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 La guerre de Troie

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Rhadamante

Rhadamante


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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:39

Les Troyens n'eurent pas plutôt aperçu le cheval de merveilleuse structure, qu'ils se rassemblèrent autour de lui pour le considérer. Ils ne pouvaient se lasser de se récrier sur la beauté de ce chef-d'oeuvre : telle on voit une troupe de geais faire retentir l'air de leurs cris, à l'aspect d'un aigle qui plane au-dessus d'eux, et dont la force les étonne. Dans l'admiration dont les Troyens sont saisis, ils forment mille projets aussi légers qu'absurdes, sans savoir auquel s'arrêter. Ceux-ci, rebutés d'une guerre qui les a épuisés, et détestant une machine qui est l'ouvrage de leurs ennemis, veulent qu'on la précipite du haut des rochers les plus élevés, ou qu'elle soit détruite par le tranchant de la hache : ceux-là, espérant tirer quelque parti d'un chef-d'oeuvre aussi parfait, et désirant de le conserver, veulent en faire une offrande aux immortels, et le suspendre aux voûtes de leurs temples, où il deviendra peut-être dans la suite le sujet de nouvelles hostilités, si les Grecs sont tentés de le reprendre.

Tandis qu'on délibérait sur ces divers expédients, on vit paraître dans la campagne un misérable couvert de plaies, et dont aucun vêtement ne cachait l'affreuse nudité : les meurtrissures qui paraissaient à la surface de son corps étaient les marques d'autant de coups de fouet donnés avec force. Il s'approcha, et, se voyant à portée de Priam, il se jeta à ses pieds, lui tendit des mains suppliantes, et après avoir embrassé les genoux du vieillard, il implora sa clémence en lui adressant ce discours artificieux : «Illustre héritier du trône de Dardanus, si tu daignes prendre en pitié un malheureux qui a passé les mers avec les Grecs pour aborder en ces lieux, tu sauveras la vie à un homme destiné à être le libérateur des Troyens et de leur ville, en un mot, à l'ennemi mortel des Grecs. Vois en quel horrible état ils m'ont mis : sans doute ils craignent peu la vengeance céleste. Hélas ! que leur avais-je fait pour me traiter si indignement ? Mais ce n'est pas la première injustice dont ils se sont rendus coupables. N'ont-ils pas commis la plus noire ingratitude en enlevant à Achille le prix de son courage ? Philoctète, abandonné par eux dans une île déserte, n'a-t-il pas éprouvé toute leur perfidie ? Palamède enfin n'est-il pas tombé sous leurs coups, victime d'une basse jalousie ? Que de tourments, ô ciel ! ces barbares m'ont fait souffrir, et cela, parce que j'ai refusé de m'en retourner avec eux, et que j'ai tâché de persuader à mes compagnons de ne point quitter ce rivage. Les cruels ont suivi les conseils des plus jeunes d'entre eux ; ils m'ont battu sans pitié ; après m'avoir dépouillé, ils m'ont horriblement écorché à coups de lanières, et ils m'ont laissé sur une terre étrangère. Prince fortuné, sois toujours l'imitateur fidèle du maître des dieux, de cet auguste protecteur des malheureux réduits à l'état de suppliants. Quel triomphe pour les Grecs, si tu permettais aux Troyens de violer en ma personne les droits de l'infortune et de l'hospitalité ! Daigne m'accueillir, et je te promets que tu n'auras point à craindre de la part des Grecs de nouvelles hostilités».

Il dit, et le vieillard cherchait à le rassurer, en lui parlant du ton le plus affable : «Ami, lui dit-il, pourrais-tu encore éprouver des alarmes au milieu de nous, et lorsque tu n'as plus aucune injure à redouter de la part des Grecs ? Tu seras désormais notre ami, et ce titre seul te tiendra lieu de patrie et de biens. Mais, de grâce, dis-moi à quoi bon cette admirable machine ? Dans quelle vue a-t-on construit cet énorme cheval, dont le seul aspect inspire une surprise mêlée d'effroi ? Apprends-moi ton nom, ta naissance ; que je sache enfin d'où sont partis les vaisseaux qui t'ont conduit sur ces bords».

L'étranger, toujours fécond en ruses et feignant de prendre courage, repartit ainsi : «Je répondrai à toutes tes questions, puisque tu me l'ordonnes. J'ai reçu le jour dans Argos, et je me nomme Sinon. Aésimus, un mortel blanchi par les années, est mon père. C'est au génie d'Epéus que les Grecs doivent l'invention de ce cheval, que d'anciens oracles leur avaient promis. Sache que les dieux ont arrêté que si vous le laissez dans la campagne, Troie doit tomber au pouvoir des Grecs : si Pallas au contraire le reçoit dans son temple comme un hommage rendu à sa divinité, vos ennemis s'enfuiront, honteux d'avoir fait jusqu'ici d'inutiles efforts. Ne perdez donc point de temps ; entourez de chaînes ce cheval au frein d'or, et amenez-1e ainsi dans votre citadelle, dont l'enceinte est si chère à la déesse des combats».

Dès qu'il eut achevé ces mots, le roi lui fit apporter des vêtements, et lui ordonna de s'en couvrir. Cependant les Troyens, ayant passé des bandes de cuir et de fortes chaînes autour du corps du cheval, le traînaient dans la campagne, à l'aide des roues sur lesquelles il était monté. Ils ignoraient qu'il portait dans ses flancs l'élite des héros grecs. Des joueurs de flûte et de luth, rassemblés au-devant de lui, faisaient retentir l'air de leurs concerts. Hélas ! misérables humains, que nos vues sont bornées ! Un nuage épais nous dérobe l'avenir : séduits par de vains transports, nous courons souvent, sans le savoir, à notre ruine. Ainsi le plus terrible fléau menaçait les Troyens, et eux-mêmes allaient l'introduire dans leurs portes. Ils avaient cueilli toutes les fleurs des bords du Simoïs, et ils couronnaient déjà de guirlandes le cheval auquel le destin avait attaché leur perte. La terre gémissait sous le poids de l'airain dont les roues étaient entourées ; l'essieu, surchargé d'un poids énorme, criait horriblement ; l'on entendait craquer le bois assemblé avec un art infini ; la chaîne qui traînait à terre, et qui y formait plusieurs circonvolutions, élevait des tourbillons de poussière dont l'air était obscurci ; les cris de la multitude employée à traîner cette machine faisaient un bruit épouvantable. Les Hamadryades du mont Ida firent en cet instant retentir les bois de leurs gémissements ; le Xanthe désespéré roula ses eaux avec plus de fracas ; l'on entendit le Simoïs à son embouchure pousser des cris affreux ; enfin Jupiter, embouchant la trompette céleste, annonçait l'approche de la guerre.

Cependant les Troyens avançaient toujours, traînant après eux l'auteur de leur ruine. Les inégalités du terrain et les rivières qu'il fallait traverser leur rendaient le chemin très pénible : malgré ces obstacles, le cheval les suivait aux autels de Pallas ; il semblait s'enorgueillir de ce qu'il devait en être l'ornement. La déesse, frappant de sa main divine la croupe de l'animal, augmentait la rapidité de sa marche : aussi franchissait-il l'espace plus promptement qu'une flèche. Il atteignit aisément ses conducteurs, quelque précipitée que fût leur marche. On ne le vit pas prendre un instant de relâche, jusqu'à ce qu'il fût rendu sous les murs de Troie. Les portes n'étaient pas assez larges pour le recevoir ; mais Junon accourut, et lui en rendit l'accès facile. Neptune, assis au haut des tours d'Ilion, enfonça les portes d'un coup de son trident, et lui en ouvrit l'entrée. Aussitôt les femmes troyennes, accourant des divers quartiers de la ville, se rassemblèrent autour de cette merveille. Les vierges, les jeunes filles dont la main était déjà promise, celles enfin qui joignaient au titre d'épouse celui de mère, toutes exprimaient leur joie par leurs chants et par leurs danses. Les unes apportaient des tapis brodés, pour en parer ce superbe cheval et le mettre à couvert ; d'autres, déliant leurs riches ceintures, afin de pouvoir agir plus librement, l'entouraient de guirlandes qu'elles avaient tressées elles-mêmes ; l'une d'entre elles, faisant servir à des libations la liqueur renfermée dans un très grand tonneau, en laissa couler un vin exquis, mêlé d'une infusion de safran doré. La terre ainsi abreuvée exhalait une odeur délicieuse. Les cris des femmes répondaient à ceux des hommes ; les enfants mêlaient leurs voix aiguës aux sons débiles que poussaient les vieillards. Comme on voit des grues arriver en troupes des rivages situés par delà le vaste Océan, ces filles de l'hiver annoncent leur venue par les cris qu'elles font entendre au haut des airs ; elles planent, et, disposées en rond, elles gardent toujours un ordre admirable : le laboureur, affligé du retour des frimas, se désole en les voyant. Ainsi les Troyens, assemblés en tumulte au devant de leurs portes, amenaient un cheval qui portait dans ses flancs des bataillons ; ils allaient le déposer dans leur citadelle.
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Rhadamante

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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:39

Dans ses entrefaites, Cassandre, agitée par l'esprit prophétique, et ne pouvant plus demeurer renfermée dans son appartement, en avait brisé la porte, et courait au dehors. Telle on voit une génisse piquée par un insecte, vrai fléau de son espèce, s'élancer avec légèreté : c'est en vain que le berger attend son retour ; elle n'entend plus sa voix qui l'appelle, elle a oublié ses pâturages qu'elle aimait tant ; depuis qu'elle a senti l'aiguillon de son ennemi, elle a fui loin de ses parcs. Telle la fille de Priam, en proie au trait dont elle était déchirée en découvrant un avenir fâcheux, agitait le laurier sacré ; elle remplissait la ville de ses hurlements. Ni ce qu'elle doit au rang illustre dont elle est issue, ni ce qu'elle doit à ses amis, rien ne peut la retenir ; elle a perdu jusqu'au sentiment de la pudeur, si cher à son sexe. L'excès de fureur auquel elle est livrée est pire que l'état de ces femmes thraces qui, troublées par le son des flûtes de Bacchus lorsqu'il court sur les montagnes, et ressentant toute la rage que ce dieu sait inspirer, restent immobiles, sans que rien puisse détourner leurs regards de l'objet sur lequel ils se sont fixés : on les voit secouer leur tête dépouillée de tout ornement, et ceinte uniquement d'une bandelette de lierre attachée par un cordon ; ainsi Cassandre, conduite par son délire, errait çà et là. Souvent dans les accès de son désespoir elle s'arrachait les cheveux, et, déchirant sa poitrine, elle jetait des cris effroyables : «Insensés que vous êtes, dit-elle en s'adressant aux Troyens, quelle fureur aveugle vous a fait conduire dans vos portes ce cheval, ouvrage de la perfidie ? pourquoi vous précipiter ainsi dans la nuit éternelle ? c'est à la mort que vous courez ; un sommeil funeste va fermer vos yeux pour jamais. Ne voyez-vous pas que vos ennemis sont campés dans cette prodigieuse machine ? C'est à cette heure que vont s'accomplir les tristes visions qui ont troublé le repos d'Hécube. Rien ne s'opposera désormais aux efforts de nos ennemis ; ils touchent à l'exécution de leur entreprise, et leurs succès vont terminer la guerre. Ln bataillon de héros grecs est prêt à fondre sur nous, ils n'attendent qu'une nuit obscure pour sortir des flancs où ils sont renfermés, ils brûlent de descendre à terre pour nous livrer combat. Malgré les ténèbres, nous verrons briller le fer homicide levé contre nous. Avec quelle ardeur ces braves guerriers vont s'élancer dans la mêlée ! Vos femmes, alarmées à l'aspect de tant de soldats sortis du ventre du cheval, s'enfuiront, et ne pourront tenir contre une semblable multitude. La déesse qui a conçu le plan de cette machine la délivrera du poids dont elle est surchargée ; Pallas elle-même, qui se plaît à désoler les cités, favorisera cette espèce d'enfantement qui doit nous coûter tant de larmes. Je vois déjà les flots de notre sang rejaillir sur nos meurtriers ; ils se repaissent de carnage. Les femmes, enveloppées dans le malheur commun, sont chargées de fers. Un feu dévorant s'est glissé dans nos murs, c'est du sein du cheval qu'il est sorti. Hélas ! malheureuse Cassandre ! hélas ! chère patrie ! tu vas être réduite en poussière. L'ouvrage des dieux va périr : des murs qu'ils ont bâtis eux-mêmes, et que Laomédon fonda jadis, sont près d'être renversés. 0 mon père ! je gémis d'avance sur tes malheurs et sur ceux d'une reine infortunée ; une chute affreuse t'attend. Couché désormais au pied des autels que tu as élevés dans ton palais au grand Jupiter, tu n'auras plus d'autre ressource que de l'implorer. Et toi, mère trop féconde, d'autres humiliations te sont réservées. Après avoir vu massacrer tes enfants, les dieux t'ôteront la figure humaine, pour te changer en une bête furieuse. Polyxène ma soeur, mes larmes te suivront dans le tombeau qu'on t'aura élevé aux environs de Troie. Fassent les dieux qu'un de nos vainqueurs, sensible à la peine que m'aura causée ta perte, daigne m'immoler à sa fureur, et joindre ainsi mes cendres aux tiennes ! Hélas ! ma mort ne sera pour Agamemnon qu'un faible dédommagement de tant de fatigues essuyées pour nous perdre. Ouvrez enfin les yeux, et dissipez un nuage que le destin ennemi répand autour de vous pour vous égarer. Que ce cheval, qui porte tant de héros dans ses flancs, tombe sous l'effort de la hache ; qu'il périsse dans les flammes, et que les Grecs qui s'y sont cachés y trouvent un bûcher digne prix de leur perfidie ! Lorsque vous vous serez ainsi vengés, les festins, les danses, tous les plaisirs vous seront permis, après avoir fait des libations aux dieux qui nous auront rendu la liberté, l'objet de vos voeux les plus doux».

Elle parla ainsi, sans qu'on ajoutât foi à ses discours. Apollon, qui lui avait accordé le don de prévoir l'avenir, avait fait en sorte que personne ne croyait à ses oracles. Priam, qui l'entendit, ne lui répondit que par les reproches les plus amers : «Quelle audace, quelle impudence est la tienne, lui dit-il, et quel mauvais génie te porte encore aujourd'hui à nous annoncer des malheurs ? c'est en vain que tu nous révèles tes oracles. La fureur qui s'est emparée de ton esprit ne s'est donc point calmée, et ta langue ne se contiendra jamais ? Tu t'affliges de notre bonheur, et tu nous prédis notre ruine, au moment même où Jupiter fait briller à nos yeux l'espoir de la liberté, lorsqu'il vient de dissiper les vaisseaux ennemis ! On ne voit plus les lances agitées dans la main des guerriers, les arcs restent détendus ; on n'entend plus le cliquetis des épées ni le sifflement des flèches ; des exercices plus doux, la danse et le chant, sont le signal de notre victoire. Les mères n'ont point à pleurer leurs enfants, les épouses qui armèrent elles-mêmes leurs jeunes époux avant le combat ne se reprochent point d'avoir hâté leur départ, puisque leur retour les comble de joie ; enfin Pallas, notre déesse tutélaire, reçoit l'offrande que nous lui faisons du cheval attiré dans son temple ; et tu ne rougis pas de venir débiter à la porte de mon palais d'indignes mensonges ! Quel fruit pouvons-nous retirer de tes prophéties ? elles sont vaines, et les murs sacrés d'Ilion en sont profanés. Abandonne-toi, si tu le veux, au désespoir, mais laisse-nous les danses, les festins et les chansons. Nous n'avons plus de sujets d'alarmes, et nous nous passerons bien de tes folles prédictions». En achevant ces mots, il ordonna qu'on ramenât sa fille dans l'intérieur du palais : la princesse obéit avec peine aux ordres de son père. Cependant, étant rentrée dans son appartement, et s'étant jetée sur son lit, elle fondit en larmes en pensant à sa triste destinée. Elle se représentait déjà la flamme faisant des progrès rapides autour des murailles de sa patrie.
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:39

Dans le même temps, les Troyens, rassemblés dans le temple de Minerve, protectrice de leur ville, étaient occupés à placer sur de riches piédestaux le cheval qu'ils venaient de lui offrir. Le feu consumait les victimes consacrées à la déesse, et ses autels étaient tout fumants de la graisse des sacrifices. Les dieux rejetaient ces hécatombes. On ne voyait partout que festins, on s'abandonnait à une joie effrénée, dont l'excès devenait encore pire par la stupidité que l'ivresse répandait sur tous les esprits. On ne pensait plus à rien, personne n'était à son poste, et l'on ne cherchait qu'un prétexte pour y manquer. Entre ceux à qui l'on avait confié la garde des portes, il y en avait bien peu qui songeassent à y veiller. Déjà le jour venant de s'éteindre, la nuit avait couvert Ilion de son voile funeste, lorsque la déesse des amours, toujours habile à imaginer des ruses, ayant pris un ajustement favorable à ses charmes, se rendit auprès d'Hélène ; elle l'appela, et lui parla ainsi : «Chère princesse, lui dit-elle avec douceur, le vaillant Ménélas ton époux, porté dans les flancs du cheval de bois, vient te retirer des mains de tes ravisseurs. Les autres princes grecs, jaloux de l'honneur de partager les périls d'une entreprise dont tu es l'objet, sont renfermés avec lui dans cette fatale machine. Ne t'inquiète point sur la destinée du vieux Priam ; que le reste des Troyens et Déiphobe lui-même cessent d'occuper ta pensée. Je vais te rendre à Ménélas». Hélène, séduite par le ton insinuant de Vénus, abandonna sa couche embaumée : Déiphobe, guidé par son amour, suivit les traces de sa nouvelle épouse, dont la beauté charmait les regards des femmes troyennes qui se trouvaient sur son passage. Elle se rendit au temple de Minerve ; le superbe cheval qui venait d'être introduit sous ces voûtes sacrées l'étonna par l'énormité de sa taille. Elle en fit trois fois le tour. L'esprit occupé des jeunes beautés de la Grèce, elle les nomma toutes à voix basse. Leurs époux, placés dans le ventre du cheval, s'affligeaient au tendre souvenir que leur rappelaient des noms si chéris. Ménélas s'attendrit au son de la voix de la fille de Tyndare, qui vint frapper ses oreilles ; Diomède versa des pleurs en entendant nommer Egialée, sa tendre épouse ; le nom de Pénélope produisit la même émotion dans l'âme de son cher Ulysse. Anticlus seul ne put contenir ses transports : dès qu'il entendit prononcer le nom de Laodamie, il ouvrit la bouche pour répondre à la voix qui lui rappelait l'objet de son amour ; mais Ulysse arrêta son indiscrétion ; il se jeta sur lui, et, lui pressant la gorge avec ses deux mains, il l'empêcha de proférer un seul mot. Il lui serra les lèvres si fortement, qu'il ne lui fut pas possible de les ouvrir. Ce malheureux voulut se lever, pour échapper à la violence de son adversaire, et pour se soustraire à la rigueur d'un silence qui le tuait ; en se débattant ainsi, il rendit le dernier souffle. Les Grecs, témoins de son malheur, le pleurèrent, sans se laisser aller à l'excès de la douleur, de crainte qu'on ne les entendît. Ils le précipitèrent dans une cavité formée par une des cuisses du cheval, et jetèrent un manteau sur son cadavre glacé. La perfide Hélène aurait attiré bien d'autres Grecs, si Pallas, avec cet air qui répand la terreur, ne l'eût écartée par ses menaces. La seule vue de la déesse lui fit abandonner l'enceinte du temple. Comme elle se disposait à en sortir, Minerve lui parla ainsi : «Malheureuse, lui dit-elle d'un ton qui la fit trembler, jusqu'où doivent t'emporter tes folles ardeurs ? Quand cesseras-tu de soupirer après de nouveaux amants ? Les feux impudiques que Vénus allume en ton sein ne s'éteindront-ils donc jamais ? N'es-tu point touchée de la constance de ton premier époux, et l'éloignement de ta fille Hermione ne te cause-t-il aucun regret ? Tiendras-tu toujours le parti des Troyens ? Fuis loin de ces lieux, retourne au palais de Priam, et du haut de ses tours montre aux Grecs le chemin que leurs vaisseaux doivent tenir pour leur retour, en faisant briller à leurs yeux des flambeaux allumés». C'est ainsi que Pallas prévenait les suites de l'attendrissement qu'aurait pu exciter chez les héros grecs la séduisante voix d'Hélène.

Tandis que cette princesse s'acheminait vers le palais, les Troyens, accablés de lassitude, avaient cessé de danser pour se livrer au sommeil. Ils ne faisaient plus résonner leurs instruments de musique. Ceux-ci, fatigués des excès de la table, s'étaient endormis la tête penchée sur leurs verres, pendant que ceux-là, cherchant à saisir leurs coupes remplies de vin, les laissaient échapper de leurs mains débiles. Le repos, compagnon de la nuit, versait sa douce influence sur les mortels ; les chiens même, suspendant leurs aboiements, semblaient craindre de troubler ce silence. Le calme qui régnait dans la cité allait devenir le signal du carnage. Déjà le maître des dieux, qui dispense la victoire à son gré, avait fait pencher sa balance en faveur des ennemis des Troyens ; la perte de ces derniers était assurée. Apollon ne pouvait plus frapper les Grecs de ses traits. Affligé de la ruine prochaine des murs sacrés d'Ilion, il sortit de leur enceinte, et se retira dans un superbe temple que les Lyciens lui avaient bâti.

Cependant Sinon, ayant allumé des feux auprès du tombeau d'Achille, donnait aux Grecs le signal convenu. Hélène à son tour, voulant les favoriser, leur montrait du haut de son palais une torche ardente. Telle Hécate, brillant d'un éclat non pareil, dore la voûte céleste qui s'éclaire à son aspect, quand, ayant passé les premiers jours du mois pendant lesquels cet astre cornu ne répand sur l'univers qu'une lueur ténébreuse, son disque s'arrondit enfin, et devient plus lumineux en attirant à soi un plus grand nombre de rayons du soleil ; telle l'épouse de Ménélas étincelait, dans l'obscurité de la nuit, de l'éclat que lui prêtait la flamme qu'elle avait allumée en faveur des Grecs. Ceux-ci, apercevant de loin les flambeaux que leur tendait une si belle main, s'empressèrent d'aborder aux rivages phrygiens qu'ils avaient feint de vouloir quitter. Les rameurs faisaient diligence, pressés du desir de terminer une guerre malheureuse ; il leur tardait de quitter la rame pour s'élancer dans la mêlée ; impatients d'arriver, ils s'animaient l'un l'autre. Les vents, secondant leur ardeur et soufflant avec violence sur leurs vaisseaux, les eurent bientôt portés devant Troie, où ils abordèrent heureusement sous les auspices de Neptune. A l'instant les matelots, devenus soldats, se mirent en marche, laissant derrière eux leurs cavaliers, de crainte que les chevaux des Troyens, hennissant à l'approche de leurs cavales, n'éveillassent leurs maîtres.

Déjà les guerriers enfermés dans le ventre du cheval s'élançaient hors de ses flancs. Telles des abeilles sortant du creux d'un chêne, où elles ont bâti artistement leur ruche, se répandent dans la prairie ; elles s'y repaissent du suc des fleurs et se jettent ensuite sur les passants, qu'elles percent de leur aiguillon : tels les Grecs, sortant d'embuscade et sautant à terre, fondaient impétueusement sur les Troyens. Le sommeil dans lequel ils les trouvèrent plongés devint le sommeil de la mort. Elle n'eut pour eux d'autres horreurs que les songes funestes qui vinrent s'offrir à leur esprit. Le carnage fut tel, qu'on vit la terre inondée de sang ; l'air retentissait à chaque instant des cris des vaincus fuyant au-devant de leurs meurtriers : la cité était ébranlée par la chute des morts qui tombaient sans mouvement. Les vainqueurs, semblables à des lions furieux, portaient le tumulte dans tous les quartiers, et jonchaient les rues des cadavres de leurs ennemis. Les femmes troyennes, entendant tout ce fracas du haut de leurs toits et soupirant sur la perte de leur liberté, présentaient la tête à leur époux en leur demandant le coup mortel ; les mères désolées répandaient des larmes sur leurs enfants, comme on voit la tendre hirondelle, lorsqu'elle a perdu les fruits de ses amours, se désespérer en voltigeant autour de son nid. Plus d'une jeune fille versa des pleurs sur le corps de son amant palpitant encore, et courut d'elle-même à la mort pour terminer sa peine ; elle aima mieux périr que de se voir condamnée à passer le reste de ses jours dans les fers d'un insolent vainqueur ; elle craignit peu de l'irriter par des refus, et, demeurant toujours fidèle à ses prerniers voeux, elle voulut être unie à son amant, même après le trépas. Les femmes enceintes, surprises avant le terme par les douleurs de l'enfantement, expirèrent avec leur fruit dans des souffrances horribles. Bellone, cette déesse qui se plaît tant à s'abreuver de sang, passa toute cette nuit dans l'ivresse et la joie : on la vit traverser la ville en dansant, semblable à la tempête qui soulève jusqu'aux nues les flots de la mer bruyante. La Discorde, dont la tête atteint jusqu'aux cieux, travaillait de concert avec elle à exciter l'ardeur des Grecs. Le terrible Mars se joignit aussi, quoique un peu tard, à ces divinités : il venait secourir les enfants de Danaiis, et il avait fixé en leur faveur la victoire inconstante. Cependant la déesse aux yeux bleus, secouant l'égide du maître des dieux, fit retentir la citadelle d'Ilion de ses cris horribles ; Junon accourant à ce bruit, l'air en frémit ; la terre, ébranlée par le trident de Neptune, répondit à ce fracas ; le souverain des enfers fut troublé d'effroi ; il se précipita à l'entrée de ses royaumes sombres : ce dieu craignait que Jupiter irrité n'eût enfin détruit l'espèce humaine, et que Mercure n'amenât dans son empire tant d'âmes dégagées de leur enveloppe. Une confusion épouvantable régnait dans toute la ville. Les meurtriers s'abandonnaient à leur rage, sans considérer quelles étaient leurs victimes. Des soldats arrêtés auprès de la porte Scée massacraient tous ceux qu'ils voyaient fuir vers eux ; quelques-uns, surpris au saut du lit, se sentirent percés par une main inconnue, dans le temps qu'ils cherchaient eux-mêmes leurs armes pour aller au combat ; d'autres, à la faveur des ténèbres, s'étant réfugiés ailleurs que chez eux, y donnaient leurs ordres comme s'ils eussent été les amis du maître de la maison. Insensés ! ils ne voyaient pas que cet asile devait leur être funeste, et qu'ils imploreraient en vain les droits de l'hospitalité. Plusieurs, perchés sur leurs toits, furent atteints de flèches au moment qu'ils s'y attendaient le moins ; il y en eut qui, s'étant surchargés de vin, se réveillèrent en sursaut, et, voulant accourir au bruit qu'ils entendaient, ils se précipitèrent du haut du toit, sans songer qu'un escalier pouvait les conduire dans la rue : tant ils étaient aveuglés par leur ivresse ! leurs vertèbres, fracassées dans cette chute, ouvraient une issue au vin dont ils s'étaient gorgés. On en voyait d'attroupés pour combattre, qui périssaient ensemble sous les coups de l'ennemi : la fuite ne pouvait les dérober au trépas ; on les poursuivait avec un tel acharnement, qu'ils n'hésitaient pas à sauter du haut des tours en bas ; ils descendaient ainsi dans le Tartare, et le funeste saut qui les y conduisait était le dernier de leur vie. Quelques-uns, plus heureux, échappèrent en prenant des routes secrètes à la tempête qui soufflait avec tant de rage sur Ilion : ils fuyaient dans les vallons de manière qu'on les eût pris pour des voleurs qui se sauvent furtivement. Enfin, un grand nombre de Troyens étaient immobiles au milieu des ténèbres et du carnage ; on eût dit qu'ils étaient déjà sans vie, et qu'ils n'avaient pas même la ressource de fuir ; on les voyait tomber sans défense les uns sur les autres. La cité, destituée de ses habitants et peuplée uniquement de morts, ne pouvait plus contenir les flots de sang : on n'épargnait personne ; les vainqueurs pressaient les vaincus avec furie ; leur rage insolente étouffait en eux la crainte de la vengeance céleste ; le sang dont ils souillaient les autels allumait la colère des dieux, bien loin de les apaiser. On immolait sans pitié les vieillards les plus vénérables : ils avaient beau demander grâce à genoux, ni leur posture suppliante, ni leurs têtes blanchies par les années, rien ne pouvait les défendre de la barbarie des meurtriers. Malgré les droits de leur âge, les enfants étaient arrachés du sein de leurs mères, dont les jours s'éteignaient bientôt lorsqu'elles se voyaient enlever ce qu'elles avaient de plus cher au monde : on faisait expier à ces innocentes créatures les crimes de leurs pères. C'était en vain que les nourrices présentaient leurs mamelles à leurs nourrissons, qui étaient hors d'état d'en sucer le lait ; elles en répandaient les flots sur leurs corps glacés d'un froid mortel, et elles en faisaient des libations à leurs mânes. Les oiseaux et les chiens s'attroupaient autour des cadavres dont la ville était couverte, et ces animaux, que la nature a placés dans un élément différent, se repaissaient de la même chair ; ils se désaltéraient dans le même sang, en se livrant à leur férocité naturelle. Les cris des oiseaux acharnés à leur proie semaient la terreur dans l'air, tandis que les chiens hurlaient impitoyablement en dévorant leurs maîtres. Ingrats ! ils ne respectaient pas même les corps de ceux qui, pendant leur vie, s'étaient occupés à pourvoir à leurs besoins.
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Au milieu de ces scènes d'horreur, Ulysse et le blond Ménélas s'acheminaient vers le palais de Déiphobe, où ce fils de Priam brûlait d'amour pour Hélène. Tels on voit dans une nuit d'hiver les loups affamés profiter de l'absence du berger pour fondre sur les brebis : après les avoir tuées ils les emportent, et frustrent ainsi les pasteurs du prix de leurs soins. En arrivant, ces deux héros ont à faire tête à un nombre prodigieux d'ennemis. Le combat recommence, les uns s'approchent pour se mesurer avec les princes grecs, les autres montent sur le toit, et de là ils les accablent de grosses pierres et de flèches. Ces braves aventuriers dérobent leurs têtes superbes à tant de traits : défendus par leurs casques et retranchés derrière leurs boucliers, ils parcourent la vaste enceinte du palais. Ulysse renverse des portes qui, par leur solidité, auraient arrêté tout autre que lui : il abat la multitude de ses adversaires. Atride, de son côté, poursuit Déiphobe ; il l'atteint dans l'instant qu'il cherchait à lui couper le chemin, il le frappe au milieu du corps, et lui fait une ouverture par où le foie et les intestins s'échappent ; ce prince infortuné tombe, et ne perd sa valeur qu'en perdant la vie. Hélène, effrayée du danger de Déiphobe dont elle était la conquête, l'avait suivi dans les appartements : dans la crise où elle se voyait, tantôt elle éprouvait un sentiment de joie en pensant que la guerre allait être terminée, tantôt rougissant, quoique un peu tard, de sa conduite passée, et se rappelant le souvenir de sa chère patrie, elle rougissait intérieurement et sans articuler ses plaintes, comme si tout ce qu'elle sentait eût été l'illusion d'un songe. Néoptolème, cherchant à venger son père, s'était introduit dans le palais du vieux Priam : il l'aperçut au pied des autels de Jupiter, et du coup qui l'étendit sans vie il termina ses malheurs : ni les instances de ce roi infortuné, ni la conformité de son âge avec celui de Pélée, aïeul de Néoptolème, ne purent protéger un vieillard dont Achille, malgré la pétulance de son caractère, avait épargné les jours. Mais les dieux ne laissèrent pas ce crime impuni : le meurtrier périt à son tour de la même manière. Le dieu dont les oracles ne trompent jamais le vit tomber au pied de ses autels, sous le fer d'Oreste, qui le poursuivit dans le temple de Delphes, croyant qu'il y était venu pour le piller. Quelle fut la douleur d'Andromaque en cette journée ! que de larmes ne répandit-elle point en voyant le jeune Astyanax, précipité du haut des tours d'Ilion par le perfide Ulysse, terminer sitôt sa carrière !

L'impétueux Ajax acheva le déshonneur de Cassandre. Cette princesse implora vainement le secours de Pallas, déesse protectrice de la virginité. Minerve, courroucée d'une telle violence, retira de ce moment sa faveur de dessus les Grecs ; et, pour punir le crime d'un seul, elle voua à toute la nation son inimitié. Enée et son père Anchise échappèrent à leurs ennemis par un bienfait de Vénus, qui les cacha dans un nuage : elle eut pitié d'un vieillard qu'elle avait aimé jadis, et elle voulut conserver son fils, destiné par un décret des dieux à fonder un établissement en Ausonie, loin des rivages troyens ; Jupiter avait confirmé cet arrêt, voulant que les fils de Cythérée et leur postérité s'illustrassent à jamais par l'étendue de leur puissance. Atride sauva du carnage les enfants d'Anténor, en mémoire de l'hospitalité que ce bon vieillard et Théano, son épouse, avaient ci-devant exercée envers lui. Pour toi, malheureuse Laodice, avant que tu pusses t'éloigner des bords qui t'avaient vue naître, la terre te reçut dans son sein ; tu ne survécus point à la perte d'Ilion : ni le vaillant Acamas, ni aucun autre Grec, ne purent t'emmener dans leurs murs. Sans doute il me serait aisé de chanter toutes les funestes circonstances de cette guerre, puisque ce sent les Muses qui m'inspirent : quoique près d'avoir atteint le but, je pourrais soutenir encore longtemps ma voix.

Déja l'Aurore, sortant du sein de l'Océan, paraissait à l'orient, conduite dans son char par ses superbes coursiers. Ses rayons blanchissant le ciel dissipaient peu à peu les ténèbres, et chassaient devant eux une nuit féconde en désastres. Les vainqueurs, enorgueillis de leur victoire, cherchaient partout, dans l'espoir de rencontrer quelque Troyen échappé au carnage. Le reste était dans les lacs de la mort ; tels on voit des poissons enveloppés de filets qu'on a jetés sur le rivage. Cependant les Grecs, ne trouvant plus aucune résistance, pillaient dans les maisons les meubles les plus précieux, et tout ce qui pouvait satisfaire leur cupidité : ils ne respectaient pas même les temples, dont ils enlevaient les offrandes ; ils emmenaient sur leurs vaisseaux les captives avec leurs enfants. Enfin ils livrèrent aux flammes les murailles de Troie, et l'ouvrage de Neptune devint ainsi la proie de l'élément destructeur. La cité réduite en cendres servit elle-même de tombeau à ses anciens habitants. Le Xanthe, témoin des funestes progrès de la flamme, mêla des larmes à ses ondes. Les Grecs, voulant apaiser les mânes d'Achille, arrosèrent son tombeau du sang de Polyxène. Ils se partagèrent les captives et les trésors qu'avait produits le butin ; ils en chargèrent leurs vaisseaux, et, traversant les flots, ils s'éloignèrent des bords phrygiens, après y avoir heureusement terminé leur entreprise.
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Quintus de Smyrne - La fin de l'Iliade - XII - Le cheval de bois

Les Danaens vaillants avaient peiné longtemps devant les murs de Troie, et la guerre n'avait pas pris fin ; alors Calchas réunit l'assemblée des princes : inspirée par Apollon, son âme connaissait le vol des oiseaux, les astres et les signes qui, par la volonté des dieux, se montrent aux hommes. Quand ils furent assemblés, il parla ainsi :

«Ne combattez plus au pied des murs de Troie ; trouvez un autre moyen, quelque ruse qui soit utile aux vaisseaux et à vous. Pour moi hier j'ai observé ici un signe : un épervier poursuivait une colombe ; celle-ci effrayée se cacha dans le creux d'un rocher, et lui, avec colère, demeura longtemps près du rocher, tandis qu'elle s'y abritait ; enfin il conçut un projet funeste ; il se cacha sous un buisson ; elle sortit alors, l'imprudente ! croyant qu'il était bien loin ; et lui, fondant sur la malheureuse colombe, lui donna la mort cruelle. Ne tentons plus de renverser par la violence la ville de Troie ; que la ruse et l'habileté terminent cette guerre».

Il parla ainsi ; mais personne ne disait avoir trouvé le moyen de finir cette guerre lamentable ; tous étaient indécis ; seul, par sa prudence, le fils de Laerte trouva un expédient et parla ainsi :

«Cher ami, si hautement honoré par les dieux immortels, si vraiment le Destin permet aux Achéens belliqueux de détruire par la ruse la ville de Priam, il faut que nos chefs montent rapidement dans les flancs d'un cheval fabriqué par nous, tandis que l'armée partira pour Ténédos avec les vaisseaux, après avoir incendié les tentes ; les Troyens, du haut de leur ville, nous verront et se répandront sans crainte dans la campagne. Un homme de courage, inconnu des Troyens, restera hors du cheval, animé d'un esprit intrépide ; il dira que les Achéens voulaient l'immoler pour obtenir des dieux un heureux retour, mais qu'il s'était caché sous le cheval fabriqué par nous en l'honneur de Pallas, protectrice des Troyens belliqueux. Voilà ce qu'il répondra à leurs questions répétées ; malgré leur défiance, il faut qu'il les persuade et qu'ils le conduisent grâce à ses plaintes, dans leur ville ; alors il nous donnera le signal de l'ardente bataille, en allumant pour avertir les uns une torche ardente, en appelant les autres pour qu'ils sortent du cheval énorme, quand les fils de Troie dormiront tranquilles».

Il parla ainsi, et tous le louaient ; mais, plus que les autres, Calchas l'admirait, parce qu'il avait proposé aux Achéens ce moyen habile qui devait assurer la victoire des Argiens et la ruine des Troyens. C'est pourquoi il dit ces mots aux chefs belliqueux :

«Ne cherchez pas dans vos esprits une autre ruse, ô mes amis ; suivez le conseil du belliqueux Odysse. Cet homme sage n'a pas imaginé un projet inutile ; les dieux accompliront les voeux des Danaens : car des signes certains se découvrent à moi ; le tonnerre de Zeus résonne dans les cieux, entouré d'éclairs, et autour de notre assemblée, volent sur la droite des oiseaux qui redoublent leurs cris. Ne demeurons plus devant la ville ; les Troyens ont puisé une grande force dans la nécessité, qui excite au combat même les lâches ; les hommes sont vaillants quand ils rassemblent leur courage et ne craignent pas la mort ; ainsi les Troyens combattent sans crainte pour leur ville, et un grand courage anime leurs coeurs».

Il parla ainsi ; le vaillant fils d'Achille lui répondit : «O Calchas, les hommes de coeur combattent de près contre leurs ennemis ; ce sont des lâches, ceux qui fuient et combattent sans courage du haut des tours ; la peur a brisé leur âme. Ne cherchons donc pas une ruse ou un moyen habile de les vaincre ; les guerriers doivent briller dans les batailles, la lance en main ; les hommes braves triomphent toujours à la guerre».

Le fils patient de Laërte lui répondit :

«Fils courageux du vaillant Eacide, tu as parlé avec courage, comme il convient à un homme intrépide et généreux ; tu as confiance en ton bras. Mais ni la valeur intrépide de ton invincible père, ni les longs efforts de toute l'armée n'ont pu renverser la ville opulente de Priam. Allons, obéissons promptement aux avis de Calchas, courons aux navires, fabriquons par la main d'Epéos un cheval de bois, oeuvre d'art que les Argiens exécuteront facilement, car Athéné nous a enseigné les arts».

Il parla ainsi, et tous les chefs suivirent son avis, excepté le vaillant Néoptolème ; le coeur généreux du Philoctète ne fut pas non plus persuadé. Tous deux ne pouvaient se rassasier des batailles cruelles, et désiraient combattre dans la mêlée ; ils ordonnèrent donc à leurs peuples de porter vers les murailles tout ce qui sert à prendre les villes, espérant enlever la ville aux belles murailles ; car tous deux étaient venus à cette guerre sur l'ordre des dieux. Et ils auraient accompli le projet cher à leur âme, si Zeus, du haut du ciel, ne les en eût empêchés ; de tous côtés il ébranla la terre sous les pas des Argiens, et l'air sur leur tête ; enfin il jeta la foudre devant leurs pieds, et toute la Dardanie retentit d'un grand bruit. L'audace des guerriers fut aussitôt changée en crainte ; ils oublièrent leur force et leur courage ; malgré eux, ils obéirent à l'illustre Calchas, et retournèrent à leurs navires, avec tous les autres Argiens, pleins de respect pour le devin ; ils disaient qu'il était inspiré par Zeus ou encore par Phébos, et ils lui obéirent en toutes choses.

Lorsque les astres brillants roulèrent dans le ciel en répandant partout leur éclat, lorsque l'homme dans le sommeil oublia ses peines, alors Athéné, laissant la haute demeure des dieux, descendit semblable à une jeune fille vers les navires et l'armée des Danaens ; elle s'arrêta près du chevet du vaillant Epéos et, dans un songe, lui ordonna de fabriquer un cheval de bois ; elle lui promit de l'aider et de rester auprès de lui pour presser son ouvrage. En entendant le discours de la déesse, il se réjouit, quitta son sommeil tranquille, et reconnut la déesse immortelle ; son âme s'enflamma d'ardeur ; il ne pensait plus qu'à cet ouvrage divin, et son esprit était absorbé par d'ingénieux artifices.

L'Aurore se leva, chassant dans l'Erèbe les ténèbres épaisses, et répandit dans l'espace ses rayons éclatants ; alors Epéos raconta aux Argiens avides de l'entendre ce qu'il avait vu, ce qu'il avait entendu en songe ; et eux, à l'entendre, ils concevaient une grande joie. Alors les fils d'Atrée ordonnèrent aux guerriers d'aller promptement dans les vallées verdoyantes de l'Ida ombragé ; tous, dans la forêt, réunissant leurs efforts contre les sapins, coupaient les grands arbres ; les vallées retentissaient de leur chute, les longues pentes de la montagne étaient dépouillées, la forêt s'ouvrait de toutes parts, moins chère aux bêtes sauvages qu'elle l'était auparavant ; et les branches se desséchaient, attendant en vain le souffle frais des vents. Les Achéens, après les avoir renversés, s'empressaient, du haut des montagnes ombreuses, de les traîner sur le rivage de l'Hellespont ; les guerriers et les mulets gémissaient sous le poids. Les peuples sans nombre travaillaient de ci, de là, sous les ordres d'Epéos : les uns coupaient le bois avec le fer tranchant et formaient les planches ; les autres à coups de hache détachaient les branches des troncs encore entiers ; chacun travaillait à son ouvrage. Epéos fabriqua d'abord les pieds du cheval de bois, puis le ventre auquel il adapta le dos et les reins par derrière, le cou par devant, et une crinière comme s'il était vivant, puis une tête velue, une queue ondoyante, des oreilles, des yeux brillants et tout ce qui forme un cheval vivant. Et l'ouvrage sacré grandissait tous les jours ; on eût dit un cheval animé, parce que la déesse avait donné à Epéos une habileté admirable. Tout fut achevé en trois jours avec le secours de Pallas ; l'armée des Argiens se réjouissait et voyait avec admiration la vie et la légèreté reproduites sur le bois, qui semblait hennir. Alors le divin Epéos pria Tritonis en faveur de son oeuvre immense et tendit vers elle ses mains :

«Ecoute-moi, noble déesse, dit-il, veille sur ce cheval et sur moi !»
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:40

Il parla ainsi. Athéné, l'habile déesse, l'entendit ; elle fit de son oeuvre un objet d'admiration pour les mortels qui la virent et pour ceux qui en ont ouï parler.

Tandis que les Danaens se réjouissaient de voir l'oeuvre d'Epéos, les Troyens tremblants demeuraient à l'abri de leurs tours, fuyant la mort et le destin cruel ; Zeus alors partit loin des autres dieux, du côté des sources de l'Océan et des cavernes de Thétys, et une grande querelle éclata parmi les dieux ; la colère s'alluma dans leurs esprits divisés. S'élançant sur les ailes des vents, ils descendirent du ciel vers la terre ; et, sous leur poids, l'air gémissait. Rangés près des rives du Xanthe, ils se tenaient en face les uns des autres du côté des Achéens ou du côté des Troyens ; l'ardeur de la guerre saisit leurs âmes ; auprès d'eux accoururent même les dieux qui ont en partage la vaste mer. Les uns, dans leur colère, voulaient détruire le cheval trompeur avec les vaisseaux des Argiens ; les autres, Ilion et ses richesses. Mais le Destin capricieux s'opposait à leurs voeux et tourna vers la guerre l'ardeur des Immortels. Arès commença le combat, il s'élança contre Athéné, et, à son exemple, les autres dieux se mêlèrent ; sur leurs épaules leurs armes immortelles enrichies d'or retentissaient, la mer mugissait et la terre sombre tremblait sous leurs pas ; tous ensemble poussaient de grands cris ; un bruit horrible s'élevait jusqu'au ciel immense et jusqu'aux abîmes du noble Edonès ; les Titans, au fond de la terre, tremblaient, les hautes cimes de l'Ida gémissaient, ainsi que les ondes des fleuves éternels, les gouffres profonds, les navires des Argiens et la ville illustre de Priam. Cependant les hommes n'avaient pas peur et ils ne savaient rien du combat des dieux ; ceux-ci se lançaient les rochers arrachés au sommet de l'Ida ; mais ces blocs énormes se dispersaient comme une fine poussière, en touchant les membres sacrés des dieux. Enfin l'esprit magnanime de Zeus s'aperçut de ce tumulte aux extrémités de la terre ; laissant donc promptement les eaux de l'Océan, il revint dans le ciel immense, porté par Euros, Borée, Zéphyre et Notos que la changeante Iris avait attelés à son char divin, fait d'un acier solide par les mains infatigables du Temps immortel. Il arriva ainsi sur le vaste sommet de l'Olympe, et frappa le ciel immense, de coups réitérés ; ici, là, les tonnerres mêlés d'éclairs retentissaient, la foudre frappait sans cesse la terre, et l'air immense était embrasé ; la terreur saisit les âmes des dieux, et tous leurs membres tremblaient, quoiqu'ils fussent immortels. Craignant pour eux, l'illustre Thémis ou bien la Sagesse s'élança à travers les nuages et parvint rapidement jusqu'à eux : car seule elle était demeurée loin de ce combat funeste ; et, pour arrêter la lutte, elle dit ces mots :

«Cessez ce combat terrible ! il ne convient pas, contre la volonté de Zeus, que les dieux immortels combattent pour les misérables hommes. Bientôt vous serez anéantis ; car, du haut du ciel, précipitant sur vous toutes les montagnes, il vous accablera du même coup ; il n'épargnera ni ses fils, ni ses filles ; mais tous il vous plongera dans la terre immense ; vous ne pourrez plus voir la lumière, et une triste obscurité vous couvrira pour toujours».

Elle parla ainsi ; ils obéirent, craignant la vengeance de Zeus; ils cessèrent le combat, oublièrent leur terrible colère, et renouèrent leur ancienne amitié. Les uns rentrèrent au ciel, les autres dans la mer, les autres restèrent sur la terre. Parmi les Achéens belliqueux, le sage fils de Laerte dit ces mots :

«Nobles et courageux princes des Argiens, montrez, je vous en prie, que vous êtes forts et vaillants ; la nécessité nous presse. Rappelons tout notre courage, et montons dans ce cheval artistement fabriqué, pour mettre fin à cette guerre funeste. Par la ruse et par des moyens détournés, détruisons cette ville opulente ; c'est pour cela que nous sommes partis et que nous souffrons tant de maux loin de notre chère patrie. Mais il faut remplir nos esprits de courage et de force ; ne voyons-nous pas souvent, dans les combats funestes, un guerrier pressé par la nécessité prendre courage et, quoiqu'il ne soit pas brave, tuer un homme plus vaillant que lui ; car son âme est affermie par l'audace, qui vaut mieux que la force ? Princes, montons dans notre cachette ingénieuse ; les autres guerriers partiront pour la ville sacrée de Ténédos et y resteront jusqu'à ce que les ennemis nous aient conduits dans leur ville, croyant y faire entrer une offrande à Tritonis. Pendant ce temps, un guerrier, inconnu des Troyens, restera près du cheval ; son âme sera ferme comme le fer ; et il fera diligemment tout ce que j'ai dit, avec l'unique pensée de ne pas révéler aux Troyens nos projets».

Il parla ainsi ; le vaillant Sinon prit seul la parole ; car c'était une oeuvre difficile qu'il allait entreprendre ; aussi le peuple admira tout bas son audace. Il se plaça donc au milieu des princes et leur dit :

«Odysse, et vous, les plus nobles des Achéens ; je ferai ce que vous désirez, dût-on m'insulter et me jeter vivant dans les flammes. Je suis décidé à mourir au milieu des ennemis ou, si je leur échappe, à donner aux Argiens la gloire qu'ils attendent».

Il parla ainsi, plein de confiance ; les Argiens se réjouissaient, et plus d'un s'écria :

«Un dieu lui a inspiré aujourd'hui un grand courage ; autrefois, en effet, il n'était pas audacieux ; mais un dieu l'excite à perdre l'armée des Troyens ou la nôtre. J'espère maintenant que nous allons voir la fin de cette longue guerre».

Ainsi parlait-on dans l'armée des belliqueux Achéens. Nestor, les exhortant de son côté, leur disait :

«Il faut maintenant, mes chers fils, de la force et une grande audace ; car c'est maintenant que les dieux accordent à nos désirs et mettent dans nos mains la fin de nos peines et la victoire glorieuse. Allez donc avec confiance et montez dans le vaste cheval ; l'audace donne un grand honneur aux hommes. Plût au ciel que la force animât encore mes membres, comme à l'époque où le fils d'Eson appelait dans Argo, son vaisseau rapide, les chefs du pays ; et moi, le premier, je me hâtais d'y monter si le divin Pélias ne m'eût retenu malgré moi. Aujourd'hui, la triste vieillesse m'accable ; cependant, comme un jeune homme vigoureux, je monterai sans peur dans le cheval ; un dieu me donnera la confiance et la gloire».

Le fils du blond Achille répondit à ce discours :

«Nestor, par ta sagesse tu es le plus illustre de tous les guerriers ; mais la cruelle vieillesse t'a accablé, et, quoique tu aimes le danger, tu n'as plus de force ; il vaut donc mieux que tu te retires sur les rivages de Ténédos, et nous, guerriers encore inassouvis de combats, nous monterons avec joie dans le cheval, suivant tes conseils».

Il parla ainsi, et le fils de Nélée, s'approchant de lui, embrassait ses mains et sa tête, parce que le jeune homme, en invitant le vieillard à demeurer dehors avec les autres Danaens, voulait entrer le premier dans l'énorme cheval et prendre part au danger ; le voyant donc ardent à la bataille, il lui dit :

«Tu es bien par ton courage et ta sagesse le fils du divin Achille. J'espère que, par tes mains, les Argiens détruiront la noble ville de Priam, et qu'après tant de travaux une grande gloire nous sera donnée ; car nous avons soutenu dans la bataille bien des peines. Les dieux ont mis près de nous le mal ; le bien est loin, le travail au milieu ; un chemin court nous conduit à la douleur, un chemin long à la gloire ; il nous faut passer par bien des souffrances pour y arriver».

Il parla ainsi ; et le noble fils d'Achille lui répondit :

«Vieillard, puisse ton espoir se réaliser au gré de nos désirs ! ce serait un grand bonheur. Si les dieux en ont décidé autrernent, résignons-nous. Pour moi, j'aime mieux mourir glorieusement dans le combat que de fuir loin de Troie couvert de honte».
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:41

A ces mots, il couvrit ses épaules des armes divines de son père ; bientôt après s'armèrent les plus vaillants des héros, à l'âme audacieuse.

Dites-moi, ô Muses, je vous en prie, le nom de ceux qui montèrent dans l'énorme cheval ; c'est vous qui avez fait naître la poésie dans mon âme avant même qu'un tendre duvet eût couvert mes joues, alors que je conduisais de belles brebis dans les champs de Smyrne, beaux lieux, trois fois éloignés de l'Hermos de la portée de la voix, près du temple de Diane, dans un joli bosquet, au pied d'une colline qui n'est pas haute et qui n'est pas des plus basses.

Le premier qui monta dans le grand cheval fut le fils d'Achille, puis l'illustre Ménélas, Odysse, Sthénélos, le divin Diomède ; Philoctète, Anticlos, Menesthée, le vaillant Thoas, le blond Polypétès, Ajax, Eurypyle, le divin Thrasymède, Mérion, Idoménée, rois magnanimes, le hardi Podalire, Eurymaque, le divin Teucer, le magnanime Ialménos, Thalpios, Amphilochos, le belliqueux Léonteus, le divin Eumélos, Euryale, Démophoon, Amphimachos, l'illustre Agapénor, Acamas, et Mégès, fils du robuste Phylé. Beaucoup d'autres les suivirent, tous des plus illustres, autant que le cheval en put contenir ; parmi eux, le dernier, monta le divin Epéos, qui avait fabriqué le cheval et qui savait en ouvrir et en fermer les portes ; c'est pourquoi il entra le dernier ; il retira à l'intérieur les échelles par où ils étaient montés ; et les portes ayant été fermées avec soin, il se tenait près de l'ouverture. Puis tous demeurèrent enfermés en silence, placés à une égale distance de la victoire et de la mort.

Les autres cependant naviguaient sur la vaste mer, après avoir incendié les tentes où jadis ils avaient goûté le repos. Deux hommes sages les commandaient, Nestor et Agamemnon terrible à la lance. Ils auraient voulu aussi monter dans le cheval, mais les Argiens s'y étaient opposés ; ils devaient demeurer sur les vaisseaux et en garder le commandement ; car les guerriers sont plus ardents quand ils sont sous les yeux de leurs princes ; aussi demeurèrent-ils dehors, quoiqu'ils fussent au nombre des rois. Ils arrivèrent bientôt sur le rivage de Ténédos, ils y jetèrent l'ancre, sortirent en hâte de leurs navires et attachèrent à la plage les câbles de leurs vaisseaux. Puis ils attendirent en silence que le flambeau désiré brillât devant leurs yeux.

Cependant leurs amis étaient dans le cheval près des ennemis, tantôt pensant qu'ils allaient périr, tantôt qu'ils détruiraient la ville sacrée ; et, dans ces inquiétudes, l'aurore se leva.

Les Troyens virent alors sur les rivages de l'Hellespont la fumée qui se répandait encore dans l'air, et ils n'apercevaient plus les navires, qui, de l'Hellade, leur avaient apporté la ruine et la mort ; joyeux donc, ils coururent au rivage, couverts de leurs armes ; car la crainte régnait encore dans leurs esprits. Ils virent alors le cheval artistement fait, et, tout alentour, ils se tenaient, frappés d'étonnement ; car c'était une belle oeuvre. Soudain à côté ils virent Sinon, le visage triste ; tous l'interrogeaient sur les Danaens, de ci, de là, et ils l'entouraient ; d'abord ils le questionnèrent amicalement, puis l'accablèrent de terribles reproches, et enfin de coups redoublés. Et lui, il demeurait ferme comme un roc, et ses membres ne sentaient pas la douleur. Enfin ils lui coupèrent les oreilles et le nez, ils lui mutilèrent le visage pour qu'il dit sincèrement où étaient les Danaens avec leurs navires et ce que le cheval contenait dans ses flancs. Puisant dans son coeur la force, il méprisait ces cruelles souffrances et les supportait avec courage, quoiqu'il fût tourmenté terriblement par les coups et par le feu : Héra lui inspirait une grande patience. Il s'écriait donc, soutenant son mensonge :

«Les Argiens s'enfuient au delà de la mer sur leurs vaisseaux, fatigués de cette guerre si longue et de leurs cruelles souffrances. Sur le conseil de Calchas, ils ont fabriqué ce cheval en l'honneur de la belliqueuse Tritogénie, afin d'éviter la colère de la déesse, qui contre eux prenait parti pour les Troyens. Pour obtenir un heureux retour, ils voulaient, sur le conseil d'Odysse, me donner la mort et m'immoler aux dieux marins près des flots retentissants. J'ai compris leur dessein, et pour échapper au triste sacrifice, au vin, à l'orge qu'on répand sur la tête des victimes, j'ai rapidement, sur l'inspiration des dieux, couru me réfugier aux pieds du cheval. A regret, mais contraints par la nécessité, ils m'ont laissé la vie, par respect pour la fille puissante du grand Zeus».

Il parla ainsi avec ruse ; et il ne laissa pas briser son âme sous la douleur ; car un homme vaillant supporte sans murmure un mal inévitable. Parmi les Troyens, les uns le croyaient ; les autres disaient qu'il était un imposteur habile ; Laocoon était de cet avis et, leur parlant avec sagesse, disait qu'il soupçonnait dans l'esprit des Achéens une ruse dangereuse ; il les exhortait tous à incendier sans retard le cheval de bois, pour savoir s'il cachait quelque piège.

Tous auraient obéi, et ils auraient évité la ruine, si Tritogénie, irritée dans le fond de son coeur contre Laocoon, les Troyens et la ville, n'eût soudain ébranlé la terre divine sous les pieds de Laocoon. La crainte le saisit, et cet homme vaillant trembla de tous ses membres ; une nuit sombre se répandit autour de sa tête; une cruelle douleur frappa ses paupières et troubla ses regards sous ses sourcils épais ; ses prunelles, piquées par de violentes souffrances, sortaient de leurs orbites ; une douleur affreuse pénétrait jusqu'au cerveau et aux racines de la tête ; ses yeux roulaient, égarés ; on eût dit tantôt qu'ils nageaient dans le sang, tantôt qu'ils étaient couverts d'un voile opaque ; il en sortait une humeur abondante, comme d'un rocher dur tombe sur les montagnes une eau mêlée de neige ; lui-même semblait saisi de délire ; il voyait double et poussait d'affreux gémissements ; cependant il exhortait encore les Troyens et méprisait la souffrance. Mais la déesse céleste lui ôta la vue, et ses yeux décolorés demeuraient fixes sous un flot de sang, tout le peuple gémissait alentour, pleurant cet homme aimé de tous, redoutant l'immortelle Athéné, et craignant de se tromper. Leur esprit, qui penchait vers la ruine, se reprochait d'avoir traité cruellement le malheureux Sinon, et ils pensaient qu'il avait dit la vérité ; ils le conduisirent donc dans la ville de Troie, lui montrant enfin de la pitié. Ensuite, ils se réunirent, entourèrent de chaînes l'immense cheval et le lièrent par le cou ; car l'habile Epéos avait placé des roues sous les pieds robustes, afin que, tiré par les mains des Troyens, il pût les suivre dans la ville. Tous ensemble à grand'peine le tiraient, comme les pêcheurs tirent à la mer sonore un navire pesant ; les rouleaux énormes gémissent sous le poids, et la carène grinçante descend vers les flots en se balançant. Ainsi les Troyens, amenant eux-mêmes dans Troie la terrible machine, oeuvre d'Epéos, la conduisaient avec effort, puis l'entouraient de guirlandes de fleurs, tandis qu'ils couronnaient leurs têtes de feuillage ; le peuple poussait des cris de joie, et tous s'animaient réciproquement. La Discorde sourit en voyant la fin cruelle de cette guerre, et, du haut du ciel, Héra se réjouissait, Athéné tressaillait de joie. Les Troyens, se hâtant vers la ville, introduisirent le cheval funeste dans leurs murailles, qu'ils abattirent ; et les Troyennes poussaient des cris, admirant cet ouvrage prodigieux qui cachait leur ruine. Laocoon persistait cependant à leur donner des conseils et les priait de jeter le cheval dans un feu dévorant, mais les Troyens ne l'écoutaient pas, craignant la colère des dieux ; et la déesse magnanime Athéné méditait contre les fils de Laocoon quelque chose de plus terrible encore. Sous un rocher raboteux est un antre obscur, inaccessible aux mortels, où habitaient deux monstres de la race cruelle de Typhon, cachés dans le sein d'une île voisine de Troie, que les hommes appellent Calydné. Athéné appela vers Troie ces serpents horribles ; ils accoururent promptement à l'appel de la déesse ; l'île trembla, la mer résonna sous le poids de leur course, les flots s'entr'ouvraient, et ils s'élançaient, dardant leurs langues ; les baleines avaient peur, et les Nymphes, filles du Xanthe et du Simos, poussaient de grands cris ; du haut de l'Olympe, Cypris en eut horreur. Ils vinrent donc promptement où la déesse les appelait, aiguisant au fond de leurs gueules leurs dents meurtrières contre les fils de Laocoon ; une affreuse terreur saisit les Troyens en voyant dans leur ville ces monstres épouvantables, et aucun des guerriers, malgré son courage, n'osa les affronter ; tous, une crainte horrible les avait frappés, ils fuyaient oppressés par l'angoisse ; les femmes pleuraient, et plus d'une oublia ses enfants pour fuir l'odieuse mort. Partout la ville gémissait à l'approche des serpents ; et, tous se pressant en désordre, il arriva que plusieurs furent blessés ; car ils étaient à l'étroit dans les places où ils s'élançaient ensemble. Seul à l'abandon demeura Laocoon avec ses fils, car la Parque funeste et Athéné les avaient rendus immobiles ; les serpents se précipitèrent sur les deux enfants tremblants d'effroi et les dévorèrent de leurs gueules meurtrières ; ils tendaient leurs mains vers leur père, mais il ne pouvait les secourir. Les Troyens, en voyant de loin ce spectacle, pleuraient, frappés d'épouvante jusqu'au fond du coeur ; et les serpents, après avoir accompli la volonté d'Athéné funeste aux Troyens, disparurent sous la terre ; mais la trace de leur passage se voit encore jusqu'à l'entrée du temple d'Apollon, dans la sainte Pergame. Les Troyens élevèrent aux fils de Laocoon morts si cruellement un superbe tombeau, sur lequel le père aveugle versa des larmes, et leur mère, à ses côtés, gémissait près du sépulcre vide, attendant des malheurs encore plus grands. Elle pleurait aussi le malheur de son mari et craignait la colère des dieux. Ainsi, autour de son nid vide, un rossignol dans une vallée ombreuse pousse de longues plaintes ; car ses petits, avant même d'avoir des plumes, avant d'avoir fait résonner leur doux chant, ont été dévorés par un horrible serpent, cruelle douleur pour la mère ! et elle, gémissant sans fin, vole autour du nid vide, avec de grands cris ; ainsi la femme de Laocoon pleurait la mort lamentable de ses fils, au bord de leur sépulcre vide, et une autre douleur affligeait son âme, à la vue de son mari aveugle !
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:41

Tandis qu'elle pleurait ses fils et son mari, les uns morts, l'autre privé de la lumière du soleil, les Troyens couronnaient les autels de leurs dieux, répandant en libations le vin délicieux ; car ils pensaient être délivrés du lourd fardeau de la guerre cruelle. Mais les victimes n'étaient pas dévorées par la flamme, le feu s'éteignait sur les autels comme si la pluie retentissante les eût inondés, une fumée sanglante s'élevait dans les airs, les cuisses tombaient en palpitant sur la terre, les autels même tremblaient, le vin des libations se changeait en sang, des larmes coulaient sur les statues des dieux, les temples étaient souillés d'une humeur corrompue, des gémissements éclataient dans l'air, les hautes murailles chancelaient, les tours poussaient des plaintes comme des êtres vivants, des portes s'ouraient avec un horrible fracas, les oiseaux de nuit criaient et piaulaient dans les solitudes, les astres au-dessus de la ville bâtie par les dieux furent couverts d'ombre, quoique le ciel brillât sans nuages ; les lauriers du temple de Phébus, verts et florissants la veille, se desséchèrent soudain ; les loups et les chacals audacieux rugissaient devant les portes, et quantité de prodiges parurent, annonçant la ruine des Troyens et de leur ville. Cependant la crainte n'entra pas dans le coeur des Troyens lorsqu'ils virent dans leur ville ces signes funestes ; car les Parques avaient égaré leur esprit, afin qu'au milieu des festins ils remplissent leur sort, massacrés par les Argiens.

Seule Cassandre avait gardé sa raison ; jamais ses prédictions n'avaient été démenties ; elles étaient toujours vraies, mais, par une loi du Destin, on les méprisait toujours ; car il fallait que les Troyens périssent. Elle observait dans la ville ces prodiges affreux, qui concordaient ensemble, et elle poussait des cris comme une lionne que, dans les bois, des hommes avides de proie ont blessée ou touchée d'un épieu ; son coeur est irrité ; elle s'élance dans les vastes montagnes, et rien ne peut arrêter sa fureur : telle Cassandre, agitée au fond du coeur par l'inspiration divine, s'élance de sa maison ; ses cheveux ondoyaient sur ses épaules blanches et couvraient son dos ; ses yeux étincelaient fièrement et son cou fléchissait, semblable à un rameau agité par les vents. La noble jeune fille gémissait et disait en criant :

«Malheureux ! nous entrons aujourd'hui dans l'ombre, la ville est pleine de feu, de sang, de ruine ; les dieux nous envoient des prodiges de deuil : nous sommes dans les bras de la mort. Infortunés ! vous ignorez votre destin funeste ! vous vous réjouissez follement ! ce cheval cache un piège ! Mais vous ne m'écoutez pas, même si je crie ; car les Erinnyes, irritées des amours d'Hélène, les Parques sans pitié s'élancent dans la ville. Et, dans un festin de mort, vous goûtez votre dernier repas, souillé de carnage, au bord de la route ouverte aux ombres».

Mais plus d'un Troyen moqueur l'insultait ainsi :

«0 fille de Priam ! pourquoi ta langue sans frein, ton bavardage insensé ? La pudeur de la jeune fille, pure et douce, ne te retient pas ! Un délire funeste t'égare ; aussi les hommes ne t'honorent-ils jamais ; tu parles trop ! Va-t'en ; cours menacer les Argiens et toi-même. Peut-être subiras-tu un malheur plus terrible que le téméraire Laocoon ; il ne convient pas qu'un fou méprise les dons des immortels».

Ils parlaient ainsi dans la ville ; ils riaient de la jeune fille et la traitaient de folle, tandis que la douleur et l'inévitable destin les menaçaient ; mais dans leur ignorance ils l'insultaient, l'éloignaient du cheval énorme. Elle voulait en effet briser ses flancs de bois, ou les détruire par le feu ; elle saisit donc furieuse un brandon enflammé qu'elle avait arraché au foyer, de l'autre main elle brandissait une hache à deux tranchants, et elle s'élançait sur le cheval funeste pour montrer aux Troyens les ruses qu'il cachait. Mais eux, lui arrachant promptement des mains le fer et le feu, ils préparaient gaiement leur dernier repas ; la nuit suprême les attendait.

Les Argiens dans le cheval se réjouissaient en entendant le bruit des hommes qui festinaient dans Ilion et qui méprisaient Cassandre ; ils se demandaient avec admiration comment elle savait les desseins des Achéens.

Enfin elle s'élança dans les montagnes, comme une panthère que les chiens et les bergers vigilants ont chassée de son repaire ; irritée, elle s'éloigne, malgré son courage : ainsi Cassandre s'éloignait du cheval énorme, le coeur brisé de la ruine de Troie ; et elle attendait un grand malheur.
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:42

Livre III - traduction de l'Abbé Delille (1834)

Quand Troie eut succombé, quand le fer et les feux
Eurent détruit ces murs, noble ouvrage des dieux,
Et que, de ses grandeurs étonné de descendre,
Le superbe Ilion fut caché sous la cendre,
Innocents et proscrits, pour fixer nos destins,
Il nous fallut chercher des rivages lointains.
Soumis aux lois du sort, aux oracles fidèle,
Sous les hauteurs d'Antandre et du mont de Cybèle,
J'équipe des vaisseaux, incertain sur quel bord
Vont nous guider les dieux, va nous jeter le sort.
L'été s'ouvrait à peine, à l'orageux Neptune
Mon père me pressait de livrer ma fortune.
D'un peuple infortuné j'assemble les débris ;
Les yeux en pleurs, je pars ; je fuis ces bords chéris
Ces antiques remparts dont Vulcain fit sa proie,
Et les toits paternels, et les champs où fut Troie ;
Et sur l'onde exilé, j'emmène en d'autres lieux,
Et mon père, et mon fils, et mon peuple, et mes dieux.
Bien loin de ma patrie est une vaste terre,
Que consacra Licurgue au grand dieu de la guerre :
Dans des temps plus heureux, les dieux hospitaliers
Unissaient les Troyens à ces peuples guerriers.
Hélas ! j'y fus suivi par mon destin funeste !
Des malheureux Troyens j'y rassemble le reste :
Sur la rive des mers, un nouvel Ilion,
Elevé par mes mains, avait reçu mon nom.
A la belle Vénus, aux dieux dont les auspices
Sont aux nobles projets funestes ou propices,
J'offre mon humble hommage, et le sacré couteau
Immole à Jupiter un superbe taureau.
J'apercois une tombe, où de leur chevelure
Le cornouiller, le myrte étalent la verdure :
Mes mains les destinaient aux autels de mes dieux,
Lorsqu'un soudain prodige est offert à mes yeux.
Du premier arbrisseau que mon effort détache
Un suc affreux jaillit sous la main qui l'arrache,
Et rougit, en tombant, le sol ensanglanté.
Un froid soudain saisit mon coeur épouvanté ;
Je tressaille d'horreur ; mais ma main téméraire
De ce prodige affreux veut sonder le mystère :
Je tente d'arracher un second arbrisseau,
Un nouveau sang jaillit d'un arbuste nouveau.
Tremblant, j'offre mes voeux aux nymphes des bocages,
Au fier dieu des combats ; et mes pieux hommages
Sollicitent des dieux un présage plus doux ;
Et déjà, sur la tombe appuyant mes genoux,
Luttant contre la terre, et redoublant de force,
D'un troisième arbrisseau ma main pressait l'écorce,
Quand du fond du tombeau (j'en tremble encor d'effroi)
Une voix lamentable arrive jusqu'à moi :
«Fils d'Anchise, pourquoi, souillant des mains si pures,
Viens-tu troubler mon ombre, et rouvrir mes blessures ?
Hélas ! respecte au moins l'asile du trépas :
D'un insensible bois ce sang ne coule pas.
Cette contrée a vu terminer ma misère ;
Mais celle où tu naquis ne m'est point étrangère :
Epargne donc ma cendre, ô généreux Troyen !
Ma patrie est la tienne, et ce sang est le mien.
Ah! fuis ces lieux cruels, fuis cette terre avare :
J'y péris immolé par un tyran barbare.
Polydore est mon nom ; ces arbustes sanglants
Furent autant de traits qui percèrent mes flancs.
La terre me reçut ; et, dans mon sein plongée,
Leur moisson homicide en arbres s'est changée».
A ces mots, sa voix meurt, mes sens sont oppressés,
Et mes cheveux d'horreur sur mon front sont dressés.
Le malheureux Priam, dans ses tendres alarmes,
Pour ce malheureux fils craignant le sort des armes,
L'avait au roi de Thrace, infidèle allié,
Avec de grands trésors en secret envoyé
Pour conserver ses jours et former sa jeunesse.
Le lâche, tant qu'Hector humilia la Grèce,
Respecta cet enfant, ses malheurs et son nom ;
Mais, dès que le Destin servit Agamemnon,
L'intérêt dans son coeur faisant taire la gloire,
Oublia l'amitié pour suivre la victoire.
Le cruel (que ne peut l'ardente soif de l'or !)
Egorge Polydore, et saisit son trésor,
Et la terre cacha sa victime sanglante.
A peine j'eus calmé ma première épouvante,
Sur ces signes affreux du céleste courroux
Je consulte les dieux, et mon père avant tous.
Tous veulent fuir ces lieux et ce bord sacrilège,
Où l'hospitalité n'a plus de privilège.
Mais Polydore attend les suprêmes honneurs :
On relève sa tombe, on l'arrose de pleurs ;
Les autels sont parés de festons funéraires ;
Le cyprès joint son deuil au deuil de ces mystères ;
Des femmes d'Ilion les cheveux sont épars ;
Le lait, le sang sacré coulent de toutes parts ;
Nous renfermons son âme en son asile sombre,
Et d'un dernier adieu nous saluons son ombre.
Dès qu'on put se fier à l'humide élément,
Sitôt que de l'Auster l'heureux frémissement
Promit à notre course une mer sans naufrage,
Nos vaisseaux reposés s'élancent du rivage :
On part, on vole au gré d'un vent rapide et doux ;
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:42

Et la ville et le port sont déjà loin de nous.
Une île est dans les mers qu'un golfe étroit sépare
Des hauteurs de Mycose et de rocs de Gyare,
Délices de Thétis, chère au dieu du trident :
Longtemps elle flotta sur l'abîme grondant.
Enfin du dieu du jour la main reconnaissante
Fixa de son berceau la destinée errante ;
Et l'heureuse Délos, dans un profond repos,
Délia le caprice et des vents et des flots.
Là nos vaisseaux lassés trouvent un sûr asile :
Nous entrons ; d'Apollon nous saluons la ville.
Anius vient à nous, le front ceint à la fois
Du laurier prophétique et du bandeau des rois.
Il voit, il reconnaît, il embrasse mon père,
Tend à son vieil ami sa main hospitalière,
Et, resserrant les noeuds d'une antique union,
Reçoit dans son palais les restes d'Ilion.
Je visite du dieu le temple tutélaire,
Et je m'écrie : «O toi ! que dans Thymbre on révère,
A ce malheureux peuple, errant, persécuté,
Donne un asile sûr, une postérité !
Où faut-il transporter nous ! nos dieux et Pergame ?
Viens, parle, éclaire-nous, et descends dans notre âme !»
Je dis : et tout à coup je sens de l'Immortel
S'agiter le laurier, et le temple, et l'autel.
Le mont tremble ; chacun vers la terre s'incline,
Et ces mots sont sortis de l'enceinte divine :
«Troyens ! c'est au berceau de vos premiers parents
Que je promets un terme à vos destins errants.
Allez, et recherchez la terre paternelle ;
Là naîtra de vainqueurs une race éternelle ;
Là régneront Enée et ses derniers neveux,
Et les fils de ses fils, et ceux qui naîtront d'eux...»
Ainsi parle Apollon ; on tressaille, on s'écrie :
«Quels sont ces bords ? quelle est cette antique patrie
Où le sort nous appelle, où le ciel pour toujours
De nos longues erreurs doit terminer le cours ?»
Alors des anciens temps, gravés dans sa mémoire,
Mon père, à nos regards, développant l'histoire :
«O Troyens ! nous dit-il, par des signes certains
Connaissez notre espoir, connaissez nos destins.
Une île est au milieu des ondes écumeuses,
Fière d'un sol fécond, de cent villes fameuses,
Berceau de nos aïeux et du grand Jupiter.
C'est de l'Ida crétois que notre aïeul Teucer,
De Rhétée abordant l'antique promontoire,
Y fixa ses sujets, son empire et sa gloire :
Ilion n'était pas, et des tribus sans noms
De l'Ida phrygien habitaient les vallons.
C'est de là que nous vint le culte de Cybèle,
Par qui le soc apprit à vaincre un sol rebelle ;
De ses honneurs divins le mystère secret,
Que jamais ne dévoile un témoin indiscret ;
Et de l'airain sacré la bruyante allégresse,
Et ces lions soumis qui traînent la déesse ;
Enfin du mont Ida le bois religieux.
Là nous attend le sort ; là nous guident les dieux.
Mais apaisons d'abord les puissances de l'onde ;
Et si le vent nous sert, si le ciel nous seconde,
Trois jours nous porteront sur ces bords désirés».
Ainsi parla mon père ; et deux taureaux sacrés
Sont aux dieux protecteurs offerts en sacrifice :
L'un rend à nos destins le dieu des mers propice,
Et l'autre d'Apollon implore les faveurs ;
Ensuite deux brebis de diverses couleurs
Sont offertes aux dieux de l'orageux empire,
La noire aux Vents fougueux, la blanche au doux Zéphire.
Le bruit court qu'un grand roi, notre ennemi cruel,
Idoménée, a fui le trône paternel ;
Qu'abandonnés des Grecs, les rivages de Crète
Promettent aux Troyens une douce retraite.
Nous partons : nous voyons la riche Oléaros,
Naxos chère à Bacchus, et la blanche Paros,
Donyse aux verts bosquets, tant d'îles renommées,
Qui, sur les vastes mers, en cercle sont semées.
Tout à coup un cri part : «Voilà, voilà ces lieux,
Espoir de nos enfants, séjour de nos aïeux».
Le vent s'élève en poupe ; on s'élance, on arrive,
Et de la Crète enfin nous atteignons la rive.
J'y fonde une cité ; je l'appelle Ilion :
L'heureuse colonie applaudit à son nom.
Je l'invite à chérir sa demeure nouvelle,
A bâtir de ses mains sa haute citadelle.
La mer rend les vaisseaux à ces tranquilles bords ;
L'hymen promet ses fruits, la terre ses trésors.
Je donne à tous des lois, des champs, des domiciles ;
Mais notre sort nous suit dans ces nouveaux asiles :
Un air contagieux, exhalant son poison,
Charge de ses vapeurs la brûlante saison ;
L'eau tarit, l'herbe meurt, et la stérile année
Voit sur son front noirci sa guirlande fanée.
Chaque jour a son deuil ; l'animal expirant
Perd la douce lumière, ou traîne un corps mourant :
Plus d'épis pourl'été, plus de fruits pour l'automne,
Et sur ces bords affreux la mort seule moissonne.
Mon père ordonne alors de repasser les flots,
D'aller interroger les trépieds de Délos,
D'apprendre dans quels lieux doivent finir nos peines,
Nos travaux renaissants, nos courses incertaines.
La nuit couvrait le ciel ; tout dormait, quand mes dieux,
Ravis dans Troie en cendre à la fureur des feux,
Aux rayons de Phébé, qui brillait toute entière,
M'apparaissent en songe, éclatants de lumière,
Consolent mes chagrins, et m'adressent ces mots :
«Epargne-toi le soin de repasser les flots,
Apollon nous envoie ; et, ce qu'eût fait entendre
L'oracle de Délos, nous pouvons te l'apprendre.
C'est nous qui, compagnons de périls, de travaux,
Suivîmes ton exil, partageâmes tes maux ;
C'est nous qui, terminant ta course vagabonde,
A ta race immortelle asservirons le monde.
Ose donc mériter ta future splendeur :
La Crète ne doit point renfermer ta grandeur.
Il est des bords fameux que l'on nomme Hespérie,
Qu'autrefois ont peuplés des enfants d'Oenotrie,
Riche et puissant empire. Italus, nous dit-on,
Augmenta sa splendeur, et lui donna son nom.
Là du grand Dardanus la race a pris naissance :
Où fut votre berceau sera votre puissance,
Cours détromper Anchise, et guide les Troyens
Des rivages de Crète aux bords Ausoniens».
Ainsi parlaient mes dieux : ce n'était point d'un songe
L'illusion nocturne et le grossier mensonge ;
C'étaient leurs saints bandeaux, leurs regards, leurs accents :
Et tous mes sens émus me les montraient présents.
Tremblant, je me relève ; et, d'une ardeur pieuse,
Je lève au ciel ma voix, ma main religieuse ;
Aux dieux hospitaliers je rends un juste honneur,
Et je cours à mon père annoncer mon bonheur.
Egaré, mais soumis à cette voix divine,
A sa double famille, à sa double origine,
Il impute l'erreur de l'oracle douteux
Qui lui fit méconnaître et confondre ces lieux.
«0 mon fils, que poursuit l'affreux destin de Troie !
Cassandre, et mon esprit s'en souvient avec joie,
Cassandre, me dit-il , par des avis certains,
M'a cent fois de ma race annoncé les destins,
Et les champs d'Italos, et les bords d'Hespérie ;
Mais qui pouvait si loin attendre une patrie !
Et qui croyait Cassandre en ces temps malheureux !
Cédons aux lois du sort, obéissons aux dieux».
Il dit : on applaudit, on dépose au rivage
Tous ceux que retenait ou leur sexe ou leur âge.
Le vent gonfle la voile ; et sur les vastes eaux,
Nous cherchons des périls et des climats nouveaux.
Le bord fuit ; devant nous s'étend la mer profonde ;
Partout les cieux, partout les noirs gouffres de l'onde.
Tout à coup la tempête, apportant la terreur,
Sur l'onde au loin répand sa ténébreuse horreur ;
Le vent tonne en courroux sur les mers qu'il tourmente,
Le flot monte et retombe en montagne écumante ;
L'oeil ne distingue plus ni le jour, ni la nuit ;
Le pilote éperdu, que la frayeur conduit,
Abandonne au hasard sa course vagabonde.
Le ciel mugit sur nous ; sous nos pieds la mer gronde ;
Sur nous la foudre éclate ; et, d'un ciel ténébreux,
Mille horribles éclairs sont les astres affreux.
Le jour est sans soleil, et la nuit sans étoiles ;
L'onde brise la rame, et le vent rompt les voiles ;
Et la troisième aurore a revu nos vaisseaux
Abandonnés, sans guide, à la merci des eaux.
Enfin, le jour suivant, le noir horizon s'ouvre,
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:42

Des monts dans le lointain le sommet se découvre,
Et leur vapeur s'élève en tourbillons fumeux.
Alors nous nous courbons sur les flots écumeux,
Et la voile baissée a fait place à la rame :
Le jour renaît aux cieux, l'espérance en notre âme.
Et de leurs bras nerveux nos ardents matelots
Font écumer la mer et bouillonner les flots.
Les Strophades (la Grèce ainsi nomma ces îles)
Au sortir de la mer nous offrent leurs asiles,
Et, de loin dominant les flots ioniens,
Sur leurs tranquilles bords appellent les Troyens.
Vain espoir ! Céléno, la reine des harpies,
Infecta ces beaux lieux de ses troupes impies :
Depuis que Calaïs à leur brutale faim
Du malheureux Phinée arracha le festin,
La terre ne vit pas de fléaux plus terribles,
L'enfer ne vomit pas de monstres plus horribles.
Sous les traits d'une vierge, un instinct dévorant
De leur rapace essaim conduit le vol errant ;
Une éternelle faim creuse leurs traits livides,
Et, toujours s'emplissant, leurs flancs sont toujours vides.
Nous abordons : soudain, sur le rivage épars,
Des troupeaux sans bergers s'offrent à nos regards.
Sur eux, le fer en main, nous fondons avec joie,
Et nos dieux sont admis à cette riche proie.
Une table dressée au bord courbé des mers
Se couvre de ces mets par le hasard offerts :
Soudain d'un vol bruyant, autour de notre table,
Leur troupe secouant son aile redoutable,
S'empare de nos mets dans sa vorace ardeur,
Souille tout, remplit tout de son infecte odeur,
Et mêle un cri sinistre à son toucher immonde.
Plus loin, et sous l'abri d'une roche profonde,
De la voûte des bois partout environnés,
Déjà nous reprenions nos mets abandonnés,
Déjà le feu brûlait sur l'autel de nos lares :
Alors l'avide essaim de ces oiseaux barbares,
Aux mains, aux pieds crochus, de ses réduits secrets
Sort, s'élance à grand bruit, se nourrit de nos mets,
Et d'excréments impurs empoisonne le reste.
«C'en est trop : écartons cette horde funeste,
M'écriai-je aussitôt. Aux armes, compagnons !
Courons ! délivrons-nous de ces monstres gloutons !»
Il dit, on obéit : nos armes détachées
Sous des gazons épais avec soin sont cachées.
Dès qu'il entend de loin fondre l'essaim fatal,
Du haut d'un roc Misène a donné le signal.
Un combat tout nouveau de tous côtés s'engage,
Sur les monstres ailés nous fondons avec rage.
Mais leur plume défend ces oiseaux de la mer :
Leur troupe, impénétrable aux atteintes du fer,
Part, et laisse, en fuyant dans sa retraite obscure,
Les mets demi-rongés, et son odeur impure.
Céléno reste seule, et ses cris menaçants
Font du haut d'un rocher entendre ces accents :
«Quoi ! vils usurpateurs de notre ancienne terre !
Quoi ! pour un vil butin vous nous livrez la guerre !
Apprenez donc de moi, fils de Laomédon,
Ce qu'apprit Jupiter au divin Apollon,
Ce qu'Apollon m'apprit, ce que je vous déclare,
Moi, la terrible soeur des filles du Tartare :
Oui, du vieux Latium vous atteindrez les ports ;
Mais vous ne pourrez pas vous fixer sur ses bords,
Que, pressés par la faim, dans votre rage extrême,
Vous n'ayez dévoré jusqu'à vos tables même».
Elle dit ; et soudain, d'un vol précipité,
De l'épaisse forêt cherche l'obscurité.
Alors tout notre sang se glace dans nos veines ;
Alors nous abjurons nos espérances vaines.
Pour apaiser ce peuple, aux glaives impuissants,
Nous faisons succéder les prières, l'encens,
Soit qu'on adore en lui les déités des ondes,
Soit qu'il n'offre à nos yeux que des oiseaux immondes.
Anchise lève aux cieux ses vénérables mains :
«Dieux ! ô dieux ! écartez ces fléaux inhumains !
Venez à moi, dit-il, déités que j'encense !
Secourez le malheur, secourez l'innocence !»
Il dit : au même instant de leurs câbles tendus
Les vaisseaux affranchis à la mer sont rendus.
Ils partent : l'aquilon gonfle, en sifflant, leurs voiles ;
Au gré du souffle heureux qui frémit dans leurs toiles
Ils fendent de la mer les bruyants tourbillons,
Et la proue en fuyant laisse au loin ses sillons.
Déjà de ses grands bois Zacynthe environnée,
Et l'âpre Néritos de ses rocs couronnée,
Dulichium, Samos, s'élèvent sur les flots :
Ithaque enfin paraît. Soudain nos matelots
Ont redoublé d'ardeur ; et, grâce au vent propice,
Nous fuyons le berceau de l'exécrable Ulysse.
De Leucate bientôt les sommets nuageux,
Et du port d'Apollon les écueils orageux,
Chers malgré leurs dangers, de loin nous apparaissent.
Ce dieu nous rend la joie, et nos forces renaissent.
De son humble cité les ports nous sont ouverts ;
L'ancre se précipite et plonge au fond des mers ;
De nos vaisseaux oisifs la course est suspendue :
Tout bénit d'Actium la terre inattendue.
On dresse des autels ; on offre au roi des dieux
Des expiations, de l'encens et des voeux ;
On s'applaudit d'avoir, comme une terre amie,
Franchi de nos vainqueurs la contrée ennemie.
Enfin de nos lutteurs l'essaim est assemblé ;
Sur leurs corps demi-nus des flots d'huile ont coulé :
A ces jeux paternels nous volons avec joie,
Et notre coeur palpite au souvenir de Troie.
Le grand astre des cieux recommençait son tour,
Et déjà sur les mers Borée est de retour.
Un bouclier d'Abas, devenu ma conquête,
Du temple par mes mains a décoré le faîte ;
Et je grave au-dessous du monument guerrier :
Enée aux Grecs vainqueurs ravit ce bouclier.
Le signal est donné ; nous quittons ces rivages ;
Les rocs phéaciens ont fui dans les nuages.
De l'Epire déjà nous côtoyons les bords ;
La ville de Chaon nous reçoit dans ses ports ;
Et, de loin dominant sur la plaine profonde,
Buthrote a réparé les fatigues de l'onde.
Là d'incroyables bruits, jusqu'à nous parvenus,
Etonnent notre oreille : on nous dit qu'Hélénus,
Enfant du dernier roi de la triste Pergame,
Possède de Pyrrhos et le sceptre et la femme ;
Qu'il commande à des Grecs, et qu'un dernier lien
Met la veuve d'Hector dans les bras d'un Troyen.
Un désir curieux de mon âme s'empare ;
Je brille d'admirer un destin si bizarre,
De voir, d'entretenir le successeur d'Hector.
Ce jour même, sa veuve, inconsolable encor,
Hors des murs, dans un bois qui d'un épais ombrage
D'un nouveau Simoïs ornait le doux rivage,
Figurant en gazon un triste et vain cercueil,
Offrait à son époux le tribut de son deuil.
Pour charmer ses regrets, loin des regards profanes,
A ce lugubre asile elle invitait ses mânes,
L'appelait auprès d'elle ; et, chers à ses douleurs,
Deux autels partageaient le tribut de ses pleurs,
L'un pour Astyanax, et l'autre pour son père :
Là pleurait tour à tour et l'épouse et la mère.
Je marche vers ces lieux ; mais son oeil de plus près
A peine eut reconnu mon visage, mes traits,
Distingué mes habits et mes armes troyennes,
Elle tombe : son sang s'est glacé dans ses veines.
Elle reste longtemps sans force et sans couleur ;
Mais enfin, rappelant un reste de chaleur :
«Est-ce vous, me dit-elle, ou bien une vaine ombre ?
Ah ! si vous habitez dans la demeure sombre
Où mon Hector est-il ?» Elle dit ; et soudain
D'un long ruisseau de pleurs elle inonde son sein,
Et remplit tout le bois de sa voix douloureuse.
Aux transports, aux accens de sa douleur affreuse,
Je pleure, je réponds en sons entrecoupés
Par quelques mots sans suite, et sans ordre échappés :
«0 comble de grandeur, ainsi que de misère !
Non, vous ne voyez pas une ombre mensongère ;
Oui, malgré moi je vis, et pour souffrir encor.
Mais vous, de ce haut rang de l'épouse d'Hector,
A quelle humble fortune êtes-vous descendue ?
Quel sort peut remplacer tant de grandeur perdue ?
Honorez-vous ici la cendre d'un époux ?
Est-ce Hector ou Pyrrhus qui dispose de vous ?»
Elle baisse les yeux ; et s'exprimant à peine :
«Que je te porte envie, heureuse Polyxène !
Ton coeur ne connut pas les douceurs de l'hymen.
Tu péris, jeune encor, sous le fer inhumain.
Mais du moins tu péris sous les remparts de Troie ;
Mais les arrêts du sort qui choisissait sa proie,
N'ont pas nommé ton maître, et, captivant ton coeur,
Mis la fille des rois aux bras de son vainqueur.
Moi, d'un jeune orgueilleux, digne fils de son père,
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:42

Souffrant l'amour superbe et la fierté sévère,
J'ai rampé sous un maître, et, par mille revers,
Passé de Troie en cendre à l'opprobre des fers.
Bientôt, nouveau Pâris, jusqu'à Lacédémone
Mon dédaigneux époux court ravir Hermione ;
Et, fuyant des plaisirs par la force obtenus,
Il m'abandonne esclave à l'esclave Hélénus.
Mais Oreste en fureur, qu'incessamment tourmente
Le fouet de Némésis, le regret d'un amante,
De son rapt criminel par un crime est vengé ;
Il l'égorge aux autels de son père égorgé.
Par cette mort funeste, Hélénus en partage
Obtint une moitié de son riche héritage,
Et du nom de Chaon, né du sang des Troyens,
Appela ces vallons les champs chaoniens :
Pergame fut le nom que prit la citadelle.
Mais vous, quelle tempête ou quelle erreur nouvelle
Vous porta de si loin sur ces bords étrangers ?
Votre Ascagne vit-il après tant de dangers ?
Pleure-t-il quelquefois la perte de sa mère ?
Apprend-il à marcher sur les pas de son père ?
Vers ses hautes vertus prend-il déjà l'essor ?
Promet-il d'être un jour digne neveu d'Hector ?»
Ainsi, parmi les cris, les sanglots et les larmes,
D'un touchant entretien elle goûte les charmes,
Lorsque, de son tyran successeur couronné,
Hélénus de sa cour s'avance environné,
Nous reconnaît, nous mène à sa nouvelle Troie,
Et mêle à chaque mot une larme de joie.
J'avance, et j'aperçois dans ce séjour nouveau
De la fière Pergame un modeste tableau.
Voilà ses ports, ses murs renaissants de leur cendre ;
Ce coteau, c'est l'Ida ; ce ruisseau, le Scamandre.
Je vois la porte Scée et les tours d'Ilion ;
Et de Troie, en pleurant, j'adore encor le nom.
Mille doux souvenirs parcourent ce rivage :
De leurs murs paternels reconnaissant l'image,
Les Troyens, de ces lieux jouissent comme moi ;
Et leur concitoyen les recevait en roi.
Au milieu de sa cour, sous de vastes portiques,
Un grand festin chargeait des tables magnifiques :
Ils célébraient Bacchus, et, dans des coupes d'or,
Le dieu de son nectar leur versait le trésor.
Le jour fuit, un second s'écoule dans la joie,
Mais l'Autan a soufflé, la voile se déploie,
Et son souffle sur l'onde appelle nos vaisseaux.
Je vais au roi pontife, et m'explique en ces mots :
«O toi ! qui fais parler d'une voix véridique
Les lauriers de Claros, le trépied prophétique ;
Que ne trompent jamais ni le flanc des taureaux,
Ni le ciel, ni le vol, ni le chant des oiseaux,
Que me veulent les dieux ? Tous, d'une voix commune
Dans les champs d'Hespérie appelent ma fortune ;
L'horrible Céléno, s'opposant à leurs voeux,
Seule ose m'annoncer la colère des cieux,
Et menace mes jours de la faim homicide.
Parle : que de mon sort ta sagesse décide».
Hélénus, méditant ces mystères profonds,
De sa tête sacrée abaisse les festons,
Présente à Jupiter un pompeux sacrifice,
Implore d'Apollon la bonté protectrice,
Me conduit dans son temple, et me dit :
«Fils des dieux ! Oui, le ciel te prépare un destin glorieux,
Et, dans le cours changeant de sa marche éternelle,
Le sort accomplira cette loi solennelle.
Mais il faut, avant tout, t'indiquer les chemins
Des mers à qui tu dois confier tes destins.
Je ne m'étendrai point sur tout ce qui te touche ;
Sur de plus grands secrets Junon ferme ma bouche,
Et la Parque à mes yeux, soulevant le rideau,
N'écarte qu'à demi leur terrestre bandeau.
D'abord ce Latium, cette terre fatale,
Tu les crois séparés par un court intervalle ;
Mais la mer, devant toi s'agrandissant toujours,
De ta longue carrière allongera le cours.
La Sicile verra de tes nefs vagabondes
La rame opiniâtre importuner ses ondes.
Du redoutable Averne il faut dompter les flots ;
De la mer d'Ausonie il faut fendre les eaux,
De l'île de Circé braver l'onde infidèle,
Avant de reposer dans ta cité nouvelle.
Mais écoute, et connais par quels signes certains
S'annonceront ces lieux promis par les destins :
Si, sur les bords des eaux, se présente à ta vue
Une laie aux poils blancs sur la rive étendue,
Nourrissant trente enfants d'une égale blancheur,
Et du fleuve voisin respirant la fraîcheur,
Arrête là ton cours ; là finiront tes peines.
Ne crains ni Céléno, ni ses menaces vaines,
Ni ces tables qu'un jour doit dévorer ta faim ;
Le Destin t'aidera, compte sur le Destin ;
Compte sur la faveur d'Apollon qui m'inspire ;
Mais fuis la mer perfide et la côte d'Epire :
Des Grecs, nos ennemis, ce bord est infecté.
Là des fiers Locriens s'élève la cité ;
Là, commandant en paix à l'humble Pétilie,
Philoctète est content d'un coin de l'Italie ;
Et de Salente enfin inondant les sillons,
Idoménée au loin répand ses bataillons.
Ce n'est pas tout encor : lorsque, sur le rivage,
Aux dieux conservateurs tu paîras ton hommage,
Qu'un long voile de pourpre, abaissé sur tes yeux,
Dérobe à tes regards tout visage odieux ;
Défends qu'aucun objet d'un augure sinistre
Ne trouble le présage, ainsi que le ministre ;
Qu'enfin les tiens, toi-même, et ta postérité,
Gardent ce saint usage avec fidélité.
Lorsqu'enfin de plus près tu verras la Sicile,
Et que, des bancs étroits qui séparent cette île
L'embouchure à tes yeux ira s'agrandissant,
Que sur la gauche alors ton cours, s'arrondissant,
Laisse à droite cette île et ses gorges profondes.
Ces continents, dit-on, séparés par les ondes,
Réunis autrefois, ne formaient qu'un pays.
Mais, par les flots vainqueurs, tout à coup envahis,
A l'onde usurpatrice ils ont livré la terre,
Dont le double rivage à l'envi se resserre :
Ainsi, sans se toucher, se regardent de près,
Et les bords d'Hespérie, et l'île de Cérès.
Entr'eux la mer mugit, et ses ondes captives
Tour à tour en grondant vont battre les deux rives :
Sublime phénomène, étranges changements,
De l'histoire du monde éternels monuments !
Deux monstres sont placés sur ce double rivage :
Charybde, qui dévore, en son avide rage,
Les flots précipités dans ses antres sans fonds,
Et soudain les vomit de leurs gouffres profonds ;
Scylla qui, dérobant ses roches dangereuses,
Appelle au loin, du sein de ses grottes affreuses,
Les vaisseaux que la vague y pousse en mugissant.
Ce monstre, d'une vierge a le sein ravissant ;
Son visage est d'un homme ; à la figure humaine
Se joint le vaste corps d'une lourde baleine ;
Ses flancs sont ceux d'un loup ; et de ce monstre enfin,
La queue en s'allongeant se termine en dauphin.
Il vaut mieux s'éloigner, et rasant la Sicile,
Prolonger tes détours et ta lenteur utile,
Pour atteindre le but, l'éviter avec art,
Et près de Pachinum, par un prudent écart,
Dans ton cours prolongé décrire un arc immense ;
Que d'aller, de Charybde affrontant l'inclémence,
Braver ses tourbillons, ses gouffres écumants,
Et de ses chiens hideux les rauques hurlements ;
Enfin, dans l'avenir s'il m'est permis de lire,
Hélénus ne peut trop le dire et le redire :
Junon fit tous tes maux et les prolonge tous.
De la reine des dieux désarme le courroux,
N'épargne point l'encens, les voeux, ni la prière :
Ainsi tu fléchiras cette déesse altière,
Et tes vaisseaux vainqueurs, des bords siciliens,
Parviendront sans obstacle aux ports ausoniens.
Vainqueur enfin des mers, d'autres soins te demandent,
Des antres cuméens les oracles t'attendent ;
Il faut franchir l'Averne, et, dans ses sombres bois,
De l'antique Sibylle interroger la voix.
Au pied de son rocher, sur des feuilles légères,
Elle écrit nos destins en légers caractères,
En dispose les mots ; et, sitôt que sa main
En a rangé la suite en un ordre certain,
Elle ferme sur eux sa caverne tranquille.
Là l'oracle repose et demeure immobile.
Mais si 1a porte, ouverte aux zéphyrs indiscrets,
De ce livre mouvant leur livre les secrets,
Ils volent dispersés sous les roches profondes.
Elle, au lieu d'assembler leurs feuilles vagabondes,
De ses oracles vains, aux vents abandonnés,
Laisse errer au hasard les mots désordonnés ;
Et qui vient consulter sa réponse inutile,
Maudit en s'éloignant l'antre de la Sibylle.
Evite ce malheur. En vain de ton départ
Les tiens impatients accusent le retard ;
En vain le vent t'appelle, en vain le temps te presse ;
Toi-même va trouver, consulter la prêtresse ;
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:43

Qu'elle-même te parle, et, de ses rocs profonds,
Laisse échapper pour toi ses prophétiques sons,
Te dise tes dangers et tes guerres futures,
Et tout ce long tissu d'illustres aventures,
Ce qu'il faut craindre encor, ce qu'il faut surmonter,
Et quels peuples enfin te restent à dompter.
Tel du sort à mes yeux le livre se déploie
Va, pars, et porte au ciel les grands destins de Troie».
Il dit, et fait tirer de son riche trésor
Un vaste amas d'airain, d'argent, d'ivoire et d'or ;
Des vases de Dodone, une riche cuirasse,
Où l'or à triple maille avec art s'entrelace
Un casque aux crins flottants, armure de Pyrrhus,
Qui du sang des Troyens ne se rougira plus.
Mon père est distingué par sa munificence ;
Mon peuple aussi reçoit de sa magnificence
Des rameurs vigoureux, des armes, des guerriers,
Et ses riches haras nous cèdent leurs coursiers.
Nous écoutons des dieux le fidèle interprète.
Anchise ordonne alors que sa flotte s'apprête,
Qu'on rattache la voile, et qu'aux vents fortunés
Ses plis prêts à s'ouvrir flottent abandonnés.
Hélénus en ces mots honore sa vieillesse :
«Mortel chéri des dieux, époux d'une déesse,
Qui deux fois échappas aux malheurs d'Ilion,
Cette Ausonie, objet de ton ambition,
D'ici ton oeil la voit, ton espoir la possède ;
Mais, pour atteindre au lieu que le Destin te cède,
Il faut raser ses bords, et, par de longs chemins,
Voyageur patient, gagner ces bords lointains.
Adieu, vieillard heureux, encor plus heureux père !
Adieu : déjà l'Autan, de son souffle prospère,
Sur une mer propice appelle vos vaisseaux.
Adieu : mes souvenirs vous suivront sur les eaux».
Cependant, à son tour, Andromaque pensive
Prépare ses adieux ; sa tendresse attentive
Aux présents d'Hélénus veut ajouter le sien.
Ascagne reçoit d'elle un manteau phrygien,
De superbes tissus où la navette agile
A glissé des fils d'or dans sa trame fragile,
Des travaux de ses mains plus précieux encor.
«Tenez, prenez ce don de l'épouse d'Hector,
Cher enfant ! qu'il vous prouve à jamais ma tendresse.
C'est le dernier présent d'une triste princesse ;
De vos parents, hélas ! c'est le dernier bienfait.
Prenez, ô de mon fils doux et vivant portrait !
Voilà son air, son port, son maintien, son langage ;
Ce sont les mêmes traits, il aurait le même âge.
Nous hâtons à regret ce départ douloureux ;
Je leur dis en pleurant : «Adieu, vivez heureux.
Vous ne redoutez plus la fortune inconstante ;
Et nous, tristes jouets d'une si longue attente,
Le sort de mer en mer nous promène à son gré.
Vos malheurs sont finis, votre asile assuré ;
Vous n'allez point chercher sur de lointaines rives
Un empire inconnu, des terres fugitives :
Le doux aspect du Xanthe adoucit vos destins ;
Notre Ilion revit relevé par vos mains.
Puisse un destin plus doux respecter votre ouvrage !
Que la Grèce de Troie épargne au moins l'image !
Si le Tibre jamais me reçoit dans ses ports,
Si ces murs tant promis s'élèvent sur ses bords,
Unis par la naissance, unis par l'infortune,
Nos maux seront communs, notre gloire commune.
Oui, nos peuples, heureux d'un longue union,
Ne seront qu'un seul peuple, et qu'un seul Ilion :
Et des fils d'Ausonie et des enfants d'Epire,
Même sang, même amour réuniront l'empire.
Puisse un esprit semblable animer nos neveux».
A ces mots je m'éloigne, en retournant les yeux
Vers ces murs fraternels, cette terre chérie,
Et vais sur l'onde encor poursuivre une patrie.
Nous côtoyons d'abord ces sommets escarpés,
Que les traits de la foudre ont si souvent frappés ;
De là vers l'Italie un court trajet nous mène.
Le jour tombe ; et la Nuit, de son trône d'ébène,
Jette son crêpe obscur sur les monts, sur les flots :
Le rivage des mers nous invite au repos.
Des travaux aux rameurs le sort fait le partage ;
Et les autres, couchés sur l'aride rivage,
Dorment au bruit de l'onde, et jusqu'au jour naissant
Goûtent d'un doux sommeil le charme assoupissant.
Mais les Heures déjà dans le silence et l'ombre
Au milieu de sa course ont guidé la Nuit sombre :
Palinure s'éveille, et consulte les mers ;
Il écoute les vents, interroge les airs ;
Des astres dela nuit il observe la course ;
Cherche d'un oeil savant les Hyades et l'Ourse,
Du Bouvier paresseux l'astre resplendissant,
Et l'Orion armé d'un or éblouissant.
Il voit les cieux sereins ; et, du haut dela poupe,
D'un signe impérieux il avertit sa troupe.
Nous partons, nous fuyons, nous volons sur les eaux,
Et déployons aux vents les ailes des vaisseaux.
Les astres pâlissaient, l'Aurore matinale
Semait de ses rubis la vie orientale,
Lorsqu'insensiblement un point noir et douteux
De loin paraît, s'élève, et s'agrandit aux yeux.
C'était le Latium. Partout la joie éclate :
«Latium ! Latium ! crie aussitôt Achate ;
Latium ! Latium ! disent nos cris joyeux».
Tous, d'un commun transport, nous saluons ces lieux.
Anchise prend un vase orné d'une guirlande ;
Et, joignant la prière à sa liquide offrande,
Debout sur le tillac, s'écrie : «O dieu des flots !
Vous, qui leur commandez le trouble et le repos !
Et vous, dieux du rivage ! écoutez ma prière :
Dieux puissants ! nous touchons au bout de la carrière :
Encor un vent propice, encor un souffle heureux.»
Il dit. Un air plus frais favorise nos voeux.
On entrevoit le port ; et, voisin de la nue,
Le temple de Pallas se découvre à la vue.
On abaisse la voile ; on s'approche du bord,
Et le bec des vaisseaux est tourné vers le port.
Creusée à l'orient, son enceinte profonde,
Contre les vents fougueux et les assauts de l'onde,
Est recourbée en arc, où le flot mugissant
Sans cesse vient briser son courroux impuissant.
A l'abri des rochers, son eau calme repose ;
Des remparts naturels, qu'à la vague il oppose,
Les fronts montent dansl'air comme une double tour ;
Leurs bras d'un double mur en ferment le contour ;
Et le temple que l'oeil croyait voir sur la plage
Recule à notre approche, et s'enfuit du rivage,
Quatre beaux coursiers blancs, dans la prairie épars,
Sont le premier présage offert à nos regards.
Anchise alors s'écrie : «O malheureuse terre !
Ces coursiers belliqueux nous annoncent la guerre ;
Oui, la guerre a son char attelle des coursiers ;
Mars conduit aux combats ces animaux guerriers.
O toi que j'ai choisie, ô terre hospitalière !
Le sang doit-il encor marquer notre carrière ?
Mais ces mêmes coursiers, domptés par notre main,
Traînent d'accord un char, se soumettent an frein.
J'espère encor la paix !» Il dit. Et sa prière
Paie un juste tribut à Minerve guerrière,
Qui daigna la première accueillir nos vaisseaux,
Heureux triomphateurs et des vents et des eaux ;
Puis d'un voile sacré nous couvrons notre tête,
Et déjà pour Junon notre offrande s'apprête :
Le roi pontife ainsi nous l'avait ordonné.
Ces devoirs accomplis, le signal est donné,
Et les voiles, des vents appelant les haleines,
Tournent sur les longs bras de leur longues antennes.
Nous partons, nous fuyons d'un cours précipité
Ce rivage suspect, par les Grecs habité.
Des bords où devant nous la terre au loin recule,
Tarente offre à nos yeux les murs sacrés d'Hercule.
Junon de Lacinie et son temple fameux
Règnent à l'autre bord sur les flots écumeux.
Bientôt se dégageant des vapeurs qui les couvrent,
De Caulon à nos yeux les remparts se découvrent ;
L'horrible Scylacée, effroi des matelots,
Loin de son triple écueil, nous voit fuir sur les flots.
Tout à coup de l'Etna je vois de loin la cime ;
De la profonde mer j'entends gronder l'abîme ;
J'entends le bruit lointain des rochers écumants,
Et de l'onde en courroux les longs mugissements.
Avec le noir limon de ses grottes profondes
Je vois monter, tomber, et remonter les ondes.
«Les voilà, dit Anchise ! oui, Troyens, les voilà,
Ces gouffres de Charybde, et ces rocs de Scylla !
Aux rames, mes amis ! fuyons ces bords horribles,
Qu'annonçaient d'Hélénus les oracles terribles !
Palinure à l'instant, en ce péril nouveau,
Vers la gauche a poussé son rapide vaisseau ;
Et, la voile et les vents secondant son audace,
La flotte obéissante a volé sur sa trace.
A la voix de mon père, un effroi courageux
Anime tous les coeurs ; de ces bords orageux
Nous fuyons à l'envi l'éternelle tempête.
Les vagues quelquefois nous portent sur leur faîte,
Nous poussent vers les cieux, et des voûtes des ais
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:43

Retombent avec nous au gouffre des enfers.
Trois fois le flot mugit sous la roche profonde ;
Trois fois jusques aux cieux la mer lance son onde.
Cependant le vent tombe et meurt avec le jour.
Des Cyclopes cruels j'aborde le séjour :
Je l'ignorais. Le port creusé dans ces rivages
Garde un calme profond ; mais par d'autres orages,
L'épouvantable Etna trouble, en grondant, ces lieux,
Bientôt, déploie en l'air des colonnes de feux ;
Tantôt, des profondeurs de son horrible gouffre,
De flamme et de fumée, et de cendre et de soufre,
Dans le ciel obscurci lance d'affreux torrents ;
Tantôt, des rocs noircis par ses feux dévorants,
Arrachant les éclats, de ses voûtes tremblantes,
Vomit, en bouillonnant, ses entrailles brûlantes.
On dit que, par la foudre, à demi consumé,
Encelade mugit dans l'abîme enflammé ;
Sur lui du vaste Etna pèse l'énorme masse ;
Chaque fois qu'il s'agite et veut changer de place,
L'Etna sur lui retombe, et d'affreux tremblements
Ebranlent la Sicile et ses sommets fumants.
Toute la nuit, frappés de ce grand phénomène,
Nous nous tenons cachés dans la forêt prochaine,
Ignorant d'où provient cet effroyable bruit.
Dans le ciel ténébreux pas un astre ne luit,
Pas un faible rayon ; et des nuages sombres,
Sur le flambeau des nuits, ont épaissi leurs ombres.
Cependant le jour vient ; et du ciel moins obscur
L'Aurore, en souriant, blanchit déjà l'azur,
Lorsque du fond des bois un spectre à forme humaine,
Maigre, pâle, et vers nous se traînant avec peine,
S'avance en nous tendant ses suppliantes mains.
Nous regardons : ses maux dans ses traits sont empreints,
Sa barbe à flots épais descend sur sa poitrine ;
Quelques sales lambeaux que rattache une épine,
Ses cheveux négligés, tout montre un malheureux :
Le reste annonce un Grec. Il approche ; et ses yeux
A peine ont reconnu nos habits et nos armes,
Il s'arrête, il écoute un instant ses alarmes ;
Mais, la crainte bientôt cédant à ses malheurs,
Avec des cris perçants et des ruisseaux de pleurs,
Il s'élance vers nous : «Par ces dieux que j'atteste,
Par ce soleil, témoin de mon destin funeste,
Par ce ciel, par cet air que nous respirons tous,
0 Troyens ! me voici ; je m'abandonne à vous ;
Que l'un de vos vaisseaux loin d'ici me transporte,
Dans une île, un désert, où vous voudrez, n'importe.
Je suis Grec, j'ai, comme eux, marché contre Ilion.
Si c'est un attentat indigne de pardon,
Voici votre ennemi, qu'il soit votre victime ;
Frappez, tranchez ses jours, plongez-le dans l'abîme !
Mais ne le laissez point sur ce bord désolé :
Mourant des mains d'un homme, il mourra consolé».
Il dit, baise nos pieds, les inonde de larmes,
Se colle à nos genoux. Nous calmons ses alarmes :
Nous demandons son nom, sa race, son destin.
Mon père, le premier, étend vers lui la main,
Et d'un tendre intérêt lui présente ce gage.
Il se rassure alors, et nous tient ce langage :
«Mon père, hélas !(pourquoi son fils l'a-t-il quitté ?)
Né pauvre, chérissait son humble obscurité.
Adamaste est son nom, le mien Achéménide ;
Ithaque est mon pays. La fortune perfide
Aux longs malheurs d'Ulysse attacha mon destin.
Votre Ilion m'a vu les armes à la main.
Depuis je fus jeté sur ces terres sauvages.
Du Cyclope inhumain, terreur de ces rivages,
Fuyant l'antre cruel, sans s'occuper de moi,
Les Grecs m'ont laissé seul dans ce séjour d'effroi.
Rien n'égale l'horreur de sa caverne affreuse :
Dans l'onde au loin s'étend sa voûte ténébreuse ;
Toujours la mort, le deuil, habitent dans son sein ;
D'horribles ossements pavent l'antre assassin.
Lui, (dieux ! d'un tel fléau n'affligez plus la terre !)
Semble d'un front hautain défier le tonnerre.
Laisse-t-il un instant son autre ensanglanté ?
A son farouche aspect tout fuit épouvanté.
Rien ne l'émeut ; la chair, le sang des misérables
Sont sa boisson affreuse et ses mets exécrables.
J'ai vu, j'ai vu moi-même, oui, j'ai vu l'inhumain,
Saisissant deux de nous de sa terrible main,
Les briser contre un roc ; j'ai vu sur les murailles
(J'en tremble encor d'horreur) rejaillir leurs entrailles ;
J'ai vu le monstre affreux, dans son antre étendu,
S'abreuver par torrents de leur sang répandu,
Et briser de ses dents, de meurtre dégoûtantes,
Leurs membres tout vivants, et leurs chairs palpitantes.
Ulysse impunément ne vit point leur trépas ;
Et dans de tels moments, il ne s'oublia pas.
A peine ivre de vin, et gorgé de carnage,
Sous le poids du sommeil, qui seul dompte sa rage,
Il a courbé sa tête, et tombant de langueur,
De son corps monstrueux déployé la longueur ;
Tandis que, rejetés par ce monstre farouche,
La chair, le vin, le sang, jaillissaient de sa bouche,
Nous invoquons les dieux, nous l'entourons : soudain
Chacun fond à l'envi sur le monstre inhumain.
Une poutre à l'instant a crevé l'oeil énorme
Qui brillait seul au front de ce monstre difforme.
Moins grand nous apparaît, dans son vaste contour,
Un bouclier d'Argos ou l'oeil ardent du jour.
Nous vengeâmes du moins ces ombres malheureuses.
Mais vous, Troyens, fuyez ces cavernes affreuses,
Fuyez ; c'est peu qu'enflant ses sauvages pipeaux,
Occupé d'assembler, de traire ses troupeaux,
Dans son antre effroyable habite Polyphème,
Cent Cyclopes affreux, presqu'autant que lui-même,
Rôdent le long des mers, fendent leurs flots profonds,
Et sous leurs pas pesants font retentir les monts.
La lune a, par trois fois, réparé sa lumière,
Depuis qu'à l'ours cruel disputant sa tanière,
Je traîne dans ces bois mon destin malheureux,
Et que, du haut d'un roc, suivant ce peuple affreux,
J'écoute, en frissonnant, d'une oreille tremblante,
Et leur marche terrible, et leur voix effrayante.
Des herbes, quelques glands, dépouilles des forêts,
Quelques sauvages fruits, voilà mes tristes mets.
Mes yeux des vastes mers parcouraient l'étendue ;
Vos vaisseaux, les premiers, ont consolé ma vue.
Quels qu'ils fussent, Troyens, Grecs, amis, ennemis,
J'ai couru, j'ai volé : mon sort vous est soumis ;
Mais ne me livrez pas à ce peuple effroyable».
A peine il achevait ce récit incroyable,
Sur la cime du mont nous voyons se mouvoir
Un monstre immense, informe, aveugle, horrible à voir,
Qui, regagnant des mers la rive solitaire,
Cherchait de ses troupeaux le pacage ordinaire,
Posant sa large main sur un tronc sans rameaux :
Seul plaisir qui lui reste en ses horribles maux.
Son troupeau réuni suit sa marche pesante :
Nous remarquons sa flûte à ses côtés pendante.
Il descend, il arrive au bord des flots grondants ;
Là, tout sanglant encore, hideux, grinçant les dents,
Au plus profond des mers, pour laver sa blessure,
Il plonge, et l'onde à peine atteint à sa ceinture.
Tous nos Troyens tremblants soudain sont attroupés ;
On presse le départ, les câbles sont coupés :
On part ; et l'aviron, sous mille mains rivales,
Par le vent secondé, fuit ces rives fatales ;
Avec nous fuit ce Grec devenu notre ami.
Au bruit de ce départ, notre horrible ennemi
Se tourne, et devant lui chasse les mers profondes ;
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:43

Mais en vain dans leur course il veut suivre les ondes,
En vain étend vers nous ses gigantesques bras,
Le rapide vaisseau laisse bien loin ses pas.
Alors il jette un cri lugubre, épouvantable.
La mer en a tremblé : de sa voix redoutable
Les monts de l'Ausonie ont prolongé les sons ;
L'Etna même en mugit en ses antres profonds.
Alors de leurs forêts, de leurs grottes sauvages,
Ses affreux compagnons accourent aux rivages.
De loin nous découvrons, d'un oeil épouvanté,
De ces fils de l'Etna le conseil redouté,
Qui, d'un oeil menaçant, nous poursuivent encore :
Famille impitoyable, et que la terre abhorre,
Debout, cachant dans l'air leurs fronts audacieux.
Tels du bois de Diane, ou du maître des cieux,
Les chênes, les cyprès, au dessus des tempêtes,
Lèvent leurs bras altiers, et leurs pompeuses têtes.
De notre fuite alors précipitant le cours,
Alors de tous les vents acceptant le secours,
Plutôt que de tomber dans ces mains implacables,
On tourmente au hasard les voiles et les câbles.
Mais l'avis d'Hélénns, qui longtemps nous parla
Des gouffres de Charybde et des rocs de Scylla,
Revient à notre esprit ; nous craignons cette route,
Où, contraint d'affronter les monstres qu'il redoute,
Le matelot prudent en son cours hasardeux,
Doit, fuyant les deux bords, les éviter tous deux.
Chacun de nous voulait retourner sur sa trace,
Quand, des rocs de Pédore, un des vents de la Thrace,
De sa puissante haleine emporte les nochers
Aux lieux où le Pautage, à travers des rochers,
S'élance dans les mers au golfe de Mégare.
Aux plaines de Thétis aucun détour n'égare
Nos vaisseaux que ce Grec, par nos soins secouru,
Conduit vers chaque bord qu'il avait parcouru :
Des jeux de la fortune incroyable caprice !
Le guide des Troyens est un soldat d'Ulysse !
En face de Plemmyre, assailli par les mers,
Une île est élevée au sein des flots amers.
Ortygie est le nom qu'elle eut aux premiers âges ;
Ce nom lui reste encor. C'est sur ses beaux rivages
Qu'Alphée, amant fidèle, et voyageur heureux,
Suivant secrètement son penchant amoureux,
En quittant sans regret l'Elide sa patrie,
Se glissait sous les mers vers sa nymphe chérie ;
Tous deux au même lit murmuraient leurs amours ;
Tous deux dans la même onde allaient finir leur cours.
Leurs berceaux sont divers ; leurs tombeaux sont les mêmes.
J'adore de ces lieux les puissances suprêmes.
Je passe ces rochers qu'élève dans les airs
Pachinum, dont le pied s'avance au sein des mers.
Je rase de plus près les campagnes fangeuses
Qu'engraissaient d'Hélorus les eaux marécageuses.
Plus loin c'est Camarine, à qui l'ordre des cieux
Défend de déplacer et son peuple et ses dieux ;
Et le riche Gélas, arrosant de ses ondes
La ville de son nom, et ces plaines fécondes.
J'avance, et d'Agragas je vois de loin les tours ;
Agragas, dont les prés, dans de plus heureux jours,
En foule nourrissaient, de leurs fécondes herbes,
Les troupeaux florissants de ses coursiers superbes
Qui dans les champs de Mars emportaient les guerriers.
Je te passe à ton tour, ô terre des palmiers !
Heureuse Sélinos ! et vous, rochers terribles,
Que l'affreux Lilybée en pièges invisibles,
Sous sa perfide mer, déguise aux matelots.
De là rapidement emporté sur les flots,
Drépane me reçoit ; le malheureux Drépane,
Où le sort aux regrets pour jamais me condamne.
Là périt mon vieux père, après tant de travaux,
Anchise, mon seul bien, seul espoir de mes maux ;
Là tu laisses ton fils, ô père vénérable !
Au moment où me rit un sort plus favorable !
Sauvé de tant d'écueils, tu péris dans le port.
Ah ! le sage Hélénus, interprète du sort,
Des oracles divins les terribles ministres,
L'horrible Céléno, ses menaces sinistres
Qui m'annonçaient du sort tant d'effroyables coups,
Ne m'avaient pas prédit le plus cruel de tous.
Là cessent mes travaux. De ce triste rivage,
Enfin, des dieux plus doux m'ont porté dans Carthage».
Tel le héros troyen racontait ses malheurs,
Et tous les coeurs émus partageaient ses douleurs.
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:44

Homère - L'Iliade XXII - trad. Leconte de Lisle (1866)

Ainsi les Troiens, chassés comme des faons, rentraient dans la ville. Et ils séchaient leur sueur, et ils buvaient, apaisant leur soif. Et les Akhaiens approchaient des murs, en lignes serrées et le bouclier aux épaules. Mais la Moire fatale fit que Hektôr resta devant Ilios et les portes Skaies. Et Phoibos Apollôn dit au Pèléide :

- Pèléide aux pieds rapides, toi qui n'es qu'un mortel, pourquoi poursuis-tu un Dieu immortel ? Ne vois-tu pas que je suis un Dieu ? Mais ta fureur n'a point de fin. Ne songes-tu donc plus aux Troiens que tu poursuivais, et qui se sont enfermés dans leur Ville, tandis que tu t'écartais de ce côté ? Cependant tu ne me tueras point, car je ne suis pas mortel.

Et Akhilleus aux pieds rapides lui répondit, plein de colère :

- O Apollôn, le plus funeste de tous les Dieux, tu m'as aveuglé en m'écartant des murailles ! Sans doute, de nombreux Troiens auraient encore mordu la terre avant de rentrer dans Ilios, et tu m'as enlevé une grande gloire. Tu les as sauvés aisément, ne redoutant point ma vengeance. Mais, certes, je me vengerais de toi, si je le pouvais !

Ayant ainsi parlé, il s'élança vers la ville, en méditant de grandes actions, tel qu'un cheval victorieux qui emporte aisément un char dans la plaine. Ainsi Akhilleus agitait rapidement ses pieds et ses genoux. Et le vieux Priamos l'aperçut le premier, se ruant à travers la plaine, et resplendissant comme l'étoile caniculaire dont les rayons éclatent pami les astres innombrables de la nuit, et qu'on nomme le Chien d'Oriôn. Et c'est la plus éclatante des étoiles, mais c'est aussi un signe funeste qui présage une fièvre ardente aux misérables hommes mortels. Et l'airain resplendissait ainsi autour de la poitrine d'Akhilleus qui accourait.

Et le vieillard se lamentait en se frappant la tête, et il levait ses mains, et il pleurait, poussant des cris et suppliant son fils bien-aimé. Et celui-ci était debout devant les portes, plein du désir de combattre Akhilleus. Et le vieillard, les mains étendues, lui dit d'une voix lamentable :

- Hektôr, mon fils bien-aimé, n'attends point cet homme, étant seul et loin des tiens, de peur que, tué par le Pèléiôn, tu ne subisses ta destinée, car il est bien plus fort que toi. Ah ! le misérable, que n'est-il aussi cher aux Dieux qu'à moi ! Bientôt les chiens et les oiseaux le dévoreraient étendu contre terre, et ma douleur affreuse serait apaisée. De combien de braves enfants ne m'a-t-il point privé, en les tuant, ou en les vendant aux îles lointaines ! Et je ne vois point, au milieu des Troiens rentrés dans Ilios, mes deux fils Lykaôn et Polydôros, qu'a enfantés Laothoè, la plus noble des femmes. S'ils sont vivants sous les tentes, certes, nous les rachèterons avec de l'or et de l'airain, car j'en ai beaucoup, et le vieux et illustre Altès en a beaucoup donné à sa fille ; mais s'ils sont morts, leur mère et moi qui les avons engendrés, nous les pleurerons jusque dans les demeures d'Aidès ! Mais la douleur de nos peuples sera bien moindre si tu n'es pas dompté par Akhilleus. Mon fils, rentre à la hâte dans nos murs, pour le salut des Troiens et des Troiennes. Ne donne pas une telle gloire au Pèléide, et ne te prive pas de la douce vie. Aie pitié de moi, malheureux, qui vis encore, et à qui le Père Zeus réserve une affreuse destinée aux limites de la vieillesse, ayant vu tous les maux m'accabler : mes fils tués, mes filles enlevées, mes foyers renversés, mes petits-enfants écrasés contre terre et les femmes de mes fils entraînées par les mains inexorables des Akhaiens ! Et moi-même, le dernier, les chiens mangeurs de chair crue me déchireront sous mes portiques, après que j'aurai été frappé de l'airain, ou qu'une lance m'aura arraché l'âme. Et ces chiens, gardiens de mon seuil et nourris de ma table dans mes demeures, furieux, et ayant bu tout mon sang, se coucheront sous mes portiques ! On peut regarder un jeune homme percé de l'airain aigu et couché mort dans la mêlée, car il est toujours beau, bien qu'il soit nu ; mais une barbe blanche et les choses de la pudeur déchirées par les chiens, c'est la plus misérable des destinées pour les misérables mortels.

Le vieillard parla ainsi, et il arrachait ses cheveux blancs ; mais il ne fléchissait point l'âme de Hektôr. Et voici que sa mère gémissait et pleurait, et que, découvrant son sein et soulevant d'une main sa mamelle, elle dit ces paroles lamentables :

- Hektôr, mon fils, respecte ce sein et prends pitié de moi ! Si jamais je t'ai donné cette mamelle qui apaisait tes vagissements d'enfant, souviens-t'en, mon cher fils ! Fuis cet homme, rentre dans nos murs, ne t'arrête point pour le combattre. Car s'il te tuait, ni moi qui t'ai enfanté, ni ta femme richement dotée, nous ne te pleurerons sur ton lit funèbre ; mais, loin de nous, auprès des nefs des Argiens, les chiens rapides te mangeront !

Et ils gémissaient ainsi, conjurant leur fils bien-aimé mais ils ne fléchissaient point l'âme de Hektôr, qui attendait 1e grand Akhilleus. De même qu'un dragon montagnard nourri d'herbes vénéneuses, et plein de rage, se tord devant son repaire avec des yeux horribles, en attendant un homme qui approche ; de même Hektôr, plein d'un ferme courage, ne reculait point. Et, le bouclier appuyé contre le relief de la tour, il se disait dans son coeur :

- Malheur à moi si je rentre dans les murailles ! Polydamas m'accablera de reproches, lui qui me conseillait de ramener les Troiens dans la ville, cette nuit fatale où le divin Akhilleus s'est levé. Je ne l'ai point écouté, et certes, son conseil était le meilleur. Et voici que j'ai perdu mon peuple par ma folie. Je crains maintenant les Troiens et les Troiennes aux longs péplos. Le plus lâche pourra dire : Hektôr, trop confiant dans ses forces, a perdu son peuple ! Ils parleront ainsi. Mieux vaut ne rentrer qu'après avoir tué Akhilleus, ou bien mourir glorieusement pour Ilios. Si, déposant mon bouclier bombé et mon casque solide, et appuyant ma lance au mur, j'allais au-devant du brave Akhilleus ? Si je lui promettais de rendre aux Atréides Hélénè et toutes les richesses qu'Alexandros a portées à Troiè sur ses nefs creuses ? Car c'est là l'origine de nos querelles. Si j'offrais aux Akhaiens de partager tout ce que la ville renferme, ayant fait jurer par serment aux Troiens de ne rien cacher et de partager tous les trésors que contient la riche Ilios ? Mais à quoi songe mon esprit ? Je ne supplierai point Akhilleus, car il n'aurait ni respect ni pitié pour moi, et, désarmé que je serais, il me tuerait comme une femme. Non ! Il ne s'agit point maintenant de causer du chêne ou du rocher comme le jeune homme et la jeune fille qui parlent entre eux ; mais or il s'agit de combattre et de voir à qui l'olympien donnera la victoire.

Et il songeait ainsi, attendant Akhilleus. Et le Pèléide approchait semblable à l'impétueux guerrier Arès et brandissant de la main droite la terrible lance Pèlienne. Et l'airain resplendissait, semblable à l'éclair, ou au feu ardent, ou à Hélios qui se lève. Mais dès que Hektôr l'eut vu, la terreur le saisit et il ne put l'attendre ; et, laissant les portes derrière lui, il s'enfuit épouvanté. Et le Pèléide s'élança de ses pieds rapides.

De même que, sur les montagnes, un épervier, le plus rapide des oiseaux, poursuit une colombe tremblante qui fuit d'un vol oblique et qu'il presse avec des cris aigus, désirant l'atteindre et la saisir ; de même Akhilleus se précipitait, et Hektôr, tremblant, fuyait devant lui sous les murs des Troiens, en agitant ses genoux rapides. Et ils passèrent auprès de la colline et du haut figuier, à travers le chemin et le long des murailles. Et ils parvinrent près du fleuve au beau cours, là où jaillissent les deux fontaines du Skamandros tourbillonnant. Et l'une coule, tiède, et une fumée s'en exhale comme d'un grand feu ; et l'autre filtre, pendant l'été, froide comme la grêle, ou la neige, ou le dur cristal de l'eau.

Et auprès des fontaines, il y avait deux larges et belles cuves de pierre où les femmes des Troiens et leurs filles charmantes lavaient leurs robes splendides, au temps de la paix, avant l'arrivée des Akhaiens. Et c'est là qu'ils couraient tous deux, l'un fuyant, et l'autre le poursuivant. Et c'était un brave qui fuyait, et un plus brave qui le poursuivait avec ardeur. Et ils ne se disputaient point une victime, ni le dos d'un boeuf, prix de la course parmi les hommes ; mais ils couraient pour la vie de Hektôr dompteur de chevaux.

De même que deux chevaux rapidement élancés, dans les jeux funéraires d'un guerrier, pour atteindre la borne et remporter un prix magnifique, soit un trépied, soit une femme ; de même ils tournèrent trois fois, de leurs pieds rapides, autour de la ville de Priamos. Et tous les Dieux les regardaient. Et voici que le Père des Dieux et des les hommes parla ainsi :

- O malheur ! Certes, je vois un homme qui m'est cher fuir autour des murailles. Mon coeur s'attriste sur Hektôr, qui a souvent brûlé pour moi de nombreuses cuisses de boeuf, sur les cimes du grand Ida ou dans la citadelle d'Ilios. Le divin Akhilleus le poursuit ardemment, de ses pieds rapides, autour de la ville de Priamos. Allons, délibérez, ô Dieux immortels. L'arracherons-nous à la mort, ou dompterons-nous son courage par les mains du Pèléide Akhilleus ?

Et la déesse Athènè aux yeux clairs lui répondit :

- O Père foudroyant qui amasses les nuées, qu'as-tu dit ? Tu veux arracher à la mort lugubre cet homme mortel que la destinée a marqué pour mourir ! Fais-le ; mais jamais, nous, les Dieux, nous ne t'approuverons.

Et Zeus qui amasse les nuées, lui répondant, parla ainsi :

- Rassure-toi, Tritogénéia, chère fille. Je n'ai point parlé dans une volonté arrêtée, et je veux te complaire. Va, et agis comme tu le voudras.

Il parla ainsi, excitant Athènè déjà pleine d'ardeur ; et elle s'élança du faîte de l'Olympos.

Et, cependant, le rapide Akhilleus pressait sans relâche Hektôr, de même qu'un chien presse, sur les montagnes, le faon d'une biche. Il le poursuit à travers les taillis et les vallées des bois ; et quand il se cache tremblant sous un buisson, le chien flaire sa trace et le découvre aussitôt. De même Hektôr ne pouvait se dérober au rapide Pèléiade. Autant de fois il voulait regagner les portes Dardaniennes et l'abri des tours hautes et solides d'où les Troiens pouvaient le secourir de leurs flèches, autant de fois Akhilleus le poursuivait en le chassant vers la plaine ; mais Hektôr revenait toujours vers Ilios. De même que, dans un songe, on poursuit un homme qui fuit, sans qu'on puisse l'atteindre et qu'il puisse échapper, de même l'un ne pouvait saisir son ennemi, ni celui-ci lui échapper. Mais comment Hektôr eût-il évité plus longtemps les Kères de la mort, si Apollôn, venant à son aide pour la dernière fois, n'eût versé la vigueur dans ses genoux rapides ?
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:44

Et le divin Akhilleus ordonnait à ses peuples, par un signe de tête, de ne point lancer contre Hektôr de flèches mortelles, de peur que quelqu'un le tuât et remportât cette gloire avant lui. Mais, comme ils revenaient pour la quatrième fois aux fontaines du Skamandros, le Père Zeus déploya ses balances d'or, et il y mit deux Kères de la mort violente, l'une pour Akhilleus et l'autre pour Hektôr dompteur de chevaux. Et il les éleva en les tenant par le milieu, et le jour fatal de Hektôr descendit vers les demeures d'Aidès, et Phoibos Apollôn l'abandonna, et la déesse Athènè aux yeux clairs, s'approchant du Pèléide, lui dit ces paroles ailées :

- J'espère enfin, illustre Akhilleus cher à Zeus, que nous allons remporter une grande gloire auprès des nefs Akhaiennes, en tuant Hektôr insatiable de combats. Il ne peut plus nous échapper, même quand l'archer Apollôn, faisant mille efforts pour le sauver, se prosternerait devant le Père Zeus tempétueux. Arrête-toi, et respire. Je vais persuader le Priamide de venir à toi et de te combattre.

Athènè parla ainsi, et Akhilleus, plein de joie, s'arrêta, appuyé sur sa lance d'airain. Et Athènè, le quittant, s'approcha du divin Hektôr, étant semblable à Dèiphobos par le corps et par la voix. Et, debout auprès de lui, elle lui dit ces paroles ailées :

- O mon frère, voici que le rapide Akhilleus te presse en te poursuivant autour de la ville de Priamos. Tenons ferme et faisons tête tous deux à l'ennemi.

Et le grand Hektôr au casque mouvant lui répondit :

- Dèiphobos, certes, tu étais déjà le plus cher de mes frères, de tous ceux que Hékabè et Priamos ont engendrés ; mais je dois t'honorer bien plus dans mon coeur, aujourd'hui que, pour me secourir, tu es sorti de nos murailles, où tous les autres restent enfermés.

Et la déesse Athènè aux yeux clairs lui répondit :

- O mon frère, notre père et notre mère vénérable m'ont supplié à genoux, et tous mes compagnons aussi, de rester dans les murs, car tous sont épouvantés ; mais mon âme était en proie à une amère douleur. Maintenant, combattons bravement, et ne laissons point nos lances en repos, et voyons si Akhilleus, nous ayant tués, emportera nos dépouilles sanglantes vers les nefs creuses, ou s'il sera dompté par ta lance.

Athènè parla ainsi avec ruse et elle le précéda. Et dès qu'ils se furent rencontrés, le grand Hektôr au casque mouvant parla ainsi le premier :

- Je ne te fuirai pas plus longtemps, fils de Pèleus. Je t'ai fui trois fois autour de la grande ville de Priamos et je n'ai point osé attendre ton attaque ; mais voici que mon coeur me pousse à te tenir tête. Je tuerai ou je serai tué. Mais attestons les Dieux, et qu'ils soient les fidèles témoins et les gardiens de nos pactes. Je ne t'outragerai point cruellement, si Zeus me donne la victoire et si je t'arrache l'âme ; mais, Akhilleus, après t'avoir dépouillé de tes belles armes, je rendrai ton cadavre aux Akhaiens. Fais de même, et promets-le.

Et Akhilleus aux pieds rapides, le regardant d'un oeil sombre, lui répondit :

- Hektôr, le plus exécrable des hommes, ne me parle point de pactes. De même qu'il n'y a point d'alliances entre les lions et les hommes, et que les loups et les agneaux, loin de s'accorder, se haïssent toujours ; de même il m'est impossible de ne pas te haïr, et il n'y aura point de pactes entre nous avant qu'un des deux ne tombe, rassasiant de son sang le terrible guerrier Arès. Rappelle tout ton courage. C'est maintenant que tu vas avoir besoin de toute ton adresse et de toute ta vigueur, car tu n'as plus de refuge, et voici que Pallas Athènè va te dompter par ma lance, et que tu expieras en une fois les maux de mes compagnons que tu as tués dans ta fureur !

Il parla ainsi, et, brandissant sa longue pique, il la lança ; mais l'illustre Hektôr la vit et l'évita ; et la pique d'airain, passant au-dessus de lui, s'enfonça en terre. Et Pallas Athènè, l'ayant arrachée, la rendit à Akhilleus, sans que le prince des peuples, Hektôr, s'en aperçût. Et le Priamide dit au brave Pèléide :

- Tu m'as manqué, ô Akhilleus semblable aux Dieux. Zeus ne t'avait point enseigné ma destinée, comme tu le disais ; mais ce n'étaient que des paroles vaines et rusées, afin de m'effrayer et de me faire oublier ma force et mon courage. Ce ne sera point dans le dos que tu me perceras de ta lance, car je cours droit à toi. Frappe donc ma poitrine, si un Dieu te l'accorde, et tente maintenant d'éviter ma lance d'airain. Plût aux Dieux que tu la reçusses tout entière dans le corps ! La guerre serait plus facile aux Troiens si je te tuais, car tu es leur pire fléau.

Il parla ainsi en brandissant sa longue pique, et il la lança ; et elle frappa, sans dévier, le milieu du bouclier du Pèléide ; mais le bouclier la repoussa au loin. Et Hektôr, irrité qu'un trait inutile se fût échappé de sa main, resta plein de trouble, car il n'avait que cette lance. Et il appela à grands cris Dèiphobos au bouclier brillant, et il lui demanda une autre lance ; mais, Dèiphobos ayant disparu, Hektôr, dans son esprit, connut sa destinée, et il dit :

- Malheur à moi ! voici que les Dieux m'appellent à la mort. Je croyais que le héros Dèiphobos était auprès de moi ; mais il est dans nos murs. C'est Athènè qui m'a trompé. La mauvaise mort est proche ; la voilà, plus de refuge. Ceci plaisait dès longtemps à Zeus et au fils de Zeus, Apollôn, qui tous deux cependant m'étaient bienveillants. Et voici que la Moire va me saisir ! Mais, certes, je ne mourrai ni lâchement, ni sans gloire, et j'accomplirai une grande action qu'apprendront les hommes futurs.

Il parla ainsi, et, tirant l'épée aiguë qui pendait, grande et lourde, sur son flanc, il se jeta sur Akhilleus, semblable à l'aigle qui, planant dans les hauteurs, descend dans la plaine à travers les nuées obscures, afin d'enlever la faible brebis ou le lièvre timide. Ainsi se ruait Hektôr, en brandissant l'épée aiguë. Et Akhilleus, emplissant son coeur d'une rage féroce, se rua aussi sur le Priamide. Et il portait son beau bouclier devant sa poitrine, et il secouait son casque éclatants aux quatre cônes et aux splendides crinières d'or mouvantes que Hèphaistos avait fixées au sommet. Connne Hespéros, la plus belle des étoiles Ouraniennes, se lève au milieu des astres de la nuit, ainsi resplendissait l'éclair de la pointe d'airain que le Pèléide brandissait, pour la perte de Hektôr, cherchant sur son beau corps la place où il frapperait. Les belles armes d'airain que le Priamide avait arrachées au cadavre de Patroklos le couvraient en entier, sauf à la jointure du cou et de l'épaule, là où la fuite de l'âme est la plus prompte. C'est là que le divin Akhilleus enfonça sa lance, dont la pointe traversa le cou de Hektôr ; mais la lourde lance d'airain ne trancha point le gosier, et il pouvait encore parler. Il tomba dans la poussière, et le divin Akhilleus se glorifia ainsi :

- Hektôr, tu pensais peut-être, après avoir tué Patroklos, n'avoir plus rien à craindre ? Tu ne songeais point à moi qui étais absent. Insensé ! un vengeur plus fort lui restait sur les nefs creuses, et c'était moi qui ai rompu tes genoux ! Va ! les chiens et les oiseaux te déchireront honteusement, et les Akhaiens enseveliront Patroklos !

Et Hektôr au casque mouvant lui répondit, parlant à peine :

- Je te supplie par ton âme, par tes genoux, par tes parents, ne laisse pas les chiens me déchirer auprès des nefs Akhaiennes. Accepte l'or et l'airain que te donneront mon père et ma mère vénérable. Renvoie mon corps dans mes demeures, afin que les Troiens et les Troiennes me déposent avec honneur sur le bûcher.

Et Akhilleus aux pieds rapides, le regardant d'un oeil sombre, lui dit :

- Chien ! ne me supplie ni par mes genoux, ni par mes parents. Plût aux Dieux que j'eusse la force de manger ta chair crue, pour le mal que tu m'as fait ! Rien ne sauvera ta tête des chiens, quand même on m'apporterait dix et vingt fois ton prix, et nulle autres présents ; quand même le Dardanide Priamos voudrait te racheter ton poids d'or ! Jamais la mère vénérable qui t'a enfanté ne te pleurera couché sur un lit funèbre. Les chiens et les oiseaux te déchireront tout entier !

Et Hektôr au casque mouvant lui répondit en mourant :

- Certes, je prévoyais, te connaissant bien, que je ne te fléchirais point, car ton coeur est de fer. Souviens-toi que les Dieux me vengeront le jour où Pâris et Phoibos Apollôn te tueront, malgré ton courage, devant les portes Skaies.

Et la mort l'ayant interrompu, son âme s'envola de son corps chez Aidés, pleurant sa destinée mauvaise, sa vigueur et sa jeunesse.

Et Akhilleus dit à son cadavre :

- Meurs ! Je subirai ma destinée quand Zeus et les autres Dieux le voudront.
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:45

Ayant ainsi parlé, il arracha sa lance d'airain du cadavre, et, la posant à l'écart, il dépouilla les épaules du Priamide de ses armes sanglantes. Et les fils des Akhaiens accoururent, et ils admiraient la grandeur et la beauté de Hektôr ; et chacun le blessait de nouveau, et ils disaient en se regardant :

- Certes, Hektôr est maintenant plus aisé à manier que le jour où il incendiait les nefs.

Ils parlaient ainsi, et chacun le frappait. Mais aussitôt que le divin Akhilleus aux pieds rapides eut dépouillé le Priamide de ses armes, debout au milieu des Akhaiens, il leur dit ces paroles ailées :

- O amis, princes et chefs des Argiens, puisque les Dieux m'ont donné de tuer ce guerrier qui nous a accablés de plus de maux que tous les autres à la fois, allons assiéger la ville, et sachons quelle est la pensée des Troiens : s'ils veulent, le Priamide étant mort, abandonner la citadelle, ou y rester, bien qu'ils aient perdu Hektôr. Mais à quoi songe mon esprit ? Il gît auprès des nefs, mort, non pleuré, non enseveli, Patroklos, que je n'oublierai jamais tant que je vivrai, et que mes genoux remueront ! Même quand les morts oublieraient chez Aidés, moi je me souviendrai de mon cher compagnon. Et maintenant, ô fils des Akhaiens, chantez les Paians et retournons aux nefs en entraînant ce cadavre. Nous avons remporté une grande gloire, nous avons tué le divin Hektôr, à qui les Troiens adressaient des voeux, dans leur ville, comme à un Dieu.

Il parla ainsi, et il outragea indignement le divin Hektôr. Il lui perça les tendons des deux pieds, entre le talon et la cheville, et il y passa des courroies. Et il l'attacha derrière le char, laissant traîner la tête. Puis, déposant les armes illustres dans le char, il y monta lui-même, et il fouetta les chevaux, qui s'élancèrent avec ardeur. Et le Priamide Hektôr était ainsi traîné dans un tourbillon de poussière, et ses cheveux noirs en étaient souillés, et sa tête était ensevelie dans la poussière, cette tête autrefois si belle que Zeus livrait maintenant à l'ennemi, pour être outragée sur la terre de la patrie.

Ainsi toute la tête de Hektôr était souillée de poussière. Et sa mère, arrachant ses cheveux et déchirant son beau voile, gémissait en voyant de loin son fils. Et son père pleurait misérablement, et les peuples aussi hurlaient et pleuraient par la ville. On eût dit que la haute Ilios croulait tout entière dans le feu. Et les peuples retenaient à grand'peine le vieux Priamos désespéré qui voulait sortir des portes Dardaniennes. Et, se prosternant devant eux, il les suppliait, les nommant par leurs noms :

- Mes amis, laissez-moi sortir seul de la ville, afin que j'aille aux nefs des Akhaiens. Je supplierai cet homme impie qui accomplit d'horribles actions. Il respectera peut-être mon âge, il aura peut-être pitié de ma vieillesse ; car son père aussi est vieux, Pèleus, qui l'a engendré et nourri pour la ruine des Troiens, et surtout pour m'accabler de maux. Que de fils florissants il m'a tués ! Et je gémis moins sur eux tous ensemble que sur le seul Hektôr, dont le regret douloureux me fera descendre aux demeures d'Aidès. Plût aux Dieux qu'il fût mort dans nos bras ! Au moins, sur son cadavre, nous nous serions rassasiés de larmes et de sanglots, la mère malheureuse qui l'a enfanté et moi !

Il parla ainsi en pleurant. Et tous les citoyens pleuraient. Et, parmi les Troiennes, Hékabè commença le deuil sans fin :

- Mon enfant ! Pourquoi suis-je encore vivante, malheureuse, puisque tu es mort ? Toi qui, les nuits et les jours, étais ma gloire dans Ilios, et l'unique salut des Troiens et des Troiennes, qui, dans la ville, te recevaient comme un Dieu ! Certes, tu faisais toute leur gloire, quand tu vivais ; mais voici que la Moire et la mort t'ont saisi !

Elle parla ainsi en pleurant. Et la femme de Hektôr ne savait rien encore, aucun messager ne lui ayant annoncé que son époux était resté hors des portes. Et, dans sa haute demeure fermée, elle tissait une toile double, splendide et ornée de fleurs variées. Et elle ordonnait aux servantes à la belle chevelure de préparer, dans la demeure, et de mettre un grand trépied sur le feu, afin qu'un bain chaud fût prêt pour Hektôr à son retour du combat. L'insensée ignorait qu'Athènè aux yeux clairs avait tué Hektôr par les mains d'Akhilleus, loin de tous les bains. Mais elle entendit des lamentations et des hurlements sur la tour. Et ses membres tremblèrent, et la navette lui tomba des mains, et elle dit aux servantes à la belle chevelure :

- Venez. Que deux d'entre vous me suivent, afin que je voie ce qui nous arrive, car j'ai entendu la voix de la vénérable mère de Hektôr. Mon coeur bondit dans ma poitrine, et mes genoux défaillent. Peut-être quelque malheur menace-t-il les fils de Priamos. Plaise aux Dieux que mes paroles soient vaines ! mais je crains que le divin Akhilleus, ayant écarté le brave Hektôr de la ville, le poursuive dans la plaine et dompte son courage. Car mon époux ne reste point dans la foule des guerriers, et il combat en tête de tous, ne le cédant à aucun.

Elle parla ainsi et sortit de sa demeure, semblable à une bakkhante et le coeur palpitant, et les servantes la suivaient. Arrivée sur la tour, au milieu de la foule des hommes, elle s'arrêta, regardant du haut des murailles, et reconnut Hektôr traîné devant la ville. Et les chevaux rapides le traînaient indignement vers les nefs creuses des Akhaiens. Alors, une nuit noire couvrit ses yeux, et elle tomba à la renverse, inanimée. Et tous les riches ornements se détachèrent de sa tête, la bandelette, le noeud, le réseau, et le voile que lui avait donné Aphroditè d'or le jour où Hektôr au casque mouvant l'avait emmenée de la demeure d'Êétiôn, après lui avoir donné une grande dot. Et les soeurs et les belles-soeurs de Hektôr l'entouraient et la soutenaient dans leurs bras, tandis qu'elle respirait à peine. Et quand elle eut recouvré l'esprit, elle dit, gémissant au milieu des Troiennes :

- Hektôr ! ô malheureuse que je suis ! Nous sommes nés pour une même destinée : toi, dans Troiè et dans la demeure de Priamos ; moi, dans Thèbè, sous le mont Plakos couvert de forêts, dans la demeure d'Êétiôn, qui m'éleva toute petite, père malheureux d'une malheureuse. Plût aux Dieux qu'il ne m'eût point engendrée ! Maintenant tu descends vers les demeures d'Aidès, dans la terre creuse, et tu me laisses, dans notre demeure, veuve et accablée de deuil. Et ce petit enfant que nous avons engendré tous deux, malheureux que nous sommes ! tu ne le protégeras pas, Hektôr, puisque tu es mort, et lui ne te servira point de soutien. Même s'il échappait à cette guerre lamentable des Akhaiens, il ne peut s'attendre qu'au travail et à la douleur, car ils lui enlèveront ses biens. Le jour qui fait un enfant orphelin lui ôte aussi tous ses jeunes amis. Il est triste au milieu de tous, et ses joues sont toujours baignées de larmes. Indigent, il s'approche des compagnons de son père, prenant l'un par le manteau et l'autre par la tunique. Si l'un d'entre eux, dans sa pitié, lui offre une petite coupe, elle mouille ses lèvres sans rafraîchir son palais. Le jeune homme, assis entre son père et sa mère, le repousse de la table du festin, et, le frappant de ses mains, lui dit des paroles injurieuses : Va-t'en ! ton père n'est pas des nôtres ! Et l'enfant revient en pleurant auprès de sa mère veuve. Astyanax, qui autrefois mangeait la moelle et la graisse des brebis sur les genoux de son père ; qui, lorsque le sommeil le prenait et qu'il cessait de jouer, dormait dans un doux lit, aux bras de sa nourrice, et le coeur rassasié de délices ; maintenant Astyanax, que les Troiens nommaient ainsi, car Hektôr défendait seul leurs hautes murailles, subira mille maux, étant privé de son père bien-aimé. Et voici, Hektôr, que les vers rampants te mangeront auprès des nefs éperonnées, loin de tes parents, après que les chiens se seront rassasiés de ta chair. Tu possédais, dans tes demeures, de beaux et doux vêtements, oeuvre des femmes ; mais je les brûlerai tous dans le feu ardent, car ils ne te serviront pas et tu ne seras pas enseveli avec eux. Qu'ils soient donc brûlés en ton honneur au milieu des Troiens et des Troiennes !

Elle parla ainsi en pleurant, et toutes les femmes se lamentaient comme elle.
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:46

Homère - L'Iliade XXIV - trad. Leconte de Lisle (1866)

Et les luttes ayant pris fin, les peuples se dispersèrent, rentrant dans les nefs, afin de prendre leur repas et de jouir du doux sommeil. Mais Akhilleus pleurait, se souvenant de son cher compagnon ; et le sommeil qui dompte tout ne le saisissait pas. Et il se tournait çà et là, regrettant la force de Patroklos et son coeur héroïque. Et il se souvenait des choses accomplies et des maux soufferts ensemble, et de tous leurs combats en traversant la mer dangereuse. Et, à ce souvenir, il versait des larmes, tantôt couché sur le côté, tantôt sur le dos, tantôt le visage contre terre. Puis, il se leva brusquement, et, plein de tristesse, il erra sur le rivage de la mer. Et les premières lueurs d'Eôs s'étant répandues sur les flots et sur les plages, il attela ses chevaux rapides, et, liant Hektôr derrière le char, il le traîna trois fois autour du tombeau du Ménoitiade. Puis, il rentra de nouveau dans sa tente pour s'y reposer, et il laissa Hektôr étendu, la face dans la poussière.

Mais Apollôn, plein de pitié pour le guerrier sans vie, éloignait du corps toute souillure et le couvrait tout entier de l'Aigide d'or, afin que le Pèléide, en le traînant, ne le déchirât point. C'est ainsi que, furieux, Akhilleus outrageait Hektôr ; et les Dieux heureux qui le regardaient en avaient pitié, et ils excitaient le vigilant tueur d'Argos à l'enlever. Et ceci plaisait à tous les Dieux, sauf à Hèrè, à Poseidaôn et à la Vierge aux yeux clairs, qui, tous trois, gardaient leur ancienne haine pour la sainte Ilios, pour Priamos et son peuple, à cause de l'injure d'Alexandros qui méprisa les Déesses quand elles vinrent dans sa cabane, où il couronna celle qui le remplit d'un désir funeste.

Et quand Eôs se leva pour la douzième fois, Phoibos Apollôn parla ainsi au milieu des Immortels :

- O Dieux ! vous êtes injustes et cruels. Pour vous, naguère, Hektôr ne brûlait-il pas les cuisses des boeufs et des meilleures chèvres ? Et, maintenant, vous ne voulez pas même rendre son cadavre à sa femme, à sa mère, à son fils, à son père Priamos et à ses peuples, pour qu'ils le revoient et qu'ils le brûlent, et qu'ils accomplissent ses funérailles. O Dieux ! vous ne voulez protéger que le féroce Akhilleus dont les desseins sont haïssables, dont le coeur est inflexible dans sa poitrine, et qui est tel qu'un lion excité par sa grande force et par sa rage, qui se jette sur les troupeaux des hommes pour les dévorer. Ainsi Akhilleus a perdu toute compassion, et cette honte qui perd ou qui aide les hommes. D'autres aussi peuvent perdre quelqu'un qui leur est très cher, soit un frère, soit un fils ; et ils pleurent et gémissent, puis ils se consolent, car les Moires ont donné aux hommes un esprit patient. Mais lui, après avoir privé le divin Hektôr de sa chère âme, l'attachant à son char, il le traîne autour du tombeau de son compagnon. Cela n'est ni bon, ni juste. Qu'il craigne, bien que très brave, que nous nous irritions contre lui, car, dans sa fureur, il outrage une poussière insensible.

Et, pleine de colère, Hèrè aux bras blancs lui répondit :

- Tu parles bien, Archer, si on accorde des honneurs égaux à Akhilleus et à Hektôr. Mais le Priamide a sucé la mamelle d'une femme mortelle, tandis qu'Akhilleus est né d'une Déesse que j'ai nourrie moi-même et élevée avec tendresse, et que j'ai unie au guerrier Pèleus cher aux Immortels. Vous avez tous assisté à leurs noces, ô Dieux ! et tu as pris part au festin, tenant ta kithare, toi, protecteur des mauvais, et toujours perfide.

Et Zeus qui amasse les nuées, lui répondant, parla ainsi :

- Hèrè, ne t'irrite point contre les Dieux. Un honneur égal ne sera point fait à ces deux héros ; mais Hektôr était le plus cher aux Dieux parmi les hommes qui sont dans Ilios. Et il m'était cher à moi-même, car il n'oublia jamais les dons qui me sont agréables, et jamais il n'a laissé mon autel manquer d'un repas abondant, de libations et de parfums, car nous avons ces honneurs en partage. Mais, certes, nous ne ferons point enlever furtivement le brave Hektôr, ce qui serait honteux, car Akhilleus serait averti par sa mère qui est auprès de lui nuit et jour. Qu'un des Dieux appelle Thétis auprès de moi, et je lui dirai de sages paroles, afin qu'Akhilleus reçoive les présents de Priamos et rende Hektôr.

Il parla ainsi, et la messagère Iris aux pieds tourbillonnants partit. Entre Samos et Imbros, elle sauta dans la noire mer qui retentit. Et elle s'enfonça dans les profondeurs comme le plomb qui, attaché à la corne d'un boeuf sauvage, descend, portant la mort aux poissons voraces. Et elle trouva Thétis dans sa grotte creuse ; et autour d'elle les Déesses de la mer étaient assises en foule. Et là, Thétis pleurait la destinée de son fils irréprochable qui devait mourir devant la riche Troiè, loin de sa patrie. Et, s'approchant, la rapide Iris lui dit :

- Lève-toi, Thétis. Zeus aux desseins éternels t'appelle.

Et la Déesse Thétis aux pieds d'argent lui répondit :

- Pourquoi le grand Dieu m'appelle-t-il ? Je crains de me mêler aux Immortels, car je subis d'innombrables douleurs. J'irai cependant, et, quoi qu'il ait dit, il n'aura point parlé en vain.

Ayant ainsi parlé, la noble Déesse prit un voile bleu, le plus sombre de tous, et se hâta de partir. Et la rapide Iris aux pieds aériens allait devant. Et l'eau de la mer s'entrouvrit devant elles ; et, montant sur le rivage, elles s'élancèrent dans l'Ouranos. Et elles trouvèrent là le Kronide au large regard, et, autour de lui, les éternels Dieux heureux, assis et rassemblés. Et Thétis s'assit auprès du Père Zeus, Athènè lui ayant cédé sa place. Hèrè lui mit en main une belle coupe d'or, en la consolant ; et Thétis, ayant bu, la lui rendit. Et le Père des Dieux et des hommes parla le premier :

- Déesse Thétis, tu es venue dans l'Olympos malgré ta tristesse, car je sais que tu as dans le coeur une douleur insupportable. Cependant, je te dirai pourquoi je t'ai appelée. Depuis neuf jours une dissension s'est élevée entre les Immortels à cause du cadavre de Hektôr, et d'Akhilleus destructeur de citadelles. Les Dieux excitaient le vigilant Tueur d'Argos à enlever le corps du Priamide ; mais je protège la gloire d'Akhilleus, car j'ai gardé mon respect et mon amitié pour toi. Va donc promptement à l'armée des Argiens, et donne des ordres à ton fils. Dis-lui que les Dieux sont irrités, et que moi-même, plus que tous, je suis irrité contre lui, parce que, dans sa fureur, il retient Hektôr auprès des nefs aux poupes recourbées. S'il me redoute, qu'il le rende. Cependant, j'enverrai Iris au magnanime Priamos afin que, se rendant aux nefs des Akhaiens, il rachète son fils bien-aimé, et qu'il porte des présents qui fléchissent le coeur d'Akhilleus.
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:46

Il parla ainsi, et la Déesse Thétis aux pieds d'argent obéit. Et, descendant à la hâte du faîte de l'Olympos, elle parvint à la tente de son fils, et elle l'y trouva gémissant. Et, autour de lui, ses compagnons préparaient activement le repas. Et une grande brebis laineuse avait été tuée sous la tente. Et, auprès d'Akhilleus, s'assit la mère vénérable. Et, le caressant de la main, elle lui dit :

- Mon enfant, jusque à quand, pleurant et gémissant, consumeras-tu ton coeur, oubliant de manger et de dormir ? Cependant il est doux de s'unir par l'amour à une femme. Je ne te verrai pas longtemps vivant ; voici venir la mort et la Moire toute-puissante. Mais écoute, car je te suis envoyée par Zeus. Il dit que tous les Dieux sont irrités contre toi, et que, plus que tous les Immortels, il est irrité aussi, parce que, dans ta fureur, tu retiens Hektôr auprès des nefs éperonnées, et que tu ne le renvoies point. Rends-le donc, et reçois le prix de son cadavre.

Et Akhilleus aux pieds rapides, lui répondant, parla ainsi :

- Qu'on apporte donc des présents et qu'on emporte ce cadavre, puisque l'Olympien lui-même le veut.

Et, auprès des nefs, la mère et le fils se parlaient ainsi en paroles rapides. Et le Kronide envoya Iris vers la sainte Ilios :

- Va, rapide Iris. Quitte ton siège dans l'Olympos, et ordonne, dans Ilios, au magnanime Priamos qu'il aille aux nefs des Akhaiens afin de racheter son fils bien-aimé, et qu'il porte à Akhilleus des présents qui fléchissent son coeur. Qu'aucun autre Troien ne le suive, sauf un héraut vénérable qui conduise les mulets et le char rapide, et ramène vers la ville le cadavre de Hektôr que le divin Akhilleus a tué. Et qu'il n'ait ni inquiétude, ni terreur. Nous lui donnerons pour guide le Tueur d'Argos qui le conduira jusqu'à Akhilleus. Et quand il sera entré dans la tente d'Akhilleus, celui-ci ne le tuera point, et même il le défendra contre tous, car il n'est ni violent, ni insensé, ni impie, et il respectera un suppliant.

Il parla ainsi, et la messagère Iris aux pieds tourbillonnants s'élança et parvint aux demeures de Priamos, pleines de gémissements et de deuil. Et les fils étaient assis dans la cour autour de leur père, et ils trempaient de larmes leurs vêtements. Et, au milieu d'eux, le vieillard s'enveloppait dans son manteau, et sa tête blanche et ses épaules étaient souillées de la cendre qu'il y avait répandue de ses mains, en se roulant sur la terre. Et ses filles et ses belles-filles se lamentaient par les demeures, se souvenant de tant de braves guerriers tombés morts sous les mains des Argiens. Et la messagère de Zeus, s'approchant de Priamos, lui parla à voix basse, car le tremblement agitait les membres du vieillard :

- Rassure-toi, Priamos Dardanide, et ne tremble pas. Je ne viens point t'annoncer de malheur, mais une heureuse nouvelle. Je suis envoyée par Zeus qui, de loin, prend souci de toi et te plaint. L'Olympien t'ordonne de racheter le divin Hektôr, et de porter à Akhilleus des présents qui fléchissent son coeur. Qu'aucun autre Troien ne te suive, sauf un héraut vénérable qui conduise les mulets et le char rapide, et ramène vers la Ville le cadavre de Hektôr que le divin Akhilleus a tué. N'aie ni inquiétude, ni terreur. Le Tueur d'Argos sera ton guide et il te conduira jusqu'à Akhilleus. Et quand il t'aura mené dans la tente d'Akhilleus, celui-ci ne te tuera point, et même il te défendra contre tous, car il n'est ni violent, ni insensé, ni impie, et il respectera un suppliant.

Ayant ainsi parlé, la rapide Iris partit. Et Priamos ordonna à ses fils d'atteler les mulets au char, et d'y attacher une corbeille. Et il se rendit dans la chambre nuptiale, parfumée, en bois de cèdre, et haute, et qui contenait beaucoup de choses admirables. Et il appela sa femme Hékabè, et il lui dit :

- O chère ! un messager Olympien m'est venu de Zeus, afin qu'allant aux nefs des Akhaiens, je rachète mon fils bien-aimé, et que je porte à Akhilleus des présents qui fléchissent son coeur. Dis-moi ce que tu penses dans ton esprit. Pour moi, mon courage et mon coeur me poussent vers les nefs et la grande armée des Akhaiens.

Il parla ainsi, et la femme se lamenta et répondit :

- Malheur à moi ! Tu as perdu cette prudence qui t'a illustré parmi les étrangers et ceux auxquels tu commandes. Tu veux aller seul vers les nefs des Akhaiens, et rencontrer cet homme qui t'a tué tant de braves enfants ! Sans doute ton coeur est de fer. Dès qu'il t'aura vu et saisi, cet homme féroce et sans foi n'aura point pitié de toi et ne te respectera point, et nous te pleurerons seuls dans nos demeures. Lorsque la Moire puissante reçut Hektôr naissant dans ses langes, après que je l'eus enfanté, elle le destina à rassasier les chiens rapides, loin de ses parents, sous les yeux d'un guerrier féroce. Que ne puis-je, attachée à cet homme, lui manger le coeur ! Alors seraient expiés les maux de mon fils qui, cependant, n'est point mort en lâche, et qui, sans rien craindre et sans fuir, a combattu jusqu'à la fin pour les Troiens et les Troiennes.

Et le divin vieillard Priamos lui répondit :

- Ne tente point de me retenir, et ne sois point dans nos demeures un oiseau de mauvais augure. Si quelque homme terrestre m'avait parlé, soit un divinateur, soit un hiérophante, je croirais qu'il a menti, et je ne l'écouterais point ; mais j'ai vu et entendu une Déesse, et je pars, car sa parole s'accomplira. Si ma destinée est de périr auprès des nefs des Akhaiens aux tuniques d'airain, soit ! Aklilleus me tuera ; tandis que je me rassasierai de sanglots en embrassant mon fils.

Il parla ainsi, et il ouvrit les beaux couvercles de ses coffres. Et il prit douze péplos magnifiques, douze couvertures simples, autant de tapis, autant de beaux manteaux et autant de tuniques. Il prit dix talents pesant d'or, deux trépieds éclatants, quatre vases et une coupe magnifique que les guerriers Thrèkiens lui avaient donnée, présent merveilleux, quand il était allé en envoyé chez eux. Mais le vieillard en priva ses demeures, désirant dans son coeur racheter son fils. Et il chassa loin du portique tous les Troiens, en leur adressant ces paroles injurieuses :

- Allez, misérables couverts d'opprobre ! N'avez-vous point de deuil dans vos demeures ? Pourquoi vous occupez-vous de moi ? Vous réjouissez-vous des maux dont le Kronide Zeus m'accable, et de ce que j'ai perdu mon fils excellent ? Vous en sentirez aussi la perte, car, maintenant qu'il est mort, vous serez une proie plus facile pour les Akhaiens. Pour moi avant de voir de mes yeux la Ville renversée et saccagée, je descendrai dans les demeures d'Aidès !

Il parla ainsi, et de son sceptre il repoussait les hommes, et ceux-ci se retiraient devant le vieillard qui les chassait. Et il appelait ses fils avec menace, injuriant Hélénos et Pâris, et le divin Agathôn, et Pammôn, et Antiphôn, et le brave Politès, et Dèiphobos, et Hippothoos, et le divin Aganos. Et le vieillard, les appelant tous les neuf, leur commandait rudement :

- Hâtez-vous, misérables et infâmes enfants ! Plût aux Dieux que tous ensemble, au lieu de Hektôr, vous fussiez tombés devant les nefs rapides ! Malheureux que je suis ! J'avais engendré, dans la grande Troiè, des fils excellents, et pas un d'entre eux ne m'est resté, ni l'illustre Mèstôr, ni Trôilos dompteur de chevaux, ni Hektôr qui était comme un Dieu parmi les hommes, et qui ne semblait pas être le fils d'un homme, mais d'un Dieu. Arès me les a tous enlevés, et il ne me reste que des lâches, des menteurs, des sauteurs qui ne sont habiles qu'aux danses, des voleurs publics d'agneaux et de chevreaux ! Ne vous hâterez-vous point de me préparer ce char ? N'y placerez-vous point toutes ces choses, afin que je parte ?

Il parla ainsi, et, redoutant les menaces de leur père, ils amenèrent le beau char neuf, aux roues solides, attelé de mulets, et ils y attachèrent une corbeille. Et ils prirent contre la muraille le joug de buis, bossué et garni d'anneaux ; et ils prirent aussi les courroies du timon, longues de neuf coudées, qu'ils attachèrent au bout du timon poli en les passant dans l'anneau. Et ils les lièrent trois fois autour du bouton ; puis, les réunissant, ils les fixèrent par un noeud. Et ils apportèrent de la chambre nuptiale les présents infinis destinés au rachat de Hektôr, et ils les amassèrent sur le char. Puis, ils mirent sous le joug les mulets aux sabots solides que les Mysiens avaient autrefois donnés à Priamos. Et ils amenèrent aussi à Priamos les chevaux que le vieillard nourrissait lui-même à la crèche polie. Et, sous les hauts portiques, le héraut et Priamos, tous deux pleins de prudence, les attelèrent.

Puis, Hékabè, le coeur triste, s'approcha d'eux, portant de sa main droite un doux vin dans une coupe d'or, afin qu'ils fissent des libations. Et, debout devant les chevaux, elle dit à Priamos :

- Prends, et fais des libations au père Zeus, et prie-le, afin de revenir dans tes demeures du milieu des ennemis, puisque ton coeur te pousse vers les nefs, malgré moi. Supplie le Kroniôn Idaien qui amasse les noires nuées et qui voit toute la terre d'Ilios. Demande-lui d'envoyer à ta droite celui des oiseaux qu'il aime le mieux, et dont la force est la plus grande ; et, le voyant de tes yeux, tu marcheras, rassuré, vers les nefs des cavaliers Danaens. Mais si Zeus qui tonne au loin ne t'envoie point ce signe, je ne te conseille point d'aller vers les nefs des Argiens, malgré ton désir.
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:46

Et Priamos semblable à un Dieu, lui répondant, parla ainsi :

- O femme, je ne repousserai point ton conseil. Il est bon d'élever ses mains vers Zeus, afin qu'il ait pitié de nous.

Le vieillard parla ainsi, et il ordonna à une servante de verser une eau pure sur ses mains. Et la servante apporta le bassin et le vase. Et Priamos, s'étant lavé les mains, reçut la coupe de Hékabè ; et, priant, debout au milieu de la cour, il répandit le vin, regardant l'Ouranos et disant :

- Père Zeus, qui règnes sur l'Ida, très glorieux, très grand, accorde-moi de trouver grâce devant Akhilleus et de lui inspirer de la compassion. Envoie à ma droite celui de tous les oiseaux que tu aimes le mieux, et dont la force est la plus grande, afin que, le voyant de mes yeux, je marche, rassuré, vers les nefs des cavaliers Danaens.

Il parla ainsi en priant, et le sage Zeus l'entendit, et il envoya le plus véridique des oiseaux, l'aigle noir, le chasseur, celui qu'on nomme le tacheté. Autant s'ouvrent les portes de la demeure d'un homme riche, autant s'ouvraient ses deux ailes. Et il apparut, volant à droite au-dessus de la ville ; et tous se réjouirent de le voir, et leur coeur fut joyeux dans leurs poitrines.

Et le vieillard monta aussitôt sur le beau char, et il le poussa hors du vestibule et du portique sonore. Et les mulets traînaient d'abord le char aux quatre roues, et le sage Idaios les conduisait. Puis, venaient les chevaux que Priamos excitait du fouet, et tous l'accompagnaient par la ville, en gémissant, comme s'il allait à la mort. Et quand il fut descendu d'Dios dans la plaine, tous revinrent dans la Ville, ses fils et ses gendres.

Et Zeus au large regard, les voyant dans la plaine, eut pitié du vieux Priamos, et, aussitôt, il dit à son fils bien-aimé Herméias :

- Herméias, puisque tu te plais avec les hommes et que tu peux exaucer qui tu veux, va ! conduis Priamos aux nefs creuses des Akhaiens, et fais qu'aucun des Danaens ne l'aperçoive avant qu'il parvienne au Pèléide.

Il parla ainsi, et le Messager tueur d'Argos obéit. Et aussitôt il attacha à ses talons de belles ailes immortelles et d'or qui le portaient sur la mer et sur la terre immense comme le souffle du vent. Et il prit la verge qui, selon qu'il le veut, ferme les paupières des hommes ou les éveille. Et, la tenant à la main, l'illustre Tueur d'Argos s'envola et parvint aussitôt à Troiè et au Hellespontos. Et il s'approcha, semblable à un jeune homme royal dans la fleur de sa belle jeunesse.

Et les deux vieillards, ayant dépassé la grande tombe d'Ilos, arrêtèrent les mulets et les chevaux pour les faire boire au fleuve. Et déjà l'ombre du soir se répandait sur la terre. Et le héraut aperçut Herméias, non loin, et il dit à Priamos :

- Prends garde, Dardanide ! Ceci demande de la prudence. Je vois un homme, et je pense que nous allons périr. Fuyons promptement avec les chevaux, ou supplions-le en embrassant ses genoux. Peut-être aura-t-il pitié de nous.

Il parla ainsi et l'esprit de Priamos fut troublé, et il eut peur, et ses cheveux se tinrent droits sur sa tête courbée, et il resta stupéfait. Mais Herméias, s'approchant, lui prit la main et l'interrogea ainsi :

- Père, où mènes-tu ces chevaux et ces mulets, dans la nuit solitaire, tandis que tous les autres hommes dorment ? Ne crains-tu pas les Akhaiens pleins de force, ces ennemis redoutables qui sont près de toi ? Si quelqu'un d'entre eux te rencontrait par la nuit noire et rapide, emmenant tant de richesses, que ferais-tu ? C'est un vieillard qui te suit, et tu n'es plus assez jeune pour repousser un guerrier qui vous attaquerait. Mais, loin de te nuire, je te préserverai de tout mal, car tu me sembles mon père bien-aimé.

Et le vieux et divin Priamos lui répondit :

- Mon cher fils, tu as dit la vérité. Mais un des Dieux me protège encore, puisqu'il envoie heureusement sur mon chemin un guide tel que toi. Ton corps et ton visage sont beaux, ton esprit est sage, et tu es né de parents heureux.

Et le Messager, tueur d'Argos, lui répondit :

- Vieillard, tu n'as point parlé au hasard. Mais réponds, et dis la vérité. Envoies-tu ces trésors nombreux et précieux à des hommes étrangers, afin qu'on te les conserve ? ou, dans votre terreur, abandonnez-vous tous la sainte Ilios, car un guerrier illustre est mort, ton fils, qui, dans le combat, ne le cédait point aux Akhaiens ?

Et le vieux et divin Priamos lui répondit :

- Qui donc es-tu, ô excellent ! Et de quels parents es-tu né, toi qui parles si bien de la destinée de mon fils malheureux ?

Et le Messager, tueur d'Argos, lui répondit :

- Tu m'interroges, vieillard, sur le divin Hektôr. Je l'ai vu souvent de mes yeux dans la mêlée glorieuse, quand, repoussant vers les nefs les Argiens dispersés, il les tuait de l'airain aigu. Immobiles, nous l'admirions ; car Akhilleus, irrité contre l'Atréide, ne nous permettait point de combattre. Je suis son serviteur, et la même nef bien construite nous a portés. Je suis un des Myrmidones et mon père est Polyktôr. Il est riche et vieux comme toi. Il a sept fils et je suis le septième. Ayant tiré au sort avec eux, je fus désigné pour suivre Akhilleus. J'allais maintenant des nefs dans la plaine. Demain matin les Akhaiens aux sourcils arqués porteront le combat autour de la Ville. Ils se plaignent du repos, et les Rois des Akhaiens ne peuvent retenir les guerriers avides de combattre.

Et le vieux et divin Priamos lui répondit :

- Si tu es le serviteur du Pèlèiade Akhilleus, dis-moi toute la vérité. Mon fils est-il encore auprès des nefs, ou déjà Akhilleus a-t-il tranché tous ses membres, pour les livrer à ses chiens ?

Et le Messager, tueur d'Argos, lui répondit :

- O vieillard, les chiens ne l'ont point encore mangé, ni les oiseaux, mais il est couché devant la nef d'Akhilleus, sous la tente. Voici douze jours et le corps n'est point corrompu, et les vers, qui dévorent les guerriers tombés dans le combat, ne l'ont point mangé. Mais Akhilleus le traîne sans pitié autour du tombeau de son cher compagnon, dès que la divine Eôs reparaît, et il ne le flétrit point. Tu admirerais, si tu le voyais, combien il est frais. Le sang est lavé, il est sans aucune souillure, et toutes les blessures sont fermées que beaucoup de guerriers lui ont faites. Ainsi les Dieux heureux prennent soin de ton fils, tout mort qu'il est, parce qu'il leur était cher.
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:46

Il parla ainsi, et le vieillard, plein de joie, lui répondit :

- O mon enfant, certes, il est bon d'offrir aux Immortels les présents qui leur sont dus. Jamais mon fils, quand il vivait, n'a oublié, dans ses demeures, les Dieux qui habitent l'Olympos, et voici qu'ils se souviennent de lui dans la mort. Reçois cette belle coupe de ma main, fais qu'on me rende Hektôr, et conduis-moi, à l'aide des Dieux, jusqu'à la tente du Pèléide.

Et le Messager, tueur d'Argos, lui répondit :

- Vieillard, tu veux tenter ma jeunesse, mais tu ne me persuaderas point de prendre tes dons à l'insu d'Akhilleus. Je le crains, en effet, et je le vénère trop dans mon coeur pour le dépouiller, et il m'en arriverait malheur. Mais je t'accompagnerais jusque dans l'illustre Argos, sur une nef rapide, ou à pied ; et aucun, si je te conduis, ne me bravera en t'attaquant.

Herméias, ayant ainsi parlé, sauta sur le char, saisit le fouet et les rênes et inspira une grande force aux chevaux et aux mulets. Et ils arrivèrent au fossé et aux tours des nefs, là où les gardes achevaient de prendre leur repas. Et le Messager, tueur d'Argos, répandit le sommeil sur eux tous ; et, soulevant les barres, il ouvrit les portes, et il fit entrer Priamos et ses présents splendides dans le camp, et ils parvinrent à la grande tente du Pèlèiade. Et les Myrmidones l'avaient faite pour leur Roi avec des planches de sapin, et ils l'avaient couverte d'un toit de joncs coupés dans la prairie. Et tout autour ils avaient fait une grande enceinte de pieux ; et la porte en était fermée par un seul tronc de sapin, barre énorme que trois hommes, les Akhaiens, ouvraient et fermaient avec peine, et que le Pèléide soulevait seul. Le bienveillant Herméias la retira pour Priamos, et il conduisit le vieillard dans l'intérieur de la cour, avec les illustres présents destinés à Akhilleus aux pieds rapides. Et il sauta du char sur la terre, et il dit :

- O vieillard, je suis Herméias, un Dieu immortel, et Zeus m'a envoyé pour te conduire. Mais je vais te quitter, et je ne me montrerai point aux yeux d'Akhilleus, car il n'est point digne d'un Immortel de protéger ainsi ouvertement les mortels. Toi, entre, saisis les genoux du Pèléiôn et supplie-le au nom de son père, de sa mère vénérable et de son fils, afin de toucher son coeur.

Ayant ainsi parlé, Herméias monta vers le haut Olympos ; et Priamos sauta du char sur la terre, et il laissa Idaios pour garder les chevaux et les mulets, et il entra dans la tente où Akhilleus cher à Zeus était assis. Et il le trouva. Ses compagnons étaient assis à l'écart ; et seuls, le héros Automédôn et le nourrisson d'Arès Alkimos le servaient. Déjà il avait cessé de manger et de boire, et la table était encore devant lui. Et le grand Priamos entra sans être vu d'eux, et, s'approchant, il entoura de ses bras les genoux d'Akhilleus, et il baisa les mains terribles et meurtrières qui lui avaient tué tant de fils.

Quand un homme a encouru une grande peine, ayant tué quelqu'un dans sa patrie, et quand, exilé chez un peuple étranger, il entre dans une riche demeure, tous ceux qui le voient restent stupéfaits. Ainsi Akhilleus fut troublé en voyant le divin Priamos ; et les autres, pleins d'étonnement, se regardaient entre eux. Et Priamos dit ces paroles suppliantes :

- Souviens-toi de ton père, ô Akhilleus égal aux Dieux ! Il est de mon âge et sur le seuil fatal de la vieillesse. Ses voisins l'oppriment peut-être en ton absence, et il n'a personne qui écarte loin de lui l'outrage et le malheur ; mais, au moins, il sait que tu es vivant, et il s'en réjouit dans son coeur, et il espère tous les jours qu'il verra son fils bien-aimé de retour d'Ilios. Mais, moi, malheureux ! qui ai engendré des fils irréprochables dans la grande Troiè, je ne sais s'il m'en reste un seul. J'en avais cinquante quand les Akhaiens arrivèrent. Dix-neuf étaient sortis du même sein, et plusieurs femmes avaient enfanté les autres dans mes demeures. L'impétueux Arès a rompu les genoux du plus grand nombre. Un seul défendait ma ville et mes peuples, Hektôr, que tu viens de tuer tandis qu'il combattait pour sa patrie. Et c'est pour lui que je viens aux nefs des Akhaiens ; et je t'apporte, afin de le racheter, des présents infinis. Respecte les Dieux, Akhilleus, et, te souvenant de ton père, aie pitié de moi qui suis plus malheureux que lui, car j'ai pu, ce qu'aucun homme n'a encore fait sur la terre, approcher de ma bouche les mains de celui qui a tué mes enfants !

Il parla ainsi, et il remplit Akhilleus du regret de son père. Et le Pèlèiade, prenant le vieillard par la main, le repoussa doucement. Et ils se souvenaient tous deux ; et Priamos, prosterné aux pieds d'Akhilleus, pleurait de toutes ses larmes le tueur d'hommes Hektôr ; et Akhilleus pleurait son père et Patroklos, et leurs gémissements retentissaient sous la tente. Puis, le divin Akhilleus, s'étant rassasié de larmes, sentit sa douleur s'apaiser dans sa poitrine, et il se leva de son siège ; et plein de pitié pour cette tête et cette barbe blanche, il releva le vieillard de sa main et lui dit ces paroles ailées :

- Ah ! malheureux ! Certes, tu as subi des peines sans nombre dans ton coeur. Comment as-tu osé venir seul vers les nefs des Akhaiens et soutenir la vue de l'homme qui t'a tué tant de braves enfants ? Ton coeur est de fer. Mais prends ce siège, et, bien qu'affligés, laissons nos douleurs s'apaiser, car le deuil ne nous rend rien. Les Dieux ont destiné les misérables mortels à vivre pleins de tristesse, et, seuls, ils n'ont point de soucis. Deux tonneaux sont au seuil de Zeus, et l'un contient les maux, et l'autre les biens. Et le foudroyant Zeus, mêlant ce qu'il donne, envoie tantôt le mal et tantôt le bien. Et celui qui n'a reçu que des dons malheureux est en proie à l'outrage, et la mauvaise faim le ronge sur la terre féconde, et il va çà et là, non honoré des Dieux ni des hommes. Ainsi les Dieux firent à Pèleus des dons illustres dès sa naissance, et plus que tous les autres hommes il fut comblé de félicités et de richesses, et il commanda aux Myrmidones, et, mortel, il fut uni à une Déesse. Mais les Dieux le frappèrent d'un mal : il fut privé d'une postérité héritière de sa puissance, et il n'engendra qu'un fils qui doit bientôt mourir et qui ne soignera point sa vieillesse ; car, loin de ma patrie, je reste devant Troiè, pour ton affliction et celle de tes enfants. Et toi-même, vieillard, nous avons appris que tu étais heureux autrefois, et que sur toute 1a terre qui va jusqu'à Lesbos de Makar, et, vers le nord, jusqu'à la Phrygiè et le large Hellespontos, tu étais illustre ô vieillard, par tes richesses et par tes enfants. Et voici que les Dieux t'ont frappé d'une calamité, et, depuis la guerre et le carnage, des guerriers environnent ta ville. Sois ferme, et ne te lamente point dans ton coeur sur l'inévitable destinée. Tu ne feras point revivre ton fils par tes gémissements. Crains plutôt de subir d'autres maux.

Et le vieux et divin Priamos lui répondit :

- Ne me dis point de me reposer, ô nourrisson de Zeus, tant que Hektôr est couché sans sépulture devant tes tentes. Rends-le-moi promptement, afin je le voie de mes yeux, et reçois les présents nombreux que nous te portons. Puisses-tu en jouir et retourner dans la terre de ta patrie, puisque tu m'as laissé vivre et voir la lumière de Hélios. Et Akhilleus aux pied rapides, le regardant d'un oeil sombre, lui répondit :

- Vieillard, ne m'irrite pas davantage. Je sais que je dois te rendre Hektôr. La mère qui m'a enfanté, la fille du Vieillard de la mer, m'a été envoyée par Zeus. Et je sais aussi, Priamos, et tu n'as pu me cacher, qu'un des Dieux l'a conduit aux nefs rapides des Akhaiens. Aucun homme, bien que jeune et brave, n'eût osé venir jusqu'au camp. Il n'eût point échappé aux gardes, ni soulevé aisément les barrières de nos portes. Ne réveille donc point les douleurs de mon âme. Bien que je t'aie reçu, vieillard, comme un suppliant sous mes tentes, crains que je viole les ordres de Zeus et que je te tue.

Il parla ainsi, et le vieillard trembla et obéit. Et le Pèléide sauta comme un lion hors de la tente. Et il n' était point seul, et deux serviteurs le suivirent, le héros Automédôn et Alkimos. Et Akhilleus les honorait entre tous ses compagnons depuis la mort de Patroklos. Et ils dételèrent les chevaux et les mulets, et ils firent entrer le héraut Priamos et lui donnèrent un siège. Puis ils enlevèrent du beau char les présents infinis qui rachetaient Hektôr ; mais ils y laissèrent deux manteaux et une riche tunique pour envelopper le cadavre qu'on allait emporter dans Ilios.

Et Akhilleus, appelant les femmes, leur ordonna de laver le cadavre et de le parfumer à l'écart, afin que Priamos ne vît point son fils, et de peur qu'en le voyant, le père ne pût contenir sa colère dans son coeur irrité, et qu'Akhilleus, furieux, le tuât, en violant les ordres de Zeus. Et après que les femmes, ayant lavé et parfumé le cadavre, l'eurent enveloppé du beau manteau et de la tunique, Akhilleus le souleva lui-même du lit funèbre, et, avec l'aide de ses compagnons, il le plaça sur le beau char. Puis, il appela en gémissant son cher compagnon :

- Ne t'irrite point contre moi, Patroklos, si tu apprends, chez Aidès, que j'ai rendu le divin Hektôr à son père bien-aimé ; car il m'a fait des présents honorables, dont je te réserve, comme il est juste, une part égale.

Le divin Akhilleus, ayant ainsi parlé, rentra dans sa tente. Et il reprit le siège poli qu'il occupait en face de Priamos, et il lui dit :

- Ton fils t'est rendu, vieillard, comme tu l'as désiré. Il est couché sur un lit. Tu le verras et tu l'emporteras au retour d'Eôs. Maintenant, songeons au repas. Niobè aux beaux cheveux elle-même se souvint de manger après que es douze enfants eurent péri dans ses demeures, six filles et autant de fils florissants de jeunesse. Apollôn, irrité contre Niobè, tua ceux-ci de son arc d'argent ; et Artémis qui se réjouit de ses flèches tua celles-là, parce que Niobè s'était égalée à Lètô aux belles joues, disant que la Déesse n'avait conçu que deux enfants, tandis qu'elle en avait conçu de nombreux. Elle le disait, mais les deux enfants de Lètô tuèrent tous les siens. Et depuis neuf jours ils étaient couchés dans le sang, et nul ne les ensevelissait, le Kroniôn avait changé ces peuples en pierres ; mais, le dixième jour, les Dieux les ensevelirent. Et, cependant, Niobè se souvenait de manger lorsqu'elle était fatiguée de pleurer. Et maintenant, au milieu des rochers et des montagnes désertes, sur le Sipylos, où sont les retraites des nymphes divines qui dansent autour de l'Akhélôios, bien que changée en pierre par les Dieux, elle souffre encore. Allons, divin vieillard, mangeons. Tu pleureras ensuite ton fils bien-aimé, quand tu l'auras conduit dans Ilios. Là, il te fera répandre des larmes.

Le rapide Akhilleus parla ainsi, et, se levant, il tua une brebis blanche. Et ses compagnons, l'ayant écorchée, la préparèrent avec soin. Et, la coupant en morceaux, ils les fixèrent à des broches, les rôtirent et les retirèrent à temps. Et Automédôn, prenant le pain, le distribua sur la table dans de belles corbeilles. Et Akhilleus distribua lui-même les chairs. Tous étendirent les mains sur les mets qui étaient devant eux. Et quand ils n'eurent plus le désir de boire et de manger, le Dardanide Priamos admira combien Akhilleus était grand et beau et semblable aux Dieux. Et Akhilleus admirait aussi le Dardanide Priamos, son aspect vénérable et ses sages paroles. Et, quand ils se furent admirés longtemps, le vieux et divin Priamos parla ainsi :

- Fais que je puisse me coucher promptement, nourrisson de Zeus, afîn que je jouisse du doux sommeil ; car mes yeux ne se sont point fermés sous mes paupières depuis que mon fils a rendu l'âme sous tes mains. Je n'ai fait que me lamenter et subir des douleurs infinies, prosterné sur le fumier, dans l'enceinte de ma cour. Et je n'ai pris quelque nourriture, et je n'ai bu de vin qu'ici. Auparavant, je n'avais rien mangé.

Il parla ainsi, et Akhilleus ordonna à ses compagnons et aux femmes de préparer des lits sous le portique, et d'y étendre de belles étoffes pourprées, puis des tapis, et, par-dessus, des tuniques de laine. Et les femmes, sortant de la tente avec des torches aux mains, préparèrent aussitôt deux lits. Et alors Akhilleus aux pieds rapides dit avec bienveillance :

Tu dormiras hors de la tente, cher vieillard, de peur qu'un des Akhaiens, venant me consulter, comme ils en ont coutume, ne t'aperçoive dans la nuit noire et rapide. Et aussitôt il en avertirait le prince des peuples Agamemnôn, et peut-être que le rachat du cadavre serait retardé. Mais réponds-moi, et dis la vérité. Combien de jours désires-tu pour ensevelir le divin Hektôr, afin que je reste en repos pendant ce temps, et que je retienne les peuples ?

Et le vieux et divin Priamos lui répondit :

- Si tu veux que je rende de justes honneurs au divin Hektôr, en faisant cela, Akhilleus, tu exauceras mon voeu le plus cher. Tu sais que nous sommes renfermés dans la ville, et loin de la montagne où le bois doit être coupé, et que les Troiens sont saisis de terreur. Pendant neuf jours nous pleurerons Hektôr dans nos demeures ; le dixième, nous l'ensevelirons, et le peuple fera le repas funèbre ; le onzième, nous le placerons dans le tombeau, et, le douzième, nous combattrons de nouveau, s'il le faut.
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MessageSujet: Re: La guerre de Troie   La guerre de Troie - Page 2 Icon_minitime26/6/2007, 12:46

Et le divin Akhilleus aux pieds rapides lui répondit :

- Vieillard Priamos, il en sera ainsi, selon ton désir ; et pendant ce temps, j'arrêterai la guerre.

Ayant ainsi parlé, il serra la main droite du vieillard afin qu'il cessât de craindre dans son coeur. Et le héraut et Priamos, tous deux pleins de sagesse, s'endormirent sous le portique de la tente. Et Akhilleus s'endormit dans le fond de sa tente bien construite, et Breisèis aux belles joues coucha auprès de lui.

Et tous les Dieux et les hommes qui combattent à cheval dormaient dans la nuit, domptés par le doux sommeil mais le sommeil ne saisit point le bienveillant Herméias, qui songeait à emmener le roi Priamos du milieu des nefs, sans être vu des gardes sacrés des portes. Et il s'approcha de sa tête et il lui dit :

- O vieillard ! ne crains-tu donc aucun malheur, que tu donnes ainsi au milieu d'hommes ennemis, après qu'Akhilleus t'a épargné ? Maintenant que tu as racheté ton fils bien-aimé par de nombreux présents, les fils qui te restent en donneront trois fois autant pour te racheter vivant, si l'Atréide Agamemnôn te découvre, et si tous les Akhaiens l'apprennent.

Il parla ainsi, et le vieillard trembla ; et il ordonna au héraut de se lever. Et Herméias attela leurs mulets et leurs chevaux, et il les conduisit rapidement à travers le camp, et nul ne les vit. Et quand ils furent arrivés au gué du fleuve au beau cours, du Xanthos tourbillonnant que l'immortel Zeus engendra, Herméias remonta vers le haut Olympos.

Et déjà Eôs au péplos couleur de safran se répandait sur toute la terre, et les deux vieillards poussaient les chevaux vers la ville, en pleurant et en se lamentant, et les mulets portaient le cadavre. Et nul ne les aperçut, parmi les hommes et les femmes aux belles ceintures, avant Kassandrè semblable à Aphroditè d'or. Et, du haut de Pergamos, elle vit son père bien-aimé, debout sur le char, et le héraut, et le corps que les mulets amenaient sur le lit funèbre. Et aussitôt elle pleura, et elle cria, par toute la ville :

- Voyez, Troiens et Troiennes ! Si vous alliez autrefois au-devant de Hektôr, le coeur plein de joie, quand il revenait vivant du combat, voyez celui qui était l'orgueil de la ville et de tout un peuple !

Elle parla ainsi, et nul, parmi les hommes et les femmes ne resta dans la Ville, tant un deuil irrésistible les entraînait tous. Et ils coururent, au-delà des portes, au-devant du cadavre. Et, les premières, l'épouse bien-aimée et la mère vénérable, arrachant leurs cheveux, se jetèrent sur le char en embrassant la tête de Hektôr. Et tout autour la foule pleurait. Et certes, tout le jour, jusqu'à la chute de Hélios, ils eussent gémi et pleuré devant les portes, si Priamos, du haut de son char, n'eût dit à ses peuples :

- Retirez-vous, afin que je passe avec les mulets. Nous nous rassasierons de larmes quand j'aurai conduit ce corps dans ma demeure.

Il parla ainsi, et, se séparant, ils laissèrent le char passer. Puis, ayant conduit Hektôr dans les riches demeures, ils le déposèrent sur un lit sculpté, et ils appelèrent les chanteurs funèbres, et ceux-ci gémirent un chant lamentable auquel succédaient les plaintes des femmes. Et, parmi celles-ci, Andromakhè aux bras blancs commença le deuil, tenant dans ses mains la tête du tueur d'hommes Hektôr :

- O homme ! tu es mort jeune, et tu m'as laissée veuve dans mes demeures, et je ne pense pas qu'il parvienne à la puberté, ce fils enfant que nous avons engendré tous deux, ô malheureux que nous sommes ! Avant cela, cette ville sera renversée de son faîte, puisque son défenseur a péri, toi qui la protégeais, et ses femmes fidèles et ses petits enfants. Elles seront enlevées sur les nefs creuses, et moi avec elles. Et toi, mon enfant, tu me suivras et tu me subiras de honteux travaux, te fatiguant pour un maître féroce ! ou bien un Akhaien, te faisant tourner de la main, te jettera du haut d'une tour pour une mort affreuse, furieux que Hektôr ait tué ou son frère, ou son père, ou son fils ; car de nombreux Akhaiens sont tombés, mordant la terre, sous ses mains. Et ton père n'était pas doux dans le combat, et c'est pour cela que les peuples le pleurent par la ville. O Hektôr ! tu accables tes parents d'un deuil inconsolable, et tu me laisses surtout en proie à d'affreuses douleurs, car, en mourant, tu ne m'auras point tendu les bras de ton lit, et tu ne m'auras point dit quelque sage parole dont je puisse me souvenir, les jours et les nuits, en versant des larmes.

Elle parla ainsi en pleurant, et les femmes gémirent avec elle ; et, au milieu de celles-ci, Hékabè continua le deuil désespéré :

- Hektôr, le plus cher de tous mes enfants, certes, les Dieux t'aimaient pendant ta vie, car ils ont veillé sur toi dans la mort. Akhilleus aux pieds rapides a vendu tous ceux de mes fils qu'il a pu saisir, par-delà la mer stérile, à Samos, à Imbros, et dans la barbare Lemnos. Et il t'a arraché l'âme avec l'airain aigu, et il t'a traîné autour du tombeau de son compagnon Patroklos que tu as tué et qu'il n'a point fait revivre ; et, maintenant, te voici couché comme si tu venais de mourir dans nos demeures, frais et semblable à un homme que l'Archer Apollôn vient de frapper de ses divines flèches.

Elle parla ainsi en pleurant, et elle excita les gémissements des femmes ; et, au milieu de celles-ci, Hélénè continua le deuil :

- Hektôr, tu étais le plus cher de tous mes frères, car Alexandros, plein de beauté, est mon époux, lui qui m'a conduite dans Troiè. Plût aux Dieux que j'eusse péri auparavant ! Voici déjà la vingtième année depuis que je suis venue, abandonnant ma patrie, et jamais tu ne m'as dit une parole injurieuse ou dure, et si l'un de mes frères, ou l'une des mes soeurs, ou ma belle-mère, - car Priamos me fut toujours un père plein de douceur, - me blâmait dans nos demeures, tu les avertissais et tu les apaisais par ta douceur et par tes paroles bienveillantes. C'est pour cela que je te pleure en gémissant, moi, malheureuse, qui n'aurai plus jamais un protecteur ni un ana dans la grande Troiè, car tous m'ont en horreur.

Elle parla ainsi en pleurant, et tout le peuple gémit.

Mais le vieux Priamos leur dit :

- Troiens, amenez maintenant le bois dans la ville, et ne craignez point les embûches profondes des Argiens, car Akhilleus, en me renvoyant des nefs noires, m'a promis de ne point nous attaquer avant qu'Eôs ne soit revenue pour la douzième fois.

Il parla ainsi, et tous, attelant aux chars les boeufs et les mulets, aussitôt se rassemblèrent devant la ville. Et, pendant neuf jours, ils amenèrent des monceaux de bois. Et quand Eôs reparut pour la dixième fois éclairant les mortels, ils placèrent, en versant des larmes, le brave Hektôr sur le faite du bûcher, et ils y mirent le feu. Et quand Eôs aux doigts rosés, née au matin, reparut encore, tout le peuple se rassembla autour du bûcher de l'illustre Hektôr. Et, après s'être rassemblés, ils éteignirent d'abord le bûcher où la force du feu avait brûlé, avec du vin noir. Puis, ses frères et ses compagnons recueillirent en gémissant ses os blancs ; et les larmes coulaient sur leurs joues. Et ils déposèrent dans une urne d'or ses os fumants, et ils l'enveloppèrent de péplos pourprés. Puis, ils la mirent dans une fosse creuse recouverte de grandes pierres, et, au-dessus, ils élevèrent le tombeau. Et des sentinelles veillaient de tous côtés de peur que les Akhaiens aux belles knèmides ne se jetassent sur la ville. Puis, le tombeau étant achevé, ils se retirèrent et se réunirent en foule, afin de prendre part à un repas solennel, dans les demeures du roi Priamos, nourrisson de Zeus.

Et c'est ainsi qu'ils accomplirent les funérailles de Hektôr dompteur de chevaux.
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