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 Les amours de Psyché

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Rhadamante

Rhadamante


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MessageSujet: Re: Les amours de Psyché   Les amours de Psyché - Page 2 Icon_minitime29/6/2007, 06:42

Là les lis lui servaient de trône et d'oreillers :
Des escadrons d'Amours chez Psyché familiers
Furent chassés de cet asyle.
Le pleurer leur fut inutile :
Rien ne put attendrir les trois Filles d'enfer ;
Leurs coeurs furent d'acier, leurs mains furent de fer.
La Belle eut beau souffrir : il fallut que ses peines
Allassent jusqu'au point que les soeurs inhumaines
Craignirent que Clothon ne survînt à son tour.
Ah ! trop impitoyable Amour !
En quels lieux étais-tu ? dis, cruel ! dis, barbare !
C'est toi, c'est ton plaisir qui causa sa douleur :
Oui, tigre ! c'est toi seul qui t'en dois dire auteur :
Psyché n'eût rien souffert sans ton courroux bizarre.
Le bruit de ses clameurs s'est au loin répandu ;
Et tu n'en as rien entendu !
Pendant tous ses tourments tu dormais, je le gage ;
Car ta brûlure n'était rien :
La Belle en a souffert mille fois davantage
Sans l'avoir mérité si bien.
Tu devais venir voir empourprer cet albâtre ;
Il fallait amener une troupe de Ris :
Des souffrances d'un corps dont tu fus idolâtre
Vous vous seriez tous divertis.
Hélas ! Amour, j'ai tort. Tu répandis des larmes
Quand tu sus de Psyché la peine et le tourment ;
Et tu lui fis trouver un baume pour ses charmes
Qui la guérit en un moment.

Telle fut la première peine que Psyché souffrit. Quand Cythérée fut de retour, elle la trouva étendue sur les tapis dont cette chambre était ornée, près d'expirer, et n'en pouvant plus. La pauvre Psyché fit un effort pour se lever, et tâcha de contenir ses sanglots. Cythérée lui commanda de baiser les cruelles mains qui l'avaient mise en cet état. Elle obéit sans tarder, et ne témoigna nulle répugnance. Comme le dessein de la Déesse n'était pas de la faire mourir sitôt, elle la laissa guérir.

Parmi les servantes de Vénus il y en avait une qui trahissait sa maîtresse, et qui allait redire à l'Amour le traitement que l'on faisait à Psyché, et les travaux qu'on lui imposait. L'Amour ne manquait pas d'y pourvoir. Cette fois-là il lui envoya un baume excellent par celle qui était de l'intelligence, avec ordre de ne point dire de quelle part, de peur que Psyché ne crût que son mari était apaisé, et qu'elle n'en tirât des conséquences trop avantageuses. Le Dieu n'était pas encore guéri de sa brûlure, et tenait le lit. L'opération de son baume irrita Vénus, à l'insu de qui la chose se conduisait, et qui, ne sachant à quoi imputer ce miracle, résolut de se défaire de Psyché par une autre voie.

Sous l'une des deux montagnes qui couvraient à droite et à gauche cette maison, était une voûte aussi ancienne que l'univers. Là sourdait une eau qui avait la propriété de rajeunir ; c'est ce qu'on appelle encore aujourd'hui la fontaine de Jouvence. Dans les premiers temps du monde il était libre à tous les mortels d'y aller puiser. L'abus qu'ils firent de ce trésor obligea les Dieux de leur en ôter l'usage. Pluton, prince des lieux souterrains, commit à la garde de cette eau un dragon énorme. Il ne dormait point, et dévorait ceux qui étaient si téméraires que d'en approcher. Quelques femmes se hasardaient, aimant mieux mourir que de prolonger une carrière où il n'y avait plus ni beaux jours ni amants pour elles.

Cinq ou six jours étant écoulés, Cythérée dit à son esclave : Va-t'en tout à l'heure à la fontaine de Jouvence, et m'en rapporte une cruchée d'eau. Ce n'est pas pour moi, comme tu peux croire, mais pour deux ou trois de mes amies qui en ont besoin. Si tu reviens sans apporter de cette eau, je te ferai encore souffrir le même supplice que tu as souffert.

Cette suivante, dont j'ai parlé, qui était aux gages de Cupidon, l'alla avertir. Il lui commanda de dire à Psyché que le moyen d'endormir le monstre était de lui chanter quelques longs récits qui lui plussent premièrement, et puis l'ennuyassent ; et sitôt qu'il dormirait qu'elle puisât de l'eau hardiment.

Psyché s'en va donc avec sa cruche. On n'osait approcher de l'antre de plus de vingt pas. L'horrible concierge de ce palais en occupait la plupart du temps l'entrée. Il avait l'adresse de couler sa queue contre des broussailles, en sorte qu'elle ne paraissait point ; puis aussitôt que quelque animal venait à passer, fût-ce un cerf, un cheval, un boeuf, le monstre la ramenait en plusieurs retours, et en entortillait les jambes de l'animal avec tant de soudaineté et de force, qu'il le faisait trébucher, se jetait dessus, puis s'en repaissait. Peu de voyageurs s'y trouvaient surpris : l'endroit était plus connu et plus diffamé que le voisinage de Scylla et de Charybde. Lorsque Psyché alla à cette fontaine, le monstre se réjouissait au soleil, qui tantôt dorait ses écailles, tantôt les faisait paraître de cent couleurs.

Psyché, qui savait quelle distance il fallait laisser entre lui et elle, car il ne pouvait s'étendre fort loin, le Sort l'ayant attaché avec des chaînes de diamant, Psyché, dis-je, ne s'effraya pas beaucoup ; elle était accoutumée à voir des dragons. Elle cacha le mieux qu'il lui fut possible sa cruche, et commença mélodieusement ce récit :

Dragon, gentil dragon, à la gorge béante,
Je suis messagère des Dieux :
Ils m'ont envoyée en ces lieux
T'annoncer que bientôt une jeune serpente,
Et qui change au soleil de couleur comme toi,
Viendra partager ton emploi.
Tu te dois ennuyer à faire cette vie ;
Amour t'enverra compagnie.
Dragon, gentil dragon, que te dirai-je encor
Qui te chatouille et qui te plaise ?
Ton dos reluit comme fin or ;
Tes yeux sont flambants comme braise.
Tu te peux rajeunir sans dépouiller ta peau.
Quelle félicité d'avoir chez toi cette eau !
Si tu veux t'enrichir, permets que l'on y puise ;
Quelque tribut qu'il faille, il te sera porté :
J'en sais qui, pour avoir cette commodité,
Donneront jusqu'à leur chemise.
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Rhadamante

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MessageSujet: Re: Les amours de Psyché   Les amours de Psyché - Page 2 Icon_minitime29/6/2007, 06:42

Psyché chanta beaucoup d'autres choses qui n'avaient aucune suite, et que les oiseaux de ces lieux ne purent par conséquent retenir ni nous les apprendre. Le dragon l'écouta d'abord avec un très grand plaisir. A la fin il commença à bâiller, et puis s'endormit. Psyché prend vite l'occasion. Il fallait passer entre le dragon et l'un des bords de l'entrée : à peine y avait-il assez de place pour une personne. Peu s'en fallut que la Belle, de frayeur qu'elle eut, ne laissât tomber sa cruche ; ce qui eût été pire que la goutte d'huile. Ce dormeur-ci n'était pas fait comme l'autre : son courroux et ses remontrances, c'était de mettre les gens en pièces. Notre héroïne vint à bout de son entreprise par un grand bonheur. Elle emplit sa cruche, et s'en retourna triomphante.

Vénus se douta que quelque puissance divine l'avait assistée. De savoir laquelle, c'était le point. Son fils ne bougeait du lit. Jupiter ni aucun des Dieux n'aurait laissé Psyché dans cet esclavage : les Déesses seraient les dernières à la secourir.

Ne t'imagine pas en être quitte, lui dit Vénus : je te ferai des commandements si difficiles, que tu manqueras à quelqu'un ; et pour châtiment tu endureras la mort. Va me quérir de la laine de ces moutons qui paissent au-delà du fleuve ; je m'en veux faire un habit.

C'étaient les moutons du Soleil ; tous avaient des cornes, furieux au dernier point, et qui poursuivaient les loups. Leur laine était d'une couleur de feu si vif qu'il éblouissait la vue. Ils paissaient alors de l'autre côté d'une rivière extrêmement large et profonde, qui traversait le vallon à mille pas ou peu plus de ce château.

De bonne fortune pour notre Belle, Junon et Cérès vinrent voir Vénus dans le moment qu'elle venait de donner cet ordre. Elles lui avaient déjà rendu deux autres visites depuis la maladie de son fils, et avaient aussi vu l'Amour. Cette dernière visite empêcha Vénus de prendre garde à ce qui se passerait, et donna une facilité à notre héroïne d'exécuter ce commandement. Sans cela il aurait été impossible, n'y ayant ni pont, ni bateau, ni gondole sur la rivière.

Cette suivante qui était de l'intelligence, dit à Psyché : Nous avons ici des cygnes que les Amours ont dressés à nous servir de gondoles ; j'en prendrai un : nous traverserons la rivière par ce moyen. Il faut que je vous tienne compagnie pour une raison que je vais vous dire ; c'est que ces moutons sont gardés par deux jeunes enfants sylvains qui commencent déjà à courir après les bergères et après les nymphes. Je passerai la première, et amuserai les deux jeunes faunes, qui ne manqueront pas de me poursuivre sans autre dessein que de folâtrer ; car ils me connaissent et savent que j'appartiens à Vénus : au pis aller j'en serai quitte pour deux baisers ; vous passerez cependant. Jusque-là voilà qui va bien, repartit Psyché ; mais comment approcherai-je des moutons ? me connaissent-ils aussi ? savent-ils que j'appartiens à Vénus ? - Vous prendrez de leur laine parmi les ronces, répliqua cette suivante ; ils y en laissent quand elle est mûre et qu'elle commence à tomber : tout ce canton-là en est plein. Comme la chose avait été concertée elle réussit. Seulement, au lieu des deux baisers que l'on avait dit, il en coûta quatre.

Pendant que notre bergère et sa compagne exécutent leur entreprise, Vénus prie les deux Déesses de sonder les sentiments de son fils. Il semble, à l'entendre, leur dit-elle, qu'il soit fort en colère contre Psyché ; cependant il ne laisse pas sous main de lui donner assistance : au moins y a-t-il lieu de le croire. Vous m'êtes amies toutes deux, détournez-le de cet amour : représentez-lui le devoir d'un fils : dites-lui qu'il se fait tort. Il s'ouvrira bien plutôt à vous qu'il ne ferait à sa mère.

Junon et Cérès promirent de s'y employer. Elles allèrent voir le malade. Il ne les satisfit point, et leur cacha le plus qu'il put sa pensée. Toutefois, autant qu'elles purent conjecturer, cette passion lui tenait encore au coeur. Même il se plaignit de ce qu'on prétendait le gouverner ainsi qu'un enfant. Lui un enfant ! on ne considérait donc pas qu'il terrassait les Hercules, et qu'il n'avait jamais eu d'autres toupies que leurs coeurs. Après cela, disait-il, on me tiendra encore en tutelle ! on croira me contenter de moulinets et de papillons, moi qui suis le dispensateur d'un bien près de qui la gloire et les richesses sont des poupées ! C'est bien le moins que je puisse faire que de retenir ma part de cette félicité-là. Je ne me marierai pas, moi qui en marie tant d'autres !

Les Déesses entrèrent en ses sentiments, et retournèrent dire à Vénus comme leur légation s'était passée. Nous vous conseillons en amies, ajoutèrent-elles, de laisser agir votre fils comme il lui plaira : il est désormais en âge de se conduire. - Qu'il épouse Hébé, repartit Vénus : qu'il choisisse parmi les Muses, parmi les Grâces, parmi les Heures ; je le veux bien. - Vous moquez-vous ? dit Junon. Voudriez-vous donner à votre fils une de vos suivantes pour femme ? et encore Hébé qui nous sert à boire ? Pour les Muses, ce n'est pas le fait de l'Amour qu'une précieuse ; elle le ferait enrager. La beauté des Heures est fort journalière : il ne s'en accommodera pas non plus. - Mais enfin, répliqua Vénus, toutes ces personnes sont des Déesses, et Psyché est simple mortelle. N'est-ce pas un parti bien avantageux pour mon fils que la cadette d'un roi de qui les états tourneraient dans la basse-cour de ce château ? - Ne méprisez pas tant Psyché, dit Cérès : vous pourriez pis faire que de la prendre pour votre bru. La beauté est rare parmi les Dieux ; les richesses et la puissance ne le sont pas. J'ai bien voyagé, comme vous savez ; mais je n'ai point vu de personne si accomplie.

Junon fut contrainte d'avouer qu'elle avait raison : et toutes deux conseillèrent Cythérée de pourvoir son fils. Quel plaisir quand elle tiendrait entre les bras un petit Amour qui ressemblerait à son père ! Vénus demeura piquée de ce propos-là. Le rouge lui monta au front. Cela vous siérait mieux qu'à moi, reprit-elle assez brusquement. Je me suis regardée tout ce matin, mais il ne m'a point semblé que j'eusse encore l'air d'une aïeule. Ces mots ne demeurèrent pas sans réponse : et les trois amies se séparèrent en se querellant.

Cérès et Junon étant montées sur leurs chars, Vénus alla faire des remontrances à son fils ; et le regardant avec un air dédaigneux :

Il vous sied bien, lui dit-elle, de vouloir vous marier, vous qui ne cherchez que le plaisir ! Depuis quand vous est venue, dites-moi, une si sage pensée ? Voyez, je vous prie, l'homme de bien et le personnage grave et retiré que voilà ! Sans mentir je voudrais vous avoir vu père de famille pour un peu de temps ; comment vous y prendriez-vous ? Songez, songez à vous acquitter de votre emploi, et soyez le Dieu des amants : la qualité d'époux ne vous convient pas. Vous êtes accablé d'affaires de tous côtés ; l'empire d'Amour va en décadence ; tout languit, rien ne se conclut : et vous consumez le temps en des propositions inutiles de mariage ! Il y a tantôt trois mois que vous êtes au lit, plus malade de fantaisie que d'une brûlure. Certes vous avez été blessé dans une occasion bien glorieuse pour vous ! Le bel honneur, lorsque l'on dira que votre femme aura été cause de cet accident ! Si c'était une maîtresse, je ne dis pas. Quoi ! vous m'amènerez ici une matrone qui sera neuf mois de l'année à toujours se plaindre ! Je la traînerai au bal avec moi ! Savez-vous ce qu'il y a ? ou renoncez à Psyché, ou je ne veux plus que vous passiez pour mon fils. Vous croyez peut-être que je ne puis faire un autre Amour, et que j'ai oublié la manière dont on les fait : je veux bien que vous sachiez que j'en ferai un quand il me plaira. Oui j'en ferai un, plus joli que vous mille fois, et lui remettrai entre les mains votre empire. Qu'on me donne tout à 1'heure cet arc et ces flèches, et tout l'attirail dont je vous ai équipé ; aussi bien vous est-il inutile désormais : je vous le rendrai quand vous serez sage.

L'Amour se mit à pleurer ; et prenant les mains de sa mère il les lui baisa. Ce n'était pas encore parler comme il faut. Elle fit tout son possible pour l'obliger à donner parole qu'il renoncerait à Psyché ; ce qu'il ne voulut jamais faire. Cythérée sortit en le menaçant.

Pour achever le chagrin de cette Déesse, Psyché arriva avec un paquet de laine aussi pesant qu'elle. Les choses s'étaient passées de ce côté-là avec beaucoup de succès. Le cygne avait merveilleusement bien fait son devoir, et les deux sylvains le leur : de voir, de courir, et rien davantage ; hormis qu'ils dansèrent quelques chansons avec la suivante, lui dérobèrent quelques baisers, lui donnèrent quelques brins de thym et de marjolaine, et peut-être la cotte verte, le tout avec la plus grande honnêteté du monde. Psyché cependant faisait sa main. Pas un des moutons ne s'écarta du troupeau pour venir à elle. Les ronces se laissèrent ôter leurs belles robes sans la piquer une seule fois. Psyché repassa la première.

A son retour Cythérée lui demanda comme elle avait fait pour traverser la rivière. Psyché répondit qu'il n'en avait pas été besoin, et que le vent avait envoyé des flocons de laine de son côté. Je ne croyais pas, reprit Cythérée, que la chose fût si facile : je me suis trompée dans mes mesures, je le vois bien ; la nuit nous suggérera quelque chose de meilleur.

Le fils de Vénus, qui ne songeait à autre chose qu'à tirer Psyché de tous ses dangers, et qui n'attendait peut-être pour se raccommoder avec elle que sa guérison et le retour de ses forces, avait remandé premièrement le Zéphyre, et fait venir dans le voisinage une Fée qui faisait parler les pierres. Rien ne lui était impossible : elle se moquait du destin, disposait des vents et des astres, et faisait aller le monde à sa fantaisie.

Cythérée ne savait pas qu'elle fût venue. Quant au Zéphyre, elle l'aperçut ; et ne douta nullement que ce ne fût lui qui eût assisté Psyché. Mais s'étant la nuit avisée d'un commandement qu'elle croyait hors de toute possibilité, elle dit le lendemain à son fils : L'agent général de vos affaires n'est pas loin de ce château ; vous lui avez défendu de s'écarter : je vous défie tous tant que vous êtes. Vous serez habiles gens l'un et l'autre si vous empêchez que votre Belle ne succombe au commandement que je lui ferai aujourd'hui.

En disant ces mots elle fit venir Psyché, lui ordonna de la suivre, et la mena dans la basse-cour du château. Là, sous une espèce de halle, étaient entassés pêle-mêle quatre différentes sortes de grains, lesquels on avait donnés à la Déesse pour la nourriture de ses pigeons. Ce n'était pas proprement un tas, mais une montagne ; il occupait toute la largeur du magasin, et touchait le faîte. Cythérée dit à Psyché : Je ne veux dorénavant nourrir mes pigeons que de mil ou de froment pur : c'est pourquoi sépare ces quatre sortes de grains. Fais-en quatre tas aux quatre coins du monceau, un tas de chaque espèce. Je m'en vas à Amathonte pour quelques affaires de plaisir : je reviendrai sur le soir. Si à mon retour je ne trouve la tâche faite, et qu'il y ait seulement un grain de mêlé, je t'abandonnerai aux ministres de ma vengeance.

A ces mots elle monte sur son char, et laisse Psyché désespérée. En effet ce commandement était un travail, non pas d'Hercule, mais de démon.

Sitôt que l'Amour le sut, il en envoya avertir la Fée, qui, par ses suffumigations, par ses cercles, par ses paroles, contraignit tout ce qu'il y avait de fourmis au monde d'accourir à l'entour du tas, autant celles qui habitaient aux extrémités de la terre que celles du voisinage. Il y eut telle fourmi qui fit ce jour-là quatre mille lieues. C'était un plaisir que d'en voir des hordes et des caravanes arriver de tous côtés.

Il en vient des climats où commande l'Aurore,
De ceux que ceint Thétis, et l'Océan encore ;
L'Indien dégarnit toutes ses régions ;
Le Garamante envoie aussi ses légions ;
Il en part du couchant des nations entières ;
Le nord ni le midi n'ont plus de fourmilières ;
Il semble qu'on en ait épuisé l'univers :
Les chemins en sont noirs, les champs en sont couverts ;
Maint vieux chêne en fournit des cohortes nombreuses ;
Il n'est arbre mangé qui sous ses voûtes creuses
Souffre que de ce peuple il reste un seul essaim :
Tout déloge ; et la terre en tire de son sein.
L'éthiopique gent arrive, et se partage.
On crée en chaque troupe un maître de l'ouvrage.
Il a l'oeil sur sa bande ; aucun n'ose faillir.
On entend un bruit sourd, le mont semble bouillir.
Déjà son tour décroît, sa hauteur diminue.
A la soudaineté l'ordre aussi contribue.
Chacun a son emploi parmi les travailleurs ;
L'un sépare le grain que l'autre emporte ailleurs.
Le monceau disparaît ainsi que par machine.
Quatre tas différents réparent sa ruine ;
De blé, riche présent qu'à l'homme ont fait les cieux ;
De mil, pour les pigeons manger délicieux ;
De seigle, au goût aigret ; d'orge rafraîchissante,
Qui donne aux gens du nord la cervoise engraissante.
Telles l'on démolit les maisons quelquefois :
La pierre est mise à part ; à part se met le bois :
On voit comme fourmis gens autour de l'ouvrage.
En son être premier retourne l'assemblage :
Là sont des tas confus de marbres non gravés,
Et là les ornements qui se sont conservés.

Les fourmis s'en retournèrent aussi vîte qu'elles étaient venues, et n'attendirent pas le remerciement. Vivez heureuses, leur dit Psyché, je vous souhaite des magasins qui ne désemplissent jamais. Si c'est un plaisir de se tourmenter pour les biens du monde, tourmentez-vous, et vivez heureuses.

Quand Vénus fut de retour, et qu'elle aperçut les quatre monceaux, son étonnement ne fut pas petit : son chagrin fut encore plus grand. On n'osait approcher d'elle, ni seulement la regarder. Il n'y eut ni Amours ni Grâces qui ne s'enfuissent. Quoi ! dit Cythérée en elle-même, une esclave me résistera ! je lui fournirai tous les jours une nouvelle matière de triompher ! Et qui craindra désormais Vénus ? qui adorera sa puissance ? car, pour la beauté, je n'en parle plus ; c'est Psyché qui en est déesse. 0 destins, que vous ai-je fait ? Junon s'est vengée d'Io et de beaucoup d'autres ; il n'est femme qui ne se venge : Cythérée seule se voit privée de ce doux plaisir ! Si faut-il que j'en vienne à bout. Vous n'êtes pas encore à la fin, Psyché, mon fils vous fait tort : plus il s'opiniâtre à vous protéger, plus je m'opiniâtrerai à vous perdre.

Cette résolution n'eut pas tout l'effet que Vénus s'était promis. A deux jours de là elle fit appeler Psyché, et dissimulant son dépit : Puisque rien ne vous est impossible, lui dit-elle, vous irez bien au royaume de Proserpine ; et n'espérez pas m'échapper quand vous serez hors d'ici : en quelque lieu de la terre que vous soyez, je vous trouverai. Si vous voulez toutefois ne point revenir des enfers, j'en suis très contente. Vous ferez mes compliments à la reine de ces lieux-là, et vous lui direz que je la prie de me donner une boîte de son fard ; j'en ai besoin, comme vous voyez : la maladie de mon fils m'a toute changée. Rapportez-moi sans tarder ce que l'on vous aura donné, et n'y touchez point.
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Rhadamante

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MessageSujet: Re: Les amours de Psyché   Les amours de Psyché - Page 2 Icon_minitime29/6/2007, 06:43

Psyché partit tout à l'heure. On ne la laissa parler à qui que ce soit. Elle alla trouver la Fée que son mari avait fait venir : cette Fée était dans le voisinage sans que personne en sût rien. De peur de soupçon, elle ne tint pas long discours à notre héroïne. Seulement elle lui dit : Vous voyez d'ici une vieille tour ; allez-y tout droit, et entrez dedans ; vous y apprendrez ce qu'il vous faut faire. N'appréhendez point les ronces qui bouchent la porte ; elles se détourneront d'elles-mêmes.

Psyché remercie la Fée, et s'en va au vieux bâtiment. Entrée qu'elle fut, la tour lui parla : Bon jour, Psyché, lui dit-elle ; que votre voyage vous soit heureux ! Ce m'est un très grand honneur de vous recevoir en mes murs : jamais rien de si charmant n'y était entré. Je sais le sujet qui vous amène. Plusieurs chemins conduisent aux enfers ; n'en prenez aucun de ceux qu'on prend d'ordinaire. Descendez dans cette cave que vous voyez, et garnissez-vous auparavant de ce qui est à vos pieds : ce panier à anse vous aidera à le porter.

Psyché baissa aussitôt la vue ; et comme le faîte de la tour était découvert, elle vit à terre une lampe, six boules de cire, un gros paquet de ficelle, un panier, avec deux deniers.

Vous avez besoin de toutes ces choses, poursuivit la tour. Que la profondeur de cette cave ne vous effraie point, quoique vous ayez près de mille marches à descendre : cette lampe vous aidera. Vous suivrez à sa lueur un chemin voûté qui est dans le fond, et qui tous conduira jusqu'au bord du Styx. Il vous faudra donner à Charon un de ces deniers pour le passage, aussi bien en revenant qu'en allant. C'est un vieillard qui n'a aucune considération pour les Belles, et qui ne vous laissera pas monter dans sa barque sans payer le droit. Le fleuve passé, vous rencontrerez un âne boiteux et n'en pouvant plus de vieillesse, avec un misérable qui le chassera. Celui-ci vous priera de lui donner par pitié un peu de ficelle, si vous en avez dans votre panier, afin de lier certains paquets dont son âne sera chargé. Gardez-vous de lui accorder ce qu'il vous demandera ; c'est un piège que vous tend Vénus. Vous avez besoin de votre ficelle à une autre chose ; car vous entrerez incontinent dans un labyrinthe dont les routes sont fort aisées à tenir en allant ; mais, quand on en revient, il est impossible de les démêler : ce que vous ferez toutefois par le moyen de cette ficelle. La porte de deçà du labyrinthe n'a point de portier ; celle de delà en a un : c'est un chien qui a trois gueules, plus grand qu'un ours. Il discerne à l'odorat les morts d'avec les vivants, car il se rencontre des personnes qui ont affaire aussi bien que vous en ces lieux. Le portier laisse passer les premiers, et étrangle les autres devant qu'ils passent. Vous lui empâterez ses trois gueules en lui jetant dans chacune une de vos boules de cire, autant au retour. Elles auront aussi la force de l'endormir. Dès que vous serez sortie du labyrinthe, deux démons des champs élysées viendront au-devant de vous, et vous conduiront jusqu'au trône de Proserpine. Adieu, charmante Psyché : que votre voyage vous soit heureux !

Psyché remercie la tour, prend le panier avec l'équipage, descend dans la cave, et, pour abréger, elle arrive saine et sauve au-delà du labyrinthe, malgré les spectres qui se présentèrent sur son passage.

Il ne sera pas hors de propos de vous dire qu'elle vit sur les bords du Styx gens de tous états arrivant de tous les côtés. Il y avait dans la barque, lorsque la Belle passa, un roi, un philosophe, un général d'armée, je ne sais combien de soldats, avec quelques femmes. Le roi se mit à pleurer de ce qu'il fallait quitter un séjour où étaient de si beaux objets. Le philosophe, au contraire, loua les Dieux de ce qu'il en était sorti avant que de voir un objet si capable de le séduire, et dont il pouvait alors approcher sans aucun péril. Les soldats disputèrent entre eux à qui s'assiérait le plus près d'elle, sans aucun respect du roi ni aucune crainte du général, qui n'avait pas son bâton de commandement. La chose allait à se battre et à renverser la nacelle, si Charon n'eût mis le hola à coups d'aviron. Les femmes environnèrent Psyché, et se consolèrent des avantages qu'elles avaient perdus, voyant que notre héroïne en perdait bien d'autres : car elle ne dit à personne qu'elle fût vivante. Son habit étonna pourtant la compagnie, tous les autres n'ayant qu'un drap. Aussitôt qu'elle fut sortie du labyrinthe, les deux démons l'abordèrent et lui firent voir les singularités de ces lieux. Elles sont tellement étranges que j'ai besoin d'un style extraordinaire pour vous les décrire.

Polyphile se tut à ces mots ; et après quelques moments de silence il reprit d'un ton moins familier :

Le royaume des morts a plus d'une avenue.
Il n'est route qui soit aux humains si connue.
Des quatre coins du monde on se rend aux enfers.
Tisiphone les tient incessamment ouverts.
La faim, le désespoir, les douleurs, le long âge,
Mènent par tous endroits à ce triste passage ;
Et quand il est franchi, les filles du Destin
Filent aux habitants une nuit sans matin.
Orphée a toutefois mérité par sa lyre
De voir impunément le ténébreux empire.
Psyché par ses appas obtint même faveur :
Pluton sentit pour elle un moment de ferveur :
Proserpine craignit de se voir détrônée,
Et la boîte de fard à l'instant fut donnée.
L'esclave de Vénus, sans guide et sans secours,
Arriva dans les lieux où le Styx fait son cours.
Sa cruelle ennemie eut soin que le Cerbère
Lui lançât des regards enflammés de colère.
Par les monstres d'enfer rien ne fut épargné.
Elle vit ce qu'en ont tant d'auteurs enseigné.
Mille spectres hideux, les hydres, les harpies,
Les triples Gérions, les mânes des Tityes,
Présentaient à ses yeux maint fantôme trompeur
Dont le corps retournait aussitôt en vapeur.
Les cantons destinés aux ombres criminelles,
Leurs cris, leur désespoir, leurs douleurs éternelles.
Tout l'attirail qui suit tôt ou tard les méchants,
La remplirent de crainte et d'horreur pour ces champs.
Là, sur un pont d'airain, l'orgueilleux Salmonée,
Triste chef d'une troupe aux tourments condamnée,
S'efforçait de passer en des lieux moins cruels,
Et partout rencontrait des feux continuels.
Tantale aux eaux du Styx portait en vain sa bouche,
Toujours proche d'un bien que jamais il ne touche :
Et Sisyphe en sueur essayait vainement
D'arrêter son rocher pour le moins un moment.
Là les soeurs de Psyché, dans l'importune glace
D'un miroir que sans cesse elles avaient en face,
Revoyaient leur cadette heureuse, et dans les bras,
Non d'un monstre effrayant, mais d'un Dieu plein d'appas.
En quelque lieu qu'allât cette engeance maudite,
Le miroir se plaçait toujours à l'opposite.
Pour les tirer d'erreur leur cadette accourut ;
Mais ce couple s'enfuit sitôt qu'elle parut.
Non loin d'elles Psyché vit l'immortelle tâche
Où les cinquante soeurs s'exercent sans relâche.
La Belle les plaignit, et ne put sans frémir
Voir tant de malheureux occupés à gémir.
Chacun trouvait sa peine au plus haut point montée :
Ixion souhaitait le sort de Prométhée ;
Tantale eût consenti, pour assouvir sa faim,
Que Pluton le livrât à des flammes sans fin.
En un lieu séparé l'on voit ceux de qui l'âme
A violé les droits de l'amoureuse flamme,
Offensé Cupidon, méprisé ses autels,
Refusé le tribut qu'il impose aux mortels.
Là souffre un monde entier d'ingrates, de coquettes :
Là Mégère punit les langues indiscrètes,
Surtout ceux qui, tachés du plus noir des forfaits,
Se sont vantés d'un bien qu'on ne leur fit jamais.
Par de cruels vautours l'inhumaine est rongée ;
Dans un fleuve glacé la volage est plongée ;
Et l'insensible expie en des lieux embrasés,
Aux yeux de ses amants, les maux qu'elle a causés.
Ministres, confidents, domestiques perfides,
Y lassent sous les fouets le bras des Euménides.
Près d'eux sont les auteurs de maint hymen forcé,
L'amant chiche, et la dame au coeur intéressé ;
La troupe des censeurs, peuple à l'amour rebelle ;
Ceux enfin dont les vers ont noirci quelque Belle.
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MessageSujet: Re: Les amours de Psyché   Les amours de Psyché - Page 2 Icon_minitime29/6/2007, 06:44

Vénus avait obligé Mercure par ses caresses de prier, de la part de cette Déesse, toutes les puissances d'enfer d'effrayer tellement son ennemie par la vue de ces fantômes et de ces supplices, qu'elle en mourût d'appréhension, et mourût si bien que la chose fût sans retour, et qu'il ne restât plus de cette Beauté qu'une ombre légère. Après quoi, disait Cythérée, je permets à mon fils d'en être amoureux, et de l'aller trouver aux enfers pour lui renouveler ses caresses.

Cupidon ne manqua pas d'y pourvoir : et dès que Psyché eut passé le labyrinthe, il la fît conduire, comme je crois vous avoir dit, par deux démons des champs élysées ; ceux-là ne sont pas méchants. Ils la rassurèrent, et lui apprirent quels étaient les crimes de ceux qu'elle voyait tourmentés. La Belle en demeura toute consolée, n'y trouvant rien qui eût du rapport à son aventure. Après tout, la faute qu'elle avait commise ne méritait pas une telle punition. Si la curiosité rendait les gens malheureux jusqu'en l'autre monde, il n'y aurait pas d'avantage à être femme.

En passant auprès des champs élysées, comme le nombre des bienheureux a de tout temps été fort petit, Psyché n'eut pas de peine à y remarquer ceux qui jusqu'alors avaient fait valoir la puissance de son époux, gens du Parnasse pour la plupart. Ils étaient sous de beaux ombrages, se récitant les uns aux autres leurs poésies, et se donnant des louanges continuelles sans se lasser.

Enfin la Belle fut amenée devant le tribunal de Pluton. Toute la cour de ce Dieu demeura surprise. Depuis Proserpine ils ne se souvenaient point d'avoir vu d'objet qui leur eût touché le coeur que celui-là seul. Proserpine même en eut de la jalousie ; car son mari regardait déjà la Belle d'une autre sorte qu'il n'a coutume de faire ceux qui approchent de son tribunal, et il ne tenait pas à lui qu'il ne se défît de cet air terrible qui fait partie de son apanage. Surtout il y avait du plaisir à voir Rhadamanthe se radoucir. Pluton fit cesser pour quelques moments les souffrances et les plaintes des malheureux, afin que Psyché eût une audience plus favorable.

Voici à peu près comme elle parla, adressant sa voix tantôt à Pluton et à Proserpine conjointement, tantôt à cette Déesse seule.

Vous sous qui tout fléchit, Déités dont les lois
Traitent également les bergers et les rois ;
Ni le désir de voir, ni celui d'être vue,
Ne me font visiter une cour inconnue :
J'ai trop appris, hélas ! par mes propres malheurs,
Combien de tels plaisirs engendrent de douleurs.
Vous voyez devant vous l'esclave infortunée
Qu'à des larmes sans fin Vénus a condamnée.
C'est peu pour son courroux des maux que j'ai soufferts ;
Il faut chercher encore un fard jusqu'aux enfers.
Reine de ces climats, faites qu'on me le donne.
Il porte votre nom ; et c'est ce qui m'étonne.
Ne vous offensez point, Déesse aux traits si doux ;
On s'aperçoit assez qu'il n'est pas fait pour vous.
Plaire sans fard est chose aux Déesses facile :
A qui ne peut vieillir cet art est inutile :
C'est moi qui doit tâcher, en l'état où je suis,
A réparer le tort que m'ont fait les ennuis.
Mais j'ai quitté le soin d'une beauté fatale.
La nature souvent n'est que trop libérale.
Plût au sort que mes traits à présent sans éclat
N'eussent jamais paru que dans ce triste état !
Mes soeurs les enviaient : que mes soeurs étaient folles !
D'abord je me repus d'espérances frivoles.
Enfin l'Amour m'aima : je l'aimai sans le voir :
Je le vis ; il s'enfuit ; rien ne put l'émouvoir ;
Il me précipita du comble de la gloire.
Souvenirs de ces temps, sortez de ma mémoire.
Chacun sait ce qui suit. Maintenant dans ces lieux
Je viens pour obtenir un fard si précieux.
Je n'en mérite pas la faveur singulière ;
Mais le nom de l'Amour se joint à ma prière.
Vous connaissez ce Dieu : qui ne le connaît pas ?
S'il descend pour vous plaire au fond de ces climats,
D'une botte de fard récompensez sa femme :
Ainsi durent chez vous les douceurs de sa flamme :
Ainsi votre bonheur puisse rendre envieux
Celui qui pour sa part eut l'empire des cieux !

Cette harangue eut tout le succès que Psyché pouvait souhaiter. Il n'y eut ni démon ni ombre qui ne compatît au malheur de cette affligée, et qui ne blâmât Vénus. La pitié entra pour la première fois au coeur des Furies : et ceux qui avaient tant de sujets de se plaindre eux-mêmes mirent à part le sentiment de leurs propres maux pour plaindre l'épouse de Cupidon. Pluton fut sur le point de lui offrir une retraite dans ses états ; mais c'est un asyle où les malheureux n'ont recours que le plus tard qu'il leur est possible. Proserpine empêcha ce coup : la jalousie la possédait tellement, que, sans considérer qu'une ombre serait incapable de lui nuire, elle recommanda instamment aux Parques de ne pas trancher à l'étourdie les jours de cette personne, et de prendre si bien leurs mesures qu'on ne la revît aux enfers que vieille et ridée. Puis, sans tarder davantage, elle mit entre les mains de Psyché une boîte bien fermée, avec défense de l'ouvrir, et avec charge d'assurer Vénus de son amitié. Pour Pluton, il ne put voir sans déplaisir le départ de notre héroïne, et le présent qu'on lui faisait. Souvenez-vous, lui dit-il, de ce qu'il vous a coûté d'être curieuse. Allez ; et n'accusez pas Pluton de votre destin.

Tant que le pays des morts continua, la boîte fut en assurance ; Psyché n'avait garde d'y toucher : elle appréhendait que, parmi un si grand nombre de gens qui n'avaient que faire, il n'y en eût qui observassent ses actions.

Aussitôt qu'elle eut atteint notre monde, et, que se trouvant sous ce conduit souterrain, elle crut n'avoir pour témoins que les pierres qui le soutenaient, la voilà tentée,à son ordinaire. Elle eut envie de savoir quel était ce fard dont Proserpine l'avait chargée. Le moyen de s'en empêcher ? elle serait femme, et laisserait échapper une telle occasion de se satisfaire ! A qui le diraient ces pierres ? possible personne qu'elle n'était descendu sous cette voûte depuis qu'on l'avait bâtie. Puis ce n'était pas une simple curiosité qui la poussait ; c'était un désir naturel et bien innocent de remédier au déchet où étaient tombés ses appas. Les ennuis, le hâle, mille autres choses l'avaient tellement changée qu'elle ne se connaissait plus elle-même. Il fallait abandonner les prétentions qui lui restaient sur le coeur de son mari, ou bien réparer ces pertes par quelque moyen. Où en trouverait-elle un meilleur que celui qu'elle avait en sa puissance, que de s'appliquer un peu de ce fard qu'elle portait à Vénus ? non qu'elle eût dessein d'en abuser ni de plaire à d'autres qu'à son mari ; les Dieux le savaient : pourvu seulement qu'elle imposât à l'Amour, cela suffirait. Tout artifice est permis quand il s'agit de regagner un époux. Si Vénus l'avait crue si simple que de n'oser toucher à ce fard, elle s'était fort trompée : mais, qu'elle y touchât ou non, Cythérée l'en soupçonnerait toujours, ainsi il lui serait inutile de s'en abstenir.

Psyché raisonna si bien qu'elle s'attira un nouveau malheur. Une certaine appréhension toutefois la retenait : elle regardait la boîte, y portait la main, puis l'en retirait, et l'y reportait aussitôt. Après un combat qui fut assez long, la victoire demeura, selon sa coutume, à cette malheureuse curiosité. Psyché ouvrit la boîte en tremblant ; et à peine l'eut-elle ouverte qu'il en sortit une vapeur fuligineuse, une fumée noire et pénétrante qui se répandit en moins d'un moment par tout le visage de notre héroïne, et sur une partie de son sein. L'impression qu'elle y fit fut si violente que Psyché soupçonna d'abord quelque sinistre accident, d'autant plus qu'il ne restait dans la boîte qu'une noirceur qui la teignait toute.

Psyché, alarmée, et se doutant presque de ce qui lui était arrivé, se hâta de sortir de cette cave, impatiente de rencontrer quelque fontaine dans laquelle elle pût apprendre l'état où cette vapeur l'avait mise. Quand elle fut dans la tour, et qu'elle se présenta à la porte, les épines qui la bouchaient et qui s'étaient d'elles-mêmes détournées pour laisser passer Psyché la première fois, ne la reconnaissant plus, l'arrêtèrent. La tour fut contrainte de lui demander son nom. Notre infortunée le lui dit en soupirant. Quoi ! c'est vous, Psyché ? Qui vous a teint le visage de cette sorte ? Allez vite vous laver, et gardez bien de vous présenter en cet état à votre mari. Psyché court à un ruisseau qui n'était pas loin, le coeur lui battant de telle manière que l'haleine lui manquait à chaque pas. Enfin elle arriva sur le bord de ce ruisseau, et, s'étant penchée, elle y aperçut la plus belle More du monde.
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MessageSujet: Re: Les amours de Psyché   Les amours de Psyché - Page 2 Icon_minitime29/6/2007, 06:44

Elle n'avait ni le nez ni la bouche comme l'ont celles que nous voyons ; mais enfin c'était une More. Psyché, étonnée, tourna la tête pour voir si quelque Africaine ne se regardait point derrière elle. N'ayant vu personne, et certaine de son malheur, les genoux commencèrent à lui faillir, les bras lui tombèrent. Elle essaya toutefois inutilement d'effacer cette noirceur avec l'onde.

Après s'être lavée longtemps sans rien avancer : O destins, s'écria-t-elle, me condamnerez-vous à perdre aussi la beauté ? Cythérée, Cythérée, quelle satisfaction vous attend ! Quand je me présenterai parmi vos esclaves, elles me rebuteront ; je serai le déshonneur de votre cour. Qu'ai-je fait qui méritât une telle honte ? ne vous suffîsait-il pas que j'eusse perdu mes parents, mon mari, les richesses, la liberté, sans perdre encore l'unique bien avec lequel les femmes se consolent de tous malheurs ? Quoi ! ne pouviez-vous attendre que les années vous vengeassent ? c'est une chose sitôt passée que la beauté des mortelles ! la mélancolie serait venue au secours du temps. Mais j'ai tort de vous accuser : c'est moi seule qui suis la cause de mon infortune ; c'est cette curiosité incorrigible qui, non contente de m'avoir ôté les bonnes grâces de votre fils, m'ôte aussi le moyen de les regagner. Hélas ! ce sera ce fils le premier qui me regardera avec horreur, et qui me fuira. Je l'ai cherché par tout l'univers, et j'appréhende de le trouver. Quoi ! mon mari qui me fuira ! mon mari qui me trouvait si charmante ! Non, non, Vénus, vous n'aurez pas ce plaisir : et puisqu'il m'est défendu d'avancer mes jours, je me retirerai dans quelque désert où personne ne me verra ; j'achèverai mes destins parmi les serpents et parmi les loups : il s'en trouvera quelqu'un d'assez pitoyable pour me dévorer.

Dans ce dessein elle court à une forêt voisine, s'enfonce dans le plus profond, choisit pour principale retraite un antre effroyable. Là son occupation est de soupirer et de répandre des larmes ; ses joues s'aplatissent ; ses yeux se cavent ; ce n'était plus celle de qui Vénus était devenue jalouse : il y avait au monde telle mortelle qui l'aurait regardée sans envie.
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MessageSujet: Re: Les amours de Psyché   Les amours de Psyché - Page 2 Icon_minitime29/6/2007, 06:47

L'Amour commençait alors à sortir ; et, comme il était guéri de sa colère aussi bien que de sa brûlure, il ne songeait plus qu'à Psyché. Psyché devait faire son unique joie ; il devait quitter ses temples pour servir Psyché : résolutions d'un nouvel amant. Les maris ont de ces retours, mais ils les font peu durer. Ce mari-ci ne se proposait plus de fin dans sa passion, ni dans le bon traitement qu'il avait résolu de faire à sa femme. Son dessein était de se jeter à ses pieds, de lui demander pardon, de lui protester qu'il ne retomberait jamais en de telles bizarreries. Tant que la journée durait il s'entretenait de ces choses : la nuit venue il continuait, et continuait encore pendant son sommeil. Aussitôt que l'aurore commençait à poindre, il la priait de lui ramener Psyché ; car la Fée l'avait assuré qu'elle reviendrait des enfers. Dès que le soleil était levé, notre époux quittait le lit afin d'éviter les visites de sa mère, et s'allait promener dans le bois où la belle Ethiopienne avait choisi sa retraite : il le trouvait propre à entretenir les rêveries d'un amant.

Un jour Psyché s'était endormie à l'entrée de sa caverne. Elle était couchée sur le côté, le visage tourné vers la terre, son mouchoir dessus, et encore un bras sur le mouchoir pour plus grande précaution, et pour s'empêcher plus assurément d'être vue. Si elle eût pu s'envelopper de ténèbres, elle l'aurait fait. L'autre bras était couché le long de la cuisse ; il n'avait pas la même rondeur qu'autrefois : le moyen qu'une personne qui ne vivait que de fruits sauvages, et laquelle ne mangeait rien qui ne fut mouillé de ses pleurs, eût de l'embonpoint ? La délicatesse et la blancheur y étaient toujours.

L'Amour l'aperçut de loin : il sentit un tressaillement qui lui dit que cette personne était Psyché. Plus il approchait, et plus il se confirmait dans ce sentiment ; car quelle autre qu'elle aurait eu une taille si bien formée ? Quand il se trouva assez près pour considérer le bras et la main, il n'en douta plus : non que la maigreur ne l'arrêtât ; mais il jugeait bien qu'une personne affligée ne pouvait être en meilleur état. La surprise de ce Dieu ne fut pas petite ; pour sa joie, je vous la laisse à imaginer. Un amant que nos romanciers auraient fait serait demeuré deux heures à considérer l'objet de sa passion sans l'oser toucher, ni seulement interrompre son sommeil : l'Amour s'y prit d'une autre manière. Il s'agenouilla d'abord auprès de Psyché, et lui souleva une main, laquelle il étendit sur la sienne ; puis usant de l'autorité d'un Dieu et de celle d'un mari, il y imprima deux baisers.

Psyché était si fort abattue, qu'elle s'éveilla seulement au second baiser. Dès qu'elle aperçut l'Amour, elle se leva, s'enfuit dans son antre, s'alla cacher à l'endroit le plus profond, tellement émue qu'elle ne savait à quoi se résoudre. L'état où elle avait vu le Dieu, cette posture de suppliant, ce baiser dont la chaleur lui faisait connaître que c'était un véritable baiser d'amour, et non un baiser de simple galanterie, tout cela l'enhardissait : mais de se montrer ainsi noire et défigurée à celui dont elle voulait regagner le coeur, il n'y avait pas d'apparence.

Cependant l'Amour s'était approché de la caverne ; et repensant à l'ébène de cette personne qu'il avait vue, il croyait s'être trompé, et se voulait quelque mal d'avoir pris une Ethiopienne pour son épouse. Quand il fut dans l'antre : Belle More, lui cria-t-il, vous ne savez guère ce que je suis, de me fuir ainsi ; ma rencontre ne fait pas peur. Dites-moi ce que vous cherchez dans ces provinces ; peu de gens y viennent que pour aimer : si c'est là ce qui vous amené, j'ai de quoi vous satisfaire. Avez-vous besoin d'un amant ? je suis le Dieu qui les fais. Quoi ! vous dédaignez de me répondre ! vous me fuyez !

- Hélas ! dit Psyché, je ne vous fuis point ; j'ôte seulement de devant vos yeux un objet que j'appréhende que vous ne fuyiez vous-même.

Cette voix si douce, si agréable, et autrefois familière au fils de Vénus, fut aussitôt reconnue de lui. Il courut au coin où s'était réfugiée son épouse. Quoi ! c'est vous ! dit-il : quoi ! ma chère Psyché, c'est vous ! Aussitôt il se jeta aux pieds de la Belle. J'ai failli, continua-t-il en les embrassant : mon caprice est cause qu'une personne innocente, qu'une personne qui était née pour ne connaître que les plaisirs, a souffert des peines que les coupables ne souffrent point : et je n'ai pas renversé le ciel et la terre pour l'empêcher ! je n'ai pas ramené le chaos au monde ! je ne me suis pas donné la mort, tout Dieu que je suis ! Ah ! Psyché, que vous avez de sujets de me détester ! Il faut que je meure, et que j'en trouve les moyens, quelque impossible que soit la chose.

Psyché chercha une de ses mains pour la lui baiser. L'Amour s'en douta, et se relevant : Ah ! s'écria-t-il, que vous ajoutez de douceur à vos autres charmes ! Je sais les sentiments que vous avez eus ; toute la nature me les a dits : il ne vous est pas échappé un seul mot de plainte contre ce monstre qui était indigne de votre amour. Et comme elle lui avait trouvé la main : Non, poursuivit-il, ne m'accordez point de telles faveurs ; je n'en suis pas digne : je ne demande pour toute grâce que quelque punition que vous m'imposiez vous-même. Ma Psyché, ma chère Psyché, dites-moi, à quoi me condamnez- vous ?

- Je vous condamne à être aimé de votre Psyché éternellement, dit notre héroïne ; car que vous l'aimiez, elle aurait tort de vous en prier : elle n'est plus belle.

Ces paroles furent prononcées avec un ton de voix si touchant que l'Amour ne put retenir ses larmes. Il noya de pleurs l'une des mains de Psyché ; et pressant cette main entre les siennes, il se tut longtemps, et par ce silence il s'exprima mieux que s'il eût parlé : les torrents de larmes firent ce que ceux de paroles n'auroient su faire.

Psyché, charmée de cette éloquence, y répondit comme une personne qui en savait tous les traits. Et considérez, je vous prie, ce que c'est d'aimer ; le couple d'amants le mieux d'accord et le plus passionné qu'il y eût au monde employait l'occasion à verser des pleurs et à pousser des soupirs. Amants heureux, il n'y a que vous qui connaissiez le plaisir !

A cette exclamation Polyphile, tout transporté, laissa tomber l'écrit qu'il tenait ; et Acante, se souvenant de quelque chose, fit un soupir. Gélaste leur dit avec un souris moqueur : Courage, messieurs les amants, voilà qui est bien, et vous faites votre devoir. Oh ! les gens heureux et trois fois heureux que vous êtes ! moi, misérable ! je ne saurais soupirer après le plaisir de verser des pleurs. Puis ramassant le papier de Polyphile : Tenez, lui dit-il, voilà votre écrit, achevez Psyché, et remettez-vous. Polyphile reprit son cahier, et continua ainsi :

Cette conversation de larmes devint à la fin conversation de baisers ; je passe légèrement cet endroit. L'Amour pria son épouse de sortir de l'antre, afin qu'il apprît le changement qui était survenu en son visage, et pour y apporter remède s'il se pouvait. Psyché lui dit en riant : Vous m'avez refusé, s'il vous en souvient, la satisfaction de vous voir lorsque je vous l'ai demandé, je vous pourrais rendre la pareille à bien meilleur droit, et avec bien plus de raison que vous n'en aviez ; mais j'aime mieux me détruire dans votre esprit que de ne pas vous complaire. Aussi bien faut-il que vous cherchiez un remède à la passion qui vous occupe : elle vous met mal avec votre mère, et vous fit abandonner le soin des mortels et la conduite de votre empire. En disant ces mots elle lui donna la main pour le mener hors de l'antre.

L'Amour se plaignit de la pensée qu'elle avait, et lui jura par le Styx qu'il l'aimerait éternellement, blanche ou noire, belle ou non belle ; car ce n'était pas seulement son corps qui le rendait amoureux, c'était son esprit et son âme par-dessus tout.

Quand ils furent sortis de l'antre, et que l'Amour eut jeté les yeux sur son épouse, il recula trois ou quatre pas, tout surpris et tout étonné. Je vous l'avais bien promis, lui dit-elle, que cette vue serait un remède pour votre amour : je ne m'en plains pas, et n'y trouve point d'injustice. La plupart des femmes prennent le ciel à témoin quand cela arrive : elles disent qu'on doit les aimer pour elles, et non pas pour le plaisir de les voir ; qu'elles n'ont point d'obligation à ceux qui cherchent seulement à se satisfaire ; que cette sorte de passion qui n'a pour objet que ce qui touche les sens ne doit point entrer dans une belle âme, et est indigne qu'on y réponde ; c'est aimer comme aiment les animaux ; au lieu qu'il faudrait aimer comme les esprits détachés des corps. Les amants, les vrais amants, se mettent le plus qu'ils peuvent dans cet état : ils s'affranchissent de la tyrannie du temps ; ils se rendent indépendants du hasard et de la malignité des astres : tandis que les autres sont toujours en transe, soit pour le caprice de la fortune, soit pour celui des saisons. Quand ils n'auraient rien à craindre de ce côté-là, les années leur font une guerre continuelle ; il n'y a pas un moment au jour qui ne détruise quelque chose de leur plaisir ; c'est une nécessité qu'il aille toujours en diminuant : et d'autres raisons très belles et très peu persuasives. Je n'en veux opposer qu'une à ces femmes. Leur beauté et leur jeunesse ont fait naître la passion que l'on a pour elles, il est naturel que le contraire l'anéantisse. Je ne vous demande donc plus d'amour ; ayez seulement de l'amitié, ou, si je n'en suis pas digne, quelque peu de compassion. Il est de la qualité d'un Dieu comme vous d'avoir pour esclaves des personnes de mon sexe : faites-moi la grâce que j'en sois une.

L'Amour trouva sa femme plus belle après ce discours qu'il ne l'avait encore trouvée. Il se jeta à son cou : Vous ne m'avez, lui repartit-il, demandé que de l'amitié, je vous promets de l'amour. Et consolez-vous ; il vous reste plus de beauté que n'en ont toutes les mortelles ensemble. Il est vrai que votre visage a changé de teint ; mais il n'a nullement changé de traits : et ne comptez-vous pour rien le reste du corps ? Qu'avez-vous perdu de lis et d'albâtre à comparaison de ce qui vous en est demeuré ? Allons voir Vénus. Cet avantage qu'elle vient de remporter, quoiqu'il soit petit, la rendra contente, et nous réconciliera les uns et les autres : sinon j'aurai recours à Jupiter, et le prierai de vous rendre votre vrai teint. Si cela dépendait de moi, vous seriez déjà ce que vous étiez lorsque vous me rendîtes amoureux ; ce serait ici le plus beau moment de vos jours : mais un Dieu ne saurait défaire ce qu'un autre Dieu a fait. Il n'y a que Jupiter à qui ce privilège soit accordé. S'il ne vous rend tous vos lis, sans qu'il y en ait un seul de perdu, je ferai périr la race des animaux et des hommes. Que feront les Dieux après cela ? pour les roses, c'est mon affaire ; et pour l'embonpoint, la joie le ramènera. Ce n'est pas encore assez, je veux que l'Olympe vous reconnaisse pour mon épouse.
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MessageSujet: Re: Les amours de Psyché   Les amours de Psyché - Page 2 Icon_minitime29/6/2007, 06:47

Psyché se fût jetée à ses pieds, si elle n'eût su comme on doit agir avec l'Amour. Elle se contenta donc de lui dire en rougissant : Si je pouvais être votre femme sans être blanche, cela serait bien plus court et bien plus certain. - Ce point-là vous est assuré, repartit l'Amour ; je l'ai juré par le Styx : mais je veux que vous soyez blanche. Allons nous présenter à Vénus.

Psyché se laissa conduire, bien qu'elle eût beaucoup de répugnance à se montrer, et peu d'espérance de réussir. La soumission aux volontés de son époux lui fermait les yeux : elle se serait résolue pour lui complaire à des choses plus difficiles. Pendant le chemin elle lui conta les principales aventures de son voyage ; la merveille de cette tour qui lui avait donné des adresses ; l'Achéron, le Styx, l'âne boiteux, le labyrinthe, et les trois gueules de son portier ; les fantômes qu'elle avait vus ; la cour de Pluton et de Proserpine ; enfin son retour, et sa curiosité qu'elle-même jugeait très digne d'être punie.

Elle achevait son récit quand ils arrivèrent à ce château qui était à mi-chemin de Paphos et d'Amathonte. Vénus se promenait dans le parc. On lui alla dire de la part de l'Amour qu'il avait une Africaine assez bien faite à lui présenter : elle en pourrait faire une quatrième Grâce, non seulement brune comme les autres, mais toute noire.

Cythérée revoit alors à sa jalousie ; à la passion dont son fils était malade, et qui, tout considéré, n'était pas un crime ; aux peines à quoi elle avait condamné la pauvre Psyché, peines très cruelles, et qui lui faisaient à elle-même pitié. Outre cela l'absence de son ennemie avait laissé refroidir sa colère, de façon que rien ne l'empêchait plus de se rendre à la raison. Elle était dans le moment le plus favorable qu'on eût pu choisir pour accommoder les choses.

Cependant toute la cour de Vénus était accourue pour voir ce miracle, cette nouvelle façon de More : c'était à qui la regarderait de plus près. Quelque étonnement que sa vue causât, on y prenait du plaisir ; et on aurait bien donné une demi-douzaine de blanches pour cette noire. Au reste, soit que la couleur eût changé son air, soit qu'il y eût de l'enchantement, personne ne se souvint d'avoir rien vu qui lui ressemblât. Les Jeux et les Ris firent connaissance avec elle d'abord, sans se la remettre, admirant les grâces de sa personne, sa taille, ses traits, et disant tout haut que la couleur n'y faisait rien. Néanmoins ce visage d'Ethiopienne enté sur un corps de Grecque semblait quelque chose de fort étrange. Toute cette cour la considérait comme un très beau monstre et très digne d'être aimé. Les uns assuraient qu'elle était fille d'un blanc et d'une noire, les autres d'un noir et d'une blanche.

Quand elle fut à quatre pas de Vénus, elle mit un genou en terre : Charmante reine de la beauté, lui dit-elle, c'est votre esclave qui revient des lieux où vous l'avez envoyée.

Tout le monde la reconnut aussitôt. On demeura fort surpris. Les Jeux et les Ris, qui sont un peuple assez étourdi, eurent de la discrétion cette fois-là, et dissimulèrent leur joie de peur d'irriter Vénus contre leur nouvelle maîtresse. Vous ne sauriez croire combien elle était aimée dans cette cour. La plupart des gens avaient résolu de se cantonner, à moins que Cythérée ne la traitât mieux. Psyché remarqua fort bien les mouvements que sa présence excitait dans le fond des coeurs, et qui paraissaient même sur les visages ; mais elle n'en témoigna rien, et continua de cette sorte : Proserpine m'a donné charge de vous faire ses compliments, et de vous assurer de la continuation de son amitié. Elle m'a mis entre les mains une boîte que j'ai ouverte, bien que vous m'eussiez défendu de l'ouvrir. Je n'oserais vous prier de me pardonner, et je me viens soumettre à la peine que ma curiosité a méritée.

Vénus, jetant les yeux sur Psyché, ne sentit pas tout le plaisir et la joie que sa jalousie lui avait promis. Un mouvement de compassion l'empêcha de jouir de sa vengeance et de la victoire qu'elle remportent ; si bien que, passant d'une extrémité en une autre, à la manière des femmes, elle se mit à pleurer, releva elle-même notre héroïne, puis l'embrassa : Je me rends, dit-elle, Psyché ; oubliez le mal que je vous ai fait. Si c'est effacer les sujets de haine que vous avez contre moi, et vous faire une satisfaction assez grande que de vous recevoir pour ma fille, je veux bien que vous la soyez. Montrez-vous meilleure que Vénus, aussi bien que vous êtes déjà plus belle ; ne soyez pas si vindicative que je l'ai été, et allez changer d'habit. Toutefois, ajouta-t-elle, vous avez besoin de repos. Puis se tournant vers les Grâces : Mettez-la au bain qu'on a préparé pour moi, et faites-la reposer ensuite ; je l'irai voir en son lit.

La Déesse n'y manqua pas, et voulut que notre héroïne couchât avec elle cette nuit-là ; non pour l'ôter à son fils : mais on résolut de célébrer un nouvel hymen, et d'attendre que notre Belle eût repris son teint. Vénus consentit qu'il lui fût rendu ; même qu'un brevet de Déesse lui fût donné, si tout cela se pouvait obtenir de Jupiter.

L'Amour ne perd point de temps, et pendant que sa mère était en belle humeur, s'en va trouver le roi des Dieux. Jupiter, qui avait appris l'histoire de ses amours, lui en demanda des nouvelles ; comme il se portait de sa brûlure ; pourquoi il abandonnait les affaires de son état. L'Amour répondit succinctement à ces questions, et vint au sujet qui l'amenait.

Mon fils, lui dit Jupiter en l'embrassant, vous ne trouverez plus d'Ethiopienne chez votre mère : le teint de Psyché est aussi blanc que jamais il fut : j'ai fait ce miracle dès le moment que vous m'avez témoigné le souhaiter. Quant à l'autre point ; le rang que vous demandez pour votre épouse n'est pas une chose si aisée à accorder qu'il vous semble. Nous n'avons parmi nous que trop de Déesses. C'est une nécessité qu'il y ait du bruit où il y a tant de femmes. La beauté de votre épouse étant telle que vous dites, ce sera des sujets de jalousie et de querelles, lesquelles je ne viendrai jamais à bout d'apaiser. Il ne faudra plus que je songe à mon office de foudroyant ; j'en aurai assez de celui de médiateur pour le reste de mes jours. Mais ce n'est pas ce qui m'arrête le plus. Dès que Psyché sera Déesse il lui faudra des temples aussi bien qu'aux autres. L'augmentation de ce culte nous diminuera notre portion. Déjà nous nous morfondons sur nos autels, tant ils sont froids et mal encensés. Cette qualité de Dieu deviendra à la fin si commune que les mortels ne se mettront plus en peine de l'honorer.

- Que vous importe ? reprit l'Amour : votre félicité dépend-elle du culte des hommes ? qu'ils vous négligent, qu'ils vous oublient, ne vivez-vous pas ici heureux et tranquille, dormant les trois quarts du temps, laissant aller les choses du monde comme elles peuvent, tonnant et grêlant lorsque la fantaisie vous en vient ? Vous savez combien quelquefois nous nous ennuyons : jamais la compagnie n'est bonne s'il n'y a des femmes qui soient aimables. Cybèle est vieille ; Junon de mauvaise humeur ; Cérès sent sa divinité de province, et n'a nullement l'air de la cour ; Minerve est toujours armée ; Diane nous rompt la tête avec sa trompe : on pourrait faire quelque chose d'assez bon de ces deux dernières ; mais elles sont si farouches qu'on ne leur oserait dire un mot de galanterie. Pomone est ennemie de l'oisiveté et a toujours les mains rudes ; Flore est agréable, je le confesse, mais son soin l'attache plus à la terre qu'à ces demeures ; l'Aurore se lève de trop grand matin, on ne sait ce qu'elle devient tout le reste de la journée : il n'y a que ma mère qui nous réjouisse, encore a-t-elle toujours quelque affaire qui la détourne, et demeure une partie de l'année à Paphos, Cythère, ou Amathonte. Comme Psyché n'a aucun domaine, elle ne bougera de l'Olympe. Vous verrez que sa beauté ne sera pas un petit ornement pour votre cour. Ne craignez point que les autres lui portent envie : il y a trop d'inégalité entre ses charmes et les leurs. La plus intéressée c'est ma mère, qui y consent.

Jupiter se rendit à ces raisons, et accorda à l'Amour ce qu'il demandent. Il témoigna qu'il apportait son consentement à l'apothéose par une petite inclination de tête qui ébranla légèrement l'univers, et le fit trembler seulement une demi-heure.

Aussitôt l'Amour fit mettre les cygnes à son char, descendit en terre, et trouva sa mère qui elle-même faisait office de Grâce autour de Psyché, non sans lui donner mille louanges et presque autant de baisers. Toute cette cour prit le chemin de l'Olympe, les Grâces se promettant bien de danser aux noces.

Je n'en décrirai point la cérémonie, non plus que celle de l'apothéose : je décrirai encore moins les plaisirs de nos époux ; il n'y a qu'eux seuls qui pussent être capables de les exprimer. Ces plaisirs leur eurent bientôt donné un doux gage de leur amour, une fille qui attira les Dieux et les hommes dès qu'on la vit. On lui a bâti des temples sous le nom de la Volupté.

0 douce Volupté, sans qui, dès notre enfance,
Le vivre et le mourir nous deviendraient égaux ;
Aimant universel de tous les animaux,
Que tu sais attirer avecque violence,
Par toi tout se meut ici bas.
C'est pour toi, c'est pour tes appas,
Que nous courons après la peine ;
Il n'est soldat, ni capitaine,
Ni ministre d'état, ni prince, ni sujet,
Qui ne t'ait pour unique objet :
Nous autres nourrissons, si, pour fruit de nos veilles,
Un bruit délicieux ne charmait nos oreilles,
Si nous ne nous sentions chatouillés de ce son,
Ferions-nous un mot de chanson ?
Ce qu'on appelle gloire en termes magnifiques,
Ce qui servait de prix dans les jeux olympiques,
N'est que toi proprement, divine Volupté.
Et le plaisir des sens n'est-il de rien compté ?
Pourquoi sont faits les dons de Flore,
Le soleil couchant, et l'aurore,
Pomone et ses mets délicats,
Bacchus, l'ame des bons repas,
Les forêts, les eaux, les prairies,
Mères des douces rêveries ;
Pourquoi tant de beaux arts, qui tous sont tes enfants
Mais pourquoi les Chloris aux appas triomphants,
Que pour maintenir ton commerce ?
J'entends innocemment : sur son propre désir
Quelque rigueur que l'on exerce
Encore y prend-on du plaisir.

Volupté, Volupté, qui fus jadis maîtresse
Du plus bel esprit de la Grèce,
Ne me dédaigne pas, viens-t'en loger chez moi ;
Tu n'y seras pas sans emploi :
J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout ; il n'est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu'au sombre plaisir d'un coeur mélancolique.
Viens donc ; et de ce bien, ô douce Volupté,
Veux-tu savoir au vrai la mesure certaine ?
Il m'en faut tout au moins un siècle bien compté ;
Car trente ans, ce n'est pas la peine.

Polyphile cessa de lire. Il n'avait pas cru pouvoir mieux finir que par l'hymne de la Volupté, dont le dessein ne déplut pas tout à fait à ses trois amis.

Après quelques courtes réflexions sur les principaux endroits de l'ouvrage : Ne voyez-vous pas, dit Ariste, que ce qui vous a donné le plus de plaisir, ce sont les endroits où Polyphile a tâché d'exciter en vous la compassion ?

- Ce que vous dites est fort vrai, repartit Acante ; mais je vous prie de considérer ce gris-de-lin, ce couleur d'aurore, cet orangé, et surtout ce pourpre qui environnent le roi des astres. En effet, il y avait très longtemps que le soir ne s'était trouvé si beau. Le Soleil avait pris son char le plus éclatant, et ses habits les plus magnifiques.

Il semblait qu'il se fût paré
Pour plaire aux filles de Nérée :
Dans un nuage bigarré
Il se coucha cette soirée.
L'air était peint de cent couleurs :
Jamais parterre plein de fleurs
N'eut tant de sortes de nuances.
Aucune vapeur ne gâtait
Par ses malignes influences
Le plaisir qu'Acante goûtait.

On lui donna le loisir de considérer les dernières beautés du jour : puis la lune étant en son plein, nos voyageurs et le cocher qui les conduisait la voulurent bien pour leur guide.
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