poussent des sanglots, d'autres restent plongées dans la stupeur. L'une demeure immobile, l'autre fuit. Les Romains cependant entraînent les jeunes filles, douce proie destinée à leur couche, et plus d'une s'embellit encore de sa frayeur même. Si quelqu'une se montre trop rebelle et refuse de suivre son ravisseur, il l'enlève, et la pressant avec amour sur son sein : «Pourquoi, lui dit-il, ternir ainsi par des pleurs l'éclat de tes beaux yeux ? Ce que ton père est pour ta mère, moi, je le serai pour toi...»

O Romulus ! toi seul as su dignement récompenser tes soldats. A ce prix, je m'enrôlerais volontiers sous tes drapeaux. Depuis, fidèles à cette coutume antique, les théâtres n'ont pas cessé, jusqu'à ce jour, de tendre des pièges à la beauté.

N'oublie pas l'arène où de généreux coursiers disputent le prix de la course ; ce cirque, où se rassemble un peuple immense, est très favorable aux amours. Là, pour exprimer tes secrets sentiments, tu n'as pas besoin de recourir au langage des doigts, ou d'épier les signes, interprètes des pensées de ta belle. Assieds-toi près d'elle, côte à côte, le plus près que tu pourras : rien ne s'y oppose ; le peu d'espace te force à la presser, et lui fait, heureusement pour toi, une loi de le souffrir. Cherche alors un motif pour lier conversation avec elle, et ne lui tiens d'abord que les propos usités en pareil cas. Des chevaux entrent dans le cirque ? demande-lui le nom de leur maître ; et, quel que soit celui qu'elle favorise, range-toi aussitôt de son parti. Mais, lorsqu'en pompe solennelle s'avanceront les statues d'ivoire des dieux de la patrie, applaudis avec enthousiasme à Vénus, ta protectrice.

Si, par un hasard assez commun, un grain de poussière volait sur le sein de ta belle, enlève-le d'un doigt léger ; s'il n'y a rien, ôte-le toujours : tout doit servir de prétexte à tes soins officieux. Le pan de sa robe traîne-t-il à terre ? relève-le, et fais en sorte que rien ne le puisse salir. Déjà, pour prix de ta complaisance, peut-être t'accordera-t-elle la faveur d'apercevoir sa jambe. Tu dois en outre faire attention aux spectateurs assis derrière elle, de peur qu'un genou trop avancé ne touche à ses tendres épaules. Un rien suffit pour gagner ces esprits légers. Que d'amants ont réussi près d'une belle, en arrangeant un coussin d'une main prévenante, en agitant l'air autour d'elle avec un éventail, ou en plaçant un tabouret sous ses pieds délicats !

Toutes ces occasions de captiver une belle, tu les trouveras aux jeux du cirque, aussi bien qu'au forum, cette arène qu'attristent les soucis de la chicane. Souvent l'Amour se plaît à y combattre. Là tel qui regardait les blessures d'autrui s'est senti blessé lui-même ; et tandis qu'il parle, qu'il parie pour tel ou tel athlète, qu'il touche la main de son adversaire, et que, déposant le gage du pari, il s'informe du parti vainqueur, un trait rapide le transperce ; il pousse un gémissement ; et, d'abord simple spectateur du combat, il en devient une des victimes.

N'est-ce pas ce qu'on a vu naguère, lorsque César nous offrit l'image d'un combat naval, où parurent les vaisseaux des Perses luttant contre ceux d'Athènes ? A ce spectacle la jeunesse des deux sexes accourut des rivages de l'un et de l'autre océan : Rome, en ce jour, semblait être le rendez-vous de l'univers. Qui de nous, dans cette foule immense, n'a pas trouvé un objet digne de son amour ? Combien, hélas ! furent brûlés d'une flamme étrangère !
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:21

Mais César se dispose à achever la conquête du monde. Contrées lointaines de l'Aurore, vous subirez nos lois ; tu seras puni, Parthe insolent ! Mânes des soldats de Crassus, réjouissez-vous ! et vous, aigles romaines, honteuses d'être encore aux mains des Barbares, votre vengeur s'avance ! A peine à ses premières armes, il promet un héros ; enfant, il dirige déjà des guerres interdites à l'enfance. Esprits timides, cessez de calculer l'âge des dieux : la vertu, dans les Césars, n'attend pas les années. Leur céleste génie devance les temps, et s'indigne, impatient des lenteurs d'un tardif accroissement. Hercule n'était encore qu'un enfant, et déjà ses mains étouffaient des serpents : il fut, dès son berceau, le digne fils de Jupiter. Et toi, toujours brillant des grâces de l'enfance, Bacchus, que tu fus grand à cet âge, lorsque l'Inde trembla devant tes thyrses victorieux !

Jeune Caïus, c'est sous les auspices de ton père, c'est animé du même courage que tu prendras les armes ; et tu vaincras sous les auspices et avec le courage de ton père : un tel début convient au grand nom que tu portes. Aujourd'hui prince de la jeunesse, tu le seras un jour des vieillards. Frère généreux, venge l'injure faite à tes frères ; fils reconnaissant, défends les droits de ton père. C'est ton père, c'est le père de la patrie qui t'a mis les armes à la main, tandis que ton ennemi a violemment arraché le trône à l'auteur de ses jours. La sainteté de ta cause triomphera de ses flèches parjures : la justice et la piété se rangeront sous tes drapeaux. Déjà vaincus par le Droit, que les Parthes le soient aussi par les armes ; et que mon jeune héros aux richesses du Latium ajoute celles de l'Orient ! Mars, son père, et toi, César, son père aussi, soyez ses dieux tutélaires ! l'un de vous est déjà dieu, l'autre un jour doit l'être. Je lis dans l'avenir : oui, tu vaincras, Caïus ; mes vers acquitteront les voeux que je fais pour ta gloire, et s'élèveront pour te chanter, au ton le plus sublime. Je te peindrai debout, animant tes phalanges au combat. Puissent alors mes vers ne pas être indignes de ton courage ! Je dirai le Parthe tournant le dos, et le Romain opposant sa poitrine aux traits que l'ennemi lui lance en fuyant. Toi qui fuis pour vaincre, ô Parthe, que laisses-tu à faire au vaincu ? Parthe, désormais pour toi Mars n'a plus que de funestes présages.

Il viendra donc, ô le plus beau des mortels, ce jour où, brillant d'or et traîné par quatre chevaux blancs, tu t'avanceras dans nos murs ! Devant toi marcheront, le cou chargé de chaînes, les généraux ennemis : ils ne pourront plus, comme naguère, chercher leur salut dans la fuite. Les jeunes garçons, avec les jeunes filles, assisteront joyeux à ce spectacle, et ce jour épanouira tous les coeurs.

Alors, si quelque belle te demande le nom des rois vaincus ; quels sont ces pays, ces montagnes, ces fleuves dont on porte en trophée les images, il faut répondre à tout, prévenir même ses questions, affirmer avec assurance ce que tu ne sais pas, comme si tu le savais à merveille. Voici l'Euphrate, au front ceint de roseaux ; ce vieillard à la chevelure azurée, c'est le Tigre ; ceux-là..., suppose que ce sont les Arméniens. Cette femme représente la Perside, où naquit le fils de Danaé. Cette ville s'élevait naguère dans les vallées de l'Achéménie ; ce captif, cet autre, étaient des généraux ; et, ce disant, tu les désigneras par leurs noms, si tu le peux, ou, s'ils te sont inconnus, par quelque nom qui leur convienne.

La table et les festins offrent aussi près des belles un facile accès, et le plaisir de boire n'est pas le seul qu'on y trouve. Là, souvent l'Amour, aux joues empourprées, presse dans ses faibles bras l'amphore de Bacchus. Dès que ses ailes sont imbibées de vin, Cupidon, appesanti, reste immobile à sa place. Mais bientôt il secoue ses ailes humides, et malheur à celui dont le coeur est atteint de cette brûlante rosée ! Le vin dispose le coeur à la tendresse et le rend propre à s'enflammer ; les soucis disparaissent, dissipés par d'abondantes libations. Alors viennent les ris ; alors le pauvre reprend courage et se croit riche. Plus de chagrins, d'inquiétudes ; le front se déride, le coeur s'épanouit, et la franchise, aujourd'hui si rare, en bannit l'artifice. Souvent, à table, les jeunes filles ont captivé notre âme : Vénus dans le vin, c'est le feu dans le feu. Défie-toi alors de la clarté trompeuse des flambeaux. Pour juger de la beauté, la nuit et le vin sont de mauvais conseillers. Ce fut au jour, à la clarté des cieux, que Pâris vit les trois déesses, et dit à Vénus : «Tu l'emportes sur tes deux rivales». La nuit efface bien des taches et cache bien des imperfections ; alors il n'est point de femme laide. C'est en plein jour qu'on juge les pierres précieuses et les étoffes de pourpre ; c'est en plein jour aussi qu'il faut juger le visage et la beauté du corps.

Compterai-je toutes ces réunions propres à la chasse aux belles ? J'aurais plutôt compté les sables de la mer. Parlerai-je de Baïes, de ses rivages toujours couverts de voiles, de ses bains où bouillonne et fume une onde sulfureuse ? Plus d'un baigneur, atteint d'une blessure nouvelle, a dit en la quittant : «Ces eaux vantées ne sont point aussi salubres qu'on le dit». Non loin des portes de Rome, voici le temple de Diane, ombragé par les bois, et cet empire acquis par le glaive et par des luttes sanglantes. Parce qu'elle est vierge, parce qu'elle hait les traits de l'amour, Diane a fait bien des blessures ; et elle en fera bien d'autres encore.

Jusqu'ici ma muse, portée sur un char aux roues inégales, t'a indiqué les lieux ou tu dois tendre tes filets et choisir une maîtresse. Maintenant, je vais t'apprendre par quel art tu captiveras celle qui t'a charmé ; c'est ici le point la plus important de mes leçons. Amants de tous pays, prêtez à ma voix une oreille attentive ; et que mes promesses trouvent un auditoire favorable.

Sois d'abord bien persuadé qu'il n'est point de femmes qu'on ne puisse vaincre, et tu seras vainqueur ; tends seulement tes filets. Le printemps cessera d'entendre le chant des oiseaux, l'été celui de la cigale ; le lièvre chassera devant lui le chien du Ménale, avant qu'une femme résiste aux tendres sollicitations d'un jeune amant. Celle que tu croiras peut-être ne pas vouloir se rendre le voudra secrètement. L'Amour furtif n'a pas moins d'attraits pour les femmes que pour nous. L'homme sait mal déguiser, et la femme dissimule mieux ses désirs. Si les hommes s'entendaient pour ne plus faire les premières avances, bientôt nous verrions à nos pieds les femmes vaincues et suppliantes. Dans les molles prairies, la génisse mugit d'amour pour le taureau ; la cavale hennit à l'approche de l'étalon. Chez nous, l'Amour a plus de retenue, et la passion est moins furieuse. Le feu qui nous brûle ne s'écarte jamais des lois de la nature. Citerai-je Byblis, qui brûla pour son frère d'une flamme incestueuse, et, suspendue à un gibet volontaire, se punit bravement de son crime ? Myrrha, qui conçut pour son père des sentiments trop tendres, et maintenant cache sa honte sous l'écorce qui la couvre ? Arbre odoriférant, les larmes qu'elle distille nous servent de parfums et conservent le nom de cette infortunée.

Un jour, dans les vallées ombreuses de l'Ida couvert de forêts, paissait un taureau blanc, l'orgueil du troupeau. Son front était marqué d'une petite tache noire, d'une seule, entre les deux cornes ; tout le reste de son corps avait la blancheur du lait. Les génisses de Gnosse et de Cydon se disputèrent à l'envi ses caresses. Pasiphaé se réjouissait d'être son amante ; elle voyait d'un oeil jaloux les génisses qui lui semblaient les plus belles. C'est un fait avéré : la Crète aux cent villes, la Crète, toute menteuse qu'elle est, ne peut le nier. On dit que Pasiphaé, d'une main non accoutumée à de pareils soins, dépouillait les arbres de leurs tendres feuillages, les prés de leurs herbes nouvelles, pour les offrir à son cher taureau. Attachée à ses pas, rien ne l'arrête : elle oublie son époux : un taureau l'emporte sur Minos ! Pourquoi, Pasiphaé, te parer de ces habits précieux ? Ton amant connaît-il le prix des richesses ? Pourquoi, le miroir à la main, suivre les troupeaux jusqu'au sommet des montagnes ? Insensée ! Pourquoi sans cesse rajuster ta coiffure ? Ah ! du moins, crois-en ton miroir : il te dira que tu n'es pas une génisse. Oh ! combien tu voudrais que la nature eût armé ton front de cornes ! Si Minos t'est cher encore, renonce à tout amour adultère ; ou, si tu veux tromper ton époux, que ce soit du moins avec un homme. Mais non, transfuge de sa couche royale, elle court de forêts en forêts, pareille à la Bacchante pleine du dieu qui l'agite. Que de fois, jetant sur une génisse des regards courroucés, elle s'écria : «Qu'a-t-elle donc pour lui plaire ? Voyez comme à ses côtés elle bondit sur l'herbe tendre ! l'insensée ! elle croit sans doute en paraître plus aimable». Elle dit ; et, par son ordre, arrachée du nombreux troupeau, l'innocente génisse allait courber sa tête sous le joug, ou, dans un faux sacrifice, tomber aux pieds des autels ; puis la cruelle touchait avec joie les entrailles de sa rivale. Que de fois, immolant de semblables victimes, elle apaisa le prétendu courroux des dieux, et tenant en main de pareils trophées : «Allez maintenant, dit-elle, allez plaire à mon amant !» Tantôt, elle voudrait être Europe ; tantôt, elle envie le sort d'Io : l'une, parce qu'elle fut génisse, l'autre, parce qu'un taureau la porta sur son dos. Cependant, abusé par le simulacre d'une vache d'érable, le roi du troupeau couvrit Pasiphaé ; et le fruit qu'elle mit au jour trahit l'auteur de sa honte.

Si cette autre Crétoise eût su se défendre d'aimer Thyeste (mais qu'il est difficile à une femme de ne plaire qu'à un seul homme !), Phébus, au milieu de sa course, n'eût point fait rebrousser chemin à ses coursiers, et ramené son char du couchant à l'aurore. La fille de Nisus, pour avoir dérobé à son père le cheveu fatal, tomba de la poupe d'un vaisseau, et fut transformée en oiseau. Echappé sur terre à la colère de Mars, et sur mer à celle de Neptune, le fils d'Atrée périt sous le poignard de sa cruelle épouse.Qui n'a donné des larmes aux amours de Créuse de Corinthe ? Qui n'a détesté les fureurs de Médée, de cette mère souillée du sang de ses enfants ? Les yeux de Phénix, privés de la lumière, versèrent des larmes. Et vous, coursiers d'Hippolyte, dans votre épouvante, vous mîtes en pièces le corps de votre maître ! Phinée, pourquoi crever les yeux de tes fils innocents ? Le même châtiment va retomber sur ta tête. Tels sont, chez les femmes, les excès d'un amour effréné ; plus ardentes que les nôtres, leurs passions sont aussi plus furieuses.

Courage donc ! présente-toi au combat avec la certitude de vaincre ; et, sur mille femmes, une à peine pourra te résister. Qu'une belle accorde ou refuse une faveur, elle aime qu'on la lui demande. Fusses-tu repoussé, un tel refus est pour toi sans danger. Mais pourquoi un refus ? On ne résiste pas aux attraits d'un plaisir nouveau. Le bien d'autrui nous sourit toujours plus que le nôtre : la moisson nous semble toujours plus riche dans le champ du voisin, et son troupeau plus fécond.

Mais ton premier soin doit être de lier connaissance avec la suivante de la belle que tu courtises : c'est elle qui te facilitera l'accès de la maison. Informe-toi si elle a l'entière confiance de sa maîtresse, si elle est la fidèle complice de ses secrets plaisirs. Promesses, prières, n'épargne rien pour la gagner ; ton triomphe alors sera facile ; tout dépend de sa volonté. Qu'elle prenne bien son temps (c'est une précaution qu'observent les médecins) ; qu'elle profite du moment où sa maîtresse est d'une humeur plus facile, plus accessible à la séduction. Ce moment, c'est celui où tout semble lui sourire, où la gaieté brille dans ses yeux comme les épis dorés dans un champ fertile. Quand le coeur est joyeux, quand il n'est point resserré par la douleur, il s'épanouit ; c'est alors que Vénus se glisse doucement dans ses plus secrets replis. Tant qu'Ilion fut plongée dans le deuil, ses armes repoussèrent les efforts des Grecs ; et ce fut dans un jour d'allégresse qu'elle reçut dans ses murs ce cheval aux flancs chargés de guerriers. Choisis encore l'instant où ta belle gémit de l'affront qu'elle a reçu d'une rivale, et fais en sorte qu'elle trouve en toi un vengeur. Le matin, à sa toilette, en arrangeant ses cheveux, la suivante irritera son courroux ; pour te servir, elle s'aidera de la voile et de la rame, et dira tout bas, en soupirant : «Je doute que vous puissiez rendre la pareille à l'ingrat qui vous trahit». C'est l'instant propice pour parler de toi. Qu'elle emploie en ta faveur les discours les plus persuasifs ; qu'elle jure que tu meurs d'un amour insensé. Mais il faut se hâter, de peur que le vent ne se retire et ne laisse retomber les voiles. Semblable à la glace fragile, le courroux d'une belle est de courte durée.

Mais, diras-tu, ne serait-il pas à propos d'avoir d'abord les faveurs de la suivante ? Cette façon d'agir est très chanceuse. Il est telle suivante que ce moyen rendra plus soigneuse de tes intérêts, telle autre dont il ralentira le zèle. L'une te ménagera les faveurs de sa maîtresse ; l'autre te gardera pour elle-même. L'événement seul peut en décider. En admettant qu'elle encourage tes entreprises, mon avis est qu'il vaut mieux s'abstenir. Je n'irai point m'égarer à travers des précipices et des rochers aigus ; la jeunesse qui me suit est en bon chemin avec moi. Si cependant la suivante, quand elle donne ou reçoit un billet, te charme par sa beauté non moins que par son zèle et son empressement, tâche d'abord de posséder la maîtresse ; que la suivante vienne ensuite ; mais ce n'est point par elle que ton amour doit commencer. Seulement je t'avertis, si tu as quelque foi dans l'art que j'enseigne, si les vents ravisseurs n'emportent pas mes paroles à travers les flots de la mer, de ne point tenter l'aventure, à moins de la pousser à bout. Une fois de moitié dans le crime, la suivante ne te trahira point. L'oiseau dont les ailes sont engluées ne peut voler bien loin ; le sanglier se débat en vain dans les filets qui l'enveloppent ; dès qu'il a mordu à l'hameçon, le poisson ne saurait s'en déprendre. Pour toi, pousse ton attaque jusqu'à bonne fin, et ne t'éloigne qu'après la victoire. Alors, complice de ta faute, elle n'osera te trahir ; et, par elle, tu sauras tout ce que fait et dit ta maîtresse. Mais surtout sois discret ; si tu caches bien tes intelligences avec la suivante, tout ce que fait ta belle n'aura plus pour toi de mystères.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:21

C'est une erreur de croire que les cultivateurs et les pilotes doivent seuls consulter le temps. Comme il ne faut pas en toute saison confier la semence à une terre qui peut tromper nos voeux, ni livrer aux hasards de la mer un faible navire, de même il n'est pas toujours sûr d'attaquer une jeune beauté. Souvent on parvient mieux à son but en attendant une occasion plus propice. Evite, par exemple, le jour de sa naissance, ou celui des calendes, que Vénus se plaît à prolonger pour Mars, son amant. Quand le cirque est orné, non pas comme autrefois de figures en relief, mais des dépouilles des rois vaincus, alors il faut différer ; alors approchent et le triste hiver et les Pléiades orageuses ; alors le Chevreau craintif se plonge dans l'Océan. C'est le moment du repos. Quiconque ose affronter alors les dangers de la mer peut à peine se sauver avec les débris de son vaisseau naufragé. Attends, pour tenter un premier essai, ce jour à jamais funeste où le sang des Romains rougit les flots de l'Allia, ou bien encore ce jour consacré au repos, que fête chaque semaine l'habitant de la Palestine. Que l'anniversaire de la naissance de ton amie t'inspire une sainte horreur, et regarde comme néfastes les jours où il faudra lui faire un présent. Tu auras beau chercher à l'éviter, elle t'arrachera quelque cadeau : une femme sait toujours trouver les moyens de s'approprier l'argent d'un amant passionné. Un colporteur à la robe traînante se présentera devant ta maîtresse, toujours prête à acheter, et, devant toi, il étalera toutes ses marchandises ; et la belle, pour te fournir l'occasion de montrer ton bon goût, te priera de les examiner, puis elle te donnera un baiser ; puis enfin elle te suppliera de faire quelque emplette : «Ceci, dit elle, me suffira pour plusieurs années ; j'en ai besoin aujourd'hui, et vous ne pourrez jamais acheter plus à propos». En vain tu allègueras que tu n'as pas chez toi l'argent nécessaire pour cet achat : on te demandera un billet, et tu regretteras alors de savoir écrire. Combien de fois encore lui faudrait-il quelque cadeau pour le jour de sa naissance ! Et cet anniversaire se renouvellera aussi souvent que ses besoins. Combien de fois, désolée d'une perte imaginaire, viendra-t-elle, les yeux en pleurs, se plaindre d'avoir perdu la pierre précieuse qui ornait son oreille ! car c'est ainsi qu'elles font. Elles vous demandent une foule de choses qu'elles doivent vous rendre plus tard ; mais une fois qu'elles les tiennent, vous les réclamez en vain. C'est autant de perdu pour vous, sans qu'on vous en ait la moindre obligation. Quand j'aurais dix bouches et autant de langues je ne pourrais suffire à énumérer tous les manèges infâmes de nos courtisanes.

Tâte d'abord le terrain par un billet doux écrit sur des tablettes artistement polies. Que ce premier message lui apprenne l'état de ton coeur ; qu'il lui porte les compliments les plus gracieux et les douces paroles à l'usage des amants ; et, quel que soit ton rang, ne rougis pas de descendre aux plus humbles prières. Touché de ses prières, Achille rendit à Priam les restes d'Hector. La colère même des dieux cède aux accents d'une voix suppliante. Promettez, promettez, cela ne coûte rien ; tout le monde est riche en promesses. L'espérance, lorsqu'on y ajoute foi, fait gagner bien du temps ; c'est une déesse trompeuse, mais on aime à être trompé par elle. Si tu donnes quelque chose à ta belle, tu pourras être éconduit par intérêt : elle aura profité de tes largesses passées et n'aura rien perdu. Aie toujours l'air d'être sur le point de donner, mais ne donne jamais. C'est ainsi qu'un champ stérile trompe souvent l'espoir de son maître ; qu'un joueur ne cesse de perdre dans l'espoir de ne plus perdre, et que le sort chanceux tente sa main cupide. Le grand art, le point difficile, c'est d'obtenir les premières faveurs d'une belle sans lui avoir fait encore aucun présent : alors, pour ne pas perdre le prix de ce qu'elle a donné, elle ne pourra plus rien refuser. Qu'il parte donc ce billet conçu dans les termes les plus tendres ; qu'il sonde ses dispositions et te fraye le chemin de son coeur. Quelques lettres, tracées sur un fruit, trompèrent la jeune Cydippe ; et l'imprudente, en les lisant, se trouva prise par ses propres paroles.

Jeunes Romains, suivez mes conseils. Livrez-vous à l'étude des belles-lettres ; non pas seulement pour devenir les protecteurs de l'accusé tremblant : aussi bien que le peuple, que le juge austère, aussi bien que les sénateurs, cette élite des citoyens, la beauté se laisse vaincre par l'éloquence. Mais cache bien tes moyens de séduction, et ne va pas tout d'abord étaler ta faconde. Que toute expression pédantesque soit bannie de tes tablettes. Quel autre qu'un sot peut écrire à sa maîtresse sur le ton d'un déclamateur ? Souvent une lettre prétentieuse fut une cause suffisante d'antipathie. Que ton style soit naturel, ton langage simple, mais insinuant ; et qu'en te lisant on croie t'entendre. Si elle refuse ton billet et te le renvoie sans le lire, espère toujours qu'elle le lira et persiste dans ton entreprise. L'indomptable taureau s'accoutume au joug avec le temps, avec le temps on force le coursier rétif à obéir au frein. Un anneau de fer s'use par un frottement sans cesse renouvelé, et le soc est rongé chaque jour par la terre qu'il déchire. Quoi de plus solide que le rocher, de moins dur que l'eau ? cependant l'eau creuse les rocs les plus durs. Persiste donc, et avec le temps tu vaincras Pénélope elle-même. Troie résista longtemps, mais fut prise à la fin. Elle te lit sans vouloir te répondre ? libre à elle. Fais seulement en sorte qu'elle continue à lire tes billets doux. Puisqu'elle a bien voulu les lire, elle voudra bientôt y répondre. Tout viendra par degrés et en son temps. Peut-être recevras-tu d'abord une fâcheuse réponse, par laquelle on t'ordonnera de cesser tes poursuites. Elle craint ce qu'elle demande, et désire que tu persistes, tout en te priant de n'en rien faire. Poursuis donc ; et bientôt tu seras au comble de tes voeux.

Cependant, si tu rencontres ta maîtresse couchée dans sa litière, approche-toi d'elle, comme sans y penser ; et, de peur que vos paroles n'arrivent à des oreilles indiscrètes, explique-toi, autant que possible, d'une manière équivoque. Dirige-t-elle ses pas incertains sous quelque portique ? tu dois t'y promener avec elle. Tantôt hâte-toi de la devancer ; tantôt, ralentissant ta marche, suis de loin ses pas. Ne rougis pas de sortir de la foule et de passer d'une colonne à l'autre pour te trouver à ses côtés. Ne souffre pas surtout que, sans toi, elle se montre au théâtre dans tout l'éclat de sa beauté. Là, ses épaules nues t'offriront un spectacle charmant. Là, tu pourras la contempler, l'admirer à loisir; là, tu pourras lui parler du geste et du regard. Applaudis l'acteur qui représente une jeune fille ; applaudis encore plus celui qui joua le rôle de l'amant. Se lève-t-elle, lève-toi ; tant qu'elle est assise, reste assis ; et sache perdre ton temps au gré de son caprice.

D'ailleurs renonce au futile plaisir de friser tes cheveux avec le fer chaud, ou de lisser ta peau avec la pierre-ponce. Laisse de pareils soins à ces prêtres efféminés qui hurlent sur le mode phrygien des chants en l'honneur de Cybèle. Une simplicité sans art est l'ornement qui convient à l'homme. Thésée, sans ajuster sa chevelure, se fit aimer d'Ariane ; Phèdre brilla pour Hippolyte, quoique sa parure fût simple ; Adonis, cet hôte sauvage des forêts, gagna le coeur d'une déesse. Aime la propreté. Ne crains pas de hâler ton teint aux exercices du Champ de Mars. Que tes vêtements, bien faits, soient exempts de taches. Ne laisse point d'aspérités sur ta langue, point de tartre sur l'émail de tes dents. Que ton pied ne nage pas dans une chaussure trop large. Que tes cheveux, mal taillés, ne se hérissent pas sur ta tête ; mais qu'une main savante coupe et ta chevelure et ta barbe. Que tes ongles soient toujours nets et polis ; que l'on ne voie aucun poil sortir de tes narines ; surtout que ton haleine n'infecte pas l'air autour de toi, et prends garde de blesser l'odorat par cette odeur fétide qu'exhale le mâle de la chèvre. Quant aux autres détails de la toilette, abandonne-les aux jeunes coquettes, ou à ces hommes qui recherchent les honteuses faveurs d'autres hommes.

Mais voici que Bacchus appelle son poète ; favorable aux amants, il protège les feux dont il brûla lui-même.

Ariane errait éperdue sur les plages désertes de l'île de Naxos, toujours battue des flots de la mer. A peine échappée au sommeil, elle n'était vêtue que d'une tunique flottante ; ses pieds étaient nus, sa blonde chevelure flottait en désordre sur ses épaules, et des torrents de larmes inondaient ses joues. Elle redemandait aux flots le cruel Thésée ; les flots restaient sourds à ses cris. Elle criait et pleurait à la fois ; mais (heureux privilège de la beauté !) ses cris et ses pleurs ajoutaient encore à ses charmes. «Le perfide ! disait-elle en se frappant le sein, il me fuit ! que vais-je devenir ? hélas ! quel sera mon sort ?» Elle dit ; et soudain les cymbales et les tambours qu'agitent des mains frénétiques font retentir au loin le rivage. Frappée d'effroi, elle tombe en prononçant quelques mots entrecoupés, et son sang a fui de ses veines glacées. Mais voici venir les Bacchantes échevelées et les Satyres légers, avant-coureurs du dieu des vendanges.

Voici le vieux Silène, toujours ivre. Suspendu à la crinière de son âne, qui plie sous le faix, il peut à peine se soutenir. Tandis qu'il poursuit les Bacchantes, qui fuient et l'agacent en même temps, et qu'il presse du bâton les flancs du quadrupède aux longues oreilles, l'inhabile cavalier tombe la tête la première. Aussitôt les Satyres de lui crier : «Relevez-vous, père Silène, relevez-vous !»

Cependant, du haut de son char couronné de pampres, le dieu guide avec des rênes d'or les tigres qu'il a domptés. Ariane, en perdant Thésée, a perdu la couleur et la voix. Trois fois elle veut fuir, trois fois la crainte enchaîne ses pas. Elle frémit, elle tremble, comme la paille légère ou les roseaux flexibles qu'agite le moindre vent. Mais le dieu : «Bannis, lui dit-il, toute frayeur ; tu retrouves en moi un amant plus tendre, plus fidèle que Thésée. Fille de Minos , tu seras l'épouse de Bacchus. Pour récompense je t'offre le ciel ; astre nouveau, ta couronne brillante y servira de guide au pilote incertain». A ces mots, il s'élance de son char dont les tigres auraient pu effrayer Ariane ; la terre s'incline sous ses pas ; pressant sur son sein la princesse éperdue, il l'enlève. Et comment eût-elle résisté ? un dieu ne peut-il pas tout ce qu'il veut ? Tandis qu'une partie du cortège entonne des chants d'hyménée, et que l'autre crie : Evohé ! Evohé ! le dieu et sa jeune épouse consomment le sacrifice nuptial.

Lors donc que tu seras assis à un festin embelli des dons de Bacchus, et qu'une femme aura pris place auprès de toi sur le même lit, prie ce dieu, dont les mystères se célèbrent pendant la nuit, de garantir ton cerveau des vapeurs nuisibles du vin. C'est là que tu pourras, à mots couverts, adresser à ta belle de tendres discours, dont sans peine elle devinera le sens. Une goutte de vin te suffira pour tracer sur la table de doux emblèmes où elle lira la preuve de ton amour. Que tes yeux alors fixés sur ses yeux achèvent de lui dévoiler ta flamme. Sans la parole, le visage a souvent sa voix et son éloquence. Empare-toi le premier de la coupe qu'ont touchée ses lèvres, et du côté où elle a bu, bois après elle. Saisis les mets que ses doigts ont effleurés, et qu'en même temps ta main rencontre la sienne.

Tâche aussi de plaire au mari de la belle ; rien ne sera plus utile à tes desseins que son amitié. Si le sort, te favorisant, te donne la royauté du festin, aie soin de la lui céder ; ôte ta couronne pour en orner sa tête. Qu'il soit ton inférieur ou ton égal, n'importe, laisse-le se servir le premier, et, dans la conversation, n'hésite pas à prendre le second rôle. Le moyen le plus sûr et le plus commun de tromper, c'est d'emprunter le nom de l'amitié ; mais, quoique sûr et commun, ce moyen n'en est pas moins un crime. En amour, le mandataire va souvent plus loin que son mandat, et se croit autorisé à dépasser les ordres qu'il a reçus.

Je vais te prescrire la juste mesure que tu dois observer en buvant. Que ton esprit et tes pieds gardent toujours leur équilibre ; évite surtout les querelles qu'engendre le vin, et ne sois pas trop prompt au combat. N'imite pas cet Eurytion qui mourut sottement pour avoir trop bu. La table et le vin ne doivent inspirer qu'une douce gaieté. Si tu as de la voix, chante ; si tes membres sont flexibles, danse ; enfin, ne néglige aucun de tes moyens de plaire. Une ivresse véritable inspire le dégoût ; une ivresse feinte peut avoir son utilité. Que ta langue rusée bégaie comme avec peine des sons inarticulés, afin que tout ce que tu feras ou diras d'un peu libre trouve son excuse dans de trop fréquentes libations. Fais hautement des souhaits pour ta maîtresse, fais-en pour celui qui partage sa couche ; mais, au fond du coeur, maudis son époux. Lorsque les convives quitteront la table, le mouvement qui en résulte t'offrira un facile accès près de ta belle. Mêlé dans la foule, approche-toi d'elle doucement, de tes doigts serre sa taille, et de ton pied va chercher le sien.

Mais voici l'instant de l'entretien. Loin d'ici, rustique pudeur ! la Fortune et Vénus secondent l'audace. Ne compte pas sur moi pour t'enseigner les lois de l'éloquence ; songe seulement à commencer, et l'éloquence te viendra sans que tu la cherches. Il faut jouer le rôle d'amant ; que tes discours expriment le mal qui te consume, et ne néglige aucun moyen pour persuader ta belle. Il n'est pas bien difficile de se faire croire ; toute femme se trouve aimable ; et la plus laide est contente de la beauté qu'elle croit avoir. Que de fois d'ailleurs celui qui d'abord faisait semblant d'aimer finit par aimer sérieusement, et passa de la feinte à la réalité ! Jeunes beautés, montrez-vous plus indulgentes pour ceux qui se donnent les apparences de l'amour ; cet amour, d'abord joué, va devenir sincère.

Tu peux encore, par d'adroites flatteries, t'insinuer furtivement dans son coeur, comme le ruisseau couvre insensiblement la rive qui le dominait. N'hésite point à louer son visage, ses cheveux, ses doigts arrondis et son pied mignon. La plus chaste est sensible à l'éloge qu'on fait de sa beauté, et le soin de ses attraits occupe même la vierge encore novice. Pourquoi, sans cela, Junon et Pallas rougiraient-elles encore aujourd'hui de n'avoir point obtenu le prix décerné à la plus belle dans les bois du mont Ida ? Voyez ce paon. Si vous louez son plumage, il étale sa queue avec orgueil ; si vous le regardez en silence, il en cache les trésors. Le coursier, dans la lutte des chars, aime les applaudissements donnés à sa crinière bien peignée et à sa fière encolure. Ne sois point timide dans tes promesses : ce sont les promesses qui entraînent les femmes. Prends tous les dieux à témoin de ta sincérité. Jupiter, du haut des cieux, rit des parjures d'un amant, et les livre, comme un jouet, aux vents d'Eole pour les emporter. Que de fois il jura faussement par le Styx d'être fidèle à Junon ! son exemple nous rassure et nous encourage.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:21

Il importe qu'il y ait des dieux, comme il importe d'y croire. Prodiguons sur leurs autels antiques et l'encens et le vin. Les dieux ne sont pas plongés dans un repos indolent et semblable au sommeil. Vivez dans l'innocence, car ils ont les yeux sur vous. Rendez le dépôt qui vous fut confié ; suivez les lois que la piété vous prescrit ; bannissez la fraude ; que vos mains soient pures de sang humain. Si vous étes sages, ne vous jouez que des jeunes filles ; vous pouvez le faire impunément, en observant dans tout le reste la bonne foi. Trompez des trompeuses. Les femmes, pour la plupart, sont une race perfide. Qu'elles tombent dans les pièges qu'elles-mêmes ont dressés.

L'Egypte, dit-on, privée des pluies nourricières qui fertilisent ses campagnes, avait éprouvé neuf années de sécheresse continuelle. Thrasius vient trouver Busiris, et lui découvrit un moyen d'apaiser Jupiter. «C'est, dit-il, de répandre sur ses autels le sang d'un hôte étranger. - Tu seras, lui répond Busiris, la première victime offerte à ce dieu ; tu seras l'hôte étranger à qui l'Egypte sera redevable de l'eau céleste». Phalaris fit aussi brûler le féroce Perillus dans le taureau d'airain qu'il avait fabriqué, et le malheureux inventeur arrosa de son sang l'ouvrage de ses mains ! Ce fut une double justice. Quoi de plus juste, en effet, que de faire périr par leur propre invention ces artisans de supplices ? Parjure pour parjure, c'est la règle de l'équité. La femme abusée ne doit s'en prendre qu'à elle-même de la trahison dont elle donna l'exemple.

Les larmes sont aussi fort utiles en amour ; elles amolliraient le diamant. Tâche donc que ta maîtresse voie tes joues baignées de larmes. Si cependant tu n'en peux verser (car on ne les a pas toujours à commandement), mouille alors tes yeux avec la main. Quel amant expérimenté ignore combien les baisers donnent de poids aux douces paroles ? Ta belle s'y refuse ; prends-les malgré ses refus. Elle commencera peut-être par résister : «Méchant !» dira-t-elle. Mais, tout en résistant, elle désire succomber. Seulement, ne va pas, par de brutales caresses, blesser ses lèvres délicates, et lui donner sujet de se plaindre de ta rudesse. Après un baiser pris, si tu ne prends pas le reste, tu mérites de perdre les faveurs même qui te furent accordées. Que te manquait-il, dès lors, pour l'accomplissement, de tous tes voeux ? Quelle pitié ! ce n'est pas la pudeur qui t'a retenu ; c'est une stupide maladresse. - C'eût été lui faire violence, dis-tu ? - Mais cette violence plaît aux belles, ce qu'elles aiment à donner, elles veulent encore qu'on le leur ravisse. Toute femme, prise de force dans l'emportement de la passion, se réjouit de ce larcin : nul présent n'est plus doux à son coeur. Mais lorsqu'elle sort intacte d'un combat où on pouvait la prendre d'assaut, en vain la joie est peinte sur son visage, la tristesse est dans son coeur. Phoebé fut violée ; Ilaïre, sa soeur, le fut aussi ; cependant l'une et l'autre n'en aimèrent pas moins leurs ravisseurs.

Une histoire bien connue, mais qui mérite d'être racontée, c'est la liaison de la fille du roi de Scyros avec le fils de Thétis. Déjà Vénus avait récompensé Pâris de l'hommage rendu à sa beauté, lorsque, sur le mont Ida, elle triompha de ses deux rivales ; déjà, une nouvelle bru était venue d'une contrée lointaine dans la famille de Priam, et les murs d'Ilion renfermaient l'épouse du roi de Sparte. Tous les princes grecs juraient de venger l'époux outragé : car l'injure d'un seul était devenue la cause de tous. Achille cependant (quelle honte, s'il n'eût en cela cédé aux prières de sa mère !), Achille avait déguisé son sexe sous les longs vêtements d'une fille. Que fais-tu, petit-fils d'Eacus ? tu t'occupes à filer la laine ! Est-ce là l'ouvrage d'un homme ? C'est par un autre art de Pallas que tu dois trouver la gloire. A quoi bon ces corbeilles ? ton bras est fait pour porter le bouclier. Pourquoi cette quenouille dans la main qui doit terrasser Hector ? jette loin de toi ces fuseaux, et que cette main rigoureuse brandisse la lance Pélias. Un jour, le même lit avait réuni, par hasard, Achille et la princesse de Scyros, quand la violence qu'elle subit lui dévoila tout à coup le sexe de sa compagne. Elle ne céda sans doute qu'à la force : je me plais à le croire. Mais enfin elle ne fut pas fâchée que la force triomphât. «Reste», lui disait-elle souvent, lorsque Achille impatient de partir avait déjà déposé la quenouille pour saisir ses armes redoutables. Où donc est cette prétendue violence ? Pourquoi, Déidamie, retenir d'une voix caressante l'auteur de ta honte ?

Oui, si la pudeur ne permet pas à la femme de faire les avances, en revanche c'est un plaisir pour elle de céder aux attaques de son amant. Certes, il a une confiance trop présomptueuse dans sa beauté, le jeune homme qui se flatte qu'une femme fera la première demande. C'est à lui de commencer, à lui d'employer les prières ; et ses tendres supplications seront bien accueillies par elle. Demandez pour obtenir. Elle veut seulement qu'on la prie. Explique-lui la cause et l'origine de ton amour. Jupiter abordait en suppliant les anciennes héroïnes ; et, malgré sa grandeur, aucune ne vint à lui la première, tout Jupiter qu'il était. Si cependant on ne répond à tes prières que par un orgueilleux dédain, n'insiste pas davantage, et reviens sur tes pas. Bien des femmes désirent ce qui leur échappe, et détestent ce qu'on leur offre avec instance. Sois moins pressant, et tu cesseras d'être importun. Il ne faut pas manifester l'espoir d'un prochain triomphe ; que l'Amour s'introduise auprès d'elle sous le voile de l'amitié. J'ai vu plus d'une beauté farouche être dupe de ce manège, et son ami devenir bientôt son amant.

Un teint blanc ne sied point à un marin ; l'eau de la mer et les rayons du soleil ont dû hâler son visage. Il ne sied point non plus au laboureur qui, sans cesse exposé aux injures de l'air, remue la terre avec la charrue ou les pesants râteaux. Et vous qui, dans la lutte, briguez la couronne de l'olivier, une peau trop blanche vous serait une honte. De même tout amant doit être pâle. La pâleur est le symptôme de l'Amour, c'est la couleur qui lui convient. Que, dupe de ta pâleur, ta maîtresse prenne un tendre intérêt à ta santé. Orion était pâle, lorsqu'il suivait Lyrice dans les bois ; Daphnis, épris d'une indifférente Naïade, était pâle aussi. Que ta maigreur décèle encore les tourments de ton âme ; ne rougis pas même de couvrir ta brillante chevelure du voile des malades. Les veilles, les soucis et les chagrins qu'engendre un violent amour maigrissent un jeune homme. Pour voir combler tes voeux, ne crains pas d'exciter la pitié, et qu'en te voyant chacun s'écrie : «Tu aimes».

Maintenant, dois-je garder le silence, ou me plaindre de voir partout la vertu confondue avec le crime ? L'amitié, la bonne foi ne sont plus que de vains mots. Hélas ! tu ne pourrais sans danger vanter à ton ami l'objet de ton amour. S'il croit à tes éloges, il devient aussitôt ton rival. Mais, dira-t-on, le petit-fils d'Actor ne souilla point le lit d'Achille ; Phèdre ne fut point infidèle, du moins en faveur de Pirithoüs ; Pylade aimait Hermione d'un amour aussi chaste que celui de Phébus pour Pallas, que celui de Castor et de Pollux pour Hélène, leur soeur. Compter sur un pareil prodige, c'est se flatter de cueillir des fruits sur la stérile bruyère, ou de trouver du miel au milieu d'un fleuve. Le crime a tant d'appas ! chacun ne songe qu'à son propre plaisir ; et celui que l'on goûte aux dépens du bonheur d'autrui n'en a que plus d'attraits. O honte ! ce n'est pas son ennemi qu'un amant doit craindre. Pour être à l'abri du danger, fuis ceux même qui te paraissent le plus dévoués. Méfie-toi d'un parent, d'un frère, d'un tendre ami : ce sont eux qui doivent t'inspirer les craintes les plus fondées.

J'allais finir ; mais je dois dire que toutes les femmes n'ont pas la même humeur ; il est, pour répondre aux mille différences de caractère qui les distinguent, mille moyens de les séduire. Le même sol ne donne pas toutes sortes de productions. L'un convient à la vigne, l'autre à l'olivier ; celui-ci se couvre de vertes moissons. On voit dans le monde autant d'esprits divers que de visages. Un homme habile saura se plier à cette diversité d'humeurs, semblable à Protée, qui tantôt se transformait en onde légère, tantôt en lion, tantôt en arbre ou en sanglier au poil hérissé. Tel poisson se prend avec le harpon, tel autre avec la ligne, tel enfin reste captif dans les filets du pêcheur. Les mêmes moyens ne réussissent pas toujours. Sache les varier selon l'âge de tes maîtresses. Une vieille biche découvre de plus loin le piège qu'on lui tend. Si tu te montres trop savant auprès d'une beauté novice, ou trop entreprenant auprès d'une prude, elle se défiera de toi et se tiendra sur ses gardes. C'est ainsi que parfois la femme qui craint de se livrer à un honnête homme s'abandonne aux caresses d'un vil manant.

Une partie de ma tâche est achevée ; une autre me reste à remplir. Jetons ici l'ancre qui doit arrêter mon navire.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:22

Les Métamorphoses, XIII

Les chefs étaient assis, et la foule se tenait debout autour d'eux. Le héros au bouclier recouvert de sept peaux, Ajax se lève, frémissant de colère ; il jette sur le rivage de Sigée, sur la flotte, un sombre regard, et, les mains levées vers le ciel : «O Jupiter, s'écrie-t-il, c'est à la vue des vaisseaux que le débat s'agite, et c'est Ulysse qui se compare à moi ! Mais il a fui lâchement devant les feux d'Hector, et moi je les ai bravés, je les ai repoussés loin de cette flotte ! Mieux vaut donc combattre avec de belles paroles que le fer en main ? pour moi, je parle comme Ulysse agit, peu et mal : ma force est dans mon bras, au milieu de la mêlée, et la sienne est dans sa langue. Je n'ai pas besoin, je pense, de vous rappeler ce que j'ai fait, vous l'avez vu ; c'est à Ulysse de vous raconter ses exploits, exploits sans témoins, et dont la nuit seule a le secret. Le prix que je demande est grand sans doute, mais un tel adversaire le ravale ; quelle gloire pour Ajax de l'obtenir, si beau qu'il soit, quand Ulysse a osé y prétendre ! Pour lui, la lutte elle-même est déjà un honneur ; et, après sa défaite, on dira qu'il avait Ajax pour rival. Et d'ailleurs, si l'on pouvait mettre en question mon courage, j'aurais encore le droit de la naissance : moi, fils de Télamon, qui détruisit avec Hercule les murs de Troie, et osa pénétrer sur le vaisseau des Argonautes jusqu'aux rivages de Colchos ; moi, petit-fils d'Eaque, qui juge les ombres silencieuses dans les enfers, où Sisyphe gémit sous le poids de son rocher. Eaque est le fils de Jupiter ; Jupiter est ainsi le bisaïeul d'Ajax. ; mais je ne parlerais pas ici de cette série d'aïeux, si elle ne m'était commune avec Achille : mon père et le sien étaient frères ; c'est comme son héritier que je demande ses armes.

De quel droit le digne descendant de Sisyphe, comme lui perfide et lâche, viendrait-il mêler aux noms des Eacides les noms d'une race étrangère ? Est-ce pour avoir pris les armes le premier, de mon propre mouvement, que l'on me refuserait les armes d'Achille ? Doit-on me préférer celui qui les a prises le dernier, qui a joué la démence pour se soustraire à nos périls ? Plus adroit encore, mais moins jaloux de sa sûreté, Palamède découvrit la fourberie du lâche, et le traîna tout tremblant au combat. Et maintenant il toucherait aux armes d'un héros, celui qui n'osait toucher une épée ! et je serais dédaigné, frustré dans mon droit, moi qui me suis le premier offert au danger ! Plût aux dieux que sa folie eût été réelle ou mieux jouée, qu'il ne fût jamais venu sous les murs de Troie, cet artisan de crimes !

Philoctète, nous ne t'aurions pas abandonné dans Lemnos : là, dit-on, caché dans un antre sauvage, tu émeus les rochers de tes plaintes ; tu appelles sur Ulysse le châtiment qu'il mérite ; et s'il y a des dieux, tu ne l'appelleras pas en vain. Quoi ! un des chefs de la Grèce, lié par les mêmes serments que nous, l'héritier des flèches d'Hercule, rongé par la maladie et par la faim, misérablement vêtu, et nourri du produit de sa chasse, fait en ce moment la guerre à des oiseaux avec les flèches qui doivent être fatales à Ilion ! mais il vit, parce qu'il est resté loin d'Ulysse. Malheureux Palamède, que ne t'avions-nous aussi abandonné ! Tu vivrais, ou du moins tu ne serais pas mort innocent et cru coupable ; ce lâche n'avait que trop bien gardé le souvenir de sa fourberie déjouée : il fit de Palamède un traître ; ce crime imaginaire, il le prouva ; et la preuve était l'or qu'il avait lui-même eu soin d'enfouir. Ainsi, par l'exil ou par la mort, il a soustrait à la Grèce deux de ses plus fermes appuis : voilà les combats d'Ulysse ; voilà comment il se fait craindre.

Il peut être plus éloquent que Nestor lui-même ; mais ses belles paroles ne me feront jamais croire que ce n'est pas un crime d'avoir abandonné Nestor comme il l'a fait. Arrêté par la blessure de son cheval et par le poids des années, le vieillard implorait Ulysse, et le traître prit la fuite : si je mens, Diomède le sait. C'est lui qui retint de force, en le traitant de lâche, son ami éperdu, sourd à la voix qui le rappelait. Mais les dieux sont justes : à son tour le lâche est en péril ; comme il avait délaissé un ami, on pouvait le délaisser : il s'était condamné lui-même. Mais il nous appelait à grands cris : j'arrive, et je le vois étendu par terre, pâle de peur, éperdu, tremblant devant la mort : je lui fis un rempart de mon bouclier ; et, la gloire en est petite, je sauvai la vie d'un poltron. Tu veux lutter contre moi ; eh bien ! retournons à la même place, avec les Troyens autour de nous, avec ta blessure et ta lâcheté ; cache-toi derrière mon bouclier ; et là, ose encore me disputer le prix. Quand je l'eus tiré de la mêlée, sa blessure, qui ne lui avait pas laissé la force de rester debout en présence de l'ennemi, ne l'empêcha pas alors de courir. Hector s'élance, les dieux le suivent ; devant lui les braves eux-mêmes reculent comme Ulysse ; couvert de sang, enivré de carnage, la terreur l'environne : seul, j'attends de pied ferme, et, d'une pierre énorme que je lui lance, je l'étends sur la poussière. Seul, quand il vint demander un rival digne de lui, seul je soutins la lutte ; vous n'aviez pas vainement appelé mon nom : et rappelez-vous l'issue du combat ; Ajax n'est pas resté au-dessous d'Hector. Quand Jupiter lançait sur nos vaisseaux les Troyens, le fer et la flamme, où était-il, Ulysse, le beau parleur ? Comme moi, faisait-il un rempart de son corps aux mille vaisseaux, espoir de votre retour ? Pour tant de vaisseaux, je demande ces armes ; et certes tous leur ferez plus d'honneur qu'à moi-même : leur gloire est liée à celle d'Ajax ; elles ont besoin de lui, et il n'a pas besoin d'elles.

Comparons maintenant les hauts faits du roi d'Ithaque : qu'il nous parle de Rhésus, du lâche Dolon, d'Hélénus, enlevé avec la statue de Pallas : rien à la face du soleil, rien sans le secours de Diomède. Si jamais vous donnez les armes d'Achille à des titres si honteux, faites-en deux parts, et à Diomède la meilleure. Ulysse en a-t-il besoin ? C'est la nuit, et sans armes qu'il agit ; c'est par la ruse qu'il détruit un ennemi sans défense. Ce casque éblouissant ferait découvrir ses pièges et le trahirait dans les ténèbres où il se cache : son front plierait sous le faix ; la forte et lourde lance du héros ne peut convenir à des bras débiles, ni son vaste bouclier, sur lequel l'univers est représenté, à la main d'un poltron et d'un fourbe. Mais, malheureux, ces armes causeraient ta perte, et tu les demandes ! Si l'aveuglement des Grecs te les donnait, loin d'effrayer l'ennemi, elles ne seraient plus pour lui qu'un appât ; et dans une déroute, où tu sais vaincre tout le monde à la course, tu ne pourrais fuir assez vite en traînant cette lourde masse. Va, ton bouclier est encore neuf ; on ne l'a pas vu souvent dans la mêlée ; le mien, criblé de coups, percé à jour, a besoin d'un successeur. Mais à quoi bon tant de paroles ? Voyez-nous faire : jetez au milieu des Troyens les armes du héros ; c'est là qu'il faut aller les prendre ; elles seront à celui qui les rapportera».

Ajax se tait, et ses dernières paroles sont suivies dans la foule d'une courte agitation. Mais Ulysse va répondre ; il est debout, les yeux modestement baissés vers la terre ; enfin il relève son regard vers les juges ; tout le monde prête l'oreille et attend ; il commence, et la grâce embellit son éloquente parole.

«O Grecs, si le ciel avait exaucé vos prières et les miennes, ce grand débat n'aurait pas lieu : tu vivrais, Achille, tu garderais tes armes et nous t'aurions encore avec nous ! Mais puisque les destins jaloux nous l'ont ravi (et il feignait d'essuyer une larme), le légitime héritier d'Achille n'est-il pas celui qui a donné Achille aux Grecs ? Ne faites pas à Ajax un mérite d'être d'un esprit aussi grossier qu'il le paraît ; ne me faites pas un tort du génie inventif qui vous a toujours été si utile ; ne me reprochez pas le talent que je puis avoir pour la parole, s'il me sert aujourd'hui, après vous avoir si souvent servi. Pourquoi chaque homme renoncerait-il à ses avantages ? Mais la naissance, les aïeux, tous ces avantages du hasard sont-ils vraiment les nôtres ? Ajax s'est vanté de descendre de Jupiter, mais Jupiter est aussi un de mes aïeux, et il l'est au même degré : Laërte est fils d'Arcésius, Arcésius l'est de Jupiter, et ces noms ne rappellent ni crime, ni exil. Par ma mère, le dieu de Cyllène ajoute encore à l'éclat de ma race : des deux côtés, le sang d'un dieu coule dans mes veines. Mais ce n'est pas pour un avantage de naissance, et parce que mon père n'a pas tué son frère, que je réclame les armes d'Achille ; voyez mes véritables titres, et jugez. Si Pélée et Télamon étaient frères, que ce ne soit pas un privilége pour Ajax ; ne faites pas de ces dépouilles le prix d'un degré de parenté, mais celui du mérite ; ou si vous regardez au droit du sang, il y a Pyrrhus, fils d'Achille, il y a Pélée, son père : Ajax n'a rien à demander ; portez ces armes à Phthie ou à Scyros. Et Teucer, lui aussi, n'est-il pas le cousin d'Achille ? Réclame-t-il cependant ? Ose-t-il espérer cet héritage ? Nos actions seules doivent peser dans la balance : les miennes sont trop nombreuses pour que je puisse aisément les embrasser toutes dans mon discours, mais l'ordre des faits me guidera.

Pour sauver son fils de la mort prématurée prédite par les destins, Téthys l'avait caché sous l'habillement d'une jeune fille, et la ruse avait trompé tout le monde, Ajax comme les autres. A des ornements de femme, je mêlai des armes qui devaient réveiller l'âme virile du héros ; et dès que je le vis mettre la main sur le bouclier et sur la lance : «Fils d'une déesse, m'écriai-je, Troie est encore debout, elle t'attend pour tomber ; suis-moi, viens renverser la superbe Ilion». Et je m'emparai de lui, et je le forçai de vaincre. Ses exploits m'appartiennent : c'est moi qui ai renversé Télèphe, qui lui ai tendu la main, lorsqu'il était vaincu et suppliant ; c'est moi qui ai pris Thèbes, qui ai conquis les villes d'Apollon, Lesbos, Ténédos, et Chrysès, et Cylla, et Syros ; moi, dont la main a ébranlé dans leurs fondements et jeté par terre les tours de Lyrnesse. Et pour tout dire enfin, celui qui pouvait seul vous délivrer d'Hector, je vous l'ai donné ; grâce à moi, le terrible Hector a mordu la poussière. Pour les armes qui m'ont révélé Achille, je demande ces armes ; vivant, il me les devait ; je les réclame après sa mort.

Rappelez-vous, quand l'injure d'un seul fut devenue celle de toute la Grèce, ces milliers de vaisseaux qui couvraient les rivages d'Aulis, et depuis longtemps retenus par les vents contraires ou par le calme : rappelez-vous l'impitoyable Diane demandant à Agamemnon pour se laisser fléchir le sang de sa fille innocente. Il refusait avec horreur, il maudissait les dieux, car le père vit toujours dans le roi : mais je sus manier l'âme trop aimante du père et la tourner vers l'intérêt de tous. Je le dis maintenant, et Agamemnon pardonnera cet aveu, je plaidais une cause bien difficile, et devant un juge bien partial : et pourtant je fis valoir les intérêts de la Grèce, l'honneur outragé d'un frère, l'éclat du rang suprême ; il céda, il paya sa gloire de son sang. Mais la mère, ces raisons ne pouvaient rien sur son coeur ; il fallait la tromper : qui fut chargé d'aller vers elle ? Ce n'était pas le fils de Télamon ; car la voile pendrait encore inutile à nos mâts. Quel ambassadeur audacieux porta vos plaintes dans Pergame ? Je vis l'assemblée des Troyens, je parus devant elle, elle était nombreuse et imposante : sans trouble, sans effroi, je plaidai la cause que la Grèce m'avait confiée ; j'accusai Pâris, je réclamai Hélène et ses trésors, je vis ébranlés Anténor et Priam. Mais Pâris ; mais ses frères, et tous les complices du rapt se contenaient à peine, et leurs mains demandaient du sang : tu l'as vu, Ménélas, et ce jour fut le premier où ton danger devint le nôtre.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:22

C'est un long récit que celui de tous les services rendus dans le cours de cette longue guerre par ma prudence et par mon épée. Après les premières rencontres, l'ennemi se tint longtemps renfermé dans ses murailles ; la lice des combats était close : elle ne s'ouvrit qu'au bout de dix ans. Que faisais-tu cependant, toi qui ne sais que te battre ? A quoi pouvais-tu servir ? Moi, je dressais des embûches à l'ennemi, je fortifiais le camp, j'inspirais aux Grecs, dégoûtés d'une guerre aussi lente, la force d'attendre avec calme ; j'entretenais l'abondance, j'exerçais les soldats, j'étais partout où un besoin se faisait sentir. Un jour, par l'ordre de Jupiter, et abusé par un songe, le chef de la Grèce ordonne l'abandon de notre pénible entreprise : la volonté de Jupiter est son excuse. Mais Ajax sans doute ne nous permettra pas de fuir avant la ruine de Pergame, il fera tout pour combattre le départ : pourquoi n'arrête-t-il pas les fugitifs ? Pourquoi ne met-il pas l'épée à la main ? Décide-t-il par son exemple la multitude inconstante ? Ce n'était pas trop pour un homme toujours si fier en paroles. Quoi ! et lui aussi il fuit ! Oui, Ajax, je t'ai vu, et j'en rougis pour toi, je t'ai vu tourner le dos et déployer aux vents tes voiles déshonorées. «Que faites-vous, mes amis ? criai-je aux soldats ; quelle folie est la vôtre ? Troie va tomber, et vous voulez partir ? Ne rapporterez-vous d'une guerre de dix ans que la honte ?» La douleur me rendait éloquent, et ma voix eut la puissance de ramener les fugitifs. Agamemnon convoqua les chefs frappés de stupeur ; Ajax lui-même n'osait ouvrir la bouche ; Thersite l'avait osé, et mon bras avait châtié son insolence. Je parlai, je rendis aux Grecs la haine du nom troyen, et leur première valeur ; et si depuis, Ajax, tu as pu montrer parfois quelque courage, l'honneur m'en revient de droit, car tu fuyais, et je t'ai contraint de rester. Enfin, quel est, parmi les Grecs, ton partisan, ton compagnon d'armes ?

Moi du moins, Diomède m'estime ; il m'associe à ses dangers, il ose tout avec Ulysse pour compagnon. C'est quelque chose d'avoir été choisi par Diomède, seul parmi des milliers de Grecs : le sort ne m'avait pas désigné pour le suivre ; je n'en bravais pas moins les pièges de la nuit et le fétide l'ennemi. Le Phrygien Dolon, qui osait, du côte des Troyens, tenter la même entreprise, périt de ma main, après avoir parlé, et trahi tous les projets des siens. Je n'avais plus rien à savoir, ma mission était remplie, et la récompense promise bien gagnée. C'était trop peu pour moi : je pénétrai sous les tentes de Rhésus, je l'égorgeai dans son camp, lui et une foule de ses soldats, et je revins, porté comme un triomphateur, sur le char dont j'avais voulu m'emparer. Et vous me refuseriez les armes de celui dont un Troyen avait demandé les chevaux pour prix de son expédition nocturne ? Et Ajax serait jugé plus digne de les posséder ? Rappellerai-je les Lyciens de Sarpédon, moissonnés par mon épée ? Céranon, fils d'Hippasus, Alastor, Chromion, Alcandre, Halius, Noémon, Prytanis, et Chersidamas, et Thoon, et Charope tombés sous mes coups ? Ennomon poussé à ma rencontre par la main de fer du destin, et tous ceux, moins connus, que mon bras a immolés sous les murs de Troie ? J'ai aussi mes blessures, et la place en est glorieuse. Sans vous fier à de vaines paroles, voyez ! (et il découvrait sa poitrine) là est un coeur éprouvé par un long dévouement à la Grèce. Mais Ajax, pendant dix ans de guerre, n'a pas versé pour vous une goutte de sang : son corps est sans blessure. Pourquoi vient-il se vanter d'avoir combattu pour le salut de nos vaisseaux ? 1l a combattu, j'en conviens ; ce n'est pas à moi de nier par jalousie les services des autres : mais qu'il ne confisque pas pour lui seul le bien de tous, et qu'il laisse à chacun de vous sa part de gloire. C'est Patrocle, sous l'armure redoutée d'Achille, qui a mis en fuite les Troyens : sans lui, la flamme eût dévoré la flotte avec ses défenseurs. A l'entendre, n'a-t-il pas seul osé lutter contre le Mars troyen ? Comme si Agamemnon, et six autres chefs, et moi-même, nous n'avions pas réclamé avant lui le péril dont un caprice du sort lui laissa l'honneur. Et quelle fut l'issue de ce combat, ô très vaillant Ajax ! Hector en est sorti sans une seule blessure.

Malheureux ! que je souffre d'avoir à rappeler le jour on le rempart des Grecs, Achille, est tombé ! Malgré le danger, malgré ma douleur et mes larmes, je fus le premier à relever le corps du héros. Mes bras, oui, ces bras, ont porté le corps d'Achille, ainsi que ces armes que je veux porter encore aujourd'hui. J'ai des membres qui ne plieront pas sous le faix ; mon âme est faite pour sentir le prix d'un tel honneur. La déesse des mers aurait-elle sollicité en faveur de son fils le génie de Vulcain, pour voir le don céleste, l'oeuvre d'un art divin, tomber entre les mains d'un soldat ignorant et brutal ? Saurait-il reconnaître, dans les figures ciselées du bouclier, l'océan et la terre, le vaste ciel et ses étoiles, les Pléiades, les Hyades, l'Ourse qui ne se couche jamais dans la mer, l'épée brillante d'Orion, et les nombreuses cités ? Il demande des armes dont il ne peut pénétrer le sens. Quoi ! il me reproche d'avoir fui les fatigues de la guerre, d'avoir pris une part tardive à vos travaux, et il ne sent pas que ces paroles sont un outrage à la mémoire d'Achille ? Si la ruse est un crime, ce fut le crime d'Achille comme le mien ; si le retard est une honte, j'avais pris les armes avant lui. Une tendre mère, une épouse chérie nous retenaient : le premier mouvement a été pour elles, et le second pour la Grèce. Je n'ai pas à rougir d'une faute qui m'est commune avec un héros. Et d'ailleurs l'adresse d'Ulysse a surpris Achille : Ulysse l'a-t-il été par celle d'Ajax ? Sa bouche a vomi contre moi de grossières injures ; n'en soyez pas étonnés : ses outrages sont montés jusqu'à vous. Si Palamède est mort innocent, si son accusateur est un infâme, que dira-t-on de vous qui l'avez condamné ? Mais Palamède n'a pu repousser la preuve d'un attentat odieux et avéré : sa trahison n'était pas une chimère créée par une parole ; vous l'avez vue, vous l'avez touchée ; le prix du crime était sous vos yeux. Si Philoctète est resté à Lemnos, doit-on m'en accuser ? Défendez votre ouvrage ; car vous y avez consenti : mais c'est moi, je l'avoue, qui ai conseillé à Philoctète d'éviter les fatigues du voyage et de la guerre, de laisser à ses cruelles douleurs le temps de se calmer par le repos. Il m'a cru et il vit : mon conseil partait du coeur, et il a eu d'heureux résultats : mais c'est assez de l'intention pour le justifier. Si la voix des devins réserve à Philoctète la ruine d'Ilion, ne m'envoyez pas auprès de lui : il vaut mieux que ce soit le fils de Télamon. Il saura par son éloquente parole fléchir un homme fou de colère et de douleur, ou par son adresse l'attirer hors de son antre ! Mais non : on verra le Simoïs reculer vers sa source, l'Ida élever une cime sans forêt, les Grecs porter secours aux Troyens, avant de voir le génie d'Ulysse rester muet dans vos besoins, et le stupide Ajax vous servir de son esprit. Les Grecs, Agamemnon, et moi surtout, tu nous abhorres, ô Philoctète ; tu me maudis sans cesse, tu dévoues ma tête aux furies ; dans le délire de la douleur, tu voudrais me tenir entre tes mains, tu as soif de mon sang. Eh bien ! tu me verras ; je braverai ta fureur, et tu seras à moi, et je te forcerai de me suivre, et, la fortune aidant, je saurai aussi bien m'emparer de tes flèches, que j'ai su enlever le devin, fils de Priam, découvrir la volonté des dieux et les destinées futures d'Ilion, ravir enfin, au milieu des ennemis, la statue vénérée de la Pallas phrygienne. Et Ajax viendra se comparer à moi ! Avec le Palladium, Troie ne peut tomber : où est l'intrépide Ajax ? Où est ce foudre de guerre avec ses grandes paroles ? Mais il a peur ; mais c'est Ulysse qui ose, dans l'ombre de la nuit, traverser les postes de l'ennemi ; au milieu de mille morts, franchir les murs de Troie ; pénétrer jusque dans la citadelle, arracher la déesse de son temple, l'enlever à travers les Troyens. Sans moi, le fils de Telamon aurait inutilement chargé son bras d'un épais bouclier. Cette nuit-là, j'ai été le vainqueur de Troie ; je l'ai vaincue en rendant possible sa défaite. Cesse de murmurer le nom de Diomède, et de le désigner du geste : oui, il a partagé ma gloire : mais, lorsque tu couvris nos vaisseaux de ton bouclier, tu n'étais pas seul non plus ; tu avais une armée avec toi, et moi je n'ai eu qu'un homme. Si Diomède lui-même ne savait que la bravoure doit le céder à la prudence, que la vigueur du bras n'est pas le meilleur droit à ces armes, il les aurait aussi demandées ; et avec lui, l'autre Ajax, moins emporté que toi, Eurypyle, Thoas, Idoménée, Mérion, né dans la même patrie, et le plus jeune des Atrides. Mais tous ces chefs, tes égaux en courage, ont cédé le prix à mon génie ; ton bras est utile dans la mêlée, ton esprit a besoin du nôtre : force aveugle à qui manque la pensée, c'est nous qui pensons pour toi : tu sais te battre, je sais choisir, avec Agamemnon, le moment du combat ; à toi la force brutale, à nous l'intelligence ; tu es au-dessous de moi comme le rameur au-dessous du pilote, comme le soldat au-dessous du général : chez moi, la tête vaut mieux que le bras ; toute ma force est là ! Vous, chefs de la Grèce, sachez récompenser votre vigilante sentinelle. Pour tant d'inquiétude et de soins, pour tant de services, ce prix lui est bien dû. Déjà vos travaux touchent à leur fin ; grâce à moi, les destins contraires sont écartés ; Troie n'est plus imprenable, elle est prise. Au nom de vos glorieuses espérances, des murs de Troie, qui vont tomber, des dieux que j'ai enlevés à l'ennemi ; au nom de ce que je ferais encore, s'il fallait braver un nouveau péril, donner une nouvelle preuve de prudence ou d'audace, et ravir à Troie un dernier appui du destin ; Grecs, ne soyez pas ingrats envers moi ; ou, si vous ne me décernez pas les armes, voici à qui elles reviennent !» et il montrait la prophétique statue de Pallas.

Force toute puissante de l'éloquence ! les juges étaient vaincus, et l'orateur emporta les armes du héros. Celui qui, seul, avait tant de fois soutenu le choc d'Hector, et le fer et la flamme, et Jupiter lui-même, ne peut soutenir un affront ; la douleur abat cette âme indomptable ; il tire son épée, il la regarde : «Certes, dit-il, celle-ci est bien à moi : Ulysse la voudrait-il aussi ? allons, encore une fois sois-moi fidèle : va droit au coeur, non plus d'un Troyen, mais de ton maître : Ajax ne doit succomber que sous la main d'Ajax». - Et il se plonge l'épée fatale dans la poitrine : ce fut sa première et sa dernière blessure. On ne pouvait arracher le fer de la plaie, mais le sang l'en fit sortir ; et de la terre rougie sortit la fleur à la couleur de pourpre, deja née du sang d'Hyacinthe. Alors on vit un double sens aux lettres gravées dans le calice ; c'est le nom du héros, c'est le cri plaintif de l'enfant.

Ulysse, vainqueur, était parti pour l'île du trop fameux Thuas et d'Hypsipyle, pour cette terre autrefois souillée du meurtre de tous les hommes qui l'habitaient. Son voyage est heureux, et bientôt il ramène aux Grecs Philoctète avec les flèches d'Hercule. La présence du fils de Péan termine enfin cette guerre de dix années : Troie tombe, et Priam avec elle. La malheureuse Hécube, après avoir tout perdu, perd encore la forme humaine ; et, sous un ciel étranger, l'air frémit de ses horribles aboiements. Ilion est en feu ; l'incendie éclaire de ses lueurs les rivages qui resserrent l'Hellespont captif ; le vieux Priam arrose des dernières gouttes de son sang l'autel de Jupiter ; la prêtresse d'Apollon, traînée par les cheveux, lève inutilement ses mains vers le ciel. Le vainqueur arrache des temples embrasés les femmes tremblantes; pauvres captives, elles embrassent pour la dernière fois les images des dieux de la patrie. Astyanax est précipité du haut de ces remparts, d'où sa mère lui avait montré si souvent Hector, combattant pour son fils et pour le royaume de ses pères.

Mais Borée invite la flotte au départ : la voile, agitée par un souffle favorable, bat en frémissant contre le mât ; le pilote ordonne de la livrer au vent : «Troie, adieu ! s'écrient les captives ; il faut partir !» Et elles baisent le sol de la patrie avant de quitter leurs toits fumants. 0 douleur ! elle monte la dernière sur le vaisseau de l'exil, l'épouse de Priam ; on l'a trouvée au milieu des sépultures de ses enfants ; elle embrassait leurs tombeaux, elle couvrait leurs restes de baisers. La main brutale des soldats d'Ulysse la traîne au rivage ; mais elle a ravi à la terre son dépôt : elle emporte avec elle, dans son sein, les cendres de son Hector. Sur la tombe vide, pour offrande des morts, elle ne peut laisser que ses larmes et quelques-uns de ses cheveux blancs. En face des champs où fut Troie, est une terre jadis habitée par les Thraces ; là régnait l'opulent Polymestor. C'était à lui que Priam avait confié son plus jeune fils, Polydore, pour le sauver des hasards de la guerre ; sage précaution, s'il ne lui eût confié d'immenses trésors, terrible appât pour le crime, image irritante dans une âme cupide. Dès que la fortune de Troie a succombé, le roi parjure et assassin égorge son pupille ; et, comme si le crime pouvait disparaître avec la victime, du haut d'un rocher il précipite le corps sanglant dans la mer. Sur les rivages de la Thrace, les Grecs attendaient une mer plus calme et des vents amis. Tout à coup, de la terre entr'ouverte surgit l'ombre gigantesque d'Achille, terrible et menaçant comme au jour de sa colère, lorsqu'il voulait tuer Agamemnon : «Grecs, partirez-vous en m'oubliant ? s'écrie-t-il ; le souvenir de ma valeur est-il mort avec moi ? Ecoutez : une offrande digne de moi n'a pas encore honoré ma tombe ; les mânes d'Achille demandent le sang de Polyxène». Il dit ; et, pour apaiser l'ombre irritée, on arrache à sa mère l'enfant qui déjà, presque seul, la réchauffait encore de ses caresses. Forte dans son malheur, au-dessus de la femme par le courage, la victime est amenée sur la tombe avide de sang. Elle est devant l'autel ; le fer du sacrifice est prêt ; elle voit Néoptolème, debout, armé du glaive, les yeux fixés sur les siens : «Allons ! dit-elle, puisque tu as besoin d'un sang généreux, prends-le : rien ne t'arrête ; frappe au sein ou à la gorge (et elle découvrait et sa gorge et son sein) ! Il fallait vivre esclave ; j'aime mieux mourir pour apaiser un dieu. Ah ! si seulement on avait caché mon sort à ma mère ! Ma mère ! ton image est là, je la vois ; elle trouble dans mon coeur les joies de la mort. Hélas ! tu as plus à gémir de vivre que de me voir mourir. Et vous, Grecs, n'approchez pas ! que je descende libre aux enfers. Croyez-moi, ne souillez-pas la vierge du contact de vos mains : un sang d'esclave serait moins agréable à celui dont ma mort doit apaiser les mânes. Si les derniers voeux d'une voix qui va s'éteindre peuvent vous toucher, c'est la fille de Priam, et non une captive, qui vous le demande : rendez mon corps à ma mère ; rendez-le sans rançon, car elle n'a plus que ses larmes pour payer le triste droit d'ensevelir sa fille ; elle pouvait naguère le payer avec de l'or».
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:23

Les larmes coulent de tous les yeux ; la victime seule n'en verse pas ; et Pyrrhus ne frappe qu'à regret, et en pleurant, le sein qu'elle lui présente. Elle reçoit le coup sans pâlir ; ses genoux fléchissent, son corps s'affaisse sur lui-meule, et, en tombant, elle cherche encore à voiler sa beauté : dernière pensée de la pudeur. Les Troyennes l'emportent dans leurs bras ; elles comptent avec douleur combien d'enfants de Priam elles ont déjà pleurés, combien de sang une seule famille a déjà perdu ; elles gémissent sur toi, ô Polyxène ; sur toi aussi, naguère épouse et mère sur le trône, image de la florissante Asie, maintenant rebut du butin, et dont Ulysse ne voudrait pas, si tu n'avais donné le jour à Hector : Hector procure à peine un maître à sa mère. Hécube entoure de ses bras le corps où habitait une âme si forte ; après avoir donné tant de larmes à sa patrie, à ses enfants, à son époux, elle en trouve encore pour sa fille ; elle arrose la blessure de ses pleurs, elle presse de ses lèvres les lèvres décolorées, elle meurtrit son sein tant de fois meurtri ; elle essuie la plaie de ses cheveux blancs, et son désespoir éclate en mille plaintes.

«O ma fille ! ma fille ! ma dernière douleur, te voilà donc morte ! voilà ta blessure ; c'est ma blessure aussi. Et toi encore, avec tous ceux que j'ai aimés, tu es tombée dans le sang. Je te croyais, comme femme, à l'abri de l'épée, et tu as péri par l'épée. Tes frères et toi, c'est le fléau d'Ilion, le meurtrier des miens, c'est Achille qui vous a tous perdus. Ah ! quand il fut tombé sous la flèche de Pâris, conduite par Apollon, maintenant, me disais-je, Achille n'est plus à craindre ; et aujourd'hui je devais le craindre encore ! Sa cendre même poursuit cette triste race, et, jusque dans la tombe, sa haine s'est fait sentir. Mon sein n'a été fécond que pour Achille. Troie n'est plus, un coup terrible a fini le malheur public, s'il est fini toutefois. Troie survit pour moi seule, et mon malheur grandit tous les jours : naguère au comble de la puissance, fière de mon époux, de tant d'enfants, de gendres, de brus, maintenant aans l'exil, pauvre, traînée loin des tombeaux des miens, future esclave de Pénélope ! Et quand je remplirai ma tâche : «Voyez, dira-t-elle aux femmes d'Ithaque, en me montrant du doigt, c'est la mère du fameux Hector, c'est l'épouse de Priam». Après tant de deuils, ô ma fille, seule consolation d'une mère désolée, tu meurs sur la tombe d'un ennemi ; c'est pour un ennemi, pour apaiser ses mânes, que je t'ai enfantée ! D'où me vient cette âme de fer qui me fait vivre encore ? Que tardé-je ? A quoi me réserves-tu, vieillesse de malheur ! Pourquoi, dieux barbares, sinon pour des larmes nouvelles, prolongez-vous ma vie déjà si longue ? Qui aurait cru que l'on pût trouver Priam heureux après la ruine de Troie ? Oui, heureux par sa mort ; car il ne t'a pas vu égorger, ô ma fille ! et il a quitté la vie en même temps que le trône. Mais au moins, fille de roi, tu seras dotée de nobles funérailles, et ton corps reposera dans le tombeau de tes ancêtres ! Non, c'est encore trop pour la maison de Priam ! Pour honneurs funèbres, tu auras les larmes de ta mère, et une poignée de sable sur un rivage étranger. J'ai tout perdu, tout, excepté celui pour qui je puis vivre encore un moment, Polydore, mon enfant bien-aimé, autrefois le plus jeune de mes fils, et le seul aujourd'hui. Il est ici, confié au roi des Thraces. Mais hâtons- nous de laver ces cruelles blessures, ce visage souillé de sang».

Elle dit, et, d'un pas tremblant, elle s'approche du rivage : «Une urne ! Troyennes, donnez-moi une urne !» s'écriait l'infortunée, en s'arrachant les cheveux. Elle voulait puiser dans la mer. Soudain elle aperçoit sur le sable le cadavre de Polydore, rejeté par la vague, et ses larges blessures. Les Troyennes poussent un cri d'horreur ; mais Hécube est restée sans voix ; muette de douleur, elle gémit dans son âme, elle dévore les larmes qui l'étouffent ; elle est là comme une pierre, immobile et glacée ; les yeux, tantôt fixés sur la terre, tantôt levés au ciel avec menaces ; puis elle veut voir le visage de son enfant, elle veut voir ses blessures, ses blessures surtout ; sa colère s'amasse et gronde, son imagination s'enflamme : elle se vengera, elle le veut en reine. Son âme a vu le châtiment, et elle est toute à cette image : semblable à la lionne à qui l'on vient d'enlever son lionceau, et qui suit à la trace son ennemi sans le voir, Hécube, désespérée, furieuse, faible de corps, mais forte de coeur, va trouver l'assassin et lui demande un entretien ; elle veut lui montrer un trésor qu'elle destine à son fils. Le crédule Polymestor, attiré par l'espoir d'un nouveau butin, la suit dans un lieu retiré, et, avec une douceur perfide : «Hâtez-vous, Hécube, lui dit-il ; songez à votre fils ; cet or et celui que j'ai déjà reçu, tout lui sera fidèlement remis, j'en prends les dieux à témoin !» A ce nouveau parjure, la mère furieuse répond par un regard de mort. Les Troyennes le saisissent, Hécube se jette sur sa proie ; avec la force de la colère, elle enfonce ses doigts dans les yeux du traître, elle en arrache les prunelles ; elle y plonge la main tout entière ; et, souillée d'un sang odieux, elle fouille et refouille le creux des orbites. Les Thraces, irrités de cet affreux traitement fait à leur chef, tombent sur Hécube à coups de traits et de pierres. O surprise ! elle se retourne, elle court après la pierre qu'on lui lance, et la mord en grondant ; elle ouvre la bouche pour parler, et elle aboie. On montre encore le lieu dont le nom rappelle ce prodige ; et, longtemps poursuivie par le souvenir de ses maux, on l'entendit pousser des hurlements plaintifs dans les plaines de la Thrace. Troyens et Grecs plaignirent son triste sort ; tous les dieux furent émus, et Junon elle-même avoua qu'Hécube n'avait pas mérité tant de douleurs.

L'Aurore avait favorisé les armes des Troyens ; mais il n'y a plus de place dans son âme pour les malheurs d'Ilion et d'Hécube ; un malheur qui la touche de plus près, le douloureux souvenir du fils qu'elle a perdu, déchire le cour de la déesse : elle a vu, dans les plaines de Troie, Memnon périr sous la lance d'Achille ; et, à cette vue, les vives couleurs qui rougissent le ciel du matin ont pâli, l'horizon s'est couvert de noirs nuages. Memnon reposait sur le bûcher fatal ; à cet affreux spectacle, la mère éperdue, hors d'elle-même, les cheveux épars, court se jeter aux pieds de Jupiter, et, d'une voix éplorée : «Je suis la dernière des déesses de l'Olympe, j'ai peu de temples dans l'univers ; déesse cependant, tu me vois à tes genoux. Je ne veux ni temples, ni sacrifices, ni encens, ni autels ; je ne suis qu'une femme, et pourtant, s'il est vrai que ma lumière naissante sert à borner l'empire de la nuit, tous ces honneurs sont mérités ; mais l'Aurore a d'autres pensées, d'autres soins que de réclamer les honneurs qui lui sont dus. J'ai perdu mon fils ; c'est pour lui que je viens. Après avoir en vain combattu avec courage pour Priam, il est tombé, à la fleur de son âge, sous les coups du terrible Achille. Tu l'as voulu, ô souverain des dieux ! Mais du moins, je t'en conjure, daigne, par quelque marque d'honneur, consoler son ombre et le coeur brisé de sa mère». Jupiter exauce sa prière : le bûcher enflammé de Memnon s'écroule, et vomit de noirs tourbillons de fumée : pareille à ces vapeurs émanées des fleuves, et que le soleil ne peut percer de ses rayons, la cendre qui voltige s'agglomère, prend un corps, une figure ; le feu lui prête la chaleur et la vie ; légère, elle a des ailes ; c'est encore une masse informe, bientôt c'est un oiseau qui s'envole avec mille frères qui doivent au même prodige leurs ailes bruyantes. Trois fois ils tournent autour du bûcher, trois fois ils poussent ensemble le même cri ; puis on les voit se partager en deux bandes, s'attaquer avec rage, se déchirer et de l'ongle et du bec, s'épuiser en furieux efforts ; ils tombent en offrande sur la cendre dont ils sont nés, et ils n'oublient pas qu'ils ont reçu la vie d'un héros. Leur nom est le sien, et, tous les ans, les memnonides, renaissent pour combattre et mourir sur le tombeau de Memnon. Ainsi, quand tout le monde gémit sur Hécube, l'Aurore ne songe qu'à sa douleur ; elle pleure encore aujourd'hui, et ses larmes pieuses sont la rosée du matin.

Cependant l'avenir de Troie n'a pas été détruit avec ses murailles : le fils de Vénus emporte sur ses épaules les dieux d'Ilion et son vieux père, saint et pieux fardeau, seules richesses qu'il ait voulu sauver avec son Ascagne. C'est d'Antandre qu'il part et va chercher au-delà des mers un lieu d'exil. Il fuit le rivage impie de la Thrace, et cette terre abreuvée du sang de Polydore ; le vent et les flots favorables le conduisent à Délos, la ville d'Apollon. Anius, roi des hommes, et prêtre de Phébus, le reçoit ; il le conduit au temple, puis à sa demeure ; il lui montre la ville, les autels consacrés, les deux arbres que tenait embrassés Latone, dans les douleurs de l'enfantement. Après avoir versé l'encens et le vin dans la flamme du sacrifice, et brûlé, selon le rite, les entrailles de la victime, ils reviennent au palais, où, couchés sur de riches tapis, ils jouissent des présents de Bacchus et de Cérès. Alors, le vieil Anchise, s'adressant à Anius : «Prêtre sacré d'Apollon, lui dit-il, me trompé-je, ou n'avais-tu pas, lors de mon premier voyage dans cette île, un fils et quatre filles, si mes souvenirs ne me trompent pas ? Anius secoue sa tête ornée de bandelettes aussi blanches que la neige, et répond, d'une voix triste : «Tu ne te trompes pas, noble vieillard : tu m'as vu au milieu de cinq enfants ; et aujourd'hui, ô inconstance des choses humaines ! tu me vois, pour ainsi dire, seul : car mon fils absent est-il pour moi un appui ? Il possède Andros, à laquelle il a donné son nom ; il a quitté son père pour aller y régner. Apollon lui a donné le pouvoir de deviner l'avenir ; mais ses soeurs avaient reçu de Bacchus un autre don bien au-dessus des voeux et de la croyance humaine : sous leurs mains tout se changeait en blé, en huile ou en vin ; c'était une source inépuisable de richesses. Le destructeur de Troie, Agamemnon, apprit ce prodige (nous aussi nous devions souffrir de l'orage qui a éclaté sur vous) : les armes à la main, il arrache mes filles des bras de leur père ; il veut les forcer de nourrir, par leur puissance mystérieuse, le camp des Grecs. Elles s'échappent, et vont chercher un asile, les unes dans l'Eubée, les autres auprès de leur frère, à Andros. Mais une armée se présente : il fallait les livrer ou combattre ; et le frère épouvanté livra ses soeurs ! Pardonnez-lui, car il n'avait pour défendre Andros ni Enée ni Hector, qui vous ont permis de résister pendant dix ans. Déjà l'on préparait les liens des captives ; elles lèvent vers le ciel leurs mains encore libres : «O Bacchus, sauve-nous !» s'écrient-elles ; et l'auteur du don fatal les sauva, si l'on peut dire qu'en les perdant par un prodige ce dieu les a sauvées. Comment elles ont pu perdre la forme humaine, je ne l'ai jamais su, et je ne pourrais vous le dire aujourd'hui ; mon malheur seul m'est connu. Elles prirent des ailes, et on vit à leur place de blanches colombes, l'oiseau chéri de Vénus».

C'est ainsi que les convives occupaient le temps du festin. Le repas terminé, chacun va se livrer au sommeil. Les Troyens se lèvent avec le jour, et vont consulter l'oracle d'Apollon. «Allez retrouver, leur dit-il, la mère antique de votre race et les rivages de vos pères !» Anius les accompagne au départ, et leur fait des présents : il donne à Anchise un sceptre, à Iule une chlamyde et un carquois, à Enée une coupe, que lui avait jadis envoyée son hôte, Thersès le Thébain. C'était une oeuvre du célèbre Alcon de Myla, dont le ciseau avait tracé sur la coupe une longue histoire. On voyait une ville ; sept portes bien distinctes la faisaient assez reconnaître. Sous les murs de la ville, des pompes funèbres, des tombeaux, des feux, des bûchers, des femmes, les cheveux épars et la poitrine découverte, annoncent une grande calamité : on dirait voir les nymphes gémir auprès des sources desséchées ; l'arbre sans feuillage étend ses branches mortes et nues, les chèvres cherchent en vain à brouter parmi les rochers arides. Voici, au milieu de Thèbes, les filles d'Orion ; l'une, avec l'intrépidité d'un coeur viril, présente la gorge au fer ; l'autre a déjà reçu le coup fatal, et meurt courageusement pour son pays. Leur pompe funèbre traverse la ville, et le bûcher s'élève sur la place la plus fréquentée. De la cendre des jeunes filles, dont les dieux veulent conserver la race, on voit sortir deux jeunes héros ; la voix publique leur donne le nom de Coronides ; et ils rendent les derniers devoirs à la cendre qui leur a donné la vie. Le bord d'airain de cette coupe merveilleuse était entouré d'une acanthe d'or. Les Troyens, à leur tour, font à Anius des présents non moins riches : ils donnent au prêtre d'Apollon un vase où se garde l'encens, une coupe d'or et un diadème étincelant de pierreries.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:23

Anchise croit se rappeler que les Troyens tirent leur origine de Teucer : de Délos, ils font voile pour la Crète, mais ils en sont bientôt chassés par un terrible fléau ; ils quittent l'île aux cent villes, pour aller chercher les bords de l'Ausonie. Une tempête éclate, et les pousse sur les rivages perfides des Strophades, où la hideuse Aello les glace d'horreur. Bientôt Dulichium, Ithaque, Samé, Nérite, royaume du perfide Ulysse, fuient derrière eux. Ils aperçoivent Ambracie, disputée jadis par les dieux ; le rocher auquel le juge du débat, métamorphosé en pierre, a donné sa forme ; le promontoire où s'élève aujourd'hui le temple de l'Apollon d'Actium ; Dodone et ses rochers parlants ; et le golfe de Chaonie, où Jupiter sauva des flammes les enfants du roi des Molosses, en leur donnant des ailes. Ils gagnent l'île fortunée des Phéaciens, où mûrissent tant de fruits délicieux : ils visitent l'Epire, Buthrote, où régnait le divin Hélénus, et qui leur présente une faible image de Troie. De là, éclairés sur l'avenir par la science infaillible du fils de Priam, ils abordent aux champs de la Sicile ; cette île pousse trois caps dans la mer : celui de Pachynos, vers l'Auster orageux ; celui de Lilybée, du côté où soufflent les doux zéphyrs ; et celui de Pélore vers Borée et vers l'Ourse, qui ne se plonge jamais dans l'Océan. C'est là que les Troyens s'arrètent : la rame et le vent favorable les font entrer dans le port de Zancle.

Scylla sur la rive droite du détroit, l'infatigable Charybde sur la rive gauche, sont la terreur des matelots : l'une ravit, dévore et revomit les vaisseaux, l'autre, dont une meute aboyante forme la noire ceinture, a le visage d'une jeune fille : et elle fut jadis une jeune fille, si tout n'est pas fiction dans les récits des poètes. Une foule de prétendants briguaient sa main ; mais elle rejetait leurs voeux, et, chérie des nymphes de la mer, elle allait leur conter ses refus et le désespoir de ses amants. Un jour Galatée, pendant que Scylla lui nouait et dénouait ses beaux cheveux, lui dit avec un long soupir : «Que tu es heureuse, ô Scylla ! tu n'as pas de sauvages amants ; tu peux impunément refuser leurs voeux ; et moi, fille de Nérée et de la belle Doris, avec mes cinquante soeurs pour appui, je n'ai pu échapper qu'à force de pleurs à l'amour d'un Cyclope». Les larmes étouffent sa voix ; Scylla les essuie de sa blanche main, et console doucement la déesse :

«Parle-moi, ô compagne chérie, lui dit-elle : ne crains pas de dire à ton amie la cause de ta douleur». Galatée lui répond : «Acis était le fils de Faune et de la nymphe Symæthis : il faisait le bonheur de son père, de sa mère, et le mien surtout, car je l'aimais : il était beau, il avait seize ans, et un léger duvet dessinait les doux contours de ses joues. Je l'aimais, et le Cyclope me poursuivait de son amour. Si tu me demandes quelle était dans mon âme la passion la plus vive, de ma haine pour le Cyclope, ou de ma tendresse pour Acis, je crois qu'elles étaient égales. 0 Vénus, que ta puissance est grande ! Ce géant farouche, l'horreur des forêts, que nul n'avait pu voir impunément, le contempteur de l'Olympe et des dieux, sent ce que c'est que l'amour : épris de ma beauté, il brûle, il oublie son antre et ses troupeaux. Il songe à sa figure ; il veut plaire : il peigne avec un râteau sa rude chevelure, il coupe avec une faux sa barbe hérissée ; il se mire dans les eaux, il compose ses traits farouches.Ce n'est plus ce géant féroce, toujours altéré de sang et affamé de meurtre : les vaisseaux abordent au rivage et le quittent sans péril. Cependant Télémus, porté sur les côtes de la Sicile, Télémus fils d'Eurymidès, que les signes de l'avenir n'avaient jamais trompé, va trouver sur l'Etna le terrible Polyphème : «L'oeil unique que tu as au milieu du front, Ulysse te le ravira, lui dit-il. - Tu mens, méchant devin, un autre l'a déjà ravi», répond le géant, avec un éclat de rire, et en se moquant de l'infaillible menace de l'augure. Tantôt il parcourait, de ses pas gigantesques, le rivage qui s'affaissait sous son poids, tantôt il allait, épuisé de fatigue, se cacher dans son antre. Vois-tu ce cap élevé qui s'allonge au loin sur les flots, et que la mer baigne de deux côtés ? C'est là qu'un jour le Cyclope vint s'asseoir au milieu de ses brebis, qui le suivaient d'elles-mêmes. Après avoir posé à ses pieds le pin qui lui servait de bâton, et dont on aurait pu faire un mat, il prit une flûte formée de cent roseaux, et les mers, les montagnes frémirent des sifflements horribles qu'il en tira. Caché sous les flancs d'un rocher, je reposais sur le sein de mon Acis ; et de loin, mon oreille recueillait ces paroles, qui sont restées gravées dans ma mémoire :
«0 Galatée, tu es plus blanche qu'un beau lys, plus fraîche que les fleurs de la prairie, plus élancée que l'aune, plus brillante que le cristal, plus folâtre qu'un jeune chevreau, plus polie que le coquillage lentement usé par la vague, plus agréable que les rayons du soleil en hiver, et que l'ombre en été ; plus exquise que les fruits les plus exquis, plus noble que le haut platane, plus transparente que la glace, plus suave qu'un raisin mûr, plus douce que la crème et que le duvet du cigne, et, si tu ne fuyais pas toujours, plus belle qu'un frais jardin. Mais en même temps, ô Galatée, tu es plus sauvage que la génisse indomptée, plus dure que le chêne chargé d'ans, plus trompeuse que l'onde, que la branche de saule et le rameau flexible de la vigne, qui se dérobent sous la main, plus impassible que ces rochers, plus impétueuse que le torrent, plus fière que le paon dont on loue le plumage, plus irritante que la flamme, plus âpre que les ronces, plus farouche que l'ourse devenue mère, plus sourde que les profondeurs de l'Océan, plus cruelle que le serpent foulé par le pied du voyageur ; et, ce qui fait surtout ma douleur, plus agile que le cerf devant la meute aboyante, plus légère que l'aile du zéphyr. Ah ! si tu me connaissais, tu te repentirais d'avoir fui ; tu regretterais tes longs refus, tu ferais tout pour me retenir auprès de toi. J'ai sur le flanc de la montagne un antre creusé sous le rocher ; là, on ne sent ni la chaleur brûlante de l'été, ni les glaces de l'hiver : j'ai des arbres dont les branches plient sous les fruits ; j'ai de longues vignes aux raisins dorés, d'autres aux raisins colorés de pourpre : je t'en réserve les grappes. Toi-même, de tes mains tu iras cueillir la fraise parfumée, née à l'ombre des bois, les fruits d'automne du cornouillier, la prune au noir duvet, et celle, plus délicate, dont la couleur imite la cire nouvelle. Ni les douces châtaignes, ni les fruits les plus savoureux ne manqueront à mon épouse : tous les arbres serviront ses désirs. Ces troupeaux sont à moi : beaucoup d'autres errent dans les forêts et dans les vallées ; beaucoup reposent dans les antres de la montagne. Ne m'en demande pas le nombre, je l'ignore : c'est au pauvre qu'il convient de dénombrer son troupeau. Mes brebis sont belles ; mais viens en juger par toi-même : viens voir comme elles peuvent à peine soutenir leurs traînantes mamelles. Les jeunes agneaux sont dans de chaudes étables : d'autres sont remplies de jeunes chevreaux. J'ai toujours du lait blanc comme la neige : j'en garde une partie pour le boire ; je laisse l'autre s'épaissir en fromage. Près de moi, tu n'auras pas seulement de ces présents vulgaires, plaisirs si faciles à donner : des daims, des lièvres, des chevreaux, une paire de colombes, ou un nid enlevé sur la cime d'un arbre : j'ai trouvé, dans les montagnes, deux jeunes ours au long poil, qui pourront jouer avec toi : c'est à peine si tu sauras les distinguer, tant ils se ressemblent. Je les ai trouvés, et je me suis dit : je les garderai pour ma maîtresse. Viens, ô Galatée, lève ta belle tête au-dessus des flots d'azur ; viens et ne dédaigne pas mes présents. Je connais ma figure, je l'ai vue naguère dans une eau limpide, et son image m'a plu. Vois comme je suis grand ! Jupiter n'est pas plus grand dans le ciel ; car vous parlez toujours de je ne sais quel Jupiter, qui règne, dites-vous, sur le monde. Une épaisse chevelure domine mon large front, et, comme une forêt, ombrage mes épaules. Si mes membres sont hérissés de poils, crois-moi, ce n'est pas une laideur : la beauté de l'arbre est son feuillage ; la beauté du cheval, c'est la crinière qui ondoie sur son col impatient : l'oiseau a son plumage : la laine est l'honneur de la brebis : une barbe et des membres velus siéent à l'homme. Je n'ai qu'un oeil au milieu du front ; mais on dirait un large bouclier : le soleil n'embrasse-t-il pas l'univers du haut des cieux ? Et pourtant le soleil n'a qu'un oeil. C'est mon père qui règnesur vos humides demeures ; tu seras la belle-fille de Neptune. Prends pitié de moi, je t'en supplie ; écoute ma prière, car je n'ai jamais prié que toi.Je méprise Jupiter, son Olympe et sa foudre ; mais je tremble devant toi, ô fille de Nérée : ton courroux est plus terrible que son tonnerre. Je souffrirais moins vivement de tes mépris, si tu fuyais tout le monde, comme tu me fuis : mais pourquoi repousser le Cyclope, et chérir un Acis ? Pourquoi préférer à mes caresses les caresses d'Acis ? Eh bien ! qu'il se complaise en lui-même ; que toi aussi, pour ma douleur, ô Galatée, tu te complaises en lui ; mais qu'il me tombe un jour sous la main, et il sentira que ma force répond à ma taille. Je lui arracherai, tout vivant, les entrailles ; je lancerai ses membres déchirés à travers les champs, et jusque dans la mer où tu habites : oh ! ainsi, soyez-vous réunis ! car enfin je brûle, et la flamme irritée n'en est que plus vive et plus terrible : je brûle comme si l'Etna et tous ses feux étaient dans mon sein : et toi, ô Galatée, tu es sans pitié !»

Après ces plaintes inutiles (j'observais tout), il se lève, et, comme un taureau furieux de la perte de sa génisse, il ne peut rester à la même place, il erre à travers les bois et les montagnes. Tout à coup, comme nous étions sans crainte et dans l'ignorance du péril, il m'aperçoit auprès d'Acis : «Je vous vois, s'écrie-t-il ; attendez, ce seront là vos dernières caresses». Ce cri était terrible, comme celui d'un géant irrité ; l'Etna le répète avec horreur. Et moi, éperdue, je me précipite sous les flots : Acis fuyait : «A mon secours, Galatée, criait-il ; mon père, ma mère, à mon secours ! cachez-moi dans vos ondes, où je vais périr !» Polyphème le poursuit ; il arrache le sommet d'une montagne et le lance ; et quoiqu'une extrémité de cette masse atteigne seule Acis, elle le couvre tout entier et l'écrase. J'ai fait pour lui tout ce que les destins permettaient, en lui donnant la forme et les attributs de son aïeul. Sous le roc qui l'avait écrasé, le sang coulait en flots de pourpre : et d'abord sa couleur commence à s'effacer ; c'est comme l'eau d'un fleuve, troublé par une orage ; peu à peu, c'est une source pure et limpide. Alors la pierre s'entr'ouvre ; de ses flancs surgit la tige vigoureuse de verts roseaux ; le flot s'ouvre, et s'échappe en bondissant du creux du rocher. Tout à coup, chose merveilleuse ! s'élève au milieu des eaux le buste d'un jeune homme : des cornes arment son front couronné de joncs flexibles : c'était Acis, mais plus grand, mais avec un teint verdâtre ; c'était Acis changé en fleuve ; et ces eaux ont conservé son nom».

Galatée avait cessé de parler : les nymphes qui l'entouraient se séparent, et plongent sous l'eau profonde et calme. Scylla les quitte, car elle n'ose pas, comme elles, se confier aux flots. Après avoir dépouillé ses vêtements, elle suit au hasard le sable humide du rivage ; ou bien, fatiguée, elle gagne une grotte écartée, où dorment les eaux de la mer, pour y rafraîchir son beau corps. Tout à coup, fendant les flots, un hôte nouveau du profond Océan, naguère changé en dieu marin sur les côtes de l'Eubée, Glaucus arrive ; il voit Scylla, et, dans une muette surprise, il la contemple avec amour : mais elle fuit : pour la retenir, il l'appelle en vain des plus doux noms ; elle fuit toujours, la peur lui donne des ailes ; elle arrive au sommet d'un immense rocher, dont la cime unique est dépouillée d'ombrage, et elle se penche au loin au-dessus des eaux. Elle s'arrête ; et de cet asile inaccessible, ignorant si elle voit un monstre ou un dieu, elle regarde avec étonnement son étrange couleur, la longue chevelure qui couvre ses épaules et son dos, son corps terminé par la queue flexible d'un poisson. Glaucus s'en aperçoit, et appuyé sur un rocher voisin, il lui dit :

«O jeune fille, je ne suis pas un monstre, une bête féroce, mais un dieu de la mer : j'ai sur ces flots le même pouvoir que Protée, Triton et Palémon, fils d'Athamas. Naguère j'étais un simple mortel : mais j'aimais déjà les eaux profondes, et je vivais sur les bords de la mer. Tantôt j'amenais sur le rivage les poissons tombés dans mes filets ; tantôt, assis sur un rocher, je suivais de l'oeil et de la main le mouvement de l'hameçon. Près d'une verte prairie est un rivage baigné d'un côté par les flots, et de l'autre, borde d'un frais gazon que n'a jamais effleuré la dent des génisses. On n'y voit point brouter la douce brebis et la chèvre inquiète, ou l'abeille empressée recueillir le suc parfumé des fleurs : jamais on n'y a tressé la joyeuse couronne des festins, et jamais l'herbe n'y est tombée sous la faux. Je m'assis le premier sur ce gazon, en faisant sécher mes filets humides : pour examiner ma pêche, je rangeais sur l'herbe les poissons que le hasard avait jetés dans mes filets, ou que l'appât trompeur avait fait mordre à l'hameçon. Tout à coup, chose incroyable, mais que me servirait-il de feindre ? à peine ces poissons ont touché le gazon, qu'ils se mettent à remuer, à sauter, à s'agiter sur la terre, comme s'ils étaient dans l'eau : et, pendant que je les regarde tout étonné, ils s'élancent du bord dans la mer, et laissent là leur nouveau maître. J'étais immobile de surprise. D'où vient cette chose étrange ? me demandais-je tout rêveur ; quelle en est la cause ? est-ce un dieu, est-ce le suc d'une plante ? mais quelle plante a donc une telle vertu ?» Et je cueille une poignée d'herbes, et je les mords avidement. A peine leurs sucs inconnus ont-ils humecté ma langue, je sens tout mon être bouleversé, mon âme ravie vers un autre élément par un indicible amour. Je ne puis résister : terre, adieu ! adieu pour toujours ! et je me plonge sous les eaux. Les dieux de la mer me reçoivent, et m'associent à leur pouvoir : à leur prière, Téthis et l'Océan me dépouillent de ma nature mortelle ; ils me purifient : ils prononcent neuf fois une formule sacrée, et m'ordonnent de plonger mon corps dans les eaux de cent fleuves. J'obéis ; et cent fleuves roulent leurs ondes sur ma tête. Voilà tout ce que je puis dire, tout ce que ma mémoire me rappelle ; je perdis l'usage de mes sens ; et quand je revins à moi, j'avais un autre corps, un autre esprit. Alors, pour la première fois, je vis cette barbe verdâtre, cette longue chevelure qui traîne au loin sur la mer, ces larges épaules, et mes jambes couvertes d'écailles et de nageoires. Mais à quoi bon cette nouvelle forme ? A quoi bon la faveur des divinités de la mer. Que me sert d'être dieu, si rien ne doit toucher ton coeur ?» Glaucus allait parler encore ; mais Scylla ne l'écoute plus : elle fuit. Le dieu frémit de colère : le dédain irrite sa passion : il va trouver, dans son palais rempli de monstres, Circé, la fille du Soleil.

Traduction de Louis Puget, Th. Guiard, Chevriau et Fouquier (1876)
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:23

L'Achilléide de Stace

Le magnanime Achille, ce héros à qui le maître du tonnerre craignit de donner la vie (1), de peur de le voir un jour lui ravir le trône du ciel, muse, c'est à toi de le chanter. Ses exploits ont été illustrés par la lyre de Méonie ; mais le champ est vaste encore. Parcourir toute sa vie, l'arracher de sa retraite de Scyros, au bruit de la trompette d'Ulysse, telle est mon entreprise : laissons là Hector traîné dans la poussière : c'est loin de Troie que je veux montrer le jeune héros.

Si jadis mes lèvres n'ont pas souillé les sources sacrées, permets-moi, ô Phébus ! d'y puiser encore, et ceins mon front d'une seconde couronne. Ce n'est point un hôte nouveau qui pénètre dans les bois d'Aonie ; ce n'est pas la première fois que les blanches bandelettes ornent ma chevelure. Les champs de Dircé me connaissent, Thèbes redit mon nom parmi les noms de ses aïeux, et m'associe à son Amphion.

Et toi (2) que contemple avec admiration l'élite de la Grèce et de l'Italie, toi pour qui les deux palmes du poète et du guerrier fleurissent à la fois, vaincues tour à tour l'une par l'autre, pardonne-moi ; permets que quelque temps encore j'arrose cette carrière de mes sueurs. Par de longs et timides efforts je me prépare à chanter ta gloire, et le grand Achille sert de prélude.

Loin du rivage d'Oebalie voguait le pasteur troyen, fier de la douce proie ravie à la confiante Amyclée ; déjà, accomplissant le présage du songe maternel, il traversait de nouveau ces flots funestes que, du fond de la mer où elle a été plongée, Hellé, nouvelle Néréide, gouverne à regret, lorsque Thétis (hélas ! les pressentiments d'une mère ne trompent jamais), du fond de l'abîme azuré, tremble au bruit retentissant des rames. Soudain, suivie de la foule de ses soeurs, elle s'élance de sa couche. Les rivages resserrés de Phryxus bouillonnent, et la mer est à peine assez large pour le cortège divin. A peine Thétis eut-elle écarté les flots et touché les airs : «C'est contre moi qu'est dirigée cette flotte, s'écrie-t-elle, c'est moi qu'elle menace. Je reconnais des prédictions funestes, et Protée m'a dit vrai. Voici qu'à la lueur des flambeaux élevés sur la poupe, Bellone conduit à Priam une fille nouvelle. Déjà mille vaisseaux couvrent et la mer d'Ionie et la mer d'Egée, et ce n'est pas assez que la Grèce tout entière conspire avec les fiers Atrides : bientôt, sur les flots, sur la terre, ils chercheront mon Achille, et lui-même il voudra les suivre. Pourquoi ai-je confié son enfance au Pélion et à l'antre d'un maître farouche ? Là sans doute il s'exerce, en jouant, aux combats des Lapithes, il essaye la lance de son père. 0 douleur ! ô craintes tardives du coeur maternel ! Ne pouvais-je pas, malheureuse, quand pour la première fois le vaisseau phrygien parut sur nos ondes, soulever la vaste mer, et, suivie de toutes mes soeurs, au milieu de la tempête, poursuivre l'impur ravisseur ? Maintenant encore... mais il est trop tard, et l'injure est consommée. J'irai cependant, j'implorerai les Dieux de la mer, et, baisant la main du frère de Jupiter (car c'est 1à ma dernière espérance), au nom de Thétis, au nom de mon vieux père, je lui demanderai, malheureuse suppliante, une tempête, une seule».

Elle dit, et en même temps aperçoit le puissant monarque, qui revenait du palais hospitalier de l'Océan ; la joie du festin épanouissait son visage, que faisait briller le nectar des Dieux de la mer : à sa vue les orages et les vents se taisent ; les Tritons qui l'accompagnent font entendre de paisibles accords, les monstrueuses baleines et les troupeaux de dauphins s'agitent autour de lui, derrière lui, et saluent leur roi. Lui-même, debout, domine les ondes tranquilles et de son trident presse ses coursiers. Ceux-ci amoncellent autour de leur poitrine les flots écumeux ; leurs pieds agitent l'eau qui les porte, et leur queue efface leurs traces : «O père et souverain des vastes ondes ! dit Thétis, tu vois pour quel fatal usage tu as ouvert aux mortels ton empire. Les crimes de la terre voguent sans crainte, depuis le jour où les droits de la mer et sa solitaire majesté furent violés par le vaisseau du ravisseur Jason. Voici un nouveau larcin : chargé des dépouilles de son hôte, le juge audacieux de l'Ida fend les flots. Que de gémissements, hélas ! il prépare à la terre, à la mer, à moi-même ! Est-ce donc ainsi que nous payons la palme décernée par le Phrygien Pâris ? Est-ce donc là Vénus, et la reconnaissance de celle que nous avons nourrie ? Ordonne au moins que ces vaisseaux (puisque ce n'est pas des demi-dieux qu'ils portent, ni ton fils Thésée), ordonne, si l'honneur de tes flots te touche encore, qu'ils soient engloutis dans les abîmes, ou bien livre la mer à mon pouvoir. Je ne suis point cruelle, mais qu'il me soit pardonné de craindre pour mon fils ; permets-moi de soulever les ondes ; ne prends pas un cruel plaisir à ne me laisser, au milieu de ton vaste empire, qu'un seul rocher pour demeure, et un tombeau sur le rivage de Troie (3).

Elle priait, en s'arrachant les cheveux, et de sa poitrine nue elle arrêtait les coursiers du roi des ondes. Celui-ci l'invite à monter sur son char, et console sa douleur par des paroles amies : «Ne me demande pas, ô Thétis ! de submerger la flotte troyenne : les destins me le défendent. Depuis longtemps les Dieux l'ont décidé, l'Europe et l'Asie se livreront une guerre sanglante ; Jupiter en a fixé la durée, et voué au carnage ces tristes années. Quelle gloire donc attend ton fils dans la poussière des champs troyens ! Combien de funérailles, désespoir des mères phrygiennes, te feront un glorieux spectacle, lorsque ton Eacide tantôt inondera de sang les champs troyens, tantôt obstruera de ces flots nouveaux le courant des fleuves, ou fera voler son char ralenti par le cadavre d'Hector, et de sa main puissante ébranlera ces murs, notre inutile ouvrage ! Cesse de regretter l'hymen de Pélée et cette alliance inégale : tu croiras avoir donné un fils à Jupiter, et ta douleur sera vengée ; tu te serviras de ces ondes où le sang te donne des droits ; par moi tu les pourras soulever, quand les Grecs ramèneront leurs vaisseaux, que le mont Capharée fera briller son phare perfide (4), et que tous deux nous chercherons le cruel Ulysse».

Il dit, Thétis écoute, les yeux baissés, ce refus qui l'accable ; déjà elle se préparait à bouleverser la mer, à combattre les vaisseaux troyens. Elle médite alors un projet nouveau, et, triste, elle se tourne vers la terre d'Hémonie. Trois fois ses mains ont fendu l'onde avec effort, trois fois ses pieds d'albâtre l'ont repoussée, et déjà elle touche aux rives de Thessalie. Les montagnes tressaillent de joie ; les antres, témoins de son hymen, lui ouvrent leurs retraites profondes ; le Sperchius s'avance en bouillonnant au-devant de la déesse, et baigne ses pieds de son onde caressante. Mais ces lieux ne peuvent la charmer ; elle roule péniblement dans son coeur le dessein qu'elle a conçu, et, guidée par l'ingénieuse tendresse d'une mère, elle se dirige vers le vieux Chiron. Sa demeure élevée s'enfonce dans le roc, et soutient de sa voûte immense tout le poids du Pélion. Une partie a été creusée par la main des hommes, l'autre a cédé aux efforts du temps ; on y voit encore les traces des Dieux, les lits qui les reçurent, la place que chacun d'eux a pressée, que sa majesté divine a consacrée. Dans l'intérieur s'étendent les profondes cavernes du centaure, bien différentes de celles de ses frères sacrilèges : ici point de javelots rougis du sang des hommes, point de frênes fracassés dans des noces sanglantes, point de cratères brisés sur des ennemis qui étaient des frères, mais des carquois innocents, des dépouilles des bêtes fauves. Tout cela est du temps de sa verte jeunesse ; maintenant, affaibli par l'âge, son unique soin est de connaître les herbes salutaires aux malheureux mortels, ou d'apprendre à son élève à chanter sur la lyre les antiques héros.

En ce moment il attendait sur le seuil le retour du jeune chasseur ; il préparait le repas, et un vaste foyer réjouissait l'antre. Dès qu'il aperçoit au loin sur le rivage l'auguste Néréide, il s'élance de la forêt ; la joie lui prête des forces, et les pieds du vieux centaure font retentir du bruit de leur corne la plaine étonnée. Il présente gracieusement la main à la déesse, et, s'inclinant avec respect, il la conduit vers son humble toit, et l'introduit dans son antre.

Thétis promène de tous côtés un regard silencieux, et dans son impatience : «Où est mon fils, Chiron ? Réponds-moi, dit-elle ; pourquoi, si jeune encore, est-il un moment loin de toi ? Le trouble de mon sommeil et les noirs avertissements des Dieux seraient-ils donc fondés ? Ah ! puissent mes terreurs être vaines ! Tantôt je vois une homicide épée tournée contre mes flancs, tantôt mes mains toutes livides de meurtrissures ; tantôt des bêtes féroces s'élancent sur mon sein. Souvent moi-même, ô horreur ! je porte mon fils dans le noir Tartare, pour le plonger de nouveau dans le Styx. Le devin de Carpathos, pour détruire ces craintes, m'ordonne un sacrifice magique ; il veut que j'aille, sous un ciel propice, purifier mon fils dans ces ondes mystérieuses, où, vers les derniers rivages de l'Océan, mon père se réchauffe au feu des astres qu'il reçoit dans son sein : c'est là que je dois offrir à des dieux inconnus des sacrifices horribles, des présents expiatoires. Mais il serait long de tout énumérer, et quelque chose me le défend. Mais toi, rends-moi mon fils».

Ainsi parla Thétis : car Chiron ne lui eût pas remis Achille, si elle avait avoué au vieillard la vie efféminée et le honteux déguisement qu'elle lui destinait. Le centaure lui répond : «Emmène, ô la meilleure des mères ! emmène Achille, et fléchis les Dieux par tes humbles prières ; car tes voeux ont été surpassés, et il faut désarmer l'envie : je ne veux pas ajouter à tes craintes, mais je t'avouerai la vérité. Oui, mon coeur paternel ne m'abuse point, je ne sais quoi de grand se révèle dans cette force précoce, qui devance ses tendres années. Autrefois il supportait mes menaces, il obéissait à mes ordres, et ne s'éloignait pas beaucoup de notre antre : maintenant l'Ossa n'est plus assez grand pour lui, ni le vaste Pélion, ni les neiges de la Thessalie. Souvent les centaures viennent se plaindre à moi : leurs demeures ont été ravagées, leurs troupeaux emmenés sous leurs yeux, eux-mêmes forcés de fuir dans la plaine et de traverser les fleuves. Ils se préparent à lui dresser des embûches, à le combattre ; ils le menacent de leur colère. Jadis, lorsque le vaisseau de Thessalie emmena de ses bords les nobles Argonautes, je vis le jeune Alcide et Thésée... ; mais je me tais». Une pâleur mortelle glaça la Néréide.

Achille était arrivé. La sueur et la poussière qui le couvrent le font paraître plus grand encore. Cependant, au milieu des armes et de ses courses laborieuses, il n'a rien perdu encore de la douceur de ses traits ; son visage plus blanc que la neige s'anime d'un vif incarnat, et sa chevelure brille de l'éclat de l'or ; le premier duvet n'a point encore signalé son adolescence ; le feu de son regard est paisible encore, c'est sa mère presque tout entière qui respire en ses traits : tel Apollon lorsqu'il revient de la chasse sur les monts de Lycie, et qu'il abandonne pour la lyre ses flèches meurtrières. Achille est joyeux (oh ! que la joie ajoute encore à la beauté !) ; il a frappé de son fer, sous la roche de Pholoé, une lionne qui avait récemment mis bas ; il l'a laissée dans son repaire vide, et il apporte ses lionceaux en jouant avec leurs griffes : mais sitôt qu'il aperçoit Thétis sur le seuil, il les jette loin de lui, et, déjà il fait sentir son étreinte, et sa taille égale celle de la déesse.

Déjà lié avec Achille par une vive amitié, Patrocle le suit, Patrocle qui a grandi lui-même en devenant l'émule d'un héros. Tous deux sont semblables par les goûts, par l'âge, mais inégaux en force ; et toutefois ils doivent trouver à Pergame le même destin.

Soudain Achille, d'un bond rapide, se précipite dans le fleuve voisin, et y lave ses joues fumantes et sa tête souillée. Tel Castor entre avec son coursier haletant dans les flots de l'Eurotas, et ranime l'éclat affaibli de ses rayons. Le vieillard est ravi ; il peigne la chevelure de son élève, et caresse tantôt sa poitrine, tantôt ses larges épaules. La joie de Thétis augmente encore ses inquiétudes de mère. Alors Chiron les invite à goûter aux mets et à vider les coupes, et, pour distraire la douleur de Thétis, il prend enfin sa lyre, en fait vibrer les cordes, qui charment les ennuis ; et après les avoir essayées d'un doigt léger, il présente l'instrument au jeune homme. Celui-ci chante de préférence les hauts faits des héros, noble semence de gloire : le fils d'Amphitryon triomphant des ordres de sa cruelle marâtre ; Pollux écrasant de son ceste le farouche Bebryce, et de quelle terrible étreinte le fils d'Egée brisa les membres robustes du minotaure ; il chante l'hymen de sa mère, et le Pélion fléchissant sous le poids des Dieux. Ici Thétis dérobe ses larmes sous un sourire menteur. Bientôt la nuit les invite au sommeil : l'énorme centaure s'étend sur le rocher, et Achille s'enlace à son cou ; bien qu'auprès de sa mère chérie, il préfère la poitrine où il a coutume de dormir.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:24

Cependant Thétis veille sur le rivage retentissant : ne sachant quel asile choisir pour son fils, dans quelle contrée le cacher, elle roule dans son esprit mille projets contraires. La Thrace est voisine, mais trop belliqueuse ; trop rude est la Macédoine ; les Cécropides lui feraient sentir l'aiguillon de la gloire ; Sestos et le golfe d'Abydos offrent un accès trop libre aux vaisseaux ; les hautes Cyclades lui sourient : encore dédaigne-t-elle Mycone, l'humble Sériphe, et Lemnos où la colère des femmes est si cruelle, et Délos où toutes les nations se pressent en foule. Naguère elle avait vu, à la molle cour de l'inoffensif Lycomède, les vierges, filles de ce prince ; elle avait entendu retentir leurs jeux sur les rivages, alors qu'elle y avait été envoyée pour s'assurer si Egéon ne s'était pas débarrassé de ses liens (5), et pour compter les cent chaînes dont on l'avait chargé. C'est cette île seule qui lui agrée, c'est la retraite qui paraît la plus sûre à cette mère craintive.

Tel un oiseau, prêt à déposer le fruit de ses amours, cherche déjà, plein de crainte et d'inquiétude, le feuillage où il suspendra sa demeure vide encore. Ici il cherche à s'abriter des vents, là il redoute les serpents ou les hommes ; enfin un arbre a fixé son incertitude : à peine s'est-il posé sur les branches, que déjà il aime sa nouvelle demeure.

Un autre souci occupe encore la déesse et fatigue son esprit affligé. Emportera-t-elle son fils dans ses bras à travers les ondes ? Ira-t-elle le confier à un monstrueux Triton, ou appeler les vents légers, ou en charger, Iris dont l'arc boit les flots de l'Océan ? Enfin elle fait sortir de la mer et enchaîne à un frein un couple de dauphins que la grande Thétys (6) avait nourris pour elle au fond des gouffres de l'Atlantique, dans les vallées sonores de Neptune. Il n'en est point, dans tout l'empire du dieu, qui les égalent en beauté, qui nagent avec plus de vigueur et soient plus doux à l'homme. Elle leur ordonne de rester aux endroits profonds du rivage, de peur qu'ils n'aient à souffrir du contact de la terre ; puis prenant elle-même Achille, qui dormait à pleine poitrine du sommeil de l'enfance, elle le porte de l'antre d'Hémonie vers la cour paisible, vers le rivage qui se tait, docile à la voix de la déesse. Cynthie lui montre la route, et l'éclaire de tous les rayons de son orbe plein. Chiron suit la déesse, et, sans crainte du côté des flots, il demande que le retour de son élève soit prompt ; il cache les larmes qui mouillent ses paupières : se dressant sur ses pieds de cheval, il les suit des yeux, déjà presque disparus et se perdant dans le lointain, laissant à peine sur leurs traces de légers cercles d'écume qui se brisent dans la grande mer. Hélas ! la vallée de Tempé ne verra pas ce retour. Déjà gémissent la triste Pholoé, et l'Othrys chargé de nuages ; le Sperchius resserre ses flots dans son lit, et la caverne du docte vieillard reste silencieuse : les Faunes redemandent les chants du jeune héros, et les Nymphes pleurent leurs longues espérances d'hymen.

Déjà le jour chasse les astres ; le soleil, faible encore, pousse du sein des flots ses humides coursiers, et l'onde que son char entraîne retombe du haut des airs. Depuis longtemps Thétis avait franchi les mers et touché au rivage de Scyros ; les dauphins fatigués s'étaient débarrassés du joug, lorsque la frayeur éveille l'enfant. Ses yeux ont senti le jour qui les inonde ; il s'étonne de l'air qu'il respire : quels sont ces lieux, ces flots ? où est le Pélion ? Tout est changé, tout lui est inconnu ; il hésite même à reconnaître sa mère. Celle-ci lui prend la main, et calme sa frayeur par ces douces paroles : «Cher enfant, si le sort moins injuste m'eût accordé l'hymen qu'il me promettait, je te tiendrais maintenant embrassé, astre brillant, dans les plages éthérées ; le ciel eût été ton berceau, et je n'aurais point à redouter les humbles Parques et les destinées terrestres. Maintenant, ô mon fils ! ta vie n'est pas sûre, et ta mère seule éloigne de toi la mort : que dis-je ? déjà s'approchent les temps redoutables, déjà nous touchons aux extrêmes périls. Cédons : soumets un moment ton mâle courage, ne dédaigne pas le vêtement maternel. Si la rude main du dieu de Tirynthe a porté les fuseaux lydiens et des thyrses efféminés, si Bacchus ne rougit pas de balayer la terre des longs plis de sa robe dorée, si Jupiter a revêtu la figure d'une vierge, si le sexe équivoque de l'illustre Cénée (7) n'a point énervé son courage, laisse passer, je t'en supplie, ces menaces du sort, et sa maligne influence. Bientôt je te rendrai tes vertes campagnes et les antres du Centaure. Au nom de ta beauté, des joies futures de ta jeunesse, si pour toi j'ai accepté sur la terre un époux obscur, si, dès ta naissance, j'ai armé ton corps (que ne l'ai-je armé tout entier !) des tristes eaux du Styx, souffre quelque temps que ce vêtement te protège ; il ne nuira pas à ton courage. Pourquoi détournes-tu la tête ? Que veut dire ce regard ? Rougirais-tu d'adoucir ta fierté sous cette parure ? J'en jure par toi, cher enfant, j'en jure par les flots paternels, Chiron ne le saura pas».

C'est ainsi qu'elle attaque par de vaines caresses ce coeur farouche : à ses prières s'oppose le souvenir de Pélée, du rigide Chiron, et l'ardeur naissante d'un grand courage. Tel, tout plein du feu d'une jeunesse indomptée, s'irrite un coursier qui, pour la première fois, est soumis au frein : longtemps il a pris de joyeux ébats dans les plaines, au milieu du fleuve, et, fier de sa liberté, il ne veut pas soumettre sa tête au joug ni sa bouche au mors ; il gémit d'obéir en captif aux ordres d'un maître, et s'étonne d'apprendre des courses nouvelles.

Quel dieu inspira cette fraude, cet artifice à cette mère alarmée ? quelle pensée dompta cet enfant indocile ? Scyros célébrait en ce jour la fête solennelle de Pallas, la déesse tutélaire de ce rivage, et les filles du pacifique Lycomède avaient obtenu par une rare faveur de sortir du palais paternel pour offrir à la divinité les trésors du printemps, pour couronner de feuillage son noble front, et entrelacer autour de sa lance des guirlandes de fleurs. Toutes se distinguent par leur beauté, toutes ont la même parure, et cette dernière pudeur de la vierge qui va devenir épouse, et ce sein gonflé que réclame la couche nuptiale. Mais autant Vénus écrase de sa beauté les vertes Nymphes qui l'entourent au milieu des mers, autant Diane s'élève au-dessus des Naïades ses compagnes, autant brille Déidamie, la reine de cet aimable choeur, autant elle éclipse la beauté de ses soeurs. Les roses de son teint rehaussent la pourpre de sa tunique, et donnent un nouvel éclat aux pierreries, un reflet plus doux à l'or. On la prendrait pour la déesse, si celle-ci désarmait sa poitrine de ses serpents, et adoucissait ses traits en déposant son casque. Le farouche adolescent, dont le coeur innocent n'avait point encore palpité, n'eut pas plutôt aperçu la jeune Déidamie conduisant la troupe de ses compagnes, qu'il frissonne, et boit à longs traits ce feu inconnu. L'amour qu'il vient d'aspirer se trahit lui-même : la flamme, pénétrant jusque dans la moelle de ses os, remonte à ses yeux, à son visage, colore l'éblouissante blancheur de ses joues et parcourt tous ses membres, qui frémissent mouillés d'une sueur légère. Comme on voit chez les Massagètes le sang rougir une coupe de lait, ou bien comme l'ivoire se teint de pourpre, ainsi se manifeste par des signes contraires la flamme du jeune homme, qui rougit et pâlit tour à tour. Il s'élancerait, et, farouche, oubliant son âge, il troublerait le sacrifice, sans nul souci de la foule, si la pudeur, si la présence de son auguste mère ne le retenait. Tel un taureau, le père et le roi futur d'un troupeau nombreux, mais dont le front n'est pas encore couronné de tout son croissant, s'il aperçoit une blanche génisse venue au même pâturage, soudain son coeur bouillonne, et ce premier feu de l'amour fait écumer sa bouche : les bergers le contemplent avec joie, et espèrent en sa vigueur.

Thétis a compris, et, saisissant cette occasion : «Hé quoi ! te déguiser au milieu de ce choeur de jeunes filles, entrelacer tes bras dans les leurs, est-ce donc, ô mon fils ! si difficile à ton courage ? Qu'y a-t-il de semblable dans les vallées du froid Ossa, sur les coteaux du Pélion ? Oh ! s'il m'était donné de partager ma tendresse, de porter sur mon sein un autre Achille !» A ces mots il s'adoucit, rougit de plaisir, détourne son fier regard, et repousse les vêtements d'une main plus faible. Sa mère le voit hésiter, et, par une douce violence, jette sur lui une robe flottante. Alors elle adoucit la roideur de son cou, abaisse ses larges épaules, assouplit ses bras robustes, dompte avec art sa chevelure en désordre, pare de son propre collier ce sein bien-aimé, et enlace ses pieds de bandelettes brodées. Puis elle lui enseigne la démarche, les mouvements, le langage modeste d'une jeune fille. Comme on voit la cire s'animer sous les doigts d'un artiste, et revêtir une forme nouvelle, en obéissant à la flamme et à la main qui la pétrit, ainsi la déesse façonnait le jeune Achille ; et il ne lui fallut pas de longs efforts, car chez lui une grâce charmante se joignait à une force invincible. Son sexe se distinguait à peine encore, et pouvait tromper les regards. Ils s'avancent, et Thétis lui répète avec douceur ses avis, et le fatigue de ses conseils : «Voici donc quelle sera ta démarche, voici ton air, ton maintien. Imite avec adresse tes compagnes, prends garde d'éveiller les soupçons du roi, qui refuserait de t'admettre dans sa cour innocente, et nous ferait perdre tout le fruit de notre stratagème». Elle dit, et ne cesse d'ajuster de sa main la parure de son fils. Ainsi, lorsque Hécate, fatiguée de son carquois virginal, revient vers son père et son frère, à ses côtés marche sa mère, qui voile ses épaules et ses bras découverts, dépose elle-même l'arc et le carquois, déroule les plis relevés de sa robe, et s'étudie à réparer le désordre de sa chevelure.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:24

Aussitôt la déesse aborde le roi, et là, à la face des autels : «Nous te confions, ô roi ! la soeur de notre Achille, dit-elle. Tu vois comme son visage est farouche, comme elle ressemble à son frère. Elle voulait, dans sa belliqueuse ardeur, porter le carquois sur l'épaule, l'arc à la main, et, à l'exemple des Amazones, repousser l'hymen ; mais c'est assez de trembler pour son frère. Qu'elle porte les corbeilles et les ornements sacrés. Toi, dompte par ta prudence son indocilité, contrains-la à rester jeune fille jusqu'à ce que l'âge de l'hymen la délie de la pudeur.

Ne souffre pas qu'elle se corrompe dans les jeux de la palestre, ni qu'elle s'égare dans les retraites des forêts ; retiens-la dans l'intérieur du palais, loin des regards profanes, au milieu de ses jeunes compagnes ; surtout éloigne-la des rivages et du port. Tu as vu naguère les voiles des Phrygiens : il n'est plus de respect pour les droits des nations, les vaisseaux en traversant les mers ont appris à les violer».

Le roi accède à sa prière, et reçoit le jeune Lacide (qui pourrait résister aux artifices des Dieux ?) sous le déguisement qu'a imaginé sa mère. Bien plus, tendant la main vers la déesse, comme pour l'adorer, il lui rend grâce de l'avoir préféré. La foule des pieuses filles de Scyros ne peut détacher ses regards des traits de leur nouvelle compagne, ni cesser d'admirer comme elle porte la tête haute, combien est large sa poitrine et fortes ses épaules ; ensuite elles l'invitent à s'unir à leurs danses, à s'approcher des chastes autels ; elles lui cèdent le pas, et se pressent à l'envi autour d'elle. Ainsi, lorsque les oiseaux d'Idalie fendent les légers nuages, si à leur essaim, que réunit toujours le même ciel ou le même toit, vient d'une autre région se mêler un hôte inconnu, tous d'abord s'étonnent et s'effrayent ; bientôt ils s'en approchent peu à peu en volant, et au milieu même des airs ils en font un des leurs ; puis, joyeux, ils l'entourent en battant des ailes, et le conduisent à leurs nids.

Thétis s'éloigne, non sans être restée longtemps sur le seuil, redisant à son fils les mêmes conseils, et lui murmurant à l'oreille des paroles mystérieuses. Enfin elle lui dit un dernier adieu qu'elle accompagne d'un voeu secret. Les flots ont reçu la déesse, qui nage la tête tournée en arrière, et adresse au rivage cestendres paroles : «Terre chérie, à qui j'ai confié par une ruse timide un précieux dépôt, mon fils, l'objet de ma plus vive sollicitude, sois heureuse, et garde mon secret, je t'en conjure, comme jadis la Crète a gardé celui de Rhéa : comblée d'honneurs durables, ceinte de temples immortels, tu surpasseras en renommée l'inconstante Délos ; respectée du vent et de la mer, parmi les écueils des Cyclades, où se brisent contre les rocs les tempêtes de la mer Egée, tu deviendras la paisible demeure des Néréides, et les matelots jureront par ton île. Seulement repousse les vaisseaux grecs, je t'en supplie ; fais publier à la Renommée qu'ici on ne forme que des danses en l'honneur de Bacchus, qu'ici rien ne peut servir à la guerre ; et, tandis que les Grecs préparent leurs armes, que Mars rugit entre deux mondes, qu'Achille ne soit que la fille du pieux Lycomède».

Cependant, pour venger de justes colères, l'Europe se soulevait à la voix suppliante de ses rois, enflammée de la douce fureur des combats. Atride surtout les excite, bien que son épouse n'ait pas fui son palais : ses récits rendent plus odieux encore le crime du Troyen : Ravir sans guerre, sans combat, la fille des Dieux, le nourrisson de la puissante Sparte ; violer à la fois les droits les plus saints, la bonne foi, le ciel lui-même ! voilà donc l'alliance phrygienne ? voilà l'union des deux pays ? Eh ! que doivent attendre les peuples, quand une telle injure monte jusqu'aux chefs ? Toutes les nations se réunissent ; tous répondentà l'appel, depuis les barrières étroites de l'isthme baigné par deux mers, et les rochers retentissants du cap Malée, jusqu'aux contrées lointaines où le détroit de Phryxus sépare l'Europe de l'Asie, jusqu'aux rivages d'Abydos qu'enserrent les flots de la Propontide. Embrasées de l'amour de la guerre, les villes s'agitent et se lèvent. Témèse dompte l'airain ; les rives de l'Eubée sont battues par les mouvements des navires ; Mycènes retentit du bruit d'innombrables enclumes ; Pise renouvelle ses chars ; Némée fournit des dépouilles de bêtes fauves ; Cyrrha s'empresse de garnir de flèches les carquois ; Lerne, de revêtir de la peau des taureaux les lourds boucliers. L'Etolie, l'âpre Acarnanie arment leurs fantassins ; Argos fait voler ses escadrons ; les prairies de la riche Arcadie sont dépeuplées ; l'Epire soumet au frein ses rapides nourrissons. Et vous, ô Phocide ! ô Aonie ! vous éclaircissez vos ombrages pour amonceler des javelots ; Pylos et Messène dressent leurs machines. Nulle contrée n'est exempte du tribut de la guerre. On arrache des portiques les armes suspendues par les ancêtres ; la flamme liquéfie les richesses des temples. Mars ravit l'or des immortels, et le fait servir à sa fureur. C'en est fait des vieux ombrages : l'Othrys s'est abaissé, le Taygète a courbé sa haute cime ; les montagnes dépouillées ont enfin vu les airs. Toutes les forêts sont sur la mer ; les chênes abattus se façonnent en vaisseaux, les arbres plus petits en rames ; le fer se façonne pour mille usages : il affermira les éperons des navires, garnira les armes, maîtrisera les chevaux belliqueux, entrelacera de mille chaînons les cuirasses aux rudes écailles ; il boira le sang fumant dans les profondes blessures, et, conspirant avec le poison, précipitera le trépas des guerriers. Les pierres humides s'usent à aiguiser les noires épées : point de relâche ; on courbe les arcs, on fond les globes de plomb que jetteront les frondes ; les pieux sont durcis par la flamme, les casques se couronnent de leurs aigrettes. Au milieu de ce mouvement, la Thessalie gémit de son lâche repos, et accuse doublement le destin. Pélée est trop vieux, et Achille n'est pas mûr encore pour les combats.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:25

Déjà Mars qui, dans sa fureur entasse sur les navires les chevaux et les guerriers, avait épuisé la terre de Pélops et la Grèce entière. Tout s'agite dans les ports ; la mer est couverte de vaisseaux ; la flotte en s'avançant soulève des flots et des tempêtes qui ne sont que pour elle. La plaine liquide ne suffit plus aux navires, et les voiles épuisent tous les vents.

C'est Aulis, la ville d'Hécate, qui rassemble d'abord les vaisseaux grecs ; Aulis dont les rochers prolongent au loin leur crête immense, et dominent la mer d'Eubée, rivages bien chers à la déesse qui erre sur les montagnes. Tout auprès, le promontoire Capharée élève au-dessus des flots mugissants sa tête menaçante. Dès qu'il vit la flotte grecque traverser la mer, trois fois ses ondes, trois fois ses vastes flancs retentirent sourdement, pour présager l'horrible nuit. C'est là que se rassemblent les armes si funestes à Troie, là que se prépare, comme une conjuration, une guerre formidable, pendant que le soleil accomplit sa révolution annuelle. Alors, pour la première fois, la Grèce contemple ses forces ; alors cette masse confuse et discordante prend un corps, une physionomie, et s'organise sous un seul roi. Ainsi un cordon de chasseurs cerne les bêtes fauves qui se cachent en vain dans leurs retraites, et les resserre dans un cercle de filets peu à peu rapprochés. Le feu, le bruit les effrayent ; elles quittent en désordre leurs repaires dispersés, et s'étonnent de voir se rétrécir leur domaine, jusqu'à ce que de toutes parts elles tombent dans une étroite vallée. Là elles se contemplent mutuellement avec effroi, puis s'adoucissent par une terreur commune. Le sanglier hérissé, l'ourse, le loup, sont tous réunis à la fois, et la biche se rit du lion captif.

Mais, bien que les deux Atrides s'arment avec la même ardeur pour leur propre cause, bien que le fils de Tydée et Sthénélus brûlent d'égaler la valeur de leurs pères, qu'Antilochus oublie sa jeunesse, qu'Ajax étale sur son vaste bouclier, dont l'orbe ressemble à un rempart, les dépouilles de sept rois des troupeaux, et que le vigilant Ulysse soit également redoutable par sa prudence et sa valeur, cependant toute l'armée n'a de pensées que pour Achille absent. Achille est le nom qu'elle aime ; c'est Achille seul qu'elle veut opposer à Hector : lui seul, dit-elle, est fatal aux Troyens et à Priam. Quel autre en effet a grandi dans les vallées de l'Hémonie, et essayé sur les neiges glacées ses premiers pas ? Qui, dès sa naissance, eut une école aussi rude, et un centaure pour former ses jeunes années ? Qui, par son origine, touche de plus près au ciel ? Quel est l'autre dont le beau corps a été plongé en secret par la main d'une Néréide dans ces ondes du Styx qui défient le fer ? Voilà ce que les cohortes grecques se répètent entre elles. La foule des chefs cède à Achille, et avoue sans regret qu'elle est vaincue. Ainsi, lorsque les habitants de l'Olympe se précipitèrent au combat dans les champs de Phlégra, déjà le dieu Mars levait sa lance thrace, Pallas dressait ses serpents libyens, le dieu de Délos courbait son arc immense ; mais la Terre, immobile, haletante d'effroi, les yeux fixés sur le seul Jupiter, attendait que du sein des nues il appelât les orages et le tonnerre, et demandât sa foudre à l'Etna embrasé.

Là, tandis qu'entourés de la foule de leurs soldats, les chefs délibèrent sur le moment de faire voile, de voler aux combats, Protésilas (Cool interpellant à grands cris le devin Calchas (car plus que tout autre Protésilas brûle de combattre, et déjà les destins lui ont accordé le premier trépas) : «Depuis trop longtemps, lui dit-il, ô fils de Thestor ! tu oublies Phébus et ton trépied. Quand sera-t-il plus à propos d'ouvrir cette bouche consacrée au Dieu, et de nous dévoiler les secrets des Parques ? Tu vois comme, ravis d'admiration, tous réclament le petit-fils d'Eaque, qu'ils ne connaissent pas encore. Le vulgaire dédaigne et le héros de Calydon, et le fils du grand Télamon, et le second Ajax, et moi-même ; mais Mars et Troie renversée vengeront notre gloire. 0 honte ! c'est lui qu'au mépris de tous les chefs, ils chérissentcomme le dieu des combats. Hâte-toi de nous apprendre (ou bien à quoi bon ces bandelettes sur ton front, et ces insignes pacifiques ?) quelle contrée lui sert de retraite, dans quels lieux il faut le chercher ; car la renommée publie qu'il n'est plus dans l'antre de Chiron, ni à la cour paternelle de Pélée. Fais donc enfin violence aux Dieux, déchire le voile des destins ; que ta bouche plus avide que jamais aspire la flamme des lauriers sacrés. Nous t'avons fait grâce des armes homicides, des glaives cruels ; jamais le casque ne profanera tes bandelettes innocentes : sois heureux, et que seul tu l'emportes sur tous les chefs réunis, si ta science prophétique découvre aux Grecs le grand Achille !»

Depuis longtemps le fils de Thestor promène autour de lui des regards troublés, et par sa pâleur annonce l'entrée du dieu dans son sein. Bientôt, roulant des yeux enflammés et sanglants, il ne voit ni ses compagnons, ni le camp ; mais aveugle, hors de lui, tantôt il surprend au milieu des airs les grandes assemblées des Dieux, tantôt il parle aux oiseaux prophétiques, tantôt aux cruels fuseaux des Parques ; ou bien il consulte avec anxiété les autels chargés d'encens, il saisit d'un rapide coup d'oeil la pointe des flammes, et se repaît des ténèbres sacrées. Ses cheveux se dressent, se hérissent, et font vaciller ses bandelettes ; son cou s'agite, et ses pas sont incertains.

Enfin sa bouche tremblante et fatiguée ouvre passage à de longs mugissements, et sa voix a vaincu la fureur qui l'oppressait.

«Où entraînes-tu avec tes ruses de femme le noble élève du grand Chiron, ô fille de Nérée ? C'est ici qu'il faut l'envoyer. Pourquoi l'emporter ? je ne le souffrirai pas. C'est à moi, à moi qu'il appartient ; tu es déesse de la mer, mais moi Phébus m'inspire. Dans quelle retraite essayes-tu de cacher le destructeur de l'Asie ? Je te vois à travers les hautes Cyclades, éperdue, et cherchant un rivage pour ton larcin honteux. C'en est fait : elle a choisi pour complice la terre de Lycomède. 0 crime ! une robe flottante descend sur la poitrine du héros : déchire-la, ô mon fils ! déchire-la ; ne crois pas ta craintive mère. Hélas ! on l'entraîne, il disparaît. Quelle est au loin cette vierge odieuse ?»

A ces mots, il s'arrête, il chancelle ; la fureur divine l'abandonne, et, épuisé, tremblant, il tombe au pied des autels. Alors le héros de Calydon s'adresse au roi d'Ithaque, qui rêve irrésolu : «C'est nous qu'appelle cette entreprise ; et je ne refuse pas d'y marcher sur tes pas, si ta prudence s'y sent entraînée. Quand même Thétis le cacherait dans ses antres sonores, à l'extrémité du monde, quand Nérée le presserait sur son sein humide, tu le trouveras. Donne seulement l'essor à ton esprit vigilant, aiguillonne ton sein fécond. Car, dans les circonstances douteuses, quel devin mieux que toi lit dans les destins ?» Ulysse lui répond avec joie :

«Puisse le Dieu tout-puissant confirmer tes présages ! puisse la vierge protectrice de ton père seconder tes desseins ! Mais l'incertitude du succès me retient encore. Il est beau sans doute d'amener dans le camp Achille prêt à combattre ; mais si les destins nous sont contraires, quel triste et honteux retour ! Cependant je veux tenter de remplir les voeux de la Grèce. Ou le fils de Pélée reviendra avec moi, ou sa retraite est bien profonde, et Apollon dédaigne Calchas».

Les Grecs applaudissent, et Agamemnon stimule leur ardeur. L'assemblée se sépare, et la foule dispersée fait entendre en se retirant un murmure de joie. Telles, aux approches de la nuit, les abeilles reviennent de la prairie, et le doux Hybla voit rentrer dans leurs cellules leurs essaims chargés d'un miel nouveau. Point de retard ; déjà les voiles du vaisseau d'Ulysse attendent un vent favorable, et une jeunesse joyeuse est assise, la main sur les rames.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:25

Cependant, bien loin de là, la jeune Déidamie, seule de ses soeurs, avait découvert, caché sous les dehors d'un sexe menteur, le véritable sexe du petit fils d'Eaque. Troublée par la conscience de sa faute secrète, tout lui fait peur ; et, quoique ses soeurs se taisent, elle se croit devinée. Car à peine le noble Achille fut-il mêlé à cette troupe de vierges, à peine les dernières paroles de sa mère eurent-elles dissipé sa pudeur farouche, que, dans toute cette foule si empressée autour de lui, il choisit pour compagne la belle Déidamie. Déjà, dans un doux badinage, il lui dresse mille pièges dont elle ne se défie pas : il la poursuit sans relâche, la dévore mille fois de ses regards avides : tantôt il se presse à son côté avec une ardeur dont l'excès ne paraît pas l'importuner ; tantôt il la frappe de ses guirlandes légères, de sa corbeille renversée à dessein, de son thyrse mollement balancé ; tantôt il lui enseigne à manier les cordes de sa lyre fidèle, à en tirer de doux sons, et à chanter les vers du centaure ; il guide sa main et froisse ses doigts délicats sur la cithare sonore : tantôt il arrête avec des baisers les chants de ses douces lèvres, il la presse dans ses bras, et la paye par mille caresses. Elle aussi apprend avec plaisir combien est haute la cime du Pélion, combien est grand le petit-fils d'Eaque : le nom répété du jeune héros, ses hauts faits l'étonnent de plus en plus, et elle chante Achille devant Achille même. A son tour, elle lui enseigne à déployer avec plus de modestie ses membres robustes, à polir du pouce les rudes fils de la laine ; elle refait son fuseau, et répare la tâche gâtée par sa main maladroite.

Cependant le sonde sa voix, la force de ses étreintes, son indifférence pour les autres jeunes filles, ses regards avidement fixés sur elle, ses soupirs qui souvent interrompent ses discours, tout étonne Déidamie. Plus d'une fois Achille allait lui découvrir sa ruse, mais la vierge légère s'enfuit et arrête l'aveu. Ainsi, sous les yeux de sa mère Rhéa, le jeune roi de l'Olympe donnait à sa soeur confiante de perfides baisers ; il n'était encore que son frère, mais bientôt il ne respecta plus les liens du sang, et effraya sa soeur par les transports d'un véritable amour. Enfin les ruses de la craintive Néréide furent dévoilées.

Un bois sacré, destiné aux fêtes du dieu fils d'Agénor, élevait jusqu'aux cieux sa cime superbe. Sous ses ombrages les mères célébraient tous les trois ans les orgies sacrées, et, les mains souillées des lambeaux des victimes, ou armées de débris d'arbres déracinés, elles se livraient à toutes les fureurs qu'aime Bacchus. La loi en excluait les hommes : le monarque vénérable réitère cette défense : nul autre que les femmes n'aura accès dans cet antre mystérieux. C'est peu encore : la redoutable prêtresse est debout sur la limite fixée, et explore les avenues, afin qu'aucun profanateur ne vienne errer autour de cette troupe de femmes. Achille sourit en silence : il marche à la tête de la cohorte virginale, et ses compagnes admirent le mouvement gracieux de ses bras robustes ; car ce sexe emprunté ne lui sied pas moins que le mensonge de sa mère. Déidamie a déjà cessé d'être la plus belle de son cortège ; autant elle efface ses soeurs par sa beauté, autant, à côté du bel Eacide, elle est effacée par lui. Le jeune héros détache la peau de daim de ses épaules ; il attache avec le lierre les plis flottants de sa robe, couronne ses blonds cheveux de bandelettes de pourpre, puis soudain d'un bras vigoureux, il lance le javelot verdoyant. La foule s'arrête immobile et saisie de crainte ; le sacrifice est interrompu ; on entoure Achille, tous les regards baissés à terre se lèvent sur lui. Tel, lorsque dans Thèbes Bacchus a livré à la joie son coeur et son visage, lorsqu'il s'est rassasié de tous les plaisirs de sa voluptueuse patrie, il détache de sa chevelure sa mitre et ses guirlandes, arme son bras du thyrse vert, et retourne plus belliqueux soumettre les Indes.

La Lune, sur son char de roses, franchissait les hauts sommets du ciel et achevait la moitié de sa course : c'était l'heure où le Sommeil plus languissant s'abat de tout son vol sur la terre, et enveloppe de ses ailes l'univers silencieux. Les choeurs ont cessé, et l'airain longtemps agité se tait un moment. Seul, loin de l'aimable troupe de ses compagnes, Achille roule en lui-même ces pensées : «Jusques à quand subiras-tu la ruse d'une mère craintive, perdant ainsi dans une molle prison la première fleur de ton courage ? Hé quoi ! il ne m'est plus permis de lancer les traits de Mars, de chasser, de poursuivre les bêtes féroces ! Où sont les campagnes et les fleuves de l'Hémonie ? O Sperchius ! tes ondes, qui me reçurent tant de fois, ne redemandent-elles pas leur Achille, et cette chevelure que je t'avais promise ? N'a-t-on plus que du mépris pour ce disciple fugitif ? Me croit-on descendu aux sombres rives du Styx ? Chiron, privé de son élève, pleure-t-il mon trépas ? C'est toi, ô Patrocle ! qui maintenant brandis mes javelots, courbes mon arc ; c'est toi qui montes les coursiers que ma main a nourris : et moi, développer mon bras avec grâce en agitant le thyrse orné de pampres, tourner le fuseau (ô honte que je rougis d'avouer !), voilà toute ma science ! Que dis-je ? l'amour dont je suis épris pour une vierge de mon âge, cette flamme qui brûle mon coeur et le jour et la nuit, je la dissimule ! Jusques à quand renfermeras-tu ta blessure dans ton sein embrasé ? et même en amour (ô honte !) ne sauras-tu prouver que tu es homme ?»

Il dit, et, profitant des ombres épaisses de la nuit et du silence profond qui favorise ses larcins, il parvient par la violence au comble de ses voeux, et presse son amante contre son coeur dans une brûlante étreinte. Du haut du ciel tout le choeur des astres sourit, et le croissant virginal de la lune rougit de pudeur. Déidamie remplit de ses cris les bois et la montagne ; mais les Bacchantes, secouant l'épais nuage du sommeil, croient entendre le signal de nouvelles danses. De toutes parts s'élèvent les clameurs bien connues des orgies, et Achille agite de nouveau son thyrse ; mais auparavant il rassure son amante par ces douces et consolantes paroles :

«C'est moi, pourquoi trembles-tu ? c'est moi qu'une déesse de la mer a engendré dans les forêts du Pélion, et qu'elle a fait élever au milieu des neiges de la Thessalie. Je n'aurais pas souffert cette parure, ce honteux vêtement, si d'abord je ne t'avais aperçue sur le rivage ; j'ai cédé pour toi seule, pour toi j'ai tourné le fuseau, pour toi j'ai porté ces instruments de femme. Pourquoi pleurer, quand tu deviens la fille du grand Océan ? Pourquoi gémir, quand tu vas donner au ciel une illustre postérité ? Mais ton père, mais Scyros périra anéantie par le fer et la flamme, mais ces murailles s'écrouleront sous l'effort des tempêtes amoncelées, avant qu'un trépas cruel t'arrache à ton époux. Non, je ne serai pas à ce point docile en tout aux ordres de ma mère. Va, mais sois discrète, et garde le secret de ta pudeur ravie».

Tant de prodiges étonnent et effrayent la jeune princesse, bien qu'elle ait quelquefois soupçonné l'artifice ; près d'Achille maintenant elle frissonne, et depuis son aveu elle lui trouve des traits bien différents. Que fera-t-elle ? Ira-t-elle instruire son père de son malheur ? ira-t-elle se perdre, et avec elle perdre son jeune amant, que menace peut-être un cruel supplice ? Dans son coeur vit encore cet amour si longtemps trompé. Elle garde un douloureux silence, et cache une faute dont elle est déjà complice. Elle ne confie son secret amoureux qu'à sa seule nourrice, qui, vaincue par leurs prières, consent enfin à les servir. Grâce à ses ruses, les larcins de la pudeur, ce sein qui se gonfle et s'affaisse sous le pénible fardeau des mois, échappent à tous les regards ; enfin le terme prescrit arrive, et Lucine la soulage de ses longues douleurs.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:25

LIVRE II
Déjà le vaisseau du fils de Laërte fendait les flots de la mer Egée, et mille vents divers le poussaient à travers les Cyclades. Paros et Oléaros ont disparu ; déjà les rivages élevés de Lemnos ont été effleurés par la rame ; derrière décroît Naxos, l'île chère à Bacchus, tandis qu'en face grandit Samos. Déjà l'ombre de Délos obscurcit la mer ; là, du haut de la poupe, les héros offrent des libations au dieu, et le supplient de ratifier l'oracle, de confirmer la parole de Calchas.

Le dieu à l'arc divin les entendit ; du sommet du Cynthus il envoie le Zéphyre, enfle leurs voiles, et les rassure par ce présage. Le vaisseau vogue sans danger, car les ordres absolus du maître du tonnerre défendent à Thétis de renverser les lois immuables du destin. Accablée de tristesse, elle répand des larmes amères, elle gémit de ne pouvoir bouleverser les flots, et, avec l'aide des vents et de la mer déchaînée, poursuivre l'odieux Ulysse.

Déjà Phébus, penché vers l'extrémité de l'Olympe, brisait ses rayons contre la mer, et promettait à ses coursiers haletants une retraite au sein des ondes, quand tout à coup les âpres rochers de Scyros commencèrent à poindre à l'horizon. Le héros fils de Laërte déploie, pour y aborder, toutes ses voiles ; il ordonne à ses compagnons de recommencer la lutte contre les flots (9), et d'aider par les rames le souffle languissant du Zéphyre. On obéit à ses ordres. Scyros se découvre de plus en plus, et l'on aperçoit le temple de Pallas, protectrice de ce paisible rivage : Ulysse et Diomède sortent du vaisseau, et adorent la divinité amie. Alors le plus prudent des héros, pour ne pas effrayer cette terre hospitalière par la soudaine apparition de tous ses guerriers, leur ordonne de rester dans le navire. Lui-même avec son fidèle Diomède gagne les hauteurs. Mais déjà Abas, qui garde la tour du rivage, les a devancés, et annonce au roi que des voiles grecques, mais inconnues, sont entrées dans le port. Les deux guerriers s'avancent, comme, dans une nuit orageuse, deux loups s'associent pour le carnage : malgré la faim qui les presse et qui tourmente leurs petits, ils dissimulent cependant leur rage et leurs projets perfides ; ils se glissent en rampant, de peur que des chiens vigilants n'annoncent l'ennemi et ne jettent l'alarme parmi les bergers.

Ainsi marchent lentement les deux héros, et, en traversant la vaste plaine qui s'étend entre le port et les remparts de la ville, ils conversent entre eux. Le bouillant fils de Tydée commence : «Par quel moyen pourrons-nous réussir dans nos recherches ? Depuis longtemps je réfléchis, et je ne puis comprendre pourquoi dans les villes que nous avons visitées tu as acheté ces thyrses efféminés, ces cymbales, ces tambourins de Bacchantes, et ces mitres, et ces peaux de daim parsemées d'or ; pourquoi tu les apportes ici. Sont-ce là les armes dont tu veux revêtir Achille, le fléau des Phrygiens et de Priam ?»

Le roi d'Ithaque lui sourit doucement : «Ces présents, dit-il, si toutefois le fils de Pélée est chez Lycomède, caché parmi les vierges de sa cour, arracheront au jeune héros un aveu qui l'entraînera aux combats. Souviens-toi, lorsqu'il en sera temps, de les apporter du vaisseau, et d'y joindre ce bouclier enrichi de ciselures, rehaussé d'un or étincelant : cela suffira. Qu'Agyrte, l'habile héraut, t'accompagne, et que pour un secret usage il apporte en cachette son clairon sonore».

Il dit, et aperçoit le roi à la porte de la ville ; aussitôt, lui présentant l'olivier pacifique, il lui adresse ces paroles :

«Depuis longtemps sans doute la renommée a porté jusqu'à tes oreilles, ô le meilleur des rois ! le bruit de cette affreuse guerre qui ébranle l'Europe et l'Asie. Si tu veux connaître les noms des chefs auxquels notre vengeur, Atride, accorde sa confiance (et ces noms ont dû parvenir jusqu'à toi) : voici le digne rejeton d'une noble race, le fils du magnanime Tydée, plus brave encore que son père : moi, je suis Ulysse, le roi d'Ithaque. Le motif de notre voyage (pourquoi craindrais-je de tout avouer à un Grec, renommé entre tous pour sa fidélité ?), c'est d'explorer les abords, les rivages ennemis de Troie, et d'observer ses préparatifs». Lycomède l'interrompt : «Puisse la fortune vous sourire, puissent les Dieux seconder vos projets ! Honorez maintenant par votre présence mon toit hospitalier et mes sacrés pénates». En même temps il les introduit.

Aussitôt la foule des esclaves prépare les tables et les lits. Ulysse, pendant ce temps, parcourt d'un regard scrutateur tout le palais, dans l'espoir de découvrir quelque jeune fille à la haute taille, ou quelque visage aux traits douteux et suspects. Il erre sous les vastes portiques, visite tous les appartements, comme s'il en admirait les beautés. Tel un chasseur qui a trouvé le repaire d'une bête fauve, parcourt en silence avec ses chiens les lieux environnants, jusqu'à ce que, sous le feuillage, il aperçoive son ennemi, qui dort étendu sur la terre, ses défenses cachées sous le gazon. Cependant le bruit circule jusque dans la partie la plus secrète du palais, sûre et paisible retraite des jeunes vierges, qu'un vaisseau grec, que des rois pélasges sont arrivés, et qu'ils ont été reçus en amis : à cette nouvelle, toutes sont saisies d'un juste effroi. Mais le fils de Pélée cache avec peine sa joie ; il désire avidement, même sous cet habit qu'il porte, de voir ces héros si nouveaux pour lui, et de contempler leur armure. Déjà dans le palais tout est en mouvement pour la fête royale, et l'on prend place sur les lits de pourpre. Lycomède fait venir ses filles et leurs chastes compagnes. Elles entrent, semblables aux Amazones, quand sur les rives méotides elles reviennent, après avoir ravagé les demeures des Scythes et soumis les peuplades gètes, déposer leurs armes et se livrer aux festins.

Alors Ulysse examine d'un oeil attentif le visage et le sein de chacune d'elles ; la nuit, les flambeaux qu'on apporte, trompent sa vue, et les lits sur lesquels elles sont couchées lui dérobent l'inégalité de leurs tailles. Et cependant l'une d'elles à la tête haute, au regard libre, en qui rien n'annonce la pudeur des jeunes filles, a fixé l'attention d'Ulysse, qui la montre de l'oeil à son compagnon. Si Déidamie n'avertissait son amant, si elle ne retenait son impétuosité dans ses bras caressants, si elle n'avait soin de ramener ses vêtements sur sa poitrine, sur ses bras, sur ses épaules découvertes, si elle ne l'empêchait de s'élancer du lit, de faire remplir trop souvent sa coupe, si elle ne replaçait sur son front l'or qui retient ses cheveux, déjà les chefs grecs auraient reconnu Achille.

Deux et trois fois des mets divers se sont succédé, et la faim est apaisée. Le roi adresse la parole aux Grecs, et, la coupe à la main, leur donne l'exemple : «O vous l'honneur de la nation grecque, dit il, je porte envie, je l'avoue, à vos nobles projets. Plût aux Dieux que j'eusse encore ma vigueur d'autrefois, lorsque les Dolopes vinrent attaquer les rivages de Scyros, et que, domptés par mon bras, la mer engloutit leurs débris ! Vous avez vu les trophées de ma victoire, ces carènes suspendues aux murailles. Si du moins j'avais un fils, que je pusse envoyer partager vos périls, ma joie serait entière, car je pourrais vous servir. Mais vous voyez les seuls appuis de mon trône, les gages chéris de mon hymen. Quand me donneront-elles de nouveaux rejetons de mon sang ?»

Il dit ; et l'adroit Ulysse saisissant l'occasion : «Oui, dit-il, c'est une noble ambition que la tienne : qui ne brûlerait du désir de voir des nations innombrables, tant de chefs divers, et cette armée de rois ? Toute la fleur de l'Europe, tout ce qu'elle compte de guerriers puissants a juré sur le glaive vengeur. Les campagnes, les villes sont désertes, les hautes montagnes dépouillées de leurs forêts ; l'ombre de nos voiles couvre la mer. Les pères arment leurs fils, toute la jeunesse accourt ; jamais plus belle moisson de gloire ne s'offrit aux braves, jamais plus vaste carrière ne fut ouverte au courage !» Ulysse regarde Achille ; attentif, il dévorait ces paroles d'une oreille avide, tandis que les autres tremblaient, baissant leurs yeux vers la terre. Le héros continue : «Quiconque a des aïeux et une race illustre, quiconque sait dompter un cheval, lancer un javelot, tendre un arc, c'est là que l'honneur l'appelle, là que tous les grands noms viennent disputer le premier rang. A peine si les mères, si les vierges se résignent à garder le foyer domestique. Il est condamné à traîner des jours stériles, il est haï des Dieux, le lâche que tant de gloire n'émeut pas !» Achille allait s'élancer ; mais la prévoyante Déidamie donne le signal, et quitte la table, suivie de toutes ses soeurs. Elle le serre dans ses bras ; mais le jeune héros s'arrête, les yeux fixés sur le roi d'Ithaque, et sort le dernier de la salle du festin.

Ulysse d'un ton plus calme ajoute ce peu de paroles : «Pour toi, demeure tranquille, au sein d'une paix profonde ; ménage de dignes alliances à tes filles chéries : le sort les a douées d'une beauté égale à celle des déesses. Avec quelle admiration tout à l'heure je les contemplais en silence ! Quelle grâce ! quelle mâle fierté unie à tous les charmes !»

L'heureux père l'interrompt : «Que serait-ce si vous les aviez vues célébrer les orgies sacrées, ou danser autour des autels de Pallas ? Vous jouirez de ce spectacle, pourvu que l'Auster se fasse encore attendre». Les deux héros acceptent avec joie, et en conçoivent secrètement de nouvelles espérances. Exempte de toute inquiétude, la cour de Lycomède repose en paix ; mais la nuit paraît longue au roi d'Ithaque, et, fatigué des ténèbres, il appelle le jour.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:25

A peine le soleil s'est levé, que déjà, accompagné d'Agyrte, le fils de Tydée arrive chargé des riches présents. Non moins empressées, les filles de Scyros quittent leurs appartements, impatientes d'offrir à leurs augustes hôtes le spectacle de leurs danses et des cérémonies sacrées. Au-dessus de toutes les autres brillent Déidamie, et le fils de Pélée qui l'accompagne. Telles, en Sicile, au pied de l'Etna, resplendissent, au milieu des Naïades leurs compagnes, et Diane, et la fière Pallas, et l'épouse du roi de l'Elysée. Déjà leurs pieds s'agitent en cadence, et le bois sacré de l'Ismène a donné le signal des danses. Quatre fois les cymbales de Rhéa, quatre fois les tambourins de Bacchus retentissent, et quatre fois les choeurs reviennent sur eux-mêmes par mille évolutions variées. Tantôt toutes ensemble elles lèvent les thyrses et les abaissent ensemble, tantôt elles précipitent leurs pas, à la manière des Curètes et des Samothraces, si occupés des choses divines ; ou bien, rangées de front, elles figurent le peigne amazonien (10), ou tournent en un cercle rapide, semblables aux Lacédémoniens, dont la déesse de Délos, dans la ville d'Amyclée, aime à conduire les danses et à croiser les pas : c'est alors, alors surtout qu'Achille se trahit ; il ne songe pas à suivre les évolutions, à entrelacer ses bras ; alors plus que jamais il dédaigne la grâce du maintien, et l'habit qu'il a revêtu ; il rompt les choeurs et y jette le désordre. Tel Penthée repoussait avec indignation les thyrses et les tambours de sa mère, aux yeux de Thèbes attristée.

La troupe légère se sépare au bruit des applaudissements, et regagne le seuil paternel. Là, dans une salle du palais, Tydée a fait placer, pour attirer les regards des jeunes vierges, les présents, gage d'hospitalité, récompense de leurs fatigues. Il les invite à choisir, et le bon roi ne s'y oppose pas : âme simple, hélas ! et trop confiante, qui ignore la perfidie de ces présents, les ruses des Grecs et les artifices d'Ulysse. Aussitôt toutes, guidées par les goûts de leur sexe, par leur instinct naturel, agitent les thyrses polis, essayent les tambourins sonores, ou se ceignent le front de bandelettes enrichies de pierreries ; elles voient des armes, et s'imaginent que c'est un présent destiné à leur père. Mais, dès que le farouche Eacide aperçoit le bouclier étincelant où sont ciselés d'affreux combats, que la guerre a rougi de ses traces sanglantes, dès qu'il voit à côté la lance homicide, soudain il frémit, la flamme jaillit de ses yeux, et sur son front découvert ses cheveux se sont dressés. Pour lui, plus d'avis maternels, plus de mystère d'amour : Troie tout entière est dans son coeur.

Tel un lion arraché à la mamelle de sa mère oublie sa férocité : il laisse peigner sa crinière, il apprend à craindre l'homme, ne s'abandonne qu'à la fureur qui lui est commandée : mais que le fer vienne à frapper ses regards, c'en est fait, il abjure sa docilité ; celui qui l'a dompté devient son ennemi et la première victime de sa faim ; il a honte d'avoir servi sous un maître qu'il voit trembler.

Achille s'est approché de plus près ; l'éclat du bouclier réfléchit ses traits, et il reconnaît dans l'or sa fidèle image. A cette vue, il a horreur de lui-même et rougit de honte. Aussitôt Ulysse se penche à son côté, et lui dit à voix basse : «Pourquoi hésites-tu ? nous le savons, c'est toi qui es l'élève du centaure Chiron, le petit-fils du Ciel et de l'Océan ; c'est toi que la flotte dorique, toi que la Grèce attend, pour déployer ses étendards ; toi dont le nom seul ébranle déjà les murs de Pergame. Eh bien, suis-moi donc ; plus de retard, viens ; que la perfide Ida pâlisse, que ton père s'enorgueillisse au récit de tes hauts faits, et que ta mère ait honte de ses ruses et de ses alarmes». Déjà Achille dégageait sa poitrine de sa robe, quand, sur l'ordre d'Ulysse, Agyrte fait entendre une fanfare guerrière ; les jeunes vierges s'enfuient aussitôt, jettent çà et là les présents, et courent implorer leur père : elles croient entendre le signal des combats. Mais la robe d'Achille est d'elle-même tombée de sa poitrine. Déjà un bouclier, une lance plus courte arment son bras. 0 prodige ! il paraît surpasser de toutes ses épaules et le roi d'Ithaque et le héros d'Etolie ; tant ses armes éblouissantes et ses regards étincelants jettent le trouble et la frayeur dans le palais ! Terrible dans sa démarche, comme si déjà il provoquait Hector, il s'arrête, debout, aa milieu des spectateurs épouvantés : on cherche en vain la fille de Pélée. Cependant Déidamie pleurait à l'écart, en voyant la fraude découverte. Achille entend ces gémissements douloureux, et cette voix si chère à son coeur ; il hésite, et le feu secret qui le brûle abat son courage ; il laisse tomber son bouclier, se tourne vers le roi, que ces destins étranges, ces prodiges inattendus ont rempli d'étonnement et d'épouvante, et tel qu'il est, revêtu de ses armes, il adresse ces mots à Lycomède :

«C'est moi, ô mon père chéri ! bannis tes alarmes, c'est moi que Thétis a remis entre tes mains. Cette gloire insigne t'était réservée. Tu envoies Achille aux Grecs qui le réclament, Achille, qui, si je puis le dire, t'aime plus que son illustre père, plus que Chiron, son maître chéri. Mais daigne encore m'écouter un moment et accueillir avec bonté mes paroles. Pélée et Thétis, dont tu fus l'hôte, t'ont choisi, ô roi ! pour le beau-père de leur fils, et tous deux font remonter leur race jusqu'aux Dieux. Ils te demandent pour moi une des vierges de ta nombreuse famille : veux-tu Achille pour gendre ? Suis-je à tes yeux d'un sang trop obscur ? me crois-tu dégénéré ? Tu ne refuses pas ? eh bien, unis nos mains et scelle notre hyménée, et pardonne à tes enfants. Déidamie est à moi, l'amour me l'a secrètement livrée. Quel mortel en effet pourrait résister à mon bras ? quelle vierge en mon pouvoir eût échappé à ma flamme ? Ne fais payer cette faute qu'à moi. Je dépose les armes, je les rends aux Grecs, et je reste. Pourquoi frémir ? pourquoi ce regard courroucé ? Déjà tu es mon père, (et jetant son fils aux pieds du vieux roi, il ajoute) et déjà tu es aïeul. Toutes les fois qu'il faudra manier le glaive, nous serons assez pour te défendre». En même temps les Grecs, au nom des droits les plus sacrés, au nom de l'hospitalité, implorent Lycomède, et Ulysse joint à leurs prières sa parole persuasive.

Le roi ressent l'injure faite à sa fille chérie ; il est retenu par les ordres de Thétis, il craint de livrer le précieux dépôt que lui a confié la déesse, et cependant il n'ose s'opposer aux arrêts manifestes du destin, et enchaîner encore les armes de la Grèce ; et le voulût-il, Achille en ce moment eût méconnu l'autorité de sa mère elle-même. Pour refuser l'alliance d'un tel gendre, la force lui manque, il cède. Déidamie sort en rougissant de la retraite où elle se tenait cachée. Troublée par la joie, elle n'ose croire encore à son pardon, et apaise son père en se plaçant derrière Achille.

On députe en Thessalie vers Pélée, pour l'instruire de ces grands événements et lui demander une flotte et des combattants. Le roi de Scyros lui-même offre à son gendre deux vaisseaux, et s'excuse auprès des Grecs de ce faible secours. Le reste du jour se passe en festins. Enfin l'alliance est confirmée, et la nuit, qui désormais ne sera plus témoin de leurs craintes, unit les deux amants. Achille n'a devant les yeux que les combats, le Xanthe, l'Ida et les vaisseaux grecs, tandis que Déidamie songe déjà à la mer et redoute l'aurore. Couchée sur le sein chéri de son jeune époux, elle verse des larmes et le serre dans ses bras. «Te reverrai-je encore, ô mon Eacide ? pourrai-je encore poser ma tête sur cette poitrine ? Daigneras-tu aimer encore ton fils ? Vainqueur des Troyens, rapportant sur tes vaisseaux Troie entière, te souviendras-tu encore, dans l'ivresse du succès, de la retraite où tu passas pour une jeune fille ? Quel sera, hélas ! le premier objet de mes peines et de mes craintes ? Que te recommanderai-je, dans le trouble qui m'agite, quand déjà le temps me manque pour pleurer ? Une seule nuit te donne et t'enlève à mon amour. Voilà donc toutes les heures accordées à la couche nuptiale, voilà les douceurs d'un hymen autorisé ! O doux larcins d'amour ! ô ruses ! ô frayeur ! qu'êtes-vous devenus ? On ne me donne Achille que pour l'arracher de mes bras. Mais va, je ne voudrais pas arrêter une si noble entreprise ; va, mais sois prudent ; souviens-toi que Thétis ne craignit pas en vain ; va, triomphe, et reviens tout à moi. Mais j'exige trop. Bientôt les Troyennes, belles de leurs larmes et de leurs gémissements, te verront, et voudront enlacer ton cou dans leurs bras, et se dédommager par tes caresses de la perte de leur patrie. Ou bien elle te charmera peut-être elle-même, la fille de Tyndare, trop vantée pour cet enlèvement adultère ; et moi, ou je serai la risée de tes esclaves, que tu amuseras avec le récit de tes premières amours, ou tu garderas le silence, et je serai oubliée. Oh ! permets-moi plutôt de t'accompagner : pourquoi ne porterai-je pas avec toi les drapeaux de Mars ? Tu as bien avec moi (ce que ne croira jamais la malheureuse Troie) manié le fuseau et porté les insignes sacrés de Bacchus ! Mais au moins que cet enfant, la seule et triste consolation que tu me laisses, que cet enfant te soit toujours cher ! accorde à ma prière cette seule grâce : Que jamais une épouse barbare ne te rende père ; qu'une captive ne donne jamais à Thétis d'indignes neveux».

Elle dit, et Achille ému la console, lui jure fidélité, et confirme ses serments par ses pleurs. Il lui promet à son retour de nobles captives, et les dépouilles d'Ilion, et les trésors de l'opulente Phrygie ; mais les vents orageux emportent ses vaines promesses.

Sorti du sein de l'Océan, le jour a dissipé les humides ténèbres dont l'univers était enveloppé, et le père de la brillante lumière levait son flambeau, qui, pâlissant encore par le voisinage de la nuit, laissait tomber en rosée les vapeurs de la mer. Déjà revêtu d'un manteau de pourpre noué sur sa poitrine, et tout brillant de l'éclat des armes dont il s'est d'abord emparé, Achille, qu'appellent et les vents, et les ondes où règne sa mère, attire tous les regards. On tremble devant le jeune héros, et l'on n'ose se souvenir de ce qu'il fut, tant il paraît changé ! on dirait que jamais il n'est venu aux rivages de Scyros, et qu'il vient d'être arraché aux antres du Pélion.

Alors, suivant l'usage, et d'après les conseils d'Ulysse, Achille offre un sacrifice aux Dieux de la mer et aux Vents ; et au bord même des flots il immole un taureau en l'honneur du roi de l'empire azuré, et de Nérée, son aïeul ; une génisse ornée de bandelettes apaise sa mère. Puis, jetant dans les vagues écumantes les entrailles qui palpitent encore : «Je t'ai obéi, ô ma mère ! bien que l'obéissance fût pénible à mon courage, je t'ai trop obéi ; maintenant je cours où m'appellent et la guerre de Troie et les vaisseaux de la Grèce». Il dit, et s'élance sur le navire ; le vent siffle, et l'éloigne de ces bords. Déjà au-dessus de sa tête grandissent les nuages, et Scyros décroît dans le lointain au milieu de l'Océan.

Cependant, au loin, sur une tour élevée, accompagnée de ses soeurs en larmes, et portant le jeune enfant qu'elle ose avouer, qu'elle nomme Pyrrhus, la malheureuse épouse reste penchée ; et, les yeux fixés sur les voiles, elle marche avec le navire, et seule elle voit encore les flots et la poupe fugitive. Achille aussi tourne ses regards vers ces murs chéris, et songe à sa demeure qu'il a laissée vide, aux gémissements de son amante abandonnée. La passion cachée au fond de son coeur renaît, et prend un moment la place de sa mâle vertu. Le héros fils de Laërte a compris sa tristesse, et pour la calmer il lui adresse ces paroles amies : «Eh quoi ! s'écrie-t-il, c'est toi auquel les destins promettent le ravage de l'opulente Troie, toi que réclament et la flotte des Grecs et les oracles des Dieux, toi que Mars attend, debout sur le seuil ouvert de son temple, c'est toi qu'une mère artificieuse a revêtu d'un habit de femme ! En cachant dans l'ombre ce grand larcin, a-t-elle pu espérer un secret inviolable ? Sollicitude coupable ! sentiments trop maternels ! Quoi ! il languissait dans l'ombre et le mystère, ce courage qui, aux premiers sons de la trompette, s'est soustrait à Thétis, à ses compagnes, à la flamme qu'il avait jusqu'alors cachée ? Car si tu cours aux armes, si tu nous suis, et si tu écoutes nos prières, la gloire n'en est pas à nous ; tu serais venu de toi-même». Le héros petit-fils d'Eaque l'interrompt par ces paroles : «Il serait long de t'exposer les causes de mon retard et la fraude criminelle de ma mère. Cette épée vengera la honte de Scyros et le déshonneur de cette parure, qu'il faut imputer aux destins. Mais toi plutôt, tandis que la mer est paisible, et que les zéphyrs enflent les voiles, dis-moi quelle fut la première cause de cette guerre, donne-moi un juste motif de m'irriter contre Troie». Le roi d'Ithaque reprend d'un peu loin les événements : «Dans le pays d'Hector, s'il faut en croire la renommée, on dit qu'un berger, choisi pour décerner le prix de la beauté, vit devant lui comparaître trois déesses qui briguaient cet honneur ; mais ni Minerve aux traits mâles et farouches, ni la compagne du maître des cieux, ne purent attirer sur elle un regard favorable ; il ne vit, dans sa folle ardeur, que la seule Vénus. Par la volonté des Dieux, la source de tous ces maux vient des antres mêmes que tu as habités, lorsque le Pélion serra les doux liens de Thétis et de Pélée ; tu fus dès lors promis à nos armes. La colère enflamme la déesse vaincue ; le juge réclame sa fatale récompense ; la facile Amyclée est désignée au ravisseur. Aussitôt il fait tomber sous la hache le bois sacré de Phrygie, le sanctuaire de la déesse au front couronné de tours, les pins, qui jamais n'auraient dû toucher le sol ; et, porté sur les flots vers la Grèce, vers la terre hospitalière d'Atride, ô honte ! ô déshonneur de la puissante Europe ! il envahit la couche de son hôte, et, fier de la conquête d'Hélène, il fend de nouveau les flots, et emmène Argos captif à Pergame. Le bruit s'en répand dans toutes les villes de la Grèce, et soudain, de nous-mêmes, sans exhortations, nous nous rassemblons pour la vengeance. Qui donc souffrirait que la ruse brisât ainsi les liens sacrés de l'hyménée, que son épouse fût ravie comme une proie facile, fût entraînée comme un troupeau de boeufs, ou les gerbes d'une vile moisson ? A cet affront, le lâche lui-même se sentirait ému. Le puissant Agénor ne souffrit pas les artifices des Dieux, ni ies mugissements du taureau sacré ; il alla chercher Europe jusque dans les bras de son divin ravisseur, et dédaigna pour gendre le maître du tonnerre. Eétès ne souffrit pas que sa fille fût enlevée aux rivages de la Scythie, et, le fer à la main, il poursuivit avec sa flotte le roi, enfant des Dieux, et le navire qui devait monter un jour parmi les astres (11). Et nous, nous souffrirons qu'un Phrygien efféminé insulte, de son navire adultère, les ports et les rivages de la Grèce ! La Grèce n'a-t-elle donc plus d'armes, de chevaux ? les chemins de la mer nous sont-ils fermés ? Eh quoi ! si quelque téméraire voulait ravir Déidamie aux bords paternels, l'arracher de son palais désolé, tremblante, épouvantée, invoquant le nom d'Achille...» Achille a porté la main à la garde de son épée, et la rougeur est montée à son visage : Ulysse satisfait garde le silence.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:25

Le fils d'Oenée reprend : «O digne sang des Dieux, apprends-nous plutôt quelles furent les premières habitudes, les premières leçons de ton enfance ; puis quand approcha ta robuste jeunesse, comment Chiron jeta dans ton coeur les semences de la gloire, comment il ouvrit ton âme à la vertu, par quel art il sut à la fois fortifier tes membres et ton courage. Accorde cette faveur à des compagnons, à des amis dévoués ; que ce soit là notre récompense pour avoir été chercher Scyros bien loin à travers les ondes, et avoir les premiers armé ton bras du glaive».

Qui n'aime à parler de ses actions ? Cependant Achille commence avec modestie ; il hésite un moment, et semble ne céder qu'à la contrainte : «On dit que, dès mes plus tendres années, et pendant toute mon adolescence, du jour où le vieillard de Thessalie me reçut dans son âpre montagne, je ne goûtai aucun des aliments ordinaires. Jamais, pour rassasier ma faim, je n'eus de douces mamelles, mais les dures entrailles des lions, et la moelle palpitante encore que je suçais avec plaisir : voilà quels furent d'abord pour moi les présents de Cérès, les dons joyeux de Bacchus, que me permettait mon nouveau père. Bientôt il m'entraîna à grands pas sur ses traces, à travers les repaires inaccessibles ; il m'apprit à sourire à la vue des bêtes féroces, à ne trembler ni au fracas des rochers brisés par les torrents, ni dans le profond silence d'une vaste forêt. Déjà j'avais la lance à la main, le carquois sur l'épaule, et l'amour précoce du fer. Le soleil et le froid avaient durci ma peau ; mes membres ne reposaient point sur une couche moelleuse ; je partageais le rocher où dormait mon maître. A peine mon enfance avait-elle, dans ces exercices pénibles, achevé pour la dixième fois le cercle de l'année, que déjà il me forçait à devancer les cerfs légers et les Lapithes montés sur leurs coursiers, à suivre à la course une flèche lancée devant moi, et lui-même souvent provoquait mon agile jeunesse, et s'élançait sur mes traces de toute la vitesse de ses pieds rapides ; puis, quand il me voyait épuisé de ma longue course à travers la campagne, il m'applaudissait en riant, et me soulevait sur ses épaules. Souvent aussi, à peine les flots commençaient-ils à s'arrêter engourdis, qu'il m'ordonnait de marcher légèrement sur la glace sans la briser. C'étaient là les glorieux exploits de mon enfance. Vous dirai-je maintenant mes combats dans les forêts et les bois, jadis retentissant de hurlements féroces, maintenant silencieux ? Jamais Chiron ne me permit de poursuivre dans les défilés de l'Ossa les faibles lynx, ou de percer de mes traits les daims timides ; il m'ordonnait d'aller troubler dans leur tanière les ourses farouches, les sangliers à la course foudroyante, ou parfois quelque tigre monstrueux, quelque lionne retirée dans son antre avec ses lionceaux. Lui-même, assis dans sa vaste caverne, attendait que je revinsse triomphant, et tout couvert d'un noble sang. Et jamais il ne m'admit à ses caresses avant d'avoir visité mes javelots. Bientôt, quand j'approchai de la jeunesse, il me forma aux sanglantes mêlées du fer ; les cruels exercices de Mars me furent tous enseignés. J'appris comment les Péons (12) font tournoyer leurs armes, comment les Macètes lancent leurs javelots, comment les Sauromates font tourbillonner leur ceste, comment les Gètes brandissent la faux, comment le Gélon tend son arc, comment enfin le frondeur des îles Baléares, balançant sa courroie sifflante, suspend le coup fatal, jusqu'à ce que le trait déchire en partant l'air qui l'emprisonne. J'aurais peine à raconter tous ces exercices, auxquels je me livrais encore il y a si peu de temps. Tantôt il m'enseignait à franchir d'un bond les fossés, tantôt à gravir une montagne jusqu'à sa cime aérienne, d'un pas aussi ferme et aussi rapide qu'en pleine campagne ; et, dans un combat simulé, à recevoir sur l'orbe de mon bouclier d'énormes pierres, à pénétrer dans une cabane en feu, à arrêter à pied dans leur vol les coursiers d'un quadrige. Je m'en souviens : un jour le Sperchius roulait avec impétuosité ses flots grossis par des pluies continuelles et les neiges fondues, et entraînait dans son cours des arbres déracinés et des quartiers de roche : le centaure m'envoie où l'onde se précipite avec le plus de fureur, et m'ordonne de tenir ferme et de repousser des vagues amoncelées, dont lui-même, malgré l'appui plus solide de ses pieds, aurait difficilement soutenu les assauts. Je tins ferme cependant, et ne me laissai point entraîner par la rapidité du courant, ni troubler par les ténèbres de ce gouffre. Le farouche Chiron, penché au-dessus de moi, me menaçait, et par ses paroles irritait mon orgueil : je ne m'éloignai que sur son ordre. C'est ainsi que la gloire excitait mon courage, et, sous les regards d'un si grand maître, nul travail ne m'était pénible. Cacher dans les nuages un disque d'Oebalie, étreindre la glissante Palès, faire voler çà et là le ceste, c'était pour moi un jeu, un délassement. Et la sueur alors ne mouillait pas plus mon front que quand je faisais vibrer sous l'archet d'Apollon les cordes sonores de ma lyre, et que, dans un saint ravissement, je chantais la gloire des antiques héros. Il m'apprit aussi à connaître les sues des plantes, les herbes bienfaisantes, celles qui étanchent le sang, qui procurent le sommeil, qui ferment les blessures, à distinguer les plaies que le fer peut guérir, celles qui ne cèdent qu'aux simples. Il grava dans mon coeur ces préceptes de la sainte justice, qui toujours le guidait, quand il dicta ses lois augustes aux peuples du Pélion, et adoucit les moeurs sauvages des centaures. Telles furent jusqu'à ce jour, ô mes compagnons ! les leçons de ma jeunesse : je m'en souviens, et ce souvenir m'est doux ; ma mère sait le reste (13)».

(1) Formidatamque Tonanti. Il avait été fixé par les Destins que l'enfant qui naîtrait de Thétis serait plus grand que son père. C'est pour ce motif que Jupiter évita tout commerce avec Thétis, quoiqu'il en fût épris.

(2) At tu, quem longe primum. Flatterie à l'adresse de Domitien, que Stace appelle le premier des orateurs grecs et latins. Domitien avait en effet dans sa jeunesse cultivé la poésie, et plus tard il avait institué en l'honneur de Jupiter Capitolin un concours quinquennal, où l'on disputait le prix de la musique, de la course équestre, de la gymnastique, et aussi de l'éloquence grecque et latine.

(3) Iliaci scopulos habilare sepulcri. Achille avait un temple et un tombeau près du promontoire de Sigée.

(4) Nocturnaque signa Caphareus. Allusion à ce que la fable raconte de Nauplius, lequel voulant se venger de la mort de son fils Palamède, tué par la fraude d'Ulysse, fit placer sur le Capharée, promontoire de l'île d'Eubée, un fanal qui attira et fit échouer sur des écueils les Grecs revenant dans leur patrie après la ruine de Troie.

(5) Duros laxantem Aegoeona nexus. Aegéon, appelé aussi Briarée, était un des géants qui firent la guerre aux Dieux : il fut attaché par eux aux rochers des Cyclades.

(6) Maxima Téthys. La grande Téthys. C'est l'épouse de l'Océan : il ne faut pas la confondre avec Thétis, la mère d'Achille.

(7) Ambigui... Coenea sexus. Cénès, vierge thessalienne, obtint de Neptune, qui l'avait violée, de changer de sexe et d'être invulnérable. Devenue un homme, elle périt, dans le combat des Lapithes contre les centaures, écrasée sous des arbres amoncelés, qui l'étouffèrent sans la blesser.

(Cool Protesilaus ait. Protésilaüs, fils d'Iphictus, fut un des plus ardents à préparer la guerre contre Troie, quoique l'oracle eût dit qu'il périrait le premier. Débarqué en effet le premier sur le rivage troyen, il y fut tué par Hector.

(9) Sociosque resumere pontum. En pleine mer on quittait les rames, et l'on se servait seulement de voiles ; mais, en approchant du part, il fallait de nouveau recourir aux rames, ce que le poète appelle resumere pontum.

(10) Pectine Amazonio. Selon Turnèbe, c'était un choeur de danse, dans lequel les jeunes filles, entrelacées et comme engagées les unes dans les autres, en rang serré et droit comme les dents d'un peigne, dansaient à la manière des Amazones.

(11) Ituram in sidera puppim. Le vaisseau des Argonautes fut mis au nombre des constellations : servando dea facta deos, a dit Manilius, I, 422.

(12) Les Péons et les Macètes étaient des peuples de Macédoine ; les Sauromates, des peuples de la Scythie européenne ; les Gètes, de la Scythie asiatique.

(13) Scit caetera mater. Dans quelques éditions, après ce vers, vient celui-ci : Aura silet ; puppis currens ad littora venit. Il est depuis longtemps reconnu pour apocryphe. L'Achilléide est incomplète, quoiqu'on ait soutenu le contraire. L'auteur a bien dit en commençant qu'il voulait tota juvenem deducere Troja, éloigner son héros des champs de Troie ; mais comme, du reste, il veut décrire toute sa vie, ire per omnem heroa, il lui restait encore à chanter ses exploits avant son arrivée à Troie :
La Thessalie entière ou vaincue ou calmée,
Lesbos même conquise en attendant l'armée
De toute autre valeur éternels monuments,
Ne sont d'Achille oisif que les amusements.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:26

Quintus de Smyrne - La fin de l'Iliade - VII - Combats autour des vaisseaux

Lorsque dans le ciel eurent disparu les astres, lorsque l'Aurore se fut levée, apportant à l'univers sa clarté brillante et chassant les ténèbres de la nuit, les vaillants fils des Argiens marchèrent en avant des navires au combat sanglant, afin de repousser Eurypyle ; quelques-uns, à l'écart auprès des navires, rendaient les derniers devoirs à Machaon et à Nérée ; celui-ci était semblable aux dieux pour la beauté et la grâce ; mais il manquait de force, car les dieux ne donnent pas aux hommes tous les biens ; une loi suprême à côté du bien place toujours le mal ; ainsi Nérée joignait la faiblesse à l'aimable beauté. Cependant les Danaens ne l'oublièrent pas ; ils l'ensevelirent et lui donnèrent des larmes non moins qu'au divin Machaon, qu'ils honoraient à l'égal des immortels, parce qu'il était sage et prudent. Tous les deux furent enfermés dans le même tombeau. Dans la plaine cependant, le funeste Arès exerçait sa fureur ; des deux côtés s'élevaient un grand bruit et de longues clameurs, tandis que les boucliers étaient brisés par les pierres et les javelots.

Pendant que les Achéens livraient les durs combats d'Arès, Podalire, refusant toute nourriture, se roulait dans la poussière avec de grands gémissements ; il ne voulait pas laisser le tombeau de son frère et méditait en lui-même de se donner par ses propres mains la mort cruelle : tantôt il portait la main à son épée, tantôt il cherchait un poison mortel ; mais ses serviteurs l'arrêtaient, lui prodiguant les consolations ; cependant il ne pouvait oublier sa douleur, et il se serait ôté la vie de ses propres mains sur la tombe à peine fermée de son frère, si le fils de Nélée n'eût appris ce qu'il faisait ; plein de pitié pour cette grande affliction, il vint et le trouva, qui tantôt restait étendu près du monument funèbre, tantôt couvrait sa tête de poussière, frappait sa poitrine de ses mains puissantes et appelait son frère par son nom ; autour de lui, ses esclaves et ses amis soupiraient, et ce grand malheur les accablait tous. Nestor avec de douces paroles s'adressa au guerrier :

«Mets un terme à ces gémissements douloureux, à ce deuil funeste, ô mon fils ! il n'est pas beau qu'un homme pleure comme une femme et se couche ainsi près d'un tombeau. Tu ne saurais le ramener à la lumière, puisque son âme invisible s'est envolée dans l'air, puisque la flamme avide a dévoré ses chairs, tandis que la terre enferme ses os. Il est né de rien comme une fleur, il est retourné à rien. Supporte donc ton immense douleur, fais comme moi ! n'ai-je pas dans la guerre perdu un fils qui valait Machaon et qui était aussi remarquable sous les armes que dans les conseils ? Un fils ne chérit pas son père autant qu'il me chérissait ; et il est mort pour moi, pour sauver mes jours. Cependant, après l'avoir vu périr je n'ai pas refusé de prendre la nourriture et de voir encore la lumière ; car je sais trop que tous les hommes marchent dans la route de la mort, vers un but fatal qui est toujours le même ; il faut que les mortels supportent sans plainte tout ce que les dieux leur envoient de mauvais ou de bon».

Il parla ainsi ; et lui, plein de douleur, versant de grosses larmes qui tombaient sur ses joues, lui répondit :

«Mon père, une grande affliction presse mon coeur ; j'ai perdu le sage frère qui, lorsque notre père Esculape eut été enlevé au ciel, m'éleva comme son fils dans son sein, m'apprit avec bonté l'art de guérir les hommes et, me faisant partager sa table et son lit, me fit jouir de tout ce qu'il avait. Aussi une douleur sans bornes remplit mon coeur, et, lui mort, je ne désire plus voir la lumière du jour».

Il parla ainsi ; le vieillard lui dit encore pour calmer sa douleur :

«Les dieux ont imposé à tous les hommes le même fléau : le regret de ceux qui ne sont plus. Il faut mourir ! Les uns et les autres, la terre nous couvrira, quel qu'ait été le cours de notre vie, heureux ou non ! Car nos biens et nos maux reposent sur les genoux des dieux ; le destin mêle toutes ces chances diverses ; les dieux eux-mêmes n'essayent pas de les connaître ; elles sont jetées dans l'urne fatale au milieu de profondes ténèbres ; le destin seul, y portant la main, nous les envoie sur la terre du haut du ciel sans y jeter les yeux ; le souffle des vents nous les distribue au hasard ; c'est pourquoi souvent l'homme de bien est accablé de maux, le méchant jouit du bonheur sans s'y attendre, et la vie des hommes est couverte de ténèbres. Elle ne passe pas calme et tranquille ; nos pas rencontrent mille obstacles, mille accidents étranges, souvent des douleurs cruelles, parfois des plaisirs ! Nul parmi les mortels n'est toujours heureux du commencement à la fin ; tous ont une vie agitée. Mais, puisqu'ils vivent si peu de temps, pourquoi passeraient-ils leur vie dans la tristesse ? ne vaut-il pas mieux espérer et résister à la douleur ? On dit même que les hommes doués de vertu entrent dans un séjour de bonheur éternel, tandis que les méchants sont condamnés à d'affreuses ténèbres. Ton frère a eu un double privilège : il était bon, il était fils d'un dieu ; je pense donc qu'il a pu atteindre le séjour, des dieux, grâce à la protection du grand Esculape».

En parlant ainsi, il releva de terre le héros qui résistait encore, mais que ses paroles avaient calmé ; il l'emmena loin du triste monument, quoiqu'il poussât de profonds soupirs ; et ils revinrent près des vaisseaux.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:26

Là combattaient, avec maintes fatigues, les Achéens et les Troyens ; la bataille était rude. Eurypyle, semblable au dieu Arès par son ardeur indomptable, marchait, le bras infatigable et la lance en arrêt ; il renversait les bataillons ennemis et la terre était trop étroite pour les morts qui tombaient de chaque côté. Mais lui, marchant parmi les cadavres, il combattait avec courage, couvrant de sang ses mains et ses pieds, sans cesse avide de combats et de meurtres ; d'un coup de lance, il tue le vaillant Pénéléos, qu'il rencontre dans la mêlée cruelle, et avec lui cent autres ; ses mains se plaisaient au massacre et il poursuivait avec fureur les Argiens, comme Héraclès sur les hauts sommets de Pholoé s'élançait sans pitié sur les Centaures et les tua jusqu'au dernier, quoiqu'agiles, robustes et habiles aux luttes meurtrières. Ainsi il écrasait sous ses coups les bataillons des vaillants Danaens ; ceux-ci, en foule, étaient çà et là renversés morts sur la poussière. Souvent, quand un fleuve immense déborde, les sables de la rive tombent entraînés en mille endroits par le courant ; il se précipite dans le sein de la mer et pousse en écumant ses flots impétueux ; de tous côtés, ses bords minés s'écroulent avec fracas, son onde mugit sous le poids de leur chute, et toutes les barrières cèdent sous l'effort des eaux ; ainsi les illustres fils des vaillants Argiens étaient renversés en foule sur la poussière, quand le vaillant Eurypyle les rencontrait dans la mêlée sanglante ; les autres n'échappaient que grâce à leur agilité. Cependant ils purent arracher de la bataille tumultueuse le corps de Pénéléos et le portèrent aux vaisseaux, quoiqu'ils eussent bien de la peine à éviter en courant les Parques ennemies et le cruel Destin. Ils fuyaient donc à toutes jambes vers les navires, et ils n'avaient pas le courage d'affronter Eurypyle, car Héraclès avait soufflé contre eux la crainte et la fuite homicide, tandis qu'il inspirait la force à son fils invincible.

Ils demeurèrent donc tremblants derrière les remparts, comme des chèvres qui se réfugient sous une grotte, craignant le vent impétueux dont le souffle glacé apporte la neige et la grêle ; quoiqu'elles aiment les verts pâturages, cependant elles n'osent pas affronter la tempête et grimper sur les cimes ; elles attendent la fin de l'orage sous leur abri champêtre et, en troupe serrée, broutent les feuilles des buissons épais, jusqu'au moment où s'apaise la fureur du vent : ainsi les Danaens demeuraient à l'abri de leurs tours, craignant le vaillant fils de Télèphe, qui s'élançait contre eux.

Il aurait sans doute détruit les creux navires et le peuple des Argiens si Tritogénie n'avait donné l'audace aux Argiens, quoique bien tard. Sans relâche, du haut des remparts élevés, ils jetaient sur les ennemis des traits funestes et les tuaient en foule ; les murailles étaient humides de sang tiède, et les gémissements des mourants s'entendaient de tous côtés. C'est ainsi que, pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, les Cétéens et les Troyens combattirent contre les Argiens courageux, tantôt devant les navires, tantôt devant les longues murailles ; et la guerre se poursuivait sans relâche.

Cependant durant deux jours ils interrompirent le carnage et la lutte ; une députation des Danaens vint vers le roi Eurypyle, pour lui demander d'arrêter la bataille et de livrer aux flammes du bûcher les guerriers morts dans le combat. Il leur accorda aussitôt cette demande, et des deux côtés, laissant la lutte sanglante, ils rendirent les derniers devoirs aux cadavres couchés dans la poussière. Les Achéens pleuraient surtout Pénéléos, et ils construisirent en son honneur un grand tombeau, objet de l'admiration des hommes à venir. A l'écart, ils entassèrent la foule des héros égorgés dans la bataille ; et, le coeur plein de tristesse, ils leur élevèrent à tous un seul bûcher. De leur côté, les fils des Troyens ensevelissaient aussi les morts. Mais la Discorde cruelle ne s'apaisait pas, et elle excitait l'audacieux Eurypyle à de nouveaux combats ; il ne s'éloignait donc pas des navires et demeurait en face des Danaens, méditant de nouveaux combats.

Cependant les députés des Argiens parcouraient la mer sur leur navire noir ; ils arrivèrent enfin à Scyros. Ils trouvèrent le fils d'Achille devant sa maison, tantôt lançant la flèche et le javelot, tantôt caracolant sur un cheval rapide. Ils se réjouirent en le voyant occupé aux travaux de la guerre sanglante, malgré la douleur qu'il avait de la mort de son père, car déjà il savait la triste nouvelle. Ils s'avancèrent donc pleins d'admiration en le voyant semblable au vaillant Achille par la taille et la beauté. Et lui, prenant le premier la parole, il leur dit avec douceur :

«Salut, hôtes qui abordez ma demeure ; dites-moi qui vous êtes, quelle est votre patrie et ce que vous êtes venu me demander à travers la mer inféconde».

Telle fut sa demande ; le divin Odysse lui répondit :

«Nous sommes des amis du belliqueux Achille, celui qui te donna le jour avec la sage Déidamie ; et nous voyons avec joie que tu ressembles à ce héros, égal des dieux puissants. Moi, je suis d'Ithaque ; mon ami est d'Argos, ville riche en coursiers ; peut-être as-tu entendu nommer déjà le vaillant fils de Tydée et le sage Odysse ; c'est Odysse qui te parle en ce moment par l'ordre des dieux. Aie pitié de nous ; ne tarde pas ; viens à Troie, pour secourir les Achéens ; viens terminer la guerre. Les divins Achéens te feront de magnifiques présents ; moi-même je te rendrai les armes de ton divin père, et tu auras de la joie à les porter. Car elles ne sont point semblables aux armes humaines : elles sont aussi belles, aussi bonnes que celles du dieu Arès, et enrichies alentour de quantité d'or ciselé ; Héphestos, qui les a faites, s'en est réjoui parmi les dieux immortels, et elles sont dignes d'être admirées par toi : car la terre, le ciel et la mer sont gravés sur les bords immenses, avec quantité d'animaux qui semblent se mouvoir, travail admirable aux yeux même des immortels ! mais parmi les hommes nul jamais n'en a vu ni porté de pareilles, excepté ton père, que tous les Achéens honoraient à l'égal de Zeus ; moi aussi je l'estimais, et je l'aimais ! c'est moi qui ai porté son cadavre vers les navires, après avoir infligé la mort cruelle à beaucoup d'ennemis. Aussi la divine Thétis me donna-t-elle ses belles armes, qu'à mon tour je te donnerai volontiers, quoique je les aie vivement désirées ; oui, je te les donnerai, si tu viens à Ilion. En outre, Ménélas, quand nos vaisseaux nous ramèneront dans l'Hellade après la ruine de la ville de Priam, te fera son gendre si tu le veux, pour récompenser tes services ; et, avec sa fille aux blonds cheveux, il te donnera de grandes richesses et de l'or autant qu'un roi opulent doit en recevoir pour une dot».

Il parla ainsi ; et le vaillant fils d'Achille répondit :

«Si, pour obéir à la voix des dieux, les Achéens m'appellent, demain, sans retard, partons à travers le sein profond des flots, et puissé-je être pour les Danaens la lumière qu'ils implorent ! Maintenant allons dans la maison à la table hospitalière ; il faut la dresser pour des amis. Quant à mon mariage, les dieux plus tard en décideront».

Ayant ainsi parlé, il marcha devant ; les deux héros le suivaient avec joie ; quand ils furent arrivés au seuil du grand palais et dans la vaste cour qui le précédait, ils trouvèrent Déidamie pleine de tristesse jusqu'au fond du coeur, et elle fondait en larmes, comme la neige fond dans les montagnes sous l'effort de l'Euros et du Soleil éternel, car elle était anéantie de douleur après la mort de son illustre mari. Les chefs glorieux saluèrent de paroles amies la femme affligée ; et son fils, s'approchant d'elle, lui révéla leur famille et leur nom, mais il ne voulait pas jusqu'à l'aurore suivante lui dire quel motif les avait amenés, de peur qu'une douleur nouvelle ne vînt s'ajouter à sa douleur et qu'elle n'essayât de retenir son ardeur par ses prières. Sans tarder, ils prirent le repas, et le Sommeil apporta le calme à tous ceux qui habitaient la terre célèbre de Scyros, qu'environnent en se brisant sur les rivages les flots de la mer Egée. Mais la belle Déidamie ne dormait pas ; elle se rappelait le nom du rusé Odysse et du divin Diomède, qui tous deux déjà l'avaient rendue veuve du vaillant Achille ; tous deux jadis avaient enflammé son courage et l'avaient conduit à la guerre funeste ; et son noble époux, succombant sous les coups de la Destinée, ne devait plus revenir ; il avait laissé un deuil sans fin à son père Pélée et à sa chère Déidamie. Aussi son coeur était-il plein d'une grande angoisse ; elle craignait que son fils ne courût à son tour affronter les dangers de la guerre et que sa tristesse ne fût encore augmentée d'une autre tristesse.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:26

Cependant l'aurore s'éleva dans le ciel immense, les guerriers quittèrent promptement leurs lits, et Déidamie s'en aperçut. Aussitôt, jetant ses bras autour de la large poitrine de son fils, elle poussait vers le ciel des cris aigus et des soupirs profonds. Comme une vache sur les montagnes, cherchant dans les vallées sa génisse, pousse de longs mugissements, que répètent les sommets des rochers : ainsi les profondeurs de la haute maison retentissaient de ses plaintes ; et elle s'écriait avec désespoir :

«Mon fils, ta raison s'est envolée ! Quoi ! tu veux accompagner tes hôtes vers Ilion, l'objet de nos larmes ! C'est là que tant de guerriers ont péri dans les combats douloureux, et cependant ils connaissaient les armes et la bataille. Mais toi tu n'es encore qu'un enfant ; tu ne connais pas les choses de la guerre, ni les ruses qui préservent les guerriers du péril. Ecoute-moi donc ! reste dans ta maison, de peur qu'un messager revenant de Troie n'apporte à mes oreilles la triste nouvelle que tu es mort dans la mêlée ; car je ne puis espérer que tu reviennes de la guerre. Ton père lui-même n'a pas évité la mort cruelle ; il est tombé dans la bataille, lui qui te surpassait, mon fils, et qui surpassait tous les autres héros ; une déesse était sa mère ; et il est mort entraîné par les conseils perfides des hommes qui aujourd'hui encore te pressent d'affronter la guerre douloureuse. Aussi je tremble, je crains du fond de mon coeur que tu ne meures aussi, mon fils, et que privée encore de toi je ne supporte des maux trop lourds. Il n'est pas de malheur plus grand pour une femme que de perdre son fils après avoir perdu son mari, et de rester seule dans une maison dévastée par la mort. Aussitôt en effet les voisins ravagent ses champs, pillent ses biens, méprisent ses droits ; non, rien n'est plus misérable qu'une femme seule dans sa maison, rien n'est plus faible».

Elle parlait ainsi avec de longs sanglots ; son fils lui répondit :

«Aie bon courage, ma mère ! écarte ces funestes présages ; les hommes ne meurent à la guerre que si leur jour est venu. Du moins, si je dois périr, je périrai pour les Achéens, après avoir fait quelque chose qui sera digne d'Achille».

Il parla ainsi ; alors s'approcha de lui le vieux Lycomède, qui, le voyant plein de l'ardeur des combats, lui dit ces sages paroles :

«0 mon généreux enfant ! ton courage me rappelle ton père ; je sais que tu es fort et vaillant ; mais je crains pour toi la guerre ; je crains surtout les flots dangereux de la mer ; les matelots sont toujours près de la mort. Prends donc bien des précautions, mon fils, quand tu navigueras loin de Troie ou de quelque autre rivage ; considère attentivement le soleil quand il entre dans le Capricorne nuageux, au sortir du Sagittaire ; alors les nuages excitent les cruelles tempêtes ; prends garde quand les astres se plongent dans l'eau profonde de l'Océan, au moment où Orion penche vers son déclin ; crains aussi le redoutable équinoxe ; il déchaîne sur les flots profonds de la mer les tempêtes qui troublent son étendue sans bornes ; crains le coucher des Pléiades sur la mer soulevée, et les autres astres qui jettent la terreur parmi les nations, soit qu'ils se couchent, soit qu'ils se lèvent sur les abîmes profonds de la mer».

Ayant ainsi parlé, il embrassa son petit-fils et n'essaya pas de retenir le jeune héros amoureux de la guerre aux mille clameurs ; et lui, souriant, s'empressait d'un pas léger de marcher au vaisseau. Mais, au seuil de sa maison, l'arrêta encore dans sa course la voix douloureuse de sa mère ; ainsi un cavalier maintient son cheval désireux de courir, et celui-ci mord en hennissant le frein qui l'arrête ; sa poitrine est couverte de son écume, ses pieds ambitieux de l'espace ne peuvent rester immobiles, et tandis qu'il agite ses jambes légères, il frémit, il gémit, sa crinière flotte sur ses épaules, il lève la tête vers le ciel, aspire l'air avec force, et l'âme de son maître se réjouit ; ainsi la mère du noble fils d'Achille essayait de l'arrêter, mais ses pieds l'emportaient. Et elle, malgré son inquiétude, se réjouissait d'un tel fils. Il l'embrassa encore, puis il la laissa mille fois seule accablée d'une amère tristesse, dans la maison d'Achille. Telle, autour d'un toit, une hirondelle triste et plaintive gémit sur ses petits aux plumes bariolées ; un affreux serpent les a dévorés tout glapissants d'effroi ; la douleur oppresse la mère délaissée, qui tantôt vole autour du nid vide, tantôt près du seuil magnifique de la maison, poussant des cris aigus à cause de ses petits ; ainsi gémissait Déidamie et tantôt embrassant le lit de son fils, elle se lamentait à grands cris, tantôt elle pleurait près des portes, pressant sur son sein ce qui était à lui, un jouet qu'elle avait donné à ce petit enfant pour amuser son âme naïve, un javelot qu'il avait lancé quand il était plus grand ! elle les couvrait de baisers, elle adorait tout ce qu'au milieu de ses larmes elle voyait à lui. Et lui, oubliant les sanglots de sa mère, il volait vers le rapide navire ; ses jambes légères le portaient ; et il semblait brillant comme une étoile. De chaque côté l'accompagnaient Odysse et le fils de Tydée et vingt guerriers sages, prudents et habiles que Déidamie nourrissait dans sa maison ; elle les avait donnés à son fils pour être ses serviteurs empressés, et en ce moment, ils entouraient l'audacieux fils d'Achille qui, à travers la ville, hâtait sa marche vers le vaisseau, et joyeux s'avançait au milieu de leur troupe ; joyeuses aussi étaient les Néréides autour de Thétis, joyeux le vieux Nérée en voyant le fils vaillant du grand Achille, amoureux déjà des guerres funestes, quoiqu'il fût tout jeune, et sans barbe ; mais plein de force et d'ardeur, il s'élançait hors de sa patrie comme Arès quand il court aux mêlées sanglantes, irrité contre l'ennemi ; son âme est enflammée d'ardeur, ses noirs sourcils se froncent, ses yeux brillent comme la flamme, ses joues sont couvertes d'une beauté divine et d'une fureur homicide ; il s'élance et les dieux eux-mêmes ont peur de lui ; tel était le noble fils d'Achille. Les citoyens dans la ville adressaient des voeux aux dieux, les priant de conserver le jeune prince et de le ramener après la guerre cruelle ; et les dieux les exaucèrent.

Le jeune homme, brillant parmi tous ceux qui le suivaient, arriva avec eux au rivage de la mer retentissante ; ils y trouvèrent les rameurs qui, dans le navire poli, dépliaient les voiles et travaillaient sans relâche. Aussitôt il monta ; ils tirèrent les câbles et levèrent les ancres, puissantes auxiliaires et compagnes fidèles des navires. L'époux bienveillant d'Amphitrite leur accorda une course facile ; les matelots, inquiets du sort des Achéens que pressaient alors les Troyens et le magnanime Eurypyle, contemplaient le fils d'Achille assis au milieu d'eux et lui racontaient les exploits que son père avait accomplis dans sa longue navigation, ou sur la terre du belliqueux Télèphe et autour des murs de Priam, comblant de maux les Troyens et de gloire les fils d'Atrée. L'âme du jeune roi se réjouissait dans l'espoir d'égaler le courage et la gloire de son père intrépide.

Cependant dans sa chambre, inquiète de son fils, la belle Déidamie versait des larmes avec des soupirs, et son coeur se consumait en soucis cruels ; tout son être se fondait comme sur les charbons ardents le plomb ou la cire ; la tristesse ne la quittait pas ; elle regardait sans repos les flots vastes ; car une mère est inquiète de son fils, même s'il va dîner hors de la maison. Bientôt elle perdit de vue les voiles du navire entraîné dans le lointain ; elles disparurent et se confondirent dans l'air. Elle pleura, sanglota toute la journée ; pendant ce temps le navire volait sur la mer, poussé par un vent favorable, effleurant légèrement les flots, et les ondes scintillantes bruissaient doucement autour de ses flancs. Ainsi il parcourait rapidement la grande plaine des eaux ; bientôt les ténèbres de la nuit l'entourèrent ; mais il continuait sa route sous la conduite du vent et du pilote, et franchissait les abîmes profonds.

L'Aurore divine montait dans le ciel, quand aux yeux des matelots apparurent les sommets de l'Ida Chrysa, le Sminthe, le promontoire de Sigée et le tombeau du vaillant Achille. Mais le sage et prudent fils de Laerte ne voulut pas le montrer à Néoptolème de peur d'affliger son coeur. Puis ils passèrent les îles Calydnées, laissèrent derrière eux Ténédos et virent Eléos où se dresse le tombeau de Protésilas avec ses ormes épais ; mais du côté qui regarde Ilion, le feuillage de ces arbres majestueux se dessèche. Enfin, poussé par le vent, le navire aborda le rivage de Troie, où s'étaient abrités les autres navires des Argiens qui alors, souffrant des maux cruels, combattaient devant les murailles élevées jadis par eux pour protéger dans la guerre leurs navires et leurs guerriers courageux. Par le bras d'Eurypyle ce rempart allait être renversé ; mais le fils de Tydée s'aperçut du danger ; il s'élança tout à coup du vaisseau rapide, et poussa un grand cri, de toute la force de ses poumons :

«Amis, un grand désastre menace aujourd'hui les Argiens ; allons, revêtons promptement nos armes, et bravons la mêlée cruelle ; déjà sous nos tours combattent les Troyens belliqueux qui bientôt, franchissant nos murailles, jetteront sans pitié la flamme sur nos vaisseaux ; alors le doux espoir du retour ne sera plus offert à nos coeurs ; et nous-mêmes, succombant sous la loi du destin, nous tomberons dans la poussière de Troie, loin de nos enfants et de nos femmes».
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:26

Il parla ainsi ; ses compagnons promptement s'élancèrent du navire en troupe ; mais ils étaient saisis de peur, excepté l'ardent Néoptolème, car il était semblable à son père pour sa force, et il était avide de combattre. Ils coururent aussitôt vers la tente d'Odysse, qui était tout près du navire à la proue verte ; là étaient disposées beaucoup de bonnes armes, qui appartenaient soit à Odysse lui-même, soit à ses divins compagnons, la plupart enlevées aux ennemis. Le hardi jeune homme choisit les plus belles, et laissa les autres aux guerriers moins courageux ; Odysse prit celles qu'il avait apportées d'Ithaque et donna à Diomède celles qu'il avait jadis enlevées au téméraire Jocos. Le fils d'Achille revêtit les armes de son père et il paraissait en tout semblable à lui ; car de tous points cette noble armure, présent d'Héphestos, s'adaptait à ses membres, quoiqu'elle fût trop grande pour les autres guerriers ; à lui seul elles semblaient légères ; le casque ne surchargeait point son front [...] ; quoiqu'elle fût longue, il la portait facilement ; elle était teinte encore de sang.

Les Argiens le virent avec admiration ; mais, malgré leur désir de le contempler, ils ne pouvaient tous l'approcher, car la mêlée sanglante les retenait autour des murailles. Ainsi dans la mer immense sur une île déserte, des matelots affligés sont loin des autres hommes ; la rage des vents les retient longtemps près de ce morne rivage ; ils causent tristement sur le navire, et souvent les aliments leur manquent ; enfin souffle une brise favorable ; ainsi l'armée des Achéens, longtemps affligée, se réjouissait à l'arrivée du vaillant Néoptolème, pensant respirer après de si longs malheurs.

Les yeux du héros brillaient comme ceux d'un lion belliqueux qui, dans les hautes montagnes, bouillant de colère, s'élance contre les chasseurs au moment où ceux-ci pénétraient dans sa caverne pour enlever ses petits laissés loin de leur père et de leur mère dans une vallée ombrageuse ; mais lui, du haut d'un rocher, les a vus ; il se précipite contre eux, et sa gueule dévorante fait entendre un affreux rugissement ; ainsi le fils hardi de l'intrépide Achille s'irrite contre les Troyens belliqueux. Il court d'abord à l'endroit où le combat était le plus acharné ; c'est là que la muraille des Achéens était le plus accessible aux ennemis, parce qu'elle avait été bâtie moins solidement. Avec lui marchaient maints autres guerriers, animés des ardeurs d'Arès ; ils trouvèrent le vaillant Eurypyle et ses compagnons qui escaladaient les tours, espérant renverser le vaste rempart des Argiens et les détruire tous. Mais les dieux n'exaucèrent point ce désir : Odysse, le vaillant Diomède, le divin Néoptolème et le divin Léontès par une grêle de flèches repoussèrent les assaillants.

Ainsi par leurs coups et leurs cris les chiens et les bergers vigilants repoussent loin des étables les lions puissants qui, de tous côtés, les menacent et ceux-ci, roulant leurs yeux fauves, tournent alentour, désirant déchirer de leurs dents aiguës les veaux et les boeufs ; ils ne fuient pas, quoiqu'ils soient attaqués par les chiens hardis et pressés par les bergers ; ainsi [...] pouvait lancer une pierre énorme. Car Eurypyle ne laissait pas les Troyens se disperser ; il leur ordonnait de rester fermes devant les ennemis, afin de s'emparer des navires et de détruire tous les Argiens ; car Zeus lui avait donné une force sans bornes. Aussitôt donc saisissant une pierre raboteuse, énorme, il la brandit avec force et la lança sur la haute muraille ; avec un bruit horrible tremblèrent les bases mêmes du rempart, et la peur saisit tous les Achéens, comme si l'enceinte eût été renversée dans la poussière. Cependant ils ne quittèrent pas le combat funeste ; ils demeurèrent fermes, comme les chacals et les loups impudents, voleurs de moutons, lorsque, sur les montagnes, les laboureurs, aidés de leurs chiens, les chassent de leurs antres et s'efforcent d'infliger à leurs petits la triste mort ; mais eux, quoique criblés de coups, ils ne s'enfuient pas et affrontent le danger pour protéger leurs petits ; ainsi les Argiens, combattant pour leurs navires et pour eux-mêmes, s'acharnaient à la bataille. L'audacieux Eurypyle près de leurs vaisseaux rapides leur adressait de terribles menaces :

«Lâches, hommes au coeur timide, vous ne m'auriez pas effrayé par vos javelots ni repoussé de vos navires, si ce mur n'avait pas arrêté mon élan ; maintenant, comme dans les forêts des chiens qui tremblent, vous combattez à l'abri, redoutant la mort funeste. Sortez donc de vos murs, venez comme autrefois dans la plaine de Troie, combattre en face de moi ; rien ne vous défendra de la mort lamentable ; tous vous tomberez dans la poussière vaincus par moi».

Il parlait ainsi l'orgueilleux ! et ne savait pas qu'un malheur cruel le frapperait bientôt par les mains de Néoptolème ! Néoptolème devait le percer de sa lance impitoyable ! Le jeune guerrier était au milieu de la mêlée ; il précipitait les Troyens du haut des murailles ; ceux-ci fuyaient, accablés de traits, et, sous le coup de la nécessité, ils se groupaient autour d'Eurypyle ; car ils étaient frappés d'une affreuse terreur. Comme de petits enfants se pressent autour des genoux de leur père, effrayés par le tonnerre que Zeus lance du haut des nues au milieu du terrible fracas de l'éther, ainsi les fils de Troie parmi les guerriers du Cétos se pressaient autour de leur prince, craignant les traits que lançait la main de Néoptolème : car ces traits mortels volaient droit à la tête de l'ennemi, chargés des douleurs de la guerre. Aussi le coeur épouvanté par l'irrésistible valeur du jeune homme, ils croyaient voir encore le terrible Achille avec ses armes ; cependant ils essayaient de cacher cette pensée dans le fond de leur âme, pour ne pas effrayer les Cétéens et leur prince Eurypyle. Pour eux, de côté et d'autre, ils allaient, troublés, indécis entre la mort et la crainte ; la honte et l'angoisse partageaient leur coeur. Ainsi foulant de leurs pieds une route rocailleuse, des voyageurs aperçoivent tout à coup un torrent qui se précipite du haut de la montagne ; les roches retentissent partout d'un horrible fracas ; ils n'osent affronter l'onde sonore, car ils tremblent de trouver la mort sous leurs pieds, et cependant ils n'ont point d'autres chemins ; ainsi les Troyens s'arrêtaient, malgré leur désir de s'élancer sur la muraille des Argiens. Le divin Eurypyle les excitait à la bataille ; il espérait que, après avoir tué beaucoup d'hommes, les mains et la vigueur du terrible guerrier faibliraient enfin, mais Néoptolème ne cessait pas de combattre.

Athéné contemplait leurs valeureux efforts ; elle quitta les hautes demeures de l'Olympe parfumé d'encens, pour venir se placer sur le sommet des montagnes ; ses pieds rapides ne touchaient pas la terre, et l'air sacré portait doucement ce divin fardeau semblable aux nuages et plus léger que le vent. Bientôt donc elle atteignit la ville de Troie et s'arrêta sur la colline orageuse de Sigée ; de là elle contemplait la bataille et les guerriers qui luttaient de près ; mais elle favorisait les Achéens. Parmi eux le fils d'Achille avait le plus d'audace et le plus de force ; choses précieuses qui, réunies dans le même homme, lui donnent une grande gloire ; il les possédait également, car il était du sang de Zeus et ressemblait à son père. Sans connaître la peur, il tuait donc un grand nombre d'ennemis près des vaisseaux. Ainsi sur la mer un pêcheur, avide de butin, dresse des pièges aux poissons en allumant sur son navire la clarté d'Héphestos ; alors, agitée par le souffle du vent, la flamme brillante scintille autour du bateau ; les poissons s'élancent du fond noir des mers, désireux de voir cette lumière pour eux funeste. En effet, la pointe d'un trident les perce à mesure qu'ils accourent, et le pêcheur, dans son âme, se réjouit de les prendre. Ainsi le noble fils du vaillant Achille, autour des murailles de pierre, détruisait les bataillons des assaillants. Pendant ce temps, tous les Achéens, les uns d'un côté, les autres de l'autre, combattaient pour leur rempart ; le rivage immense mugissait ; les vaisseaux et les murs retentissaient des cris des blessés, une fatigue sans repos accablait les guerriers des deux partis ; leurs membres et leurs forces se lassaient ; mais le fils divin d'Achille ne se rassasiait pas de la guerre ; son coeur vaillant ne connaissait pas la fatigue, ni le dégoût des dangers. On eût dit un fleuve qui coule sans s'épuiser, ni s'arrêter jamais ; l'effort d'un feu violent qui le menace ne l'effraye pas, même quand le vent en délire excite l'ardeur sacrée d'Héphestos ; en effet si le feu approche des rives, il s'éteint et sa force terrible ne peut toucher impunément l'onde invincible ; tel était le noble fils du vaillant Achille ; ni la fatigue, ni la crainte ne fléchissait ses genoux ; sans cesse il combattait et excitait ses compagnons. Les traits n'atteignaient pas son beau corps, quoique serrés comme la grêle qui crépite sur les pierres ; ils rebondissaient en vain sur lui, émoussés par son vaste bouclier et son casque solide, magnifiques présents d'un dieu. Fier de les porter, le fils vaillant d'Achille gardait le mur et, poussant de grands cris, exhortait les Argiens par de fières paroles ; entre tous il était le plus vaillant et son coeur était dévoré par l'amour des combats sanglants ; il voulait aussi venger le meurtre douloureux de son père. Et les Myrmidons s'enorgueillissaient de leur prince.

Cependant une horrible mêlée entourait les murailles. Là Néoptolème tua les deux fils du riche Mégès ; Mégès était du sang de Dyrnas et il avait deux fils illustres, habiles à lancer le javelot, et même à guider les coursiers ou à combattre de près avec une longue lance ; leur mère, la belle Péribée, en un même jour les avait enfantés sur les rives du Sangarios ; ils se nommaient Celtos et Eubios ; mais ils ne jouirent pas longtemps de leur opulence ; les Parques avaient assigné à leur vie un terme bien court ! Tous les deux avaient vu le jour en même temps ; tous les deux moururent en même temps, sous les coups de l'audacieux Néoptolème, l'un frappé au coeur d'un javelot, l'autre à la tête d'une pierre ; le casque lourd fut brisé sur le front et laissa s'échapper la cervelle.
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MessageSujet: Re: Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie)   Le mythe d'Ulysse (Avant la guerre de Troie) Icon_minitime26/6/2007, 09:27

A côté d'eux, tombèrent des bataillons nombreux d'ennemis, et l'oeuvre sanglante d'Arès se poursuivit, jusqu'au moment où le soir tomba ; alors à la fin du jour, l'armée de l'intrépide Eurypyle se retira non loin des vaisseaux. Les Achéens respirèrent un peu à l'abri de leurs tours ; les fils de Troie aussi se reposaient des combats funestes : car la bataille avait été rude autour des murailles. Et sans doute tous les Argiens auraient péri près de leurs vaisseaux, si le fils vaillant d'Achille n'avait pas en ce jour repoussé l'armée nombreuse des ennemis et Eurypyle lui-même. Vers lui donc sans retard accourut le vieux Phénix et il fut frappé d'admiration en le voyant semblable au fils de Pélée ; il eut à la fois une grande joie et une grande douleur ; de la douleur en se rappelant le rapide Achille, de la joie en voyant son fils courageux. Il riait donc et pleurait ; car jamais la race des hommes ne vit sans tristesse, même lorsqu'elle goûte le plaisir ; et il l'embrassa comme un père embrasse un fils qui, par la volonté des dieux, a longtemps souffert bien des maux et revient enfin à la maison, grande joie pour son père ! Ainsi le vieillard embrassait la tête et la poitrine de Néoptolème ; et plein d'admiration, il lui disait :

«Salut, noble fils de cet Achille qui jadis, tout petit, fut bercé dans mes bras et qui bientôt, comblé de tous les dons des dieux, grandit sous mes yeux comme une plante couverte de fleurs ! moi je me réjouissais à voir grandir son corps, à entendre ses premiers mots ; il était toute ma joie : car je l'aimais comme un fils unique, j'en étais aimé comme un père. J'étais son père et lui mon fils, et tu aurais dit en nous voyant si unis ensemble que nous étions du même sang ; mais, pour le courage, il m'était bien supérieur ; oui, il était l'égal des dieux par sa taille et sa force. Tu lui ressembles de tous points, si bien que je crois le revoir vivant parmi les Argiens ; cher Achille ! une douleur aiguë me tourmente sans cesse en pensant à lui, et s'ajoute au poids de ma vieillesse ! Ah ! plût aux dieux que la terre m'eût caché dans son sein, lui vivant ! il est si doux d'être enseveli par les mains de ceux qu'on aime ! Ah ! je ne l'oublierai jamais ; mon coeur est trop affligé ! Mais toi, ne couvre pas ton coeur d'un deuil éternel ; secours les Myrmidons et les Achéens vaincus ; fais sentir ta fureur aux ennemis qui ont tué ton noble père. Tu auras une grande gloire à vaincre Eurypyle, cet ennemi funeste, insatiable de combats ; tu lui es, tu lui seras supérieur, autant que ton père était supérieur à son malheureux père».

Il parla ainsi, et le fils du blond Achille lui répondit :

«Vieillard ! le Destin tout-puissant et le sanglant Arès prononceront bientôt sur ma valeur dans les combats».

En parlant ainsi, il s'élançait, voulant dès le même jour provoquer son ennemi au pied des murs, couvert des armes de son père ; mais il dut céder devant la Nuit qui, pour apporter aux hommes le repos de leurs maux, s'élève de l'Océan, le corps voilé de ténèbres.

Mais alors les fils des Argiens, se livrant à la joie près de leurs vaisseaux, honorèrent le jeune héros à l'égal du puissant Achille ; car il leur avait inspiré la confiance en s'élançant avec ardeur au combat ; ils le comblèrent de dons magnifiques et lui offrirent des présents sans nombre, capables d'enrichir un homme ; les uns lui donnaient de l'or et de l'argent ; les autres, des femmes esclaves ; d'autres, de l'airain ou du fer ; d'autres du vin vermeil dans des amphores, ou des chevaux rapides, ou des armes guerrières, ou de riches vêtements, oeuvre de femmes habiles. Et le coeur de Néoptolème se réjouissait de ces dons. Bientôt dans leurs tentes, tous vaquèrent aux soins du repas, célébrant le divin fils d'Achille à l'égal des dieux immortels. Agamemnon rempli de joie lui adressa alors ces paroles :

«Certainement tu es l'enfant du vaillant Achille, ô mon fils ! car tu as sa force, sa beauté, sa haute taille, son audace et son âme. Du fond du coeur je me réjouis de te voir ; car j'espère que par tes mains et ta lance je pourrai détruire les bataillons ennemis et l'illustre ville de Priam ; tu me rappelles ton père ; il me semble encore le voir auprès des vaisseaux, menaçant les Troyens et courroucé de la mort de Patrocle. Maintenant il est dans la société des Immortels ; et du haut du séjour bienheureux il t'a envoyé pour secourir aujourd'hui les Argiens qui périssaient».

Il parla ainsi ; le vaillant fils d'Achille lui répondit :

«Plût aux dieux, Agamemnon, que je l'eusse retrouvé vivant ! il aurait pu voir son cher fils digne de la vertu de son père, du moins je le désire ! et je réussirai si les habitants bienheureux du ciel me gardent la vie».

C'est ainsi qu'il parlait, inspiré par la sagesse ; et le peuple qui l'entourait admirait ce guerrier divin. Après qu'ils se furent rassasiés de mets et de viandes, le fils vaillant du grand Achille se leva de table et se retira sous la tente de son père ; là, près de lui, étaient les armes de bien des héros tués à la guerre ; là aussi étaient bien des captives qui s'occupaient des soins domestiques, comme si Achille eût été vivant. Et lui, en voyant ces armes des Troyens et les esclaves, gémit profondément, et son coeur était plein de l'amour de son père. Ainsi parmi les chênes épais, au fond des vallées hérissées de broussailles, dans l'antre d'un grand lion tué par les chasseurs, un jeune lionceau pénètre, parcourt la demeure vide, et voyant en monceau les ossements des chevaux et des boeufs dévorés, il s'afflige et regrette son père ; ainsi le fils du magnanime Achille fut saisi de douleur. Les esclaves l'admiraient en silence, et Briséis elle-même, en apercevant le fils d'Achille, tantôt sentait une grande joie, tantôt s'affligeait en pensant à celui qu'elle avait perdu ; son coeur était frappé d'étonnement comme si elle eût revu réellement l'intrépide Achille.

Cependant les Troyens de leur côté étaient remplis de joie, et ils honoraient le vaillant Eurypyle comme jadis le divin Hector, quand il dispersait les Argiens pour sauver sa patrie et la puissance de Priam. Mais enfin le doux sommeil vint assoupir tous les mortels ; alors les fils de Troie et les belliqueux Argiens, à l'exception des sentinelles, se reposèrent sous le poids du sommeil.
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