Rôles et Légendes
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| Dialogues des morts | |
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Rhadamante
Nombre de messages : 2674 Age : 38 Date d'inscription : 14/11/2006
| Sujet: Dialogues des morts 4/7/2007, 06:56 | |
| 1. Diogène et Pollux
Diogène Pollux, je te recommande, aussitôt que tu seras retourné là-haut, car c'est à toi, je pense, à ressusciter demain, si tu aperçois quelque part Ménippe le chien, et tu le trouveras à Corinthe près du Uranium, ou bien au Lycée, riant des disputes des philosophes, de lui dire : «Ménippe, Diogène t'engage, si tu as assez ri de ce qui se passe sur la terre, à venir dessous rire encore davantage. En haut, tu n'es pas toujours certain d'avoir à rire ; car, comme on dit, qui sait au juste ce qu'il advient après la vie ? Mais en bas tu riras sans fin, ainsi que moi, quand tu verras les riches, les satrapes, les tyrans rabaissés, perdus dans l'ombre, sans autre distinction que des gémissements, arrachés à leur mollesse et à leur lâcheté par le souvenir des choses de là-haut». Dis-lui cela ; et ajoute qu'il ait soin de venir la besace pleine de lupins, ou bien d'un souper d'Hécate trouvé dans quelque carrefour, d'un oeuf lustral, ou enfin de quelque chose de pareil.
Pollux Je lui dirai tout cela, Diogèe ; mais pour que je le reconnaisse mieux, fais-moi son portrait.
Diogène C'est un vieillard chauve, ayant un manteau plein de trous, ouvert à tous les vents, et rapiécé de morceaux de toutes couleurs : il rit toujours, et se moque, la plupart du temps, de ces hâbleurs de philosophes.
Pollux Il ne sera pas difficile à trouver avec ce signalement.
Diogène Veux-tu bien aussi te charger d'une commission pour ces philosophes eux-mêmes ?
Pollux Parle : cela ne sera pas non plus lourd à porter.
Diogène Dis-leur en général de faire trêve à leurs extravagances, à leurs disputes sur les universaux, à leurs plantations de cornes réciproques, à leurs fabriques de crocodiles, à toutes ces questions saugrenues qu'ils enseignent à la jeunesse.
Pollux Mais ils diront que je suis un ignorant, un malappris, qui calomnie leur sagesse.
Diogène Eh bien ! dis-leur de ma part d'aller se... lamenter.
Pollux Je le leur dirai, Diogène.
Diogène Quant aux riches, mon cher petit Pollux, dis-leur aussi de ma part : «Pourquoi donc, insensés, gardez-vous cet or ? Pourquoi vous torturer à calculer les intérêts, à entasser talents sur talents, vous qui devrez bientôt descendre là-bas avec une seule obole ?»
Pollux Tout cela leur sera dit.
Diogène Dis à ces gaillards beaux et solides, Mégille de Corinthe et Damoxène le lutteur, qu'il n'y a plus chez nous ni chevelure blonde, ni tendres regards d'un oeil noir, ni vif incarnat des joues, ni muscles fermes, ni épaules vigoureuses : mais tout n'est ici que poussière, comme l'on dit, un amas de crânes sans beauté.
Pollux Ce n'est pas difficile d'aller dire cela à tes gaillards beaux et solides.
Diogène Mais aux pauvres, dont le nombre est grand, et qui, mécontents de leur sort, déplorent leur indigence, dis-leur, Laconien, de ne plus pleurer, de ne plus gémir ; apprends-leur qu'ici règne l'égalité, qu'ils y verront les riches de la terre réduits à leur propre condition ; et, si tu veux bien, reproche de ma part à tes Laçédémoniens de s'être bien relâchés.
Pollux Ne dis rien, Diogène, des Lacédémoniens : je ne le souffrirais pas ; mais ce que tu mandes aux autres, je le leur ferai savoir.
Diogène Eh bien ! laissons en paix les Lacédémoniens, puisque tu le veux ; mais porte mes avis à ceux dont je t'ai parlé.
Traduction d'Eugène Talbot (1857) | |
| | | Rhadamante
Nombre de messages : 2674 Age : 38 Date d'inscription : 14/11/2006
| Sujet: Re: Dialogues des morts 4/7/2007, 06:57 | |
| 2. Pluton, Crésus, Midas, Sardanapale et Ménippe
Crésus Nous ne pouvons supporter, Pluton, que ce chien de Ménippe demeure avec nous : envoie-le s'établir ailleurs, ou bien nous émigrerons dans un autre endroit.
Pluton Hé ! quel mal vous a-t-il donc fait ? Il est mort comme vous !
Crésus Dès que nous gémissons et que nous nous rappelons avec regret les choses de là-haut, Midas son or, Sardanapale ses plaisirs, et moi mes trésors, il se met à rire, il nous insulte, il nous appelle esclaves, coquins ; d'autres fois, il chante pour troubler nos lamentations ; enfin, il est insupportable.
Pluton Que disent-ils, Ménippe ?
Ménippe La vérité, Pluton : je déteste ces lâches, ces misérables, qui, non contents d'avoir mal vécu, se rappellent, tout morts qu'ils sont, et regrettent les choses de là-haut je suis charmé de les vexer.
Pluton C'est mal : ils sont assez punis par l'étendue de leur perte.
Ménippe Toi aussi tu es fou, Pluton, d'approuver leurs regrets.
Pluton Je ne les approuve pas ; mais je ne puis souffrir qu'il y ait sédition parmi vous.
Ménippe Cela ne fait rien : vous, les plus méchants des Lydiens, des Phrygiens et des Assyriens, sachez bien que je ne vous lâcherai pas ; partout où vous irez, je vous suivrai pour vous molester, pour vous chanter aux oreilles et me moquer de vous.
Crésus Quoi ! ce n'est pas là un outrage ?
Ménippe Non ! l'outrage, c'était votre conduite, quand vous vouliez qu'on vous adorât, quand vous faisiez les insolents avec des hommes libres, quand vous oubliiez complètement qu'il faut mourir ! Pleurez donc, aujourd'hui que vous ave? perdu tout cela !
Crésus Où sont, grands dieux, mes immenses richesses ?
Midas Où est mon or ?
Sardanapale Où sont mes plaisirs ?
Ménippe A la bonne heure ! Pleurez donc, pendant que je vous cornerai à la tête le fameux : Connais-loi toi-même ; c'est, en effet, ce qu'on peut chanter de mieux, pour répondre à de pareils gémissements.
Traduction d'Eugène Talbot (1857) | |
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